24/05/2015
Nicolas de Staël, Lettres 1926-1955
Parfois la distance de mon travail à mes rêves me fait rire, Maman, rire de moi avec tristesse. Et c’est certainement par le fait d’étudier qu’on reprend courage. Le fait qu’on peut se donner une raison de la croyance intuitive dans les grands peintres.
Qu’ont-ils fait, comment, pourquoi, quel était leur résultat après trois ans de contact non constant comme moi ?
Il faut savoir se donner une explication, pourquoi on trouve beau ce qui est beau, une explication technique.
C’est indispensable [de] savoir les lois des couleurs, savoir à fond pourquoi les pommes de Van Gogh à La Haye, de couleur nettement crapuleuse, semblent splendides, pourquoi Delacroix sabrait de raies vertes ses nus décoratifs aux plafonds et que ces nus semblaient sans taches et d’une couleur de chair éclatante. Pourquoi Véronèse, Vélasquez, Franz Hals, possédaient plus de 27 noirs et autant de blancs ? Que Van Gogh s’est suicidé, Delacroix est mort furieux contre lui-même, et Hals se saoulait de désespoir, pourquoi, où en étaient-ils ? Leurs dessins ? Pour une petite toile que Van Gogh a au musée de La Haye on a des notes d’orchestration de lui pendant deux pages. Chaque couleur a sa raison d’être et moi de par les dieux j’irai balafrer des toiles sans avoir étudié et cela parce que tout le monde accélère, Dieu sait pourquoi.
Nicolas de Staël, Lettres 1926-1955, édition présenté, annotée et commentée par Germain Viatte, Le bruit du temps, 2014, p. 62.
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10/05/2015
Walter Benjamin, Rastelli raconte, traduction Philippe Jaccottet
Le souhait
Un soir, pour la fin du sabbat, les juifs étaient réunis dans une misérable auberge d’un village de Hasidim. C’étaient des gens du coin, à l’exception d’un individu que personne ne connaissait, un homme en haillons, particulièrement misérable, accroupi dans l’ombre du poêle, tout au fond de la salle. On avait parlé à bâtons rompus. Soudain, quelqu’un demanda quel souhait chacun ferait, si on lui en accordait un. L’un voulait de l’argent, l’autre un gendre, le troisième un établi neuf, et ainsi de suite.
Quand chacun eut opiné, il ne resta plus que le mendiant du coin du poêle. Celui-ci n’obtempéra aux questionneurs que de mauvaise grâce et non sans hésiter :
— Je voudrais être un roi très puissant, régnant sur une vaste contrée, et qu’une nuit, comme je dormirais dans mon palais, l’ennemi franchit la frontière et qu’avant les premières lueurs de l’aube ses cavaliers eussent atteint mon château sans rencontrer de résistance et que, brutalement tiré de mon lit, sans même le temps de passer un vêtement, j’eusse dû prendre la fuite, en chaise, traqué jour et nuit sans relâche par monts et vaux, forêts et collines, jusqu’à trouver refuge ici même, sur un banc, dans un coin de votre auberge. Tel est mon souhait.
Les autres se regardaient, interloqués.
— Et qu’en aurais-tu de plus ? demanda quelqu’un.
— Une chemise, répondit le mendiant.
Walter Benjamin, Rastelli raconte, traduction Philippe Jaccottet, Points / Seuil, 1987, p. 92-93.
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07/05/2015
Jean Tortel, Instants qualifiés
Sombre la nuit et telle
Qu’au profond les dormeurs
Touchent le sable au creux
Longtemps suspendu des calmes
Vagues noires, rongée
Par les insectes poussiéreux,
En apparence désormais
Inaccessible au fond
D’elle-même et perdue et vierge
Intouchable et noire, descendue
En se dissociant dans les dormeurs
Qui l’ignorent, qui sont la nuit
Abusivement claire d’un rêve
Sans contrôle.
Jean Tortel, Instants qualifiés,, Gallimard, 1973, p. 29. © Photo Jean-Marc de Samie.
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27/04/2015
Jean Follain, Appareil de la terre
Gestes
Au soir éblouissant
ceux qui font ce geste :
clore un vêtement noir
regrettent une jaune terre
où se prenaient leurs pieds.
D’autres que cernent la mer
sur le banc de sable
agitent les bras.
Certains gardent enfin
en fermant les yeux
mais la fleur aux lèvres
le courage des muets.
Un se courbe
pour ramasser le morceau de pain
gonflé d’eau grise.
Matière aux songes
Parfois du milieu d’un champ
on entend les orgues d’église
et point le vent
les plantes gonflent
de rosée invincible
d’aucuns songent
devant la pierre violâtre
l’habit ravagé
les gants prêtés pour la journée
le chat dormant qui a voyagé
Jean Follain, Appareil de la terre, Gallimard,
1964, p. 40, 62.
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03/02/2015
Marie Cosnay, Le Fils de Judith
Un enfant rêve de baleines remorquées jusqu’au dépeçage, de voiles tendues dans l’aube qui n’a pas lieu tant elle est lente, remorquée elle aussi venue des profondeurs et dans les profondeurs c’est la fin brutale des choses, un souffle froid ou chaud, un courant qui empoigne le cœur puis le lâche dans prévenir. L’enfant ne ferme jamais les yeux. Helen somnole, dans une moitié de rêve l’enfant a tous les âges, il devient celui qu’il n’est pas, un frère, elle ne sait pas qui est le frère qu’usurpe le vieil enfant, le frère a quatre-vingt dix ans dit le rêve, il a un vieux visage sage mais imberbe, ridé ou fripé de naître, il faut le prendre sous son aile, frère vieux ou naissant. Elle essaie de parler à l’enfant mais il reste sourd, collé à le vitre du train qui file sous un ciel opaque, cloué, pendant quelques minutes elle rencontre la fin du monde, la fin du monde traîne derrière elle une vieille carcasse sans désirs, les désirs dans cette fin du monde on les connaît : ils ne sont que des souvenirs, des ex-poussées d’énergie, de vieux enthousiasmes dont on ne sait plus les ressorts.
Marie Cosnay, Le Fils de Judith, Cheyne, 2014, p. 22.
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03/01/2015
Christiane Veschambre, Versailles Chantiers
Traverse n° 4
une bifurcation inattendue au volant de la voiture je n'ai pas le temps
de réfléchir je choisis de prendre à gauche et immédiatement
nous comprenons que c'est la mauvaise route ce n'est pas une route mais
un chemin non carrossable plein de virages dont la terre s'incline
vers le profond ravin qu'il longe
dans lequel la voiture incontrôlable plonge
nous en sommes éjectés
nous tombons
comme au ralenti mais je sais que nous allons mourir quand nos corps
s'écraseront
je pense à ce que je n'ai pas fini d'écrire
c'est comme ça la mort ça ne laisse pas finir
alors
puisque tu chutes à côté de moi dans ce vide définitif
je prends ta main dans ma main
je n'ai pas peur
c'est entre le 25 et le 26 janvier 2012 que me visite ce rêve heureux,
deux nuits après avoir revu Mrs Muir et le capitaine Gregg partir main dans
la main, par la grâce de Joseph Leo Mankiewicz, de l'autre côté de la mort.
Christiane Veschambre, Versailles Chantiers, photographies Juliette Agnel, éditions isabelle sauvage, 2014, p. 47.
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20/12/2014
William Faulkner, "La Nouvelle-Orléans", dans Croquis de la Nouvelle-Orléans
L'artiste
Un rêve, un feu sur lesquels je n'ai pouvoir me guident hors des sentiers sûrs et balisés de la solidité et du sommeil que la nature a créés pour l'homme. Un feu dont j'ai hérité malgré moi, et que je dois alimenter de verbe et de jeunesse et du vaisseau même qui le porte — le serpent qui dévore sa propre engeance —, sachant que je ne pourrai jamais donner au monde ce qui en moi cherche à se libérer.
Car où est la chair, dans quelle main le sang, aptes à modeler dans le marbre, sur la toile ou le papier, ce rêve qui est en moi et qui demande à vivre ? Je ne suis, moi aussi, qu'une motte informe de terre humide issue de la douleur et destinée à rire, à lutter, à pleurer, ne connaissant la paix que le jour où l'humidité partie, elle retournera à la poussière originelle et éternelle.
Mais créer ? Qui, parmi vous qui n'êtes pas la proie de ce feu, pour connaître cette joie, si fugace soit-elle ?
William Faulkner, "La Nouvelle-Orléans", dans Croquis de la Nouvelle-Orléans, suivi de Mayday, traduit d el'anglais par Michel Gresset, Gallimard, 1988, p. 63.
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21/11/2014
Jean-Pierre Chambon, Tout venant
À l'heure du petit déjeuner
la radio bourdonne dans la cuisine
la nuit n'a pas lavé le monde
de l'injustice et du malheur
comment vivre cette journée
Les mots
dans leur ombre insensée persiste
portant l'écho d'une voix à venir
le rêve d'une langue transparente
tenue en réserve depuis l'enfance
qui nous ferait traverser le miroir
et dirait enfin le secret des choses
Dans les carrés de lumière
que les fenêtres des immeubles
découpent sur la nuit
se démultiplient les silhouettes
d'un petit théâtre d'ombres
jouant les scènes triviales
de la fascinante
vie des autres
Jean-Pierre Chambon, Tout venant,
Héros-Limite, 2014, p. 108, 91, 187.
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05/11/2014
René Char, Fenêtres dormantes et porte sur le toit
Venelles dans l'année 1978
Nous nous avançons devant la haie d'une double réalité : la première est la plus coûteuse (la vie continuellement allumée et qui monte jusqu'à la fleur), la seconde est supposée nulle puisqu'elle n'a pouvoir que de lentement nous déshabiller et de nous réduire en poudre. L'avantage de la première sur la seconde est de se savoir fiable, de n'être pas aveugle, de mentir comme elle respire, l'enchantement consommé.
On ne partage pas ses gouffres avec autrui, seulement ses chaises.
Elle ne peut se souffrir seule, l'épouse de l'espoir, serait-ce dans un bain de vagues. Mais sur le berceau convulsé de la mer, elle rit avec les écumes.
La terre prête filles et fils au soleil levant puis les reprend la nuit venant. Leur repas du soir expédié, la cruelle les presse de s'endormir, consentant chichement quelques rêves.
René Char, Fenêtres dormantes et porte sur le toit, Gallimard, 1979, p. 61.
© Photo Jacques Robert (Gallimard)
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06/10/2014
Antonio Tabucchi, Petits malentendus sans importance
Rébus
Cette nuit j'ai rêvé de Myriam. Elle portait une long vêtement blanc qui ressemblait, de loin, à une chemise de nuit ; elle marchait sur la plage, les vagues étaient immenses, effrayantes, et se brisaient en silence, ce devait être la plage de Biarritz, mais elle était totalement déserte : j'étais assis sur une chaise longue, la première d'une interminable rangée, toutes inoccupées ; mais peut-être était-ce une autre plage, car je ne me souviens pas d'avoir vu de telles chaises longues à Biarritz, ce n'était qu'une plage symbolique ; je lui ai fait signe pour l'inviter à s'asseoir, mais elle a continué à marcher comme si elle ne m'avait pas vu, en regardant droit devant elle et, quand elle est passée près de moi, j'ai senti une rafale de vent glacé sur mon corps, comme si un halo l'entourait : alors, stupéfait mais non surpris, j'ai compris d'elle était morte.
Parfois, une idée ne semble plausible que de cette manière : en songe. Sans doute parce que la raison est timorée et ne parvient pas à combler les vides, entre les choses, à reconstituer une totalité, une forme de simplicité ; elle préfère les solutions complexes regorgeant de lacunes ; c'est alors que la volonté s'en remet au rêve. À l'inverse, peut-être rêverai-je, demain ou un autre jour, que Myriam est vivante ; elle marchera au bord de la mer et répondra à mon appel, s'installera à mes côtés sur une chaise longue, sur la plage de Biarritz ou une autre plage symbolique ; elle remettra ses cheveux en place, comme elle avait coutume de le faire, d'un geste lent, alangui, sensuel, et, face à la mer, elle désignera une voile ou un nuage , et elle rira, et nous rirons, heureux d'être là ensemble, de nous être retrouvés à notre rendez-vous.
[...]
Antonio Tabucchi, Petits malentendus sans importance, traduction de cette nouvelle par Christian Paoloni, Christian Bourgois, 1987, p. 33-34.
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14/09/2014
Antonio Tabucchi, Les trois derniers jours de Fernando Pessoa
Moi aussi j'ai oublié la mort
L'homme qui entra était un vieillard au noble visage, avec une énorme barbe blanche et une tunique romaine tombant jusqu'aux pieds, elle aussi blanche.
Ave, compagnon, dit le vieillard, je me permets d'entrer dans tes rêves.
Pessoa alluma la lampe sur la table de chevet. Il regarda le vieillard et reconnut Antonio Mora. Il lui fit signe d'avancer..
Mora leva une main et dit : Phlébas le phénicien, mort depuis quinze jours, oublia le cri des mouettes et le cri profond de la mer pour m'annoncer ton sort, ô grand Fernando. Je sais que les eaux de l'Achéron t'attendent, puis les tourbillons furieux des atomes dans lesquels tout se perd et tout se recrée, et toi tu reviendras peut-être dans les jardins de Lisbonne comme fleur qui fleurit en avril ou comme pluie sur les lacs et les lagunes du Portugal, et moi, en me promenant, j'entendrai ta voix parcourue par le vent.
Pessoa se dressa sur ses coudes. La douleur au côté droit était passée, il ne ressentait à présent qu'un grande fatigue.
Et Le retour des dieux ? demanda-t-il.
Le livre est presque achevé répondit Antonio Mora, mais je ne sais si je pourrai le publier, car personne n'ose publier les livres d'un fou.
Dites-moi, reprit Pessoa, racontez-moi comment ça se passe à la clinique psychiatrique de Cascais où nous nous sommes vus si peu de temps.
[...]
Antonio Tabucchi, Les trois derniers jours de Fernando Pessoa, Un délire, traduit de l'italien par Jean-Paul Manganaro, Librairie du XXe siècle / Seuil, 1994, p. 63-64.
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03/09/2014
Joseph Joubert, Carnets, I (suite)
On entend dans leurs paroles le tintement de leurs cerveaux.
Il faut avouer ses ténèbres.
Aux médiocres il faut des livres médiocres.
Évitez d'acheter un livre fermé.
Mépriser la vie et la mort.
Modèles. — Il n'y a plus de modèles.
Dans les festins, il suffit d'être joyeux pour être aimable.
Chercher la sagesse plutôt que la vérité. Elle est plus à notre portée.
Un rêve est la moitié d'une réalité.
Sexes. L'un a l'air d'une laie et l'autre d'un écorché.
Joseph Joubert, Carnets, I, Gallimard, 1994 (1938), p. 149, 172, 172, 183, 192, 192, 195, 197, 218, 228.
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24/08/2014
Jean-Louis Giovannoni, Les mots sont des vêtements endormis
Je me regarde sans cesse dans les reflets des vitrines, je me surveille. Toujours cette peur de me perdre.
On court, on s'agite, rien que pour faire croire que l'on connaît la sortie.
Sous ces traits, ce visage à jamais tourné vers lui-même que seuls les murs savent refléter.
Bouge un tant soit peu,
et c'est un monde qui s'efface.
Ce besoin de toujours traîner un corps dans ses rêves.
Tu regardes l'espace : tu penses aux oiseaux. Et lorsque tu t'agites ce ne sont que tes membres que tu agites.
Chaque matin, une force bestiale me pousse à revenir, à émerger.
C'est terrifiant de penser que l'on peut emporter le monde, juste en fermant les yeux.
Que veut-on tuer lorsqu'on se tue ?
Ce sont nos vêtements qui nous donnent corps — sans ça tout s'effondrerait.
Pourquoi faudrait-il qu'on soit sauvé et pas ce chat, ce cendrier... ?
Jean-Louis Giovannoni, Les mots sont des vêtements endormis, éditons Unes, 2014, p. 14, 15, 16, 19, 20, 21, 23, 24, 27, 31, 35.
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16/08/2014
Romain Fustier, Mon contre toi
ma petite voleuse d'oreiller dont le visage reposé. dans une course-poursuite immobile. une traque silencieuse dans les nuages de ses songes. et je pars à sa recherche tandis qu'elle dort allongée devant moi. souffle calme. bouche phylactère. un message suspendu entre les lèvres. mon oreiller sous le visage. ma petite voleuse dort. s'arrêtant dans les bars de carrefour où l'on joue de la guitare la nuit. fonçant sue la fédérale dans une voiture de location. et je me lance à ses trousses. écartant les nuages de ses songes tandis qu'elle dort étendue devant moi. un vent du sud s'échappe de ses lèvres où je me glisse dans la bulle de son visage. ma petite voleuse d'oreiller dort et je deviens complice de sa fuite.
Romain Fustier, Mon contre toi, éditons de l'Atlantique, 2012, p. 48.
Romain Fustier anime avec Amandine Marembert la revue et les éditions Contre-Allées.
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10/08/2014
Guillevic, Art poétique
Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
Il t’arrive des mots
Des lambeaux de phrase.
Laisse-toi causer. Écoute-toi
Et fouille, va plus profond.
Regarde au verso des mots
Démêle cet écheveau.
Rêve à travers toi,
À travers tes années
Vécues et à vivre.
Ce que je crois savoir,
Ce que je n’ai pas en mémoire,
C’est le plus souvent,
Ce que j’écris dans mes poèmes.
Comme certaines musiques
Le poème fait chanter le silence,
Amène jusqu’à toucher
Un autre silence,
Encore plus silence.
Dans le poème
On peut lire
Le monde comme il apparaît
Au premier regard.
Mais le poème
Est un miroir
Qui offre d’entrer
Dans le reflet
Pour le travailler,
Le modifier.
— Alors le reflet modifié
Réagit sur l’objet
Qui s’est laissé refléter.
Chaque poème
A sa dose d’ombre,
De refus.
Pourtant, le poème
Est tourné vers l’ouvert
Et sous l’ombre qu’il occupe
Un soleil perce et rayonne,
Un soleil qui règne.
Mon poème n’est pas
Chose qui s’envole
Et fend l’air,
Il ne revient pas de la nue.
C’est tout juste si parfois
Il plane un court moment
Avant d’aller rejoindre
La profondeur terrestre.
Guillevic, Art poétique, dans Art poétique, précédé de Paroi et suivi de Le Chant, préface de Serge Gaubert, Poésie / Gallimard, 2001, p. 166, 172, 177, 178,180 et 184.
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