02/12/2018
Laurent Cennamo, L'herbe rase, l'herbe haute
Le mot "épinette" me revient, en lien d’abord avec cette minuscule église — une sorte de châsse géante, illuminée, au bord de l’Arno, à Pise : Chiesa della Spina. Ensuite avec un rêve de la nuit passée où, peut-être à Pise justement, je voyais, en gros plan, jaillissant de la terre, la partie centrale (une sorte de longue épine) en or (en tout cas dorée) d’une sorte de balance dont les deux plateaux étaient absents ou avaient disparu. Chose précieuse, antique, brillant de mille deux (un peu menaçante également), que je suis très fier de pouvoir nommer, presque doctement, à quelqu’un qui est là dans la nuit : « antene » (qui s’écrit peut-être avec un accent circonflexe — antêne— comme s’il s’agissait d’un mot grec). Mot très ancien, oublié, écrit sur le sable ou sur fond d’or, de feuillage de fin d’octobre bruissant, éblouissant.
(le mot "épinette")
Laurent Cennamo, L’herbe rase, l’herbe haute, Bruno Doucey, 2018, p. 73.
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20/10/2018
Cécile A. Holdban, Toucher terre
Autour d’elle
Des images se retournent dans l’ombre
Si simple la nuit assise au fond du corps
d’être pur langage, vérité d’une origine
inscrite.
Sortilège du son
on achève l’orage dans le creux d’une oreille
des chevaux mortellement blessés se brisent
entraînent dans les tranchées l’infini galop des mots
la lumière creuse plus profond dans ce rêve
en perles sur la peau d’une rosée nocturne
le temps chaviré du poème parmi
les interstices de la foudre.
Mais balbutiant il faudra tout reprendre
de la gorge au souffle, resserrer le jour et sa robe trop courte
comme un vêtement d’amour
sur les restes en pièces de la nuit.
Quelque chose tombait dans le silence. Un son de mon corps. Mon dernier mot fut je mais je parlais de l’aube lumineuse.(Alejandra Pizarnik)
Cécile A. Holdban, Toucher terre, Arfuyen, 2018, p. 44.
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04/06/2018
Édith Azam, Oiseau-moi
Il y a des centaines de bancs,
et là encore je me grave
écris des mots d’amour
et des envols d’oiseaux.
Je sais
je sais
elle ne sait pas :
je résiste
et vais me dire
qu’Hannah est là
parce que tout simplement :
elle y est.
Ça ne tient pas debout ?
Peu importe
je rêve à m’y méprendre
au-delà de
toute expression.
No sens no sens
j’ai peur Hannah.
J’avale un peu de nuit
pour me calmer
cailloux noirs ronds glacés
et cest si triste alors.
Ce serait bien parfois
que la fatigue
se repose.
Ce serait bien :
diminuer…
No sens no sens…
Édith Azam, Oiseau-moi, Lanskine, 2018, p. 18.
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Édith Azam, Oiseau-moi
Il y a des centaines de bancs,
et là encore je me grave
écris des mots d’amour
et des envols d’oiseaux.
Je sais
je sais
elle ne sait pas :
je résiste
et vais me dire
qu’Hannah est là
parce que tout simplement :
elle y est.
Ça ne tient pas debout ?
Peu importe
je rêve à m’y méprendre
au-delà de
toute expression.
No sens no sens
j’ai peur Hannah.
J’avale un peu de nuit
pour me calmer
cailloux noirs ronds glacés
et cest si triste alors.
Ce serait bien parfois
que la fatigue
se repose.
Ce serait bien :
diminuer…
No sens no sens…
Édith Azam, Oiseau-moi, Lanskine, 2018, p. 18.
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27/05/2018
Franck Venaille, C'est nous les modernes
Notes sur la poésie
Faut-il chercher à comprendre la poésie ? Oui ! mais au prix d’une lecture active et créative. Donc d’un effort certain. C’est tout le problème de la communication poétique qui est posé là, avec cette question sous-jacente : comment un poème peut-il circuler le mieux possible entre l’auteur et son lecteur ? Comment peut-il ne rien perdre de sa puissance émotionnelle, mentale, intellectuelle, en chemin ? Avons-nous le droit (nous, poètes) à l’hermétisme et au secret ? Quelle part donner à ce qui demeure à jamais indicible ? […] Faut-il donc toujours comprendre la poésie ? Je crois que ma réponse est négative. Je demande à ce que l’on se méfie de l’impérialisme du sens, à ce qu’on se laisse guider par le rythme, la construction illogique, la langue dans tous ses états, l’humour passé et à venir, une dose de rêve et accepter de pactiser avec l’incompréhensible.
Franck Venaille, C’est nous les modernes, Flammarion, 2010, p. 153-154.
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24/05/2018
Claude Chambard,
Les feuilles sont mortes sur votre tombeau,
Grand-père que je ne connais,
Élevé dans la forêt la hache dans les deux poings,
Perdu dans les rues des villes,
Pleurant le départ des enfants,
& la femme morte trop jeune.
Où serions-nous allés ?
Qu’auriez-vous montré à l’infans ?
Vous seriez-vous battu avec Grandpère ?
Ou de votre air doux auriez-vous dit :
— Je vais partir, je ne vous gênerai plus.
Longue silhouette de dos
Disparaissant après le virage du pont.
À pied toujours, cinq kilomètres vers l’autre village
où même la ferme ne vous appartient plus,
dévorée par la fratrie infectée.
Car l’adieu c’est la nuit.
La langue, la voix impossible.
Le nom est un silence. On ne peut en compter les syllabes.
Ce n’est pas la mort, ce n’est pas la vie.
Un rêve, les mains jointes, près du coffret où s’entassent les
lettres perdues.
Une longue marche — toujours vivant —
sans me soucier des murs
ni du tunnel
ni du balancier des heures.
Claude Chambard, Carnet des morts, Coutras, Le bleu du ciel, 2011, p. 55-56.
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14/04/2018
Paul Éluard, Le front couvert
Le battement de l'horloge comme une arme brisée
La cheminée émue où se pâme la cime
D'un arbre dernier éclairé
L'habituel vase clos des désastres
Des mauvais rêves
Je fais corps avec eux
Des ruines de l'horloge
Sort un animal abrupt désespoir du cavalier
À l'aube doublera l'écrevisse clouée
Sur la porte de ce refuge
Un jour de plus j'étais sauvé
On ne me brisait pas les doigts
Ni le rouge ni le jaune ni le blanc ni le nègre
On me laissait même la femme
Pour distinguer entre les hommes
On m'abandonnait au-dehors
Sur un navire de délices
Vers des pays qui sont les miens
Parce que je ne les connais pas
Un jour de plus je respirais naïvement
Une mer et des cieux volatils
J'éclipsais de ma silhouette
Le soleil qui m'aurait suivi
Ici j'ai ma part de ténèbres
Chambre secrète sans serrure sans espoir
Je remonte le temps jusqu'aux pires absences
Combien de nuits soudain
Sans confiance sans un beau jour sans horizon
Quelle gerbe rognée
Un grand froid de corail
Ombre du cœur
Ternir mes yeux qui s'entr'ouvrent
Sans donner prise au matin fraternel
Je ne veux plus dormir seul
Je ne veux plus m'éveiller
Perclus de sommeil et de rêves
Sans reconnaître la lumière
Et la vie au premier instant.
Paul Éluard, Le front couvert (1936), dans Œuvres complètes, tome I, édition Lucien Scheler, Pléiade / Gallimard, 1968, p. 467-468.
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09/03/2018
Christophe Manon, Au nord du futur
Nous n’étions rien qui
pourrait dire le sol fumant les neiges écarlates l’air
ocreux ni tout à fait serein l’odeur
noire des rêves éparpillés doucement nos mains
doucement frôlaient les hémisphères et aucun temps aucun
nom volontaires aux silences si étroits comme si
les murs les muscles les
syllabes comme si nous avions soudain choisi
quel froid circule dans les vertèbres quelle
lumière soudain branlante où nous marchions plus vieux et pourtant et de vies
si nombreuses éphémères et pourtant pourtant si bien dressés les uns
contre les autres reste
que nous prenions nos rires pour de l’acide de minces filets
d’orgueil à nos squelettes
pendus.
Christophe Manon, Au nord du futur, NOUS, 2016, p. 11.
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16/02/2018
Pierre Reverdy, Le Cadran quadrillé
Si on osait entrer
Derrière la porte sans vitres deux têtes s’encadrent avec une douce grimace amicale.
Et par l’autre porte entr’ouverte, celle qui les protège la nuit, on voit le rayon où s’alignent les livres, où se réfugient les rires et les mots des veillées sous la lampe, sous la garde d’un drapeau tricolore et d’un pantin menaçant qui n’a qu’un bras.
Et tout se meurt en attendant la nuit, la vie des lumières et de leurs rêves.
Pierre Reverdy, La Cadran quadrillé, dans Œuvres complètes, I, Flammarion, 2010, p. 842.
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29/01/2018
Paul Claudel, Lettres à Ysé
"L'amour fou"
Rio de Janeiro, 4 août 1917 (Paul Claudel à Rozie — "Ysé")
(…) il est parfaitement vrai que pendant plusieurs mois j’ai été complètement fou, mais je sais aussi qu’aucune femme au monde n’a été aimée par un homme comme vous l’avez été par moi. Ce sentiment ne s’est jamais éteint dans mon cœur, vous êtes la seule femme que j’aie jamais aimé, celle vers qui mes pensées et mes rêves ne cessent de revenir, et il me semble que rien et la mort elle-même ne pourra jamais étouffer le mouvement profond, impétueux, irrésistible, qui entrainait mon être vers le vôtre. Dans mes pires heures de torture, je n’ai jamais eu qu’une seule véritable souffrance, c’était la pensée que vous aviez cessé de m’aimer. Cette idée me perçait le cœur et elle était à peine soutenable pour moi.
Paul Claudel, Lettres à Ysé, édition G. Antoine, Gallimard, 2017, p. 112-113.
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11/10/2017
Pierre Pachet, Nuits étroitement surveillées
Dormir, c’est oublier
Tu dors, dit Patrocle mort apparaissant au rêveur, et moi tu m’as oublié, Achille… Curieuse accusation, a-t-on envie de dire, car si Achille rêve de Patrocle, c’est précisément qu’il ne l’a pas oublié. Et pourtant il est bien vrai que pour dormir, Achille a dû renoncer à son chagrin, renoncer même à l’idée de la mort de Patrocle, et que cette idée ne peut lui revenir que dans un sursaut, un remords : l’image de Patrocle vivant, et rappelant qu’il est mort, vient transpercer son oubli.
(…) voici que nous sommes transportés dans le rêve, au cœur de la nuit. Comme s’il était beaucoup plus tard aux horloges, quand tout est calme et noir et que peuvent se mettre à briller les images frileuses qui craignent le jour.
Pierre Pachet, Nuits étroitement surveillées, Gallimard, 1980, p. 55-56.
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30/09/2017
Vladimir Maïakovski, Lettre à Lili Brik, 1917-1930
Ce qui s’ensuivit
Plus qu’il n’est permis,
plus qu’il ne faut, —
comme
un délire de poète surplombant le rêve :
la pelote du cœur se fit énorme,
énorme l’amour,
énorme la haine.
Sous le fardeau,
les jambes
avançaient vacillantes,
— tu le sais,
je suis
pourtant bien bâti —
néanmoins
je me traîne, appendice du cœur,
ployant mes épaules géantes.
Je me gonfle d’un lait de poèmes,
sans pouvoir déborder, —
jusqu’au bord, et pourtant je m’emplis encore.
Vladimir Maïakovski, Lettres à Lili Brik, 1917-1930,
traduction Andrée Robel, Gallimard, 1969, p. 94-95.
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26/09/2017
Camille Olivier, éparpillements
Cahier 2
chacun va d’une maison à l’autre
de ses parents à soi-même parents
le fil électrique bouge
il y a du vent
se soulèvent les hirondelles
une maison est retranchement
endroit de repos sans oscillation
plus de relations coupées
(enfin on a remis mon carillon à onze heures
du matin vous vous rendez compte quelle honte)
et quand je sors retrouvant le mouvement
entre deux points
les animaux viennent à ma rencontre
pas seulement les veaux bruns aux yeux ronds
mais le faon, mais le pinson
viennent à ma rencontre
pour que je revienne sauvage aussitôt
on m’a mise dans la maison des rêves
mais ce n’était pas le bon moment
et je souffrais comme une bête
une bête folle se cogne contre la vitre
va vers la lumière
on pourrait tout imaginer et
on ne pourrait rien faire
pas même laver un carreau
pas même nettoyer une porte
tu délimitais les parterres faisant le tour
et le centre était envahi d’herbes hautes
Camille Loivier, éparpillements, isabelle sauvage,
2017, p. 61-62.
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16/09/2017
Jules Supervielle, Le Corps tragique
Le milieu de la nuit
Je vois ma plume au milieu de la nuit
Qui met un peu de lumière autour d’elle.
Mais la vapeur de la locomotive
Entre ces murs de plus en plus rétive
Qui me le dira d’où vient-elle ?
J’ai beau penser fer, chaudière, charbon,
Je ne vois pas à quoi je leur suis bon,
Je ne sais plus d’où me viennent ces mots
Ni l’alphabet dont les lettres cessèrent
Si brusquement de m’être familières.
Comme quelqu’un qui a perdu son cœur
Je suis ailleurs jusqu’en mes profondeurs
Et je me sens tellement insolite
Que tout m’est bon à me servir de gîte.
À la merci de contraires sans foi
Je suis partout où s’affirment leurs lois,
Et cependant la bougie se consume
Et le train file et je suis dans ma chambre.
Les montagnards de mon rêve s’égaillent
Et je me sauve au fond des couvertures.
Jules Supervielle, Le Corps tragique, dans
Œuvres poétiques complètes, Pléiade / Gallimard,
édition Michel Collot, 1996, p. 595.
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29/07/2017
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
Sonnet posthume
Dors : ce lit est le tien… Tu n’iras plus au nôtre.
— Qui dort dîne. — À tes dents viendra tout seul le foin.
Dors : on t’aimera bien. — L’aimé c’est toujours l’Autre…
Rêve : La plus aimée est toujours la plus loin…
Dors : on t’appellera beau décrocheur d’étoiles !
Chevaucheur de rayons ! … quand il fera bien noir ;
Et l’ange du plafond, maigre araignée, au soir,
—Espoir — sur ton front vide ira filer ses toiles.
Museleur de voilette ! un baiser sous le voile
T’attend… on ne sait où : ferme les yeux pour voir.
Ris : les premiers honneurs t’attendent sous le poêle.
On cassera ton nez d’un bon coup d’encensoir,
Doux fumet !... pour le trogne en fleur, plein de moelle
D'un sacristain très bien, avec son encensoir.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros,
C., Œuvres complètes, Pléiade / Gallimard, 1970, p. 849.
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