14/06/2021
Bashô Seigneur ermite
Regagnant la côte sur une feuille, le petit insecte où dort-il ?
Denuit sous la lune un ver secrètement creuse une châtaigne
Pareils aux herbes de pampas les épis de blé invitent-ils les coucous dans le vent ?
Que les couvertures superposées sont lourdes ! il doit neiger ce soir dans un lointain pays de montagne.
Poètes élus par les cris des singes, entendez-vous l’enfant abandonné dans le vent d’automne ?
Bashô Seigneur ermite, traduction Makoto Keemmoku et Dominique Chipot, La Table ronde, 2012, p. 79, 79, 85, 94, 99.
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06/07/2018
Raluca Maria Hanea, Retirements
Sous la pluie les hommes continuèrent à grimper,puis se figèrent.
Leurs dos de pierre ont fini d’achever la montagne.
Leur apparition restera notre plus longue étreinte.
paroi osseuse plantée devant le vide
l’obturateur en marge
extrémités prises
la pellicule s’est refermée
le souffle en couronne
sans excès d’espace
nervures cordes rentrées
les doigts rêches, le matin les yeux encore un peu salés
pour que toute la poussière leur revienne, toute la cendre
Raluca Maria Hanea, Retirements, éditions Unes, 2018, p. 63.
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28/01/2015
Eugène Fromentin, Carnet de voyage en Algérie
Fromentin, Tente au Sahara
Carnet de voyage en Algérie
[...]
24 janvier 1848. Départ avant le jour. Nous escortons la voiture, nous descendons à pied les pentes les plus rapides. Matinée claire et très froide. Il y a de la glace dans les ornières et dans tous les pas des chevaux. le terrain durci par la gelée nous blesse les pieds, mais nous permet d'aller sans nous embourber. Nous dominons une étendue considérable de montagnes. Le soleil se lève derrière de lointains sommets couverts de neiges, et nous frappe au visage, nous enveloppe de lumière. Le ciel est d'une sérénité admirable. L'air vif des régions élevées dilate la poitrine et nous nous précipitons en criant sur les pentes. La glace frémit déjà et le terrain fléchit sous les pieds. Rencontre d'un douar (le premier depuis Philippeville), abrité dans un pli profond de la vallée. Les troupeaux se dispersent. Arabe en simple gandoura retenue par une ceinture en corde, monté sur un cheval à poil, un bâton à la main et conduisant un troupeau de bêtes à cornes.
(...) ferme fortifiée, à la fois étable, écurie et caserne. — À 10 heures déjeuner au Hamma. Nous avons fini de descendre. Nous venons de sortir de la montagne et nous rentrons dans la riante et fertile vallée du Rummel. Le Hamma est le jardin de Constantine dont il n'est éloigné que de cinq à six kilomètres. Il faut une heure de cheval pour descendre de Constantine au Hamma, il en faut deux pour y monter. Arbres en fleurs ou déjà couverts de feuilles. Quelques palmiers épars dans les massifs d'oliviers, de caroubiers et d'arbres à fruits suffisent pour restituer au paysage son caractère oriental.
Eugène Fromentin, Carnet de voyage en Algérie, dans Œuvres complètes, édition établie, présentée et annotée par Guy Sagnes, Pléiade / Gallimard, 1984, p. 927.
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30/11/2014
Claude Dourguin, Journal de Bréona
Notes sur la montagne
La contemplation de la montagne implique une intériorité plus grande que celle de la mer. D'ailleurs, s'il n'est pas rare de rencontrer sur les quais, sur les rivages des personnes (de toutes sortes) accoudées ou assises face à la mer en observations silencieuse, le cas est beaucoup moins fréquent en montagne. À cause de l'agitation permanente, des mouvements de l'eau, des vagues même peu marquées, la mer donne l'idée de la vie — changeante, imprévisible —suscitant une curiosité sinon une attente — que va-t-il se passer maintenant ? « La mer, toujours recommencée ! » C'est toute une trame anrrative, avec ses anecdotes en sus, le passage d'un bateau de pêche, l'apparition d'une voile là-bas, le train des nuages au ciel, qui se met en place. La montagne, elle, souvent déserte, immobile ne connaît que les modifications de la lumière, beaucoup moins rapides sous les climats qui sont les siens. Quant à l'intérêt pour les météores il exige une attention subtile, une patience attentive indifférente à la monotonie.
Claude Dourguin, Journal de Bréona, Isolato, 2014, p. 55-56.
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21/01/2014
Jean-Loup Trassard, Ouailles
Photographie Olivier Roller
Une semaine avec Jean-Loup Trassard
Franchie l'Aigue Blanche au pont de bois, c'est d'abord un chemin de tracteurs dans les prés, l'herbe haute, grossière, très fleurie, mauvais foin. Puis, quand on bute sur les premiers arbres, un sentier tout de suite montant. À l'ombre mais ne voyant plus la montagne, l'éprouvant. Poussière, ou pierraille, ou aiguilles de pins, le sentier nous tire par lacets, contourne des effondrements, propose quelques variantes, brefs raccourcis, s'efface dans la traversée d'un torrent (tortueuse traînée de pierres grises, entassement de branches blanchies, peut-être un tronc entier, mais peu d'eau) et reprend de l'autre côté. Avant que d'arriver aux prairies on ne voit pas la montagne, on la ressent, dès les premiers pas. Caché sous des mètres de neige en hiver, le sentier ancien est sec maintenant, usé à nouveau d'une façon infime, terre, cailloux. C'est tout de suite, encore, de plus en plus, l'affrontement des jambes lasses, et capables pourtant, au phénomène de la montagne (de petite montagne, que j'aime parce qu'elle n'est pas, justement, une paroi pour l'alpinisme mais montagne pour les moutons, les arbres, les oiseaux). Muscles et tendons, pliement au genou, le fémur, de la tête, pilonnant son mortier iliaque, les jambes rythmées lentement mais tenaces hissent par l'inclinaison étroite du sentier le corps et quelques impédiments au flanc de la montagne. Et l'effort de chaque pas semble dérisoire par rapport à la masse de terre.
Jean-Loup Trassard, Ouailles, textes et photographies, Le temps qu'il fait 1991, p. 74.
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