03/07/2018
Marlene Dumas, Afrique du Nord (Femmes d'Alger)
Afrique du Nord (Femmes d’Alger)
Foyer du striptease,
Foyer de la danse des sept voiles,
Foyer des ancêtres d’Abraham,
patriarche des Juifs, des Musulmans et des chrétiens.
Foyer d’un Dieu qui ne veut pas être reproduit.
D’Alger, Nelson Mandela reçut un entraînement militaire,
apprit de leur guerre de libération des tactiques de guérilla.
Delacroix peignit "Femmes d’Akger" (1834),
femmes détendues dans un harem féminin pacifique.
En 1954, Picasso peignit (de nombreuses) toiles sensuelles
inspirées par cette source franco-africaine.
Il ignorait de ce que deviendrait cet orientalisme.
En 2000, je vis la photo d’une jeune fille nue,
tenue par — « exposée » entre — deux soldats français posant.
Elle fut prise en 1960 à Alger.
Je peignis ma "Femme d’Alger" en 2001.
Marlene Dumas, traduction Martin Richet, dans Koshkonongn° 14, p. 21.
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24/05/2015
Nicolas de Staël, Lettres 1926-1955
Parfois la distance de mon travail à mes rêves me fait rire, Maman, rire de moi avec tristesse. Et c’est certainement par le fait d’étudier qu’on reprend courage. Le fait qu’on peut se donner une raison de la croyance intuitive dans les grands peintres.
Qu’ont-ils fait, comment, pourquoi, quel était leur résultat après trois ans de contact non constant comme moi ?
Il faut savoir se donner une explication, pourquoi on trouve beau ce qui est beau, une explication technique.
C’est indispensable [de] savoir les lois des couleurs, savoir à fond pourquoi les pommes de Van Gogh à La Haye, de couleur nettement crapuleuse, semblent splendides, pourquoi Delacroix sabrait de raies vertes ses nus décoratifs aux plafonds et que ces nus semblaient sans taches et d’une couleur de chair éclatante. Pourquoi Véronèse, Vélasquez, Franz Hals, possédaient plus de 27 noirs et autant de blancs ? Que Van Gogh s’est suicidé, Delacroix est mort furieux contre lui-même, et Hals se saoulait de désespoir, pourquoi, où en étaient-ils ? Leurs dessins ? Pour une petite toile que Van Gogh a au musée de La Haye on a des notes d’orchestration de lui pendant deux pages. Chaque couleur a sa raison d’être et moi de par les dieux j’irai balafrer des toiles sans avoir étudié et cela parce que tout le monde accélère, Dieu sait pourquoi.
Nicolas de Staël, Lettres 1926-1955, édition présenté, annotée et commentée par Germain Viatte, Le bruit du temps, 2014, p. 62.
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09/05/2011
Le Tasse, Baudelaire et Delacroix
Me novello Ission rapida qggira
La rota di fortuna, e s’in sublime
Parte m’innalza o pur se mi deprime,
Sempre però m’afflige e mi martira.
Piansi là suso ov’entra il sole e spira
L’aura piú lieta tra frondose cime;
Arsi, gelai, languii, pregando in rime,
Né scemai le mie pene o la vostra ira.
Ora, in carcer profondo, o son cresciuti
I miei tormenti, od è piú acuto e forte
Vecchio dolor cui giro aspro sia cote.
O magnanimo Alfonso, a me si muti
Non sol prigion, ma stato ; e se mia sorte
Rotar pur vuole, intorno a voi mi rote.
Lamentations au Prince
Nouvel Ixion, rapidement m’entraine
La roue de la Fortune, et que, sublime,
Elle m’élève ou bien qu’ell’ me déprime,
Toujours elle m’afflige et fait ma peine.
J’ai pleuré au soleil, là que respire
L’air plus joyeux dans les frondeuses cimes,
Et j’ai brûlé, gelé, priant en rimes,
Je n’ai réduit ni mon mal ni votre ire.
Ore, dans ce cachot où je séjourne,
Croît le tourment, et mon vieux dol encor
S’aiguise à chaque tour de l’âpre meule.
Ô grand Alphonse, ah, non de prison seule,
Mais change-moi d’état ; et si mon sort
Est de tourner : qu’amour de toi je tourne.
Le Tasse, Rimes et plaintes, poésies choisies et traduites de l’italien par Michel Orcel, Poésie/Fayard, 2002, p. 124-125.
Delacroix, Le Tasse en prison
Sur Le Tasse en prison d’Eugène Delacroix
Le poète au cachot, débraillé, maladif,
Roulant un manuscrit sous son pied convulsif,
Mesure d'un regard que la terreur enflamme
L'escalier de vertige où s'abîme son âme.
Les rires enivrants dont s'emplit la prison
Vers l'étrange et l'absurde invitent sa raison ;
Le Doute l'environne, et la Peur ridicule,
Hideuse et multiforme, autour de lui circule.
Ce génie enfermé dans un taudis malsain,
Ces grimaces, ces cris, ces spectres dont l'essaim
Tourbillonne, ameuté derrière son oreille,
Ce rêveur que l'horreur de son logis réveille,
Voilà bien ton emblème, Ame aux songes obscurs,
Que le Réel étouffe entre ses quatre murs !
Baudelaire, Les Fleurs du mal, dans Œuvres complètes, texte établi et annoté par Y.-G. Le Dantec, édition révisée, complétée et présentée par Claude Pichois, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 198, p. 152.
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15/04/2011
Vincent van Gogh, Correspondance
[…] Pour parler encore de technique, il y a bien plus de technique, de technique saine, honnête, dans Israëls, par exemple dans cette très vieille toile : « Le pêcheur de Zandvoort », avec son magnifique clair-obscur, que dans la technique de ceux qui sont partout également plats et distingués, par leur couleur d’un froid pénétrant.
« Le pêcheur de Zandvoort », eh bien, accroche-le tranquillement à côté d’un ancien Delacroix : « La barque de Dante » : c’est de la même famille. À cela je crois mais j’ai de plus en plus d’aversion pour les tableaux qui sont clairs partout.
[…] ce qu’on appelle enlever un morceau, voilà ce que les vieux peintres hollandais faisaient fameusement.
« Enlever » un morceau en quelques coups de brosse, on n’en veut pas entendre parler aujourd’hui, mais les résultats sont là. Et c’est ce que beaucoup de peintres français, ce qu’un Israëls a magistralement compris, lui aussi.
Au musée, j’ai beaucoup pensé à Delacroix. Pourquoi ? Parce que, devant Hals, devant Rembrandt, devant Raphaël, devant d’autres encore, je pensais toujours à ce mot : Lorsque Delacroix peint, c’est comme le lion qui dévore le morceau. Comme cela est vrai ! Et, Théo, quand je pense à ce que je nommerai le club qui s’appelle technique, comme c’est peu de chose, comme ce n’est rien ! Sois bien certain que si jamais j’ai affaire à ces messieurs, ou si je me heurte à l’in d’eux, je ferai l’idiot, mais à la vireloque1, avec un bon coup de dent par derrière.
Vincent van Gogh, Correspondance générale, traduit du néerlandais et de l’anglais par Maurice Beerblock et Louis Roëlandt, Notes de Georges Charensol, Gallimard, tome 2, 1990 [1960], p. 733 et 735.
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