16/04/2016
Jean Ristat, Artémis chasse à courre le sanglier, le cerf et le loup
La chasse au loup
À cette heure incertaine où l’obscur dispute
Au jour son royaume la déesse repue
Rappelle ses valets avant que de céder
Au sommeil tous les oiseaux se sont tus et les
Pâles enfants des hommes tremblent dans leurs draps blancs
Lorsqu’un rêve très ancien vient les visiter
À la vitre étoilée de la chambre l’ombre
Bleue de la bête qui regarde et attend
*
À l’enclume de la nuit apollon martèle
La lune vieille casserole cabossée
Et blanchie aux feux ronflants de l’empire des
Morts voici l’heure des métamorphoses et des
Enchantements Ô théâtre où tout s’échange et
Se déplie les mots comme fleurs de papier
[...]
Jean Ristat, Artémis chasse à courre le sanglier, le cerf et le loup,
Gallimard, 2007, p. 43.
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11/04/2016
Camille Loivier, Poèmes, dans Rehauts
Photo Michel Durigneux
chacun a une maison vide abandonnée
dans un coin de la mémoire chacun a
cette forme au fond de la tête dont il se
sauve où il rentre la nuit
(expecta la mano de nieve
tu sors par la fenêtre sur les toits blancs
car cette main blanche se tend vers toi
tu vois cette main de neige qui te dit viens
sauve toi saute sur le toit car bientôt
tout aura disparu et tu seras survivant
- - - expecta la mano de nieve)
mais derrière la maison il y a quelque chose
une présence
entre dans une maison comme un voleur
un inconnu sans repère qui ne sait pas
où il va
va vite entre les murs
oiseau se tape aux fenêtres
— je regarde dehors le monde est maison
dans le chèvrefeuille je trouve un nid abandonné
dans le chèvrefeuille qui gonfle le mur la maison devenue
végétale s’envole ramifiée au monde
un chevreuil entre pour se protéger
dans le chèvrefeuille chevreuil
Camille Loivier, Poèmes, dans Rehauts, n° 37, printemps
été 2016, p. 78-79.
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23/03/2016
Ariane Dreyfus, Quelques branches vivantes
Le centre de la scène
Elle danse très loin.
C’est ainsi que je rêvais. C’est pourquoi je reste dans le noir. Mais j’ai soif. Cette soif d’une liberté qui recule.
Il vient lui aussi.
Sans le dire entrouvre l’arabesque d’une main
Qu’on veut libre.
L’embrasse avec ses jambes ouvertes le temps d’être portée là-haut
Contre lui.
Son visage contient des choses humaines on se souvient
Mais c’est dans l’articulation que l’histoire vient.
Toujours ce temps pour faire un geste
Ne plus le revoir.
Ariane Dreyfus, Quelques branches vivantes, Poésie / Flammarion,
2001, p. 47.
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19/03/2016
Sanda Voïca, Épopopoèmémés
Ouvre les yeux
Ouvre les yeux pour — je ne sais plus : c’était hier déjà
Et je me cache de plus en plus vite les raisons d’ouvrir les yeux
Ouvre les yeux — on me disait hier matin, entre sommeil et réveil.
Ouvre le tiroir et regarde, surtout : on me le disait. Qui donc ?
Et j’ai ouvert un large tiroir plein de livres, où le premier à voir et à ouvrir,
[posé couché à côté de quelques autres.
C’était mon livre : un livre que je reconnaissais sans reconnaître —
Je l’avais écrit moi, en effet, mais sa couverture bleu-blanchâtre était inédite.
Et ce n’est pas un rêve : l’interprétation d’un rêve, peut-être, mais en direct,
devant mes yeux ouverts, devant ce tiroir ouvert, et surtout dans ma vie
toujours ouverte, béante.
Je n’ai pas fini mon poème hier — le poème du jour s’arrête ici — écrit
aujourd’hui, mais c’est le poème d’hier. D’hier matin.
Le 13e en rang, le 13e diffus, le 13e en cours d’empoisonner les autres.
Celui d’aujourd’hui surtout.
Le 14edéjà commencé sur le papier — pas encore tapé : en retard de mes
poèmes.
J'ouvre une autre page word, ici.
J’ouvre. Et je ferme aussi celui-ci.
Fermeture-éclair : comme celui d’un sac de couchage, pour un camping à jamais
ajourné, mais dont profite mon chat :
Je lui ai fait prendre un bain, et pour qu’il ne s’enrhume pas, je l’ai mis dedans,
bébé sage, soulagé de sa crasse tignasse,
il ose à peine sortir son nez.
Cette fois je ferme la boutique, le numéro 14 m’attend.
Comme une femme dans un bordel, qui est attendue. Au boulot !
Sanda Voïca, Épopopoèmémés, éditions Impeccables, 2015, p. 66-67.
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19/02/2016
Thilo Krause, À la lisère du sommeil
Poème
...ed è subito sera
Salvatore Quasimodo
Remontant de la cave en frissonnant
je regardai droit
dans les yeux d’un chat.
Sans trouver
de réplique je trébuchai, pris d’un léger vertige
dans le gouffre d’une des pupilles
je tombais et
tombais et ne me rattrapai que lorsqu’une porte s’ouvrit
que le soleil se déploya d’un mur à l’autre.
Déjà le soir était là.
Gedicht
...ed è subito sera
Salvatore Quasimodo
Als ich fröstelnd aus dem Keller kam
blickte ich geradewegs
in die Augen einer Katze.
Ich wusste nichts
zu erwidern, stolperte von leichtem Schwindel gepackt
in den Brunnenschacht der einen Pupille.
Ich fiel und
fiel und fing mich erst, als eine Tür aufging
als Sonne sich spannte von Wand zu Wand.
Schon war es Abend.
Thilo Krause, À la lisère du sommeil, traduit de l’allemand par Eva Antonnikov, dans La revue de belles-lettres, 2015, 2, Lausanne, p. 41 et 40.
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13/02/2016
Pierre Silvain, Julien Letrouvé colporteur : recension
Les éditions Verdier puisent pour leur collection de poche dans un fonds patiemment construit depuis 1979 ; dans un format élégant, qui verra bientôt une centième livraison, voisinent Pierre Michon et Varlam Chalamov, Armand Gatti et Jean-Pierre Richard, Rilke et Benny Lévy. L’un des derniers, Julien Letrouvé colporteur, du regretté Pierre Silvain (1926-2009), était paru en 2007, et l’on redécouvre ce récit qui n’est pas étranger, au travers d’une fiction attachante, à l’histoire de la lecture.
Les prophètes à trois sous nous annoncent la fin du livre sur papier, sans savoir, apparemment, que sa diffusion très large aujourd’hui, notamment avec les livres de poche, est très récente. On imagine mal une France, pas si lointaine dans le temps, majoritairement analphabète. À l’époque de Jean-Jacques Rousseau, un succès de vente dépassait rarement 1000 exemplaires, et seuls les livres de la ‘’Bibliothèque bleue’’ étaient connus dans les campagnes — c’est-à-dire dans la plus grande partie du pays : ils y entraient grâce aux colporteurs et ils pouvaient y être lus à voix haute, quand il se trouvait un homme ou une femme instruits. Étrangers aux élites, ces petits livres à couverture bleue réunissaient aussi bien des récits de l’histoire sainte que des recettes de cuisine ou les prophéties de Nostradamus, des condensés des romans du Moyen Âge et des contes de la tradition. Ce sont ces livres que propose Julien Letrouvé dans les villages.
Le nom de Julien Letrouvé est sans ambiguïté : c’est un enfant abandonné à sa naissance ; recueilli dans une ferme, il est gardien de cochons, mais il a passé sa petite enfance au milieu de fileuses, et l’une d’elles, qui maîtrisait la lecture, lisait pour ses compagnes. Qu’à partir de petits signes sur du papier, l’on puisse quitter le moment présent et imaginer d’autres espaces, d’autres temps marque le jeune Julien pour la vie. À la puberté, il devient colporteur mais, négligeant la vente de la mercerie rémunératrice dans ce métier, il se consacre au livre, à ces histoires qui lui ont permis de supporter son sort.
Julien marche et, presque un siècle plus tard, il « eût pu croiser un autre marcheur » dans la région qu’il parcourt, Rimbaud. L’histoire se passe en septembre 1792, le mois de la bataille de Valmy (qui s’est déroulée le 20) et Julien avance sous la pluie vers le lieu des combats. Comme souvent dans les récits de Pierre Silvain, les époques se confondent et, à côté de personnages contemporains rencontrés dans sa marche (l’astronome Laplace, la voiture du roi en fuite), en viennent aussi d’autres, fictif comme Fabrice del Dongo, ou réel comme Chateaubriand. Sont évoqués également les jours de la Terreur de 1793, Gœthe racontant la bataille de Valmy, de petites poupées présentes aussi dans un autre livre, Passage de la morte (2007). Julien, lui, se lie avec un déserteur prussien rencontré lors d’une halte, Voss, qui lit au jeune garçon une des histoires d’un livre bleu ; et le jeune colporteur, penché sur le livre, comme au temps des fileuses, « retrouvait le besoin inapaisable de comprendre ce que lui refusait son ignorance ».
Le lecteur comprend bien qu’il est plongé dans un récit de formation, dans lequel les évocations mêlent de manière convaincante les époques et les lieux, font passer de l’univers du livre à une certaine réalité. Toute initiation connaît des violences ; ici, les soldats prussiens retrouvent le déserteur, le tuent et brûlent les livres, le seul appui de Julien ; ce sont « Le Paradis perdu, l’Âne d’or, Les Voyages de Gulliver, Une vie et Salammbô, Du Côté de chez Swann, Là-bas, Le Bruit et la fureur, L’Odyssée. » Nous sommes sans aucun doute dans le rêve avec cette liste, comme l’est la fin du récit. Julien continue sa route vers nulle part, lui venu de nulle part — sans père ni mère ; il marche tout l’hiver, atteint au printemps une ferme et, à la femme qui l’a accueilli, il affirme qu’il est prêt à poursuivre sa route vers « là-bas ». Mais : « Il n’y a pas de là-bas, ici on est au bout du monde [...]. Et qui pourrait vous attendre, là où vous allez, plus loin que le bout du monde ? » La réponse, si simple, est une superbe manière d’honorer la lecture : « Celle qui lit les livres ». Pierre Silvain, toujours dans une langue précise, maîtrisée, inspirée, n’achève pas le récit sur un échec. L’hiver est terminé et la femme, qui ne sait pas plus lire que Julien, se substituera à la liseuse rêvée, elle ne déchiffrera pas le mystère des mots mais elle deviendra la lectrice du monde.
Pierre Silvain, Julien Letrouvé colporteur, Verdier Poche, 2016, 128 p., 7, 50 €.
Cette recension a été publiée sur Situais le 28 janvier 2016.
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24/01/2016
Fernando Pessoa, Pour un ''Cancioneiro"
On dit que je feins ou mens
Tout ce que j’écris. Mais non,
Moi, simplement, je sens tout
Avec l’imagination.
Je ne me sers pas du cœur.
Tout ce que je rêve ou éprouve,
Ce qui me manque ou m’accomplit,
est comme une terrasse
Sur autre chose encore.
C’est cette chose qui est belle.
C’est pourquoi j’écris au milieu
De ce qui n’est pas à côté,
Délivré de tous mes émois,
Sérieux de tout ce qui n’est pas.
Sentir ? C’est au lecteur de sentir !
Fernando Pessoa, Pour un ‘’Cancioneiro’’,
traduction Patrick Quillier, dans Œuvres
poétiques, Pléiade / Gallimard, 2001, p. 176.
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29/12/2015
Stéphane Korvin, noise
la fin. longtemps la répéter, ne pas la retenir, avec les mains qui fabriquent ces jours-ci des pansements discrets.
Je sais ce qu’il faut faire. s’accoter, être un cylindre, collecter la lumière, l’informité ne pas la répandre trop vite, les jours sont si longs, ils dorment dans la paume avec des idées de vertige
comme tout le monde, l’épuisante matière, la fabrique aimer, nous tournons autour d’une impression ténue
nos malléoles se heurtent, les voyages sont serrés, les chemins jouent à creuser et s’évaser, rien accueille, ici heurte
les lettres se logent, lentement elles forment des fleurs, des lettrines, la tête s’éprend, toute seule elle ne crépite pas
les couleurs se retirent et tombent jusqu’aux solives, un cœur claque quand l’oiseau entre
deux ou trois semaines : elles se taisent, passent et pendulent
si je savais parler je te glisserais « accorde tes rêves »
Stéphane Korvin, noise, isabelle sauvage, 2015, p. 7-8.
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18/12/2015
Reinhard Priessnitz (1945-1985), 44 poèmes, poésie complète
ballade sous la neige
si ma psyché me parle sans tain
la neige enverra balader
le ciel en éclats
l’artère de la nuit
se met en voix
ivre dans les joncs
ma psyché droite
se met en voix
coq et cocotte
s’il neige la parole
se fera-t-elle hiver
faucheur et faux
le cœur un flocon
le filet de sa vois sera-t-il
corde vocale gelée
sa glace une fleur
éclats de verre
pouls de la nuit
couverons-nous
coq blanc et blanche cocotte
tandis qu’il neige et neige
irons-nous balader
ma psyché pose
des questions qui glacent
dans un rêve qui tombe
schneelied
spricht mein spiegel sich blind
wind wandern der schneefall
die sherbe des himmels
die ader der nacht
spielt seine stimme
taumelnd im schilf
mein richtender spiegel
spielt seine stimme
henne und hahn
wird wenn es schneit
das sprechen ein winter
schnitter und sense
das herz eine flocke
wird seine stimme
ein frostiges band
sein eis eine blume
gläserne scherbe
pulsender nacht
werden wir brüten
weisser hahn weisser henne
unter schneefall und schneefall
werden wir wandern
mein sprechender spiegel
klirrende fragen
im fallenden traum
Reinhard Priessnitz, 44 poèmes,
poésie complète, traduction Alain Jadot,
préface Christian Prigent, NOUS, 2015,
p. 77 et 76.
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08/12/2015
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
La pipe au poète
Je suis la Pipe d’un poète,
Sa nourrice et : j’endors sa Bête.
Quand ses chimères éborgnées
Viennent se heurter à son front,
Je fume... et lui, dans son plafond,
Ne peut plus voir les araignées.
... Je lui fais un ciel, des nuages,
La mer, le désert, des mirages ;
— Il laisse errer là son œil mort...
Et, quand lourde devient la nue,
Il croit voir une ombre connue,
— Et je sens mon tuyau qu’il mord...
— Un autre tourbillon délie
Son âme, son carcan, sa vie !
... Et je me sens m’éteindre... — Il dort —
.............................................................
— Dors encor : la Bête est calmée,
File ton rêve jusqu’au bout...
Mon pauvre !... la fumée est tout.
— S’il est vrai que tout est fumée...
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros,
T. C., Œuvres complètes, édition Pierre-Olivier-Walzer pour T. C., Pléiade / Gallimard, 1970, p. 734.
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26/11/2015
Raymond Queneau, Une trouille verte, dans Contes et propos
Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours redouté ce qui pourrait me causer quelque ennui, aussi ai-je eu peur successivement de Croquemitaine, des figures de cire des Musées Dupuytren, des places trop fréquentées par les véhicules, des voyous, des pots de fleurs qui tombent sur la tête, des échelles, de la chaude-pisse, de la vérole, de la Gestapo, des V2. La paix n’a bien sûr, en aucune façon, calmé ces alarmes : ainsi, l’autre soir, je mange de la purée de marrons et je me mets à rêver que je suis dans une djip et que le conducteur ne parvient pas à éviter une épaisse colonne, je la vois venir, je me dis qu’on rentre dedans, ça y est, on est rentré dedans, tout noircit ; dans le noir, je me dis : je suis mort, je me dis : c’est comme ça quand on est mort, et puis je me réveille, l’estomac gros et le cœur battant. J’allume, je regarde la montre, il est deux heures, deux heures du matin, bien tôt encore, et je me lève pour aller pisser. Comme je ne pratique pas le pot de chambre, il faut que je me rende aux vécés. Il y a un long couloir. Je le traverse en disant : si ceci, si cela. J’arrive à me faire peur et je pénètre dans les chiottes bien heureux de pouvoir fermer la porte derrière moi, pour couper court, et se sentir chez soi, et non seulement fermer la porte, mais aussi tourner le verrou.
Je pisse.
Je tire sur la chasse d’eau.
Quand l’hygiénique glouglou se fut tu, je perçus dans le couloir la présence de néants, sans ambiance d’existence, ce qui me fit chaud dans les dents, froid sous les ongles, horripilation générale. Une frousse abjecte s’empara de mon âme et, prenant ma tête à deux mains, je m’assis sur le siège des vatères en gémissant sur mon sort immonde.
[...]
Raymond Queneau, Une trouille verte, dans Contes et propos, Gallimard, 1981, p. 157-158.
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13/08/2015
Michel Leiris, Nuits sans nuit et quelques jours sans jour
(1936)
23 avril 1934
Cette femme dont je suis amoureux et moi, nous suivons notre histoire dans une publication hebdomadaire illustrée destinée aux enfants. Chaque semaine, nous achetons un fascicule et, dans les petits blocs de textes comme dans la suite d’images qu’ils commentent, nous trouvons décrit tout ce que nous ferons.
8-9 mai 1934
Le même très jeune femme et moi, nous nous résentons dans une école, sans doute pour en devenir les élèves. C’est une villa avec jardin. On nous introduit dans une sorte de paillotte circulaire à toit conique (telle que j’en ai vu au Soudan) : chenil où des bêtes de toutes races sont couchées dans la paille. Un portier ( ?), probablement nègre, en uniforme et coiffé d’une casquette de marine, nous dit que c’est là que nous habiterons. Nous devons coucher sous les chiens.
Michel Leiris, Nuits sans nuit et quelques jours sans jour, Gallimard, 1961, p. 116 et 117.
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04/08/2015
Hélène Mohone, Le cœur cannibale
Crapaud
lumière allumée au-dessus de l’enfant touché du doigt en sortilège touché crapaud comme tous les soirs dans la chambre la bouche qui suce l’enfant lui prend sa viande comme tous les soirs lui mange sa chair lui pèse en rêve en sort cauchemar et puis crapaud revient s’asseoir cavale sous le porche craque sous le pied revient s’asseoir lumière porcine appuie du groin la nourriture est pauvre millet poisson séché en tour de table personne ne parle le torse nu du père appuie la table contre l’enfant poser la joue avant la fin avant le tour de table bien aplatir les dents pour moins grandir au souvenir des animaux au souvenir des bêtes à table
Hélène Mohone, Le cœur cannibale, William Blake & C°, 2003, np. Photo J-P Brussac.
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20/07/2015
Anaïs Bon, François Heusbourg, seul double
j’habite tout l’espace de ma solitude
en songe je conquiers des habitations
qui se dérobent
les livres sont à terre, ma poussière poussée sous les meubles
je ne sais plus qui de moi ou de ma vie regarde l’autre
par la fenêtre
les vêtements retrouvés sont un peu courts
dehors, le jour s’endort
le temps de rêver est le temps d’être seul
ceux que je croyais à mes côtés sont partis
les compagnons véritables se dévoilent
ils portent le masque de l’absent
« qui chuchote mon nom »
Anaïs Bon, François Heusbourg, seul double, éditions isabelle sauvage, 2015, p. 13.
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26/05/2015
Gérard Macé, Les balcons de Babel
Le théâtre est bien réel, au nord éloigné d’un jardin où l’on a réuni les espèces végétales les plus rares : Assuérus Auréa, Catinat, Alice et Céleste, Cordélia, Clématis, Orion, Sirius et Cassiopée, Opéra, Châtelet, Crépuscule, Mentor et Spectabilis sont les héroïnes en pleine terre de ce théâtre naturel. Un sophora rapporté par un voyageur désœuvré, un prunus qui fleurit en avril, un arbre mâle et centenaire sont avec la maison de Cuvier, les serres tropicales, le jardin d’hiver et le petit labyrinthe, le vivarium à main gauche de l’éléphant de mer, les autres stations de cette promenade pour dieux minuscules, qui croient serrer le monde dans un mouchoir comme ils tiennent un dictionnaire dans leur main ; ici, c’est le jardin des nominations sous le ciel, dont les constellations trois à trois sont des miroirs tournants, qui nous montrent tour à tour, mais jamais dans le même ordre, les empreintes de nos rêves : la tête le père le cheval le vent les bois le coq ébouriffé la lune l’oreille le porc le tonnerre l’œil le faisan le lac la bouche la concubine le fou le souffleur le pendu.
Gérard Macé, Les balcons de Babel, Le Chemin / Gallimard, 1977, p. 9-10.
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