Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

21/01/2024

Pierre Chappuis, Le noir de l'été

Unknown-1.jpeg

              Naissance de l’ennui

 

Ce qu’il croyait rejoindre en se mettant en route (l’été, lé belle insouciance de l’été), des forces adverses l’en éloignent sournoisement pour l’ankyloser toujours davantage, néfastes harassantes, bien plus incontournable que, dans sa  fougue, le vent. Toujours devant lui la même distance infranchie.

 

L’enfance, irrémédiablement une lézarde vient d’y  porter atteinte, la première par où s’infiltre la lèpre de la solitude.

Les lieux, portant les mêmes, lieux de toujours (comment, en un instant, défigurés ?), le temps, les lieux en partent, irascible, la marque. La garderont.

 

Nulle aide, nul attrait, nulle part.

Voix, inéluctablement (où donc aller ?), chaque tour de roue (à quoi bon ?) se fait plus pesant comme cs, au lieu d’avancer, soudain misérable, il reculait.

(…) 

Pierre Chappuis, Le noir de l’été, La Dogana, 2002, p.15-16.

11/12/2023

Francis Jammes, Clairières dans le ciel

Unknown-1.jpeg

Si tout ceci n’est qu’un pauvre rêve, et s’il faut

que j’ajoute, dans ma vie, une fois encore,

la désillusion aux désillusions ;

et, si je dois encore, par ma sombre folie,

chercher dans la douceur du vent et de la pluie

les seules vaines voix qui m’aient en passion,

je ne sais si je guérirai, ô mon amie…

 

Francis Jammes, Clairières dans le ciel, Poésie/

Gallimard, 1980, p. 40.

01/03/2023

Pascal Quignard, Les Paradisiaques

 

                                            Unknown-2.jpeg

                      La voix paradisiaque

 

Si la préférence pour la voix féminine maternelle précède en nous le premier jour, cette perte se répète tragiquement à l’adolescence chez les garçons. Ils quittent l’aigu pour le grave. L’activité de la voix maternelle externe chez les mâles à partir de la puberté devient perpétuellement initiale. Cette perte définit le tragique. Les anciens Grecs nommaient tragôdiale dédoublement vocal de la mue masculine, faisant passer le petit humain de la néoténie à la puberté.

La voix de jadis est la voix soprano.

La voix maternelle externe a un impact rythmique dans le comportement de succion du nouveau-né.

Il y a des anorexies natales dues à des défauts de voix.

Anorexies « tragiques »

Faims affamées dues au non-rappel de la voix interne.

 

Pascal Quignard , Les Paradisiaques, Folio/Gallimard, 2007, p. 273.

10/12/2021

Louise Labé, Sonnets

                                AVT_Louise-Labe_7792.jpg

                 Sonnet XIV

 

Tant que mes yeux pourront larmes espandre,

   À l’heur passé avec toy regretter :

   Et qu’aux sanglots et soupirs resister

   Pourra ma voix, et un peu faire entendre ;

Tant que ma main pourra les cordes tendre

   Du mignart Lut, pour ses graces chanter ;

   Tant que l’esprit se voudra contenter

   De ne vouloir rien fors que toy comprendre ;

Je ne souhaite encore point mourir.

   Mais quand mes yeux je sentirai tarir

   Ma voix cassée, et ma main impuissante,

Et mon esprit en ce mortel sejour

   Ne pouvant plus montrer signe d’amante :

   Prirey la mort noircir mon plus cler jour.

 

Louise Labé, Sonnets, dans Œuvres complètes,

Pléiade/Gallimard, 2021, p. 100.

19/11/2019

Rose Ausländer, Pays maternel

       rose1975_0.jpg

À la mer

 

Pourvue de profondes empreintes digitales

La houle déferlante

Nous atteint

 

Nos minutes

Lavées

De la poussière de la ville

 

L’eau

Met en musique nos mots

Sages aquatiques

Cernés de sable

 

Tu es la voix

 

Sois indulgent envers moi

Étranger

Je t’aime

Toi que je ne connais pas

 

Tu es la voix

Qui m’envoûte

Je t’ai perçue

Reposant sur du velours vert

Toi haleine de mousse

Toi cloche du bonheur

Et du deuil inextinguible

 

Rose Ausländer, Pays maternel, traduction Edmond

Verroul, Héros-Limite, 2015, p. 21, 63.

18/10/2019

Jean-Philippe Salabreuil, Juste retour d'abîme

AVT_Jean-Philippe-Salabreuil_7454.jpeg

         Le jour n’est plus

 

Le jour n’est plus une belle eau grise

(Elle est venue des montagnes du temps)

Le bouvreuil noue et dénoue son cri

Aux branchages morts de la lampe

Un matin me visitait la voix

Claire et levée des torrents de la joie

C’était au lendemain l’été

Quand le silence blanc l’ombre jetée

Mais constellée aussitôt de myosotis

Avec les mondes légers des cieux lisses

(Elle n’était plus seule en profondeur)

Une âme bleue veillait dans la hauteur

Ô vie comme s’épuise la lumière

Au coin d’une fenêtre devant la nuit

Les murs crouleraient-ils comme des pierres

Dans le grand lac et serais-je promis

À ce trou de lueurs maigres sous la cendre

(Elle disait il faut descendre)

Et je savais ne pouvoir plus

Soudain un soir l’obscur en crue

Franchir de frêles ponts rongés d’abîme

Puis une à une au pâle étang

Ont soufflé leur lucarne les cimes

Un noir dessein de satin lourd

S’est entrouvert de longues marches

Aux menées taciturnes du fond

(Elle m’a guetté du plus sombre) et je marche

Et je tiens pour veilleuse le jour.

 

Jean-Philippe Salabreuil, Juste retour d’abîme,

Gallimard, 1965, p. 15-16.

25/09/2019

Julien Bosc, Je n'ai pas le droit d'en parler

Version 2.jpg

En hommage à Julien Bosc, décédé le 24 septembre 2018

 

(...)

De tant devoir me perdre, voyez : j’ai tiré un trait sur ma voix. Pour cette raison, ce soir, j’aimerais que quelqu’un me parle, me raconte une histoire, vraie ou fausse, cruelle ou tendre, de cape et d’épée ou de compagnon maçon, n’importe, mais à voix haute, que j’en entende au moins une. Et sinon une histoire : un mot, d’une langue vivante ou morte , une injure ou un reproche, sans souci de ma vanité, je les mérite tous ; un cri, sans qu’il me fût ensuite fait grief d’avoir cogné , un sanglot, s’il est un obstacle pour l’écho. Ou comme il vous plaira. Je ne suis pas difficile. Cependant pitié ! pas le vent, pas le bruit des vagues, pas la chute des pierres, pas le grillon ou la pie. Rien qui ne soit pas ta voix.

 

Julien Bosc, Je n’ai pas le droit d’en parler, Atelier La Feugraie, 2008, p. 22-23.

© Photo Chantal Tanet

17/06/2019

Ossip Mandelstam, Simple promesse, choix de poèmes

838_osip_mandelstam_1934.jpg

Encore il se souvient de l'usure des souliers —

De la majesté fruste de mes semelles

Et moi, de lui : sa voix aux sonorités diverses.

Ses cheveux noirs, au bord de la montagne de David.

 

Retapées à la craie ou au blanc d'œuf,

Les enfilades de rues couleur de pistache,

La pente des balcons, le fer à cheval, le balcon-cheval,

Les petits chênes, les platanes, les ormes lents.

 

Et l'enchaînement féminin des lettres bouclées

Plus enivrant pour l'œil dans l'enveloppe de lumière,

Et la ville si bien faite, qui se prolonge en robustesse

Jusque dans l'été juvénile et vieillissant.

 

7-11 février 1937, Voronèje

 

Ossip Mandelstam, Simple promesse, choix de poèmes 1908-1937, traduit par Philippe Jaccottet, Louis Martinez, Jean-Claude Schneider, postface de Florian Rodari, La Dogana, 2011 [1994], p. 134.

31/10/2018

Dominique Maurizi, Septième rive

     Dominique MAURIZI.JPG

Est-ce que je rêve quand je t’entends,

quand, comme ces cris au loin qu’on

perçoit, je devine une voix ?

 

Est-ce que je dors, est-ce que je rêve,

quand je ne vois que flocons de fumée,

et que seule dans le noir, rien ne pleure

avec moi ?

 

Est-ce que je rêve, est-ce que je rêve,

quand je t’entraîne avec les ombres, et

que tu passes dans le noir, comme ces

pas au loin qu’on entend ?

 

Dominique Maurizi, Septième rive,

la tête à l’envers, 2017, p. 70.

22/10/2018

Pierre-Yves Soucy, Reprises de paroles

Pierre-Yves-Soucy.jpg

XXXI

 

ce monde peut-il tenir d’autres voix

que tous morts seuls     sans pain

la bouche dans la bouche tremblante

 

de prendre la forme d’un silence

le vertige vertical de la beauté

     parvient toujours trop tard

 

la terre s’imprime de pas

que les pas effacent

la parole seule garde les accords

aussi improbables que décombres

 

elles s’aggravent entre vide et réel

 

Pierre-Yves Soucy, Reprises de paroles,

La Lettre volée, 2018, p 41.

10/10/2018

Pierre Reverdy, La guitare endormie

               Reverdy.jpeg

                            Panorama nocturne

 

         Les étoiles sont près du toit et le reflet sur la façade

Un sillon tortueux creuse le sol autour de la colline

                  Du pavillon

                  Du temple

                  De la ville

Les trois chemins qui montent sont bordés de maisons

         Des lampes éclatent en fruits lumineux entre les arbres noirs

Et les feuilles de bronze qui tombent du soleil

Là-haut il y a vraiment une tête et des épaules sous la neige

Mais tout le long des toits autour du cercle merveilleux

              Des voix qui chantent

 

Pierre Reverdy, La guitare endormie, dans Œuvres complètes, I, Flammarion,

2010, p. 271.

28/09/2018

Julien Bosc, De la poussière sur vos cils

      Version 2.jpg

                                            juillet 2017

 

Non loin du village

Non loin d’un tas de briques

 

Elle et lui, comme autrefois.

Comme autrefois

(autrefois disons)

 

Tout a changé

Sauf le lieu — le terrible lieu.

Sauf leurs jeunesses — fauchées.

Sauf leurs noms — jetés au feu avant d’entrer dans le livre.

Sauf leurs voix.

 

— Mais est-ce la leur à chacun ?

Où est-ce celle, sourde, qui leur est commune et les sépare de telle sorte que c’est dans ce tout petit écart qu’ils s’aiment et parlent ?

(Parlent, disons)

 

                                                                                       Ô vitre brisée sur l’inénarrable

 

Julien Bosc, De la poussière sur vos cils, La tête à l’envers, 2015, p. 50-51.

15/01/2018

Jacques Roubaud, C et autre poésie (1962-2012)

 

Roubaud.JPG

1994

 

il n’y a pas de ciel

pas d’yeux

pas de voix

rien qu’une lampe

une lampe dans la lumière

s’écoule

et ne reviendra pas

même si elle semble

posée

en permanence

sur la photographie au mur

sur les livres

en l’absence du ciel

d’yeux

et de voix

 

Jacques Roubaud, C et autre poésie

(1962-2012), NOUS, 2015, p. 308.

15/11/2017

Marie-Laure Zoss, hécates (la Revue de belles-lettres)

 

                                                    marie-laure zoss,hécates,voix,saut

                                          Photo C. Bally

 

   S'arc-boute et force la cohue, finira bien par sauter, le couvercle, pas vrai, du brasier de cailloux, tandis que mors à l'échine vient serrer ; colère à sa tordre roulée sur elle-même, accroche grenaille au passage de syllabes, et ça s'arrête bouclé au seuil ; au fer rouge ou même forgeant à froid, celui-là essaie, n'y arrive pas, à travers la croûte terrestre pas de coup possible porté de l'intérieur ; ça ne dégage rien ; jusqu'en lisière de la voix, verbe corseté au point mort ;

   à ce jour nulle autre issue que le bond ; pieds dans les ronces fraîches ou la fleur d'acacia, celui-là ne souffre pas de s'entendre, ponts sabrés derrière soi ;

   et qu'il réprime ainsi qu'âcre ballot l'empêchement d'articuler, sous folle avoine, orge des murs ; l'espace entrouvert dans le cri qu'affile la suie du martinet, un souffle d'herbe froissant le talus.

 

Marie-Laure Zoss, hécates (extraits), dans La revue de belles-lettres,

Société de Belles-Lettres de Lausanne, 2011-2, p. 127.

25/09/2017

Louis-René des Forêts, Poèmes de Samuel Wood

                  Des Forêts.jpg

Une ombre peut-être, rien qu’une ombre inventée

Et nommée pour les besoins de la cause

Tout lien rompu avec sa propre figure.

Se faire entendre une voix venue d’ailleurs

Inaccessible au temps et à l’usure

Se révèle non moins illusoire qu’un rêve

Il y a pourtant en elle quelque chose qui dure

Même après que s’en est perdu le sens

Son timbre vibre encore au loin comme un orage

Dont on ne sait s’il se rapproche ou s’en va.

 

Louis-René des Forêts, Poèmes de Samuel Wood,

Fata Morgana, 1988, p. 44.