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19/10/2022

Ambrose Bierce, Épigrammes

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Le premier homme que vous croiserez est un imbécile. Si vous pensez le contraire, interrogez-le et il vous le prouvera.

 

Des deux types de folie passagère, l’une s’achève dans le suicide, l’autre dans le mariage.

 

Faute d’yeux derrière la tête, nous nous voyons au seuil de l’horizon. Seul celui qui accomplit cet acte remarquable consistant à se retourner sait qu’il est le personnage central de l’univers.

 

L’amour est une charmante balade d’un jour. À la toute fin, embrassez votre compagnon et prenez congé de lui.

 

Si vous voulez lire un livre parfait, écrivez-le.

 

Ambrose Bierce, Épigrammes, traduction Thierry Gillybœuf, éditions Allia, 2014, p. 13, 15, 19, 20, 21.

30/06/2022

Jacques Dupin, L'Esclandre

 

d’une ombre qui chavire dans la douceur

le temps n’est plus où je me souvenais du temps

des lieux mal-dits, des trahisons, des couleurs

devant le soleil nous comparaissions sans chemise

un soleil chargé de fruits, entre le dénuement

de l’idiot de l’arrière-pays et ce qui surgit

d’un œil vide — un volcan toujours,

une apostasie, loin dehors, près dedans

un printemps sans hannetons, sans fils de la Vierge

le pré jaune de la folie, la langue fendue

dans le neutre, un massacre, un sacrifice

l’homme ouvert que j’affectionne et que je dis

ses traces et lui sans fin disparaissent

 

Jacques Dupin, Rien encore, tout déjà, dans L’Esclandre,

introduction Dominique Viart, P.O.L, 2022, p. 112.

17/05/2022

Cesare Pavese, Le métier de vivre

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Il faut être fou et non rêveur. Il faut être en deçà de l’ordre et non au-delà.

 

Voici le résumé de tous les amours :

       on commence en contemplant, exaltés

       on finit en analysant, curieux

 

Se venger d’un tort qu’on vous a fait, c’est se priver du réconfort de crier à l’injustice.

 

Une bonne raison de se tuer ne manque jamais à personne.

 

La chose secrètement et la plus atrocement redoutée arrive toujours.

 

Cesare Pavese, Le métier de vivre, traduction Michel Arnaud, Gallimard, 1958, p. 74, 75, 81, 81, 82.

14/03/2022

Marie de Quatrebarbes, Aby

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Chez les patients du Dr Kraepelin, il y a des brumes, de l’air démoniaque, des odeurs de charbon, de cadavre, d’étranges fumées envahissent les chambres, on les noie dans le Tigre, ou on tue leurs parents, on vole leurs pensées, ou leur nourriture est mélangée à de la chair humaine, à des déchets, on y verse du poison, du musc, du jus d’aiguilles et de chaussure, de la potasse. Leur sommier pleure quand ils dorment, il est planté d’aiguilles, on les cloue à un arbre, on les pique avec des tarentules, des courants électriques traversent leur corps, on leur injecte un sang étranger, on rend leurs membres raides, de grosses grenouilles rentrent dans leur nez et leurs oreilles avant de sortir par leur bouche. Ça sent le soufre, le roussi, les aliments ont un goût de poison, de pourriture, quelqu’un parle à l’intérieur de leurs organes génitaux, ils sont des loups-garous, des chiens sans maître, on vole leur sang pour en faire quelque chose d’incongru, du boudin, des offrandes au diable. Un jour, ils se laissent mourir sur leur tombe et on salit leurs cheveux, on transforme leur visage en quelque chose d’autre, ils ne se reconnaissent plus, quelqu’un fabrique leurs pensées, influence leurs actes, leur souffle leurs mots. [...]

 

Marie de Quatrebarbes, Aby, P.O.L, 2022, p. 74-75.

 

30/04/2021

Joseph Joubert, Carnets, I

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Il y en a à qui il faudrait conseiller la folie.

 

Crédulité. Plus difficile à dissuader qu’à persuader, et plus facile à tromper qu’à détromper.

 

Semblables à ces jeunes gens qui, au lieu de chercher à comprendre, cherchent à juger.

 

Comment l’ignorance est un lien entre les hommes. La politique doit s’en servir.

 

Qui ne sait pas se taire n’obtient point d’ascendant.

  

Joseph Joubert, Carnets, I, Gallimard, 1994, p. 282, 282, 283, 285, 285, 289, 290, 292, 294, 297.

22/12/2020

Danielle Collobert, Dire II

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Corps là

noué

noué aux mots

l’étranglement du souffle

perte du sol

pendu

balancement à l’intérieur des mots – trouées –

vide

approche de la folie

peur continuelle de la fuite verticale

les mots en spirale fuyante – aspirée

sans prise

sans arrêt

tremblement

un cri

peur continuelle – absence de mots – gouffre

ouvert – descente – descente

mains accrochées au visage

toucher

corps là

résistance –

entendre encore le souffle – quelquepart

à l’instant savoir – souffle là

à l’écoute du bruit

affolement

tendu pour entendre

tendu pour résister

jusqu’à la limite – l’immobilité

sursaut

cassure

encore sombrer – descendre – ou aspiré au loin

– ou fatigue – désespoir

Danielle Collobert, Dire II, dans Œuvres I, P. O. L., 2004, p. 256-257.

21/09/2019

Ambrose Bierce, Épigrammes

 

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Il n’y a jamais eu de génie qu’on n’ait pas pris pour un imbécile jusqu’à ce qu’il se dévoile ; alors que c’est uniquement à ce moment-là que c’est un imbécile.

Une patte de lapin peut vous porter chance, mais elle ne l’a pas portée au lapin.

Des deux types de folie passagère, l’une s’achève dans le suicide, l’autre dans le mariage.

Ce qu’une femme admire le plus chez un homme c’est qu’il se distingue des autres hommes. Ce qu’un homme admire le plus chez une femme c’est la dévotion qu’elle lui témoigne.

 

Ambrose Bierce, Épigrammes, Alia, 2014, p. 9, 14, 15, 17

02/04/2018

Ossip Mandelstam, De la poésie

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De la poésie

 De l’interlocuteur, I

    Ce qui chez le fou produit sur vous la plus terrible impression de démence, pouvez-vous me le dire ? Est-ce la dilatation des pupilles parce que s’absente, ne fixant rien en particulier, le regard vide ? Les paroles insensées parce que s’adressant à vous elles vous ignorent et n’ont que faire d’une existence qui ne les intéresse absolument pas ? L’indifférence terrible dont il fait preuve, voilà ce qui au plus haut point nous angoisse. Rien n’est plus intolérable pour l’être humain que d’en rencontrer un autre pour lequel il n’est rien ? Une signification profonde imprègne cette hypocrisie culturelle qu’est la courtoisie, grâce à quoi nous soulignons à chaque instant l’intérêt qu’on porte à autrui.

[…]

 

Ossip Mandelstam, Œuvres complètes II, Œuvres en prose, traduction Jean-Claude Schneider, Le bruit du temps, 2018, p. 311.

22/12/2017

Edmond Jabès, Le Livre de Yukel

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         Journal de Sarah, III

 

11 décembre

   Chaque flamme était une note de musique et, de cette gamme insoupçonnée, un compositeur triste comme la boue de la route, avait tiré sa musique ; une valse sans issue où le rassurant savoir du monde abdiquait.

   J’ai vu danser le reptile et l’insecte, le quadrupède et l’oiseau.

   J’ai vu danser le poisson et la plante.

   Et la mort était une fête éclairée où les rires doublaient les râles ; de sorte que je ne savais plus si elle se déroulait en moi ou devant et si la plainte n’avait pas toujours eu pour partenaire le plaisir.

   La folie, avec sa chevelure de chanvre où les rêves attardés s’accrochaient s’était installée dans la salle. Ses mains décharnées contrastaient violemment avec son corps d’adolescente éprise de matins. Elle brandissait le candélabre et se moquait de mon émotion.

   J’avais peur d’être morte comme les sept nuits qui venaient de s’écouler.

 

Edmond Jabès, Le Livre de Yukel, Gallimard, 1964, p. 85.

 

 

 

07/08/2017

Louis Wolfson, Le Schizo et les Langues

  

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   En conséquence de certaines réflexions plus ou moins irrésistibles, l’étudiant d’idiomes se disait fréquemment : « Je suis fou ! » Parfois ça se passait après qu’il n’avait pu apprendre pendant des heures que plutôt piteusement peu dans ses études de langues ; ou peut-être il s’accusait, malgré sa maigreur extrême, d’avoir mangé trop, ayant été atteint d’une espèce de boulimie ; souvent c’était le repentir de s’être livré à un de ses tics, comme l’arrachement de poils croissant dans quelques grains de beauté sur son visage.

   L’aliéné se dirait, à ces moments-là, involontairement et en sa langue naturelle : « I’m mad ! » ce qui, bien sûr, signifie : je suis fou ! et qui se prononce : aïm (le a de la diphtongue est bien plus fort que l’i ouvert et bref) maed (la voyelle est entre é et a antérieur). Il se disait cela en effet quelque machinalement et en lui-même tout en ayant une idée vague que ce reproche de lui-même l’aiderait d’une manière quelconque à éviter de mauvaises habitudes à l’avenir et même à améliorer son état d’incapacité.

 

Louis Wolfson, Le Schizo et les Langues, préface de Gilles Deleuze, Bibliothèque de l’inconscient, Gallimard, 1970, p. 208.

18/02/2017

Franz Kafka, Correspondance 1902-1924

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[…] j’ai (…] pris conscience du fait, que j’avais presque oublié au cours de cette dernière période presque calme, que je vis sur un sol combien fragile, voire tout à fait inexistant, au-dessus d’un trou d’ombre d’où les puissances obscures sortent à leur gré pour détruire ma vie, sans se soucier de mon bégaiement. La littérature me fait vivre, mais n’est-il pas plus juste de dire qu’elle fait vivre cette sorte de vie-là ? Ce qui naturellement ne veut pas dire que ma vie soit meilleure quand je n’écris pas. Dans ce cas au contraire c’est bien pire, c’est tout à fait intolérable et sans autre issue que la folie. Toutefois cela n’est vrai qu’à condition que je sois écrivain même quand je n’écris pas, comme c’est d’ailleurs effectivement le cas, et à vrai dire un écrivain qui n’écrit pas est un non-sens, une provocation à la folie. Mais qu’en est-il de l’état littéraire lui-même, La création est une douce et merveilleuse récompense, mais pour quoi ? Cette nuit j’ai vu clairement, avec la netteté d’une leçon de choses enfantine, que c’est un salaire pour le service du diable. Cette descente vers les puissances obscures, ce déchainement d’esprits naturellement liés, ces étreintes louches, et tout ce qui peut encore se passer en bas dont on ne sait plus rien en haut quand on écrit des histoires au soleil…

 

Franz Kafka, Correspondance 1902-1924, traduit et préfacé par Marthe Robert, Gallimard, 1965, p. 447.

 

Le livre de Pauline Klein, Les Souhaits ridicules, dont le début a été repris ici même, a été publié aux éditions Allia en 2017 — et non en 2917... On ne se relit jamais assez !

06/12/2016

Georges Bataille, Poèmes

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ma folie et ma peur

ont de grands yeux morts

la fixité de la fièvre

 

ce qui regarde dans ces yeux

est le néant de l’univers

nos yeux sont d’aveugles ciels

 

dans mon impénétrable nuit

est l’impossible criant

tout s’effondre

 

Georges Bataille, Poèmes, dans

Œuvres complètes, IV, Gallimard,

1971, p. 16.

 

16/05/2016

Jaromír Typlt, Fragment B 101

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Fragment B 101

 

Deux bulles d’air comme enseigne

Gribouillées à la craie

Sur le crépi tout près de l’entrée :

Ici vit le délire.

 

Souriant il viendra vers moi le jour même où prendra sa folie.

Après quelques pas le sourire s’en ira,

de ma vie je n’ai vu personne aussi vite s’assombrir,

s’effondrer de sa face, s’oublier,

et figer son regard en lâchant tout à vau-l’eau

et des yeux d’effroi ébahis observer

combien ça augmente

augmente sans retenue.

Avant qu’une voix ne le brouille

en appelant son nom . Depuis la mort de sa mère

Franrisck vit seul dans la maison.

 

Par un couloir il me conduira

opinant à tout ce que je dis,

son pantalon trop lâche lui glissera des hanches

jusqu’en bas, vers l’aine toute noire

que d’un regard légèrement interdit

je devinerai

avant qu’il remonte sa culotte.

              

Plus tard je comprendrai où j’ai mis les pieds.

Chez lui tout est ordinaire, conduite et réponses.

Sauf le reste sans doute :

d’avoir pénétré dans sa maison sens dessus-dessous, sortons des affaires, taillons,

avant de nous asseoir devant un café

et de rigoler de nos blagues. Il fera semblant de tout approuver,

très volontiers,

trop,

mais avec un agacement perçant çà et là.

[…]

 

Jaromir Typlt, Fragments B 101, traduit du tchèque par Denis

Molcanov, dans NUNC, n° 38, février 2016, p. 113.

20/02/2016

Julien Bosc, De la poussière sur vos cils : recension

 

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   Les vers en exergue extraits de Dans la Conversation, recueil de Jacques Lèbre, orientent la lecture du livre : les corps gazés dans les camps de la mort ont été brûlés et « quelques-uns peuvent dire encore / [...] j’ai vu la fumée s’élever dans le ciel ». Le long ‘’poème prosé’’ de Julien Bosc n’est pas un récit, on y lit des « scories de l’innommable », les traces de ce que des témoins ont écrit, ce qui demeure pour nous de ce qu’ils ont vécu — « quelqu’un cette nuit écrit à partir d’une mémoire qui n’est pas la sienne ». Et d’abord un mur, mur de mémoire, « preuve » du passé et qui porte des noms : pour sa construction, sont énumérés tous les matériaux qui ont été utilisés au cours du temps en divers lieux pour bâtir un mur, marbre, pierre, banco, etc. Rien de tout cela ne convient, et à la question de sa matière une seule réponse : « — Telle la mémoire ? / — Tel le miroir sans tain de la souvenance oui. » Mais la parole sur ce qui fut semble impossible, il n’y aurait que « les mots creusés sur le vide », et cependant personne n’a, aujourd’hui, « le droit d’oublier ce que nous ne pouvons raconter ». C’est à partir de cette impossibilité qu’écrit Julien Bosc.

Ce qui peut être écrit l’est ici dans une forme particulière. Deux personnages, Lui et Elle, dialoguent dans divers lieux ; au début la nuit dans un pré, plus tard dans un hôpital pour la guérir de la folie née du souvenir de l’holocauste (« Elle perdit la raison »), puis dans un village « Entre la montagne et la mer ». Leurs échanges sont parfois accompagnés d’un commentaire et s’achèvent par un fragment en italique, introduit par le « Ô » du lyrisme et reprenant littéralement ou pour le sens ce qui précède. On pense à un livret d’opéra ou à une tragédie, avec dialogues, voix hors champ ou didascalies, intervention d’un chœur, et ce d’autant plus que les répliques sont toujours brèves, la syntaxe et le vocabulaire dépouillés, des fragments de dialogue répétés, la répétition se produisant aussi dans une réplique :

Jamais, jamais je n’ai pu, je n’ai pu jamais, jamais pu, jamais, mais malgré moi tout le temps, minute après minute, nuit et jour sans répit, ni rien, sans répit ni rien, ni rien pouvoir, rien pouvoir faire, rien pouvoir faire taire, à en devenir folle. Folle.

   La folie naît du souvenir des camps de la mort, ceux de la ‘’solution finale’’, ce qu’explicite un seul échange :

— Votre nom est-il juif ?

— Oui.

— Êtes-vous juif ?

— Oui.

— Êtes-vous innocent ? Êtes-vous coupable ?

Réponse qui ne peut être entendue : une pierre « est-elle innocente ou est-elle coupable ? ».

   La seule amorce de récit du livre est présentée comme un rêve par l’homme, elle décrit un lieu d’où l’on ne peut sortir, un couloir, où des chiens dévorent le visage et le nom, métaphore de l’identité à faire disparaître. Les images de destruction brutale abondent dès l’ouverture ; le dialogue évoque d’abord une porte et des fenêtres, pourtant il ne s’agit pas d’une maison, d’un refuge, la clef est perdue, une main broyée, les yeux aveugles, l’ordre même de la nature défait avec le « givre incandescent ». La poussière sur les cils ? non, ce sont les cendres qui retombent, et avant la mort ce sont les fils barbelés, la langue tranchée, le nom broyé, « les wagons de la mort et la folie dans les wagons ».

   Que reste-t-il après « la nuit du retour sans retour » ? Le livre pourrait s’achever sur des questions comme celles-ci, « Quel témoin ? Le témoin du récit ? Quel récit ? » Il reste des noms, des noms inscrits sur un mur, dans la mémoire, et reste donc « le récit d’un mur ». Le hasard des publications a mis sur ma table le livre de Julien Bosc et un entretien de Philippe Beck, ‘’Dialogue de la poésie avec la prose testimoniale’’(1) ; j’en détache pour conclure quelques lignes, qui disent aussi la nécessité pour la poésie d’écrire après les témoins : « Les proses de témoignage (le réel prosant et prosé) en disent toujours plus. C’est l’excès qui demande la poème, selon moi, et en réponse aux vers de Celan : « Niemand / zeugt für den / Zeugen. » (« Gloire de cendres », dans Renverse du souffle). « Nul / ne témoigne pour le / témoin. » Le poète ni le romancier ne témoignant à la place du témoin, et cela se dit en vers libres ; le « témoin » est rejeté après le deuxième vers — le suspens est catégorique. Mais le témoin n’est pas seul et sa prose est précédée, parlée déjà ; elle doit être continuée. »

——————————————————————————————

1. ‘’Dialogue de la poésie avec la prose testimoniale’’, entretien de Philippe Beck avec Frédéric Detue, dans Europe, ‘’Témoigner en littérature’’, janvier-février 2016, p. 221-235. L’ensemble du numéro, dès l’introduction de Frédéric Detue et Charlotte Lacoste, est remarquable.

 

Julien Bosc, De la poussière sur vos cils, La tête à l'envers, 2015, 13, 50 €. 

Cette note a été publiée dans Sitaudis le  5 février 2016.

   

  

 

07/12/2012

Roberto Juarroz, dixième poésie verticale

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La folie de ne pas être fou,

de repousser le bras tendu

les zones intérieures

où guette le marécage,

fait parfois fouler

les pieds abandonnés.

 

Ne pas être fou

à certains moments,

ressemble trop à la folie.

Excessive, insupportable intensité,

se défendant à la fois des tignasses flottantes

et des cheveux intolérablement lisses.

 

Il est nécessaire, de temps en temps,

de se reposer de ne pas être fou.

 

La locura de no estar loco,

de rechazar con el brazo estirado

las zonas interiores

donde aguarda la ciénaga,

hace pisar a veces

los pies abandonados.

 

No estar loco,

en algunos momentos,

se parece demasiado a la locura.

Excesiva, insoportable ntensidad,

defendiédose a la vez de las greñas flotantes

y del cabello intolerablemente liso.

 

Es precisa, cada tanto,

descabsar de no estar loco.

 

Roberto Juarroz, dixième poésie verticale,

traduction de François-Michel Durazzo,

José Corti, 2012, p. 129 et 128.