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28/06/2017

Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse, dans Secousse

 

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                 Sonnets de la tristesse

                               I

On voit parfois, quand on traverse un village,
un coin de rideau qui se soulève au bas d’une fenêtre,

puis le mouvement de recul d’un visage ridé
c’est que nous aurons regardé dans cette direction,

 

attirés par ce mouvement – comme d’une aile d’oiseau –,

soudain, il se sera inscrit dans notre champ de vision.

Rabaissé, le rideau estompe le visage, puis le gomme

comme si depuis la nuit des temps le dessin devait être raté,

 

celui d’une vie, eau morte qui désormais clapote
derrière une fenêtre qui désormais sert de frontière,
mais transparente pour laisser voir ce qu’il y a d’encore vivant

 

dehors où nous passons. Et nous n’aurions rien soupçonné

si le rideau n’avait pas été soudain corné, comme la page

d’un livre quand on en interrompt la lecture.

 

 

                                      III

Quelle tristesse... Tous ces vieillards assis
sur des fauteuils ou des fauteuils roulants, immobiles,

en rang d’oignons ou en cercle dans la salle commune,

tête qui tombe sur la poitrine et qui semblent

 

ne plus rien attendre – sinon la mort.
Et quand vous passez, quelques têtes, mais pas toutes,

se relèvent, se tournent lentement à mesure,
vous suivent des yeux – comme des vaches dans un pré.

 

Une « fin de vie » peut durer très longtemps,

et si l’on a toujours la conscience du temps...

Quelle tristesse... Tous ces regards éteints,

 

ce silence des vies qui viennent ici finir
et dont on ne soupçonne même pas ce qu’elles furent

ailleurs en leurs lieux et en leur temps.

 

Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse, dans Secousse,

revue en ligne n° 22, été 2017, éditions Obsidiane.

 

 

 

26/06/2017

Camille Loivier, éparpillements

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                  Cahier 1

 

[…]

 

je suis le minotaure à qui on sacrifie l’enfance

au coin il y a un corps que je vais piétiner

 

avec le lierre en boule et la glycine

la maison disparaît et s’alourdit

des sortes d’ailes poussent pour s’éloigner de soi

s’enfonce dans ce qui se déforme

 

des parties s’imbriquent dans les autres

des morceaux s’enjambent puis se fondent

une cicatrice apparaît

au coin se perd

une encoche rappelle

 

— une prairie et trois buses en cercle dans le ciel planent —

 

Camille Loivier, éparpillements, isabelle sauvage, 2017, p. 43.

25/06/2017

Malcolm Lowry, Pour l'amour de mourir

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                Poème bizarre

 

J’ai connu un homme sans cœur ;

Il dit que des enfants le lui ont arraché

Et l’ont donné à un loup affamé

Qui s’est enfui l’emportant dans sa gueule,

Et les enfants ont fui avec l’instituteur ;

L’animal aussi s’est enfui bien vite,

Et derrière lui, bizarre poursuite,

Titubait encor cet homme sans cœur.

J’ai vu cet homme l’autre jour,

Gonflé d’un orgueil ridicule,

Le cœur remis en place et la mine égayée ;

À son côté, tout radouci, trottait le loup.

 

Malcolm Lowry, Pour l’amour de mourir, traduction

J.-M. Lucchioni, préface Bernard Noël, La

Différence, 1976, p. 83.

24/06/2017

Jorge Luis Borges, La mémoire de Shakespeare

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                                       25 août 1983

 

   À l’horloge de la petite gare je vis qu’il était 11 heures du soir passées. Je me dirigeai vers l’hôtel. Comme en d’autres occasions, j’éprouvai cette résignation et ce soulagement que procurent en nous les lieux que nous connaissons bien. Le grand portail était ouvert et l’édifice, dans l’obscurité. J’entrai dans le vestibule dont les miroirs blêmes répétaient les plantes du salon. Curieusement, le propriétaire ne me reconnut pas et me présenta le registre. Je pris la plume qui était accrochée au pupitre, je la trempai dans l’encrier de bronze et au moment où je m’inclinai sur le livre ouvert se produisit la première des nombreuses surprises qu’allait m’accorder cette nuit. Mon nom, Jorge Luis Borges, était déjà écrit, à l’encre, encore fraiche.

   Le propriétaire de l’hôtel me dit :

« Je croyais que vous étiez déjà monté. »

Puis il m’observa attentivement et il se reprit :

« Pardon, monsieur. C’est que l’autre vous ressemble tellement, mais vous, vous êtes plus jeune. »

[…]

 Jorge Luis Borges, La mémoire de Shakespeare, dans Œuvres complètes, II, édition Jean-Pierre Bernès, Pléiade / Gallimard, 1999, p. 963.

23/06/2017

Henri Thomas, La joie de cette vie

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J’écris, comme si écrire était mon unique moyen de vieillir sans douleur, et sans jouer un rôle dans les rouages.

 

J’ai l’impression d’appartenir à ma vie plus que ma vie ne m’appartienne, qu’il lui reste peu de choses à faire pour m’avoir tout à fait. Je ne lui échapperai pas — mais ce ne sera pas moi, cette vie qui m’a eu.

 

Si la mort est la solution du problème appelé la vie, nous ne comprenons pas plus le problème que la solution, et si nous pouvons constater cela, c’est grâce au langage, que nous ne comprenons pas davantage.

 

Henri Thomas, La joie de cette vie, Gallimard, 1992, p. 22, 25, 29.

 

22/06/2017

Christian Prigent, Chino aime le sport ; colloque Prigent : Trou(v)er sa langue

 

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              Passion de Tom Simpson   

 

                Première station

 

Aux mines de Durham County (Haswell)

Le fils au Père a trouvé une sale mine

De pea soup bye be il se fait la belle :

À bécane on bronze mieux sa bobine.

 

                   Deuxième station

 

Débarque à Saint-Brieuc très maigre au COB

Le Baptiste est Papa Leroux il l’oint :

« Le pif pointu dur rosbif ira loin »

Jubile le coach le cul sur sa mob

 

                     Troisième station

 

Dans les campagnes d’Armorique Tom

Roule sur les eaux et derrière : aux pommes

Les Barrabas locaux ! au Tour ça biche :

Simpson premier Maillot jaune british !

[…]

 

Christian Prigent, Chino aime le sport, P.O.L,

2017, p. 42-43.

______________________________________________

 

Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel dir., Christian Prigent : trou(v)er sa langue 


Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel dir., Christian Prigent : trou(v)er sa langue. Avec des inédits de Christian Prigent (Actes du Colloque international de Cerisy), Paris, Hermann, collection "Littérature", mai 2017, 556 pages, 34 €,

                                                     Présentation

Depuis 1969 où il fait paraître son premier livre, La Belle Journée, Christian Prigent s’est fait un nom si bien que, quelques soixante deux livres plus tard et deux cents textes publiés hors volume, il est maintenant reconnu comme l’une des voix majeures de la création littéraire (notamment poétique) contemporaine des quarante dernières années. Aucun colloque ne lui avait été consacré en propre jusqu’à celui organisé en 2014 au Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle. Ce volume a réparé ce manque et constitue par ce fait même un ouvrage totalement original et immédiatement charnière pour l’approche de ce créateur.

Ouvrage charnière, en effet, car animé par un double objectif. Il s’agissait d’abord, en 

rassemblant les meilleurs spécialistes de cet écrivain, de dresser une premier bilan sur les recherches déjà engagées, surtout à partir des années 1985-1990, et portant surquarante-cinq ans d’écriture, que la réflexion ait concerné Christian Prigent en tant qu’auteur d’une œuvre personnelle protéiforme expérimentant tous les domaines (poésie, essai, roman, théâtre, entretien, traduction, chronique journalistique, lecture de ses textes) et dont il a su déplacer les frontières, mais aussi en tant que revuiste passionnée, lié à un grand nombre de livraisons poétiques, théoriques, artistiques, et ayant lui-même co-fondé la revue d’avant-garde TXT (1969-1993), avec la volonté de démarquer un espace éditorial différentiel par rapport à Tel Quel. Le fil conducteur de la langue, tant ouvertement réfléchie par l’écrivain dans ses essais ou ses fictions, récits et poèmes, s’imposait. L’autre objectif était d’ouvrir de nouveaux champs de recherche et d’infléchir vers des nouvelles directions une réception qui jusqu’à présent était restée trop soumise à la force de théorisation auctoriale de Prigent et dont il n’est pas si facile de s’émanciper, tant les formulations sont solides – on pense au prisme des lectures maoïsto-lacano-Bakhtiniennes très développées par l’auteur dans ses essais réflexifs, en particulier d’avant 1990, et dont il s’émancipe lui-même progressivement depuis quelques années.

Ouvrage original donc : par la première collection aussi importante d’études consacrées l’auteur.

Mais ouvrage original aussi par sa facture plurivocale délibérée. En effet, les interventions d’écrivains – de l’auteur même et de ses amis de TXT présents au colloque – dialoguent avec les entretiens d’artistes (acteurs, cinéaste, peintre) et avec les interventions de journalistes et d’universitaires français et étrangers du monde entier (États-Unis, Japon, Brésil notamment), tous spécialistes du champ littéraire extrême contemporain, commentateurs de longue date de Christian Prigent ou voix critiques plus récents. Les genres sont mêlés (inédits d’écrivains, entretiens, essais et communications universitaires) comme les supports (textes, dessins, photogrammes) à l’image de la convivialité et de la mixité qui a été celle du colloque et qui transparaît à l’état vif, en particulier dans les « entretiens ».

 

Enfin cet ouvrage se distingue par l’implication forte de Christian Prigent, présent durant tout le colloque et à nouveau ici par les archives, textes et dessins inédits donnés en première publication.

 

                                 Table des matières

 

Avant-propos, par Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel

Bénédicte GORRILLOT : Pour ouvrir

Chapitre I Chanter en charabias (ou trou-vailler la faiblesse des formes)

Laurent FOURCAUT : Dum pendet filius : Peloter la langue pour se la farcir maternelle

Jean RENAUD : La matière syllabique

Tristan HORDÉ : Christian Prigent et le vers sens dessus dessous

Bénédicte GORRILLOT, Christian PRIGENT : Prigent/ Martial : trou(v)er le traduire

Marcelo JACQUES DE MORAES : Trou(v)er sa langue par la langue de l’autre : en traduisant Christian Prigent en brésilien

Jean-Pierre BOBILLOT : La « voix-de-l’écrit » : une spécificité médiopoétique ou Comment (de) la langu’ se colletant à/avec du réel trou(v)e à se manifester dans un mo(t)ment de réalité

Chapitre II. L'Affrontement au réel "des langues-en-corps"

Fabrice THUMEREL : Réel : point Prigent. (Le réalisme critique dans la « matière de Bretagne »)

Philippe BOUTIBONNES : Et hop ! Une, deux, trois, d’autres et toutes

Philippe MET : Porno-Prigent, ou la langue à la chatte

Jean-Claude PINSON : Éros cosmicomique

Éric CLÉMENS : La danse des morts du conteur

Chapitre III. "Le Bâti des langues" traversées


Dominique BRANCHER : Dégeler Rabelais. Mouches à viande, mouches à langue

Chantal LAPEYRE-DESMAISON : Ratages et merveilles : le geste baroque de Christian Prigent

Hugues MARCHAL : Une sente sinueuse et ardue : les sciences dans Les Enfances Chino

Éric AVOCAT : La démocratie poétique de Christian Prigent. Tumultes et mouvements divers à l’assemblée des mots

Nathalie QUINTANE : Prigent/Bataille et la « génération de 90 »

Olivier PENOT-LACASSAGNE : La fiction de la littérature

David CHRISTOFFEL : Les popottes à Cricri

Chapitre IV. De TXT à l’archive : l’interlocution contemporaine des langues-Prigent

Jean-Pierre VERHEGGEN : Le bien touillé (extraits de lettres de Christian Prigent à Jean-Pierre Verheggen, 1969/1989)    

Jacques DEMARCQ : « Prigentation d’Œuf-glotte »

Alain FRONTIER : Comment j’ai connu Christian Prigent

Christophe KANTCHEFF : Le trou de la critique. Sur la réception de l’œuvre de Christian Prigent dans la presse   

Typhaine GARNIER : L’écrivain aux archives ou le souci des traces

Jean-Marc BOURG, ÉRIC CLÉMENS : Comment parler le Prigent ?

Vanda BENES, Éric CLÉMENS : Pierrot mutin

Ginette LAVIGNE, Élisabeth CARDONNE-ARLYCK : Sur La Belle Journée

Christian Prigent : Journal. Décembre 2013/janvier 2014 (extraits)

Postface : fin des « actions » ?, par Bénédicte Gorrillot et Fabrice Thumerel

Bibliographie générale

Les auteurs

Table des illustrations

 

 

 

 

21/06/2017

Christophe Manon, Au nord du futur

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Nous n’étions rien il y avait

du silence en nous et nous

dansions dansions dressant nos désirs comme à l’assaut

de quelle falaise quelle enceinte quelle cime au

hasard n’obéissant à aucune loi aucun ordre nous enfantions

des bombes franchissions des portes allant de deuil en deuil au travers de la poussée du temps qui nous porte infailliblement

à l’échéance n’étant

que des hommes dépouillés

de ce que nous possédions encore de destin nous arpentions

les terres étrangères couverts

de nuit où étions-

nous nul ne le sait mais

comme il faisait sombre et comme

cependant nous vivions.

 

Christophe Manon, Au nord du futur, NOUS, 2016, p. 31.

 

 

 

19/06/2017

Madame de Staël, Corinne ou l'Italie

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                                     Chapitre II

 

   Voyager est, quoi qu’on en puisse dire, un des plus tristes plaisirs de la vie Lorsque vous vous trouvez bien dans quelque ville étrangère, c’est que vous commencez à vous y faire une patrie ; mais traverser des pays inconnus, entendre parler un langage que vous comprenez à peine, voir des visages humains sans relation avec votre passé et avec votre avenir, c’est de la solitude et de l’isolement sans repos et sans dignité ; car cet empressement, cette hâte pour arriver là où personne ne vous attend, cette agitation dont la curiosité est la seule cause, vous inspire peu d’estime avec vous-même, jusqu’au moment où les objets nouveaux deviennent un peu anciens, et créent autour de vous quelques doux liens de sentiment et d’habitude.

 

 

Madame de Staël, Corinne ou l’Italie, dans Œuvres, édition Catriona Seth, Gallimard/Pléiade, 2017, p. 1008-1009.

18/06/2017

Burns Singer (1928-1964), Sonnets pour un homme mourant

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                                     XXXII

 

Appelle ça comme tu veux, mais n’oublie pas

Que pour la première et dernière fois tu es

Dépassé par ton insatiable métaphore,

Pris en embuscade par les définitions que tu as préméditées.

La mort, telle que tu l’emploies, prend tout —

Le drame, les actes, la salle bondée, et la chambre

D’amis où quelqu’un est pleinement conscient

Des ressorts qui commandent l’intrigue.

N’oublie pas ça. Ça va encore revenir.

Après que les vers seront partis, ça continuera.

Bien que les mondes tournent, les morts y gisent immobiles.

N’oublie pas tes vacances en Espagne.

Ça aussi fait partie de la mort, et tu trouveras

Que chaque instant est devenu immuable.

 

Burns Singer, Sonnets pour un homme mourant, traduction de l’anglais

Anthony Hubbard et Patrick Maury, Obsidiane, 2017, p. 81.

16/06/2017

Rémi Checchetto, Le gué

                                 Rémi-Checchetto-©-Michel-Durigneux.gif

                  Photo Michel Durigneux

 

Quand c’est qu’on a le nez dans le caniveau faut se percher et penser en haut de sa tête, là où c’est tout bien au sec, quand c’est qu’on est la tête dans le mur faut raisonner avec nos orteils, et quand c’est que les tuiles nous tombent sur la tête faut se la faire en autruche, c’est que c’est toute une gymnastique que nécessite la vie, toute une virtuose philosophie de sauterelle, et c’est pourquoi faut s’étirer les abattis en se gardant la souplesse tout en se huilant les méninges, faut se mettre du coton aux genoux des jambes et à ceux de la tête, avoir la pochette 36 feutres de toutes les couleurs chaudes pour quand la vie c’est dans les gris froids, et ne pas négliger de se frotter les idées jusqu’à se faire un petit feu avec ruses dans les braises, ou bien ne plus se sourire, ne plus grimacer, se bousculer, quitter le repli, ne plus tergiverser, s’avancer, ne plus se chercher de baume et ne plus se mettre de sparadraps, ne plus ajourner, trouver la colère, lâcher les brides, mettre un coup de pied dans l’infernal, multiplier les bonnes raisons, additionner les peurs et les disgrâces et en faire un grand tremblement au dehors

 

Rémi Checchetto, Le gué, Dernier Télégramme, 2017, p. 35.

15/06/2017

James Joyce, Poèmes

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               Seul

 

Les mailles d’or gris de la lune

Toute la nuit tissent un voile,

Les fanaux dans le lac dormant

Traînent des vrilles de cytise.

 

Les roseaux malicieux murmurent

Aux ténèbres un nom — son nom —

Et toute on âme est délice,

Mon âme défaille de honte.

 

James Joyce, Poèmes, traduction Jacques

Borel, Gallimard, 1967, p. 109.

13/06/2017

Christophe Manon, Au nord du futur

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                           Au milieu de la nuit, le jour

 

3.

à redire ou bien est-ce le murmure de la terre ondulant

 

sous l’averse ? Franchissant l’enceinte sacrée du temps et avançant en circonvolutions sur un chemin de traverse, suivant telle bifurcation, puis telle autre, puis revenant à un point qui n’est pas

 

exactement comme celui du départ, comme les émigrants, ils s’adonnent au mouvement et à l’errance, empruntant avec souplesse les méandres labyrinthiques du récit. Et cependant, l’amour est un éclat fugace que les mots ne font qu’effleurer. Il se manifeste par un flux d’intensité lorsque nous vibrons. J’entends

 

par là qu’il ne s’agit pas d’une disparition : quelque chose demeure et accompagne nos gestes et nos pensées, c’est pourquoi, parfois le cœur semble si lourd. Voici ce que démontre l’axiome de l’empathie qui se matérialise par un équilibre précaire et fragile à mesure

 

qu’il s’évapore provoquant des taches de hasard sombres et pensives, des frémissements syntaxiques, de légères vibrations dans les lignes de terre, des tremblements de l’atmosphère comme sous l’effet d’une chaleur intense. […]

 

Christophe Manon, Au nord du futur, NOUS, 2016, p. 49.

12/06/2017

Christian Prigent, Chino aime le sport

           

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         Zakopane et ses environs

                           (balade)

 

Ex cyclococo ex-maofooteux ex-pop’poète ex-

Épique opaque avant-gardiste ex-occupé par le sexe

 

Ex-(sous peu) tout dans ton âge sage ( ?) à peu de tifs plus d’os

Rhumatismeux vazy roule ce qui te reste de bosse

 

En touriste d’Europe aux anciens parapets politiques

Chu avec chouïa routard de « lutte/réforme/critique !) »

 

Et de Prague à neuf recolorée rococo carapate

En Mitteleuropa jusqu’aux queues de Tatras des Carpates

 

Brno >Slavkov (Austerlitz, sans soleil) > Ostrava (Moravie)

Vers l’éventrée si saccagée par l’industrie Silésie

 

[…]

 

Christian Prigent, Chino aime le sport, P. O. L, 2017, p. 133.

11/06/2017

Paul de Roux, Un rêve

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                                     Un rêve

 

   Cette nuit, j’ai fait un rêve. J’enseignais (moi, voyez-vous ça !). Dans une grande et claire salle de classe, je me frottais allègrement les mains tout en faisant mon cours, et je disais :

 

   « Mes chers enfants, vous êtes à l’âge où tout est possible encore. La vie est devant vous come un parchemin qui commence à peine à vous révéler ses premières lignes, aux belles lettrines enluminées. Ah ! combien sont-elles prometteuses, ces premières phrases ! Gardez-vous bien de les oublier, car vous ne les entendrez plus. » (D’émotion, je dus m’interrompre et me mouchai bruyamment.) « Prenez garde, mes bons enfants, que le parchemin ne se dévide bientôt si vite que vous ne vous retrouviez le poil blanc avant d’avoir saisi sa splendeur et compris tout son sens. » Ici, j’agitai maladroitement les bras, ne parvenant pas à trouver les mots que je me sentais le devoir d’adresser encore à mes auditeurs. Tout montrait, cependant, combien ceux-ci étaient dociles et bien disposés à mon égard.

[…]

 

Paul de Roux, Un rêve, le phare du cousseix, juin 2017, p. 3.

* on peut commander le texte de Paul de Roux aux éditions

(chèque de 10 € + 1 € frais d’envoi à l’ordre des éditions)

 

09/06/2017

Dominique Maurizi, La lumière imaginée

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Tais-toi mon cœur, tais-toi ! Des voix dans ma gorge. Mes lèvres sont rouge sang, ma bouche, maman, comme bouton de mon enfance, c’est ça, je vois et je joue ensemble, comme les fleurs je bois, je bois, comme le vent je danse dans les lauriers et les jasmins.

 

Aux aguets je m’attache à ma promesse, vous entendre et vous sentir, nuits !, les blancs, les noirs et les autres chevaux de la terre. Les animaux nous parlent-ils ? On me dit non, moi je dis oui. Mes jours, mes nuits les voient, les sentent et les entendent ensemble —

 

Sur le chemin des chiens mon âme a trouvé mon cœur.

Sur le chemin des chiens, là ou personne ne veut aller.

 

Dominique Maurizi, La lumière imaginée, Faï fioc, 2016, p. 23.