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22/12/2024

François Heusbourg, Une position pour dormir : recension

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La quatrième de couverture propose une lecture de Une position pour dormir, ce serait un « Livre de fantômes » qui jouerait « de l’apparition et de l’effacement ». C’est ce que suggère le titre avec le passage par le narrateur de sa présence au monde à sa disparition dans le sommeil, d’où surgissent des images recomposées de la vie éveillée plus ou moins trompeuses, des fantômes qui, comme l’affirme Spicer mis en épigraphe, « ne sont pas des gens perspicaces ». Une autre lecture est proposée dans un épilogue en prose : après un résumé des poèmes, d’abord la fin de l’histoire d’un couple (« Ils étaient sur le point de partir chacun de leur côté (…) Comme tout était parti avant eux »), ensuite l’évocation d’une autre histoire, celle de la mère qui semblait exclure le narrateur à sa naissance avec ce commentaire : « il n’est pas très beau ».

 

Le premier poème présente d’emblée de manière lapidaire et imagée le thème de la séparation, « rentré // forme courte / d’un long voyage ». Il est immédiatement suivi de ce qui apparaît souvent dans la relation entre un je et un tu, l’extrême difficulté d’établir une langue commune : l’Autre parle toujours autrement que soi, quel que soit le sujet, « je dis traquenard tu prononces guet-apens » ; le temps vécu est saturé de mots dont la signification ne peut être entièrement partagée — « nous lisons le même livre dans des livres différents ». Ce qui, pour l’essentiel, constitue les jours d’un "couple" peut devenir une épreuve si est désirée par l’un ou/et l’autre une transparence impossible, une fusion qui gommerait l’écart entre les mots, la langue étant d’abord lieu de l’ambiguïté. Mais les oppositions existent dans tous les domaines, comme si l’idée même d’harmonie dans la société n'avait pas de sens. Il suffit de voyager pour rencontrer, criantes, les différences sociales, l’extrême misère à côté d’une opulence qui s’exhibe, les habitations faites de matériaux de rebut et les maisons à étages devant la mer.

Qu’est-ce donc qui, dans la vie quotidienne, peut être partagé ? tout ce qui ne s’inscrit pas dans le temps, ne demande donc pas de mots ou en demande peu, par exemple « les plus petits gestes quotidiens », notamment ceux des repas arrosés d’un bon vin :

 

                       dans les plus petits gestes quotidiens

peut-être ne nous sommes-nous pas trompés 

ni de plaisirs ni de vie

 

Aller ensemble dans un lieu neutre par excellence autorise aussi le partage, encore peut-il être vécu par l’un et l’autre différemment : à la « plage » est associée la « page », une lettre suffit pour séparer la réalité de l’imaginaire. Certes, dans l’étreinte la certitude d’une unité est entière, même si chacun sait qu’elle est éphémère et fondée de manière différente ; une figure tout autre de l’unité du je et du tu est d’ailleurs donnée par la position du chat qui se couche entre leurs pieds — il se trouve un jour devant les portes fermées. Toujours chacun se heurte au mystère d’être, « nous aurions voulu être / tout à la fois, sans savoir quoi // chacun sa solitude / chacun/ sa cacophonie » et si le savoir rend possible l’échange, quelque chose reste infranchissable — dormir met provisoirement à distance la « cacophonie / le bruit d’être les uns / avec les autres ». Cependant, une vie avec l’Autre pourrait-elle « se résumer pour tout dire en une phrase ? » Elle existe dans le temps, s’est construite des souvenirs, se nourrit des moments présents et même de ce qu’il a été rêvé de faire ensemble. La rupture, c’est ce moment où on ne peut franchir l’écart entre le passé et le présent, comme si le temps se vidait de toute trace :

 

                       rien dans rien

                       les choses posées

                       rien

ne prend plus corps

 

fantômes

 

si tu t’en vas

 

L’Autre disparaît parmi les autres quand le "deuil" de l’amour est accompli. C’est à ce moment que revient un rêve d’abandon, « ce matin enfant perdu dans les bois », sans sortie possible (« on ne sort pas ») et cette perte de soi est immédiatement associée à la mère : le tu n’est plus la femme aimée mais celle qui « racontai[t] des histoires », histoires non pas d’abandon mais d’enfants qui jouent sous le regard de la mère, rêvant peut-être d’aventures très codifiées avec leur voiliers sur le bassin du jardin du Luxembourg. Les mots sur la laideur à la naissance sont une forme forte de rejet, le discours social dominant décidant que tout enfant est "beau" à son arrivée dans le monde.

Peut-on oublier l’abandon ? Le narrateur passe du je au on parce qu’il choisit de se taire — « on enterre on enterre / on fait des tas de  terre » —, le silence (ou le sommeil) étant la seule réponse qui permet de maintenir une distance avec la violence du passé, de faire comme s’il appartenait à une autre vie.

 

Le titre, Une position pour dormir, ne s’éclaire que lentement dans ces poèmes qui mêlent deux histoires différentes, la première de perte, à peine esquissée, modifiant sans doute la seconde même si le narrateur tient à les distinguer, « et maman ou mère ou toi / non ». Plongée dans un vécu ou songe et réalité souvent difficiles à séparer, ce qui provisoirement éloigne les douleurs de la vie.

François Heusbourg, Une position pour dormir, Gallimard, 2024, 112 p., 16 €. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 17 novembre 2024.

 

 

27/11/2019

Emily Dickinson, Un ciel étranger

 

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La Douleur — agrandit le Temps —

Les siècles s’enroulent dans

L'infime Circonférence

D’un simple Cerveau —

 

La Douleur contracte — le Temps —

Occupées par la détonation

Les Gammes d’Éternités

Sont comme n’existant pas —

 

Emily Dickinson, Un ciel étranger,

traduction François Heusbourg,

éditions Unes, 2019, p. 45.

10/06/2018

Geoffrey Squires, Silhouettes

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Eau grise

une petite butte d’arbres

 

à quoi penses-tu on

ne peut pas demander ça

c’est si bien d’être à l’écart de tout le monde

 

le doux champ de son ventre

fragile chaleur d’été

 

juste naturel

 

Grey water

a little spit of trees

 

what are you thinking

not allowed to sak that

how nice to be away from anywhere

 

the soft fiel of her belly

frail summer heat

 

only natural

 

Geofrey Squires, Silhouettes, traduction

François Heusbourg,Unes, 2018, p. 21 et 20.

12/04/2017

François Heusbourg, Zone inondable

 

                         françois heusbourg,zone inondable,eau,imprévisible

I

 

Lentement

tout se déplace

 

on croyait tenir la réalité

lentement au milieu

 

au milieu des voitures

je rentre sous l’orage au milieu

des voitures qui dérivent

entre les rues

 

 

seul au milieu

de mon eau je rentre

dans le courant qui traverse

 

l’appartement

 

jusqu’aux chevilles

et soudain c’est comme

jusqu’au cou

 

 

rien respire

le vent

 

pousse à travers l’appartement

 

 

l’eau mon salon mes souliers

ma porosité

 

l’eau par-dessus les objets

de chaque côté des murs

à travers

 

jusqu’aux chevilles et jusqu’au cou

j’aide l’eau à passer

je fais le courant

dans la rivière de mon appartement

(…)

 

François Heusbourg, Zone inondable,

Æncrages & Co, 2017, np.

11/09/2016

Geoffrey Squires, Poème en trois sections

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Pierres dans l’obscurité, formes

perçues plutôt que vues, inertes comme des animaux

endormis au milieu d’un champ ou le long de la route

où l’on avance avec précaution, frayant un chemin vers la maison

à travers l’herbe noire

 

Rocks in the darkness, shapes

sensed rather than seen, inert like animals

asleep in the middle of a field or by the road

which one moves among with care, picking a way home

across the dark grass

 

Geoffrey Squires, Poème en trois sections, traduit de l’anglais (Irlande)

par François Heusbourg, éditions Unes, 2016, p. 41 et 40.

20/07/2015

Anaïs Bon, François Heusbourg, seul double

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j’habite tout l’espace de ma solitude

 en songe je conquiers             des habitations

 qui se dérobent

 les livres sont à terre, ma poussière poussée sous les meubles

je ne sais plus qui de moi ou de ma vie regarde l’autre

 par la fenêtre

 

les vêtements retrouvés sont un peu courts

dehors, le jour s’endort

le temps de rêver est le temps d’être seul

ceux que je croyais à mes côtés sont partis

les compagnons véritables se dévoilent

ils portent le masque de l’absent

 

                       « qui chuchote mon nom »

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Anaïs Bon, François Heusbourg, seul double, éditions isabelle sauvage, 2015, p. 13.