20/04/2021
Henri Michaux, La vie dans les plis
Écriture d’épargne
Portrait
Foreuse
Perceuse
habitacle de sel
dedans une tourterelle
Hérisson de frissons
Sommeil
Bouche de la nuit, qui délie le juge
Sommeil, vice, auge des abreuvements
Viens, sommeil
Adolescence
Entraves, enfance, landes basculées
nage dans les nénuphars
vers l’adulte tirant des poulies
Balcon, balcon lourd où à son tour
enfin avec jeune fille jouer le jeu des cactus...
La notion révélée
Les seconds s’associent
grelots de la cadette
Le peintre et le modèle
Sous les couilles du taureau s’appuie l’Espagnol
et il piétine la Duse
Paix rompue par cupide prise
Taillée sans le citron,
Peigne de cris
Visage éternué
du sommet de la femme insurmontée
éternelle hébétée,
face à l’iniquité.
Sur les triangles de la femelle défaite
il campe alors une robe verte.
Henri Michaux, La vie dans les plis, dans Œuvres, II, 2001, p. 199-200.
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02/04/2021
Max Jacob, Le cornet à dés
Retour philosophique vers ce qui n’est plus
Après l’adolescence, on peut connaître des joies, on ne connaît plus les ivresses. Cacher les trous des chaussettes, les uns par les autres ! avoir peur de manquer le train ! avoir tout juste l’argent de son voyage et qu’au dernier moment un frère encore couché double la somme ! Peut-être est-ce que les ivresses proviennent de ce que les inquiétudes et les hésitations sont plus angoissantes quand on ignore tout. N’aurais-je pas quelque aventure amoureuse à Nantes ? qui dit « amour » dit pistolet, et je n’avais pas de pistolet. Or, ce qui me surprit le plus dans ce voyage, ce fut de me voir reconnu chez un cordonnier par une ressemblance avec une vieille parente et l’éloge que j’entendis de cette personne dont la vie me paraissait nulle. Les jeunes gens prennent tout au sérieux bien qu’ils ne sachent pas donner leur sérieux à ce qu’ils prennent. À la vérité, ils y mettent seulement des émotions disproportionnées.
Max Jacob, Le cornet à dés, dans Œuvres, Quarto/Gallimard, 2012, p. 424.
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04/01/2018
Arthur Adamov, L'aveu
« Sois un homme ! » Le seul rappel de ces mots rallume en moi la vieille haine pour tous mes ennemis de race, tous ceux que je méprise et qui me méprisent, les mâles satisfaits à l’air vainqueur. Je les entends se prévaloir de leurs propriétés, de l’argent qu’ils ont, des femmes qu’ils possèdent. Maintenant, je crois deviner l’origine de cette mutuelle répulsion : je me suis mis au ban de la société, du corps social, comme dans l’amour je me suis exilé du corps de la femme.
Je sais trop bien ce qui me faisait dire que je ne serai jamais un homme. Et je tiens en profond mépris tout adolescent qui n’a pas proféré un tel serment.
Arthur Adamov, L’aveu, éditions du Sagittaire, 1948, p. 68.
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07/06/2015
James Sacré, Dans l'œil de l'oubli, suivi de Rougigogne
Cahiers guenille
Il y a ces premiers cahiers, quatre ou cinq, que sans doute je détruirai. Parce qu’ils sont la trace d’une sorte de crise informe ; celle d’une affectivité qui sait mal reconnaître ce qu’elle découvre en son corps, qui veut s’en défaire (ou en sublimer le poids) tout en l’affirmant de façon désespérée, plutôt que de l’accepter dans un solide contentement d’être. Celle aussi d’un désir de penser sans s’en donner les moyens de le faire par des lectures autour desquelles il aurait fallu réfléchir, en écrivant vraiment au lieu de jeter sur ces cahiers des cris, des gestes de mots, comme de quelqu’un qui se serait noyé dans son vide incohérent.
Et me voilà parlant de ces cahiers, alors qu’en plus de les détruire je pourrais (je devrais peut-être) n’en rien dire ; si j’en parle maintenant n’est-ce pas que je leur accorde quelque importance persuadé que je suis que c’est là aussi que naît de leur magma brassé et rebrassé de façon répétitive durant quelques années, ce que sera une pratique longtemps continue du poèmes ? Pourtant quand je relis ces cahiers je n’y vois rien qui pourrait expliquer le désir d’écrire. D’ailleurs des poèmes (désespérément mièvres c’est vrai, mais beaucoup plus écrits que les pages de ces cahiers) j’en écrivais depuis bien avant ces années de quasi-ridicule crise d’adolescence.
James Sacré, Dans l’œil de l’oubli, suivi de Rougigogne, Obsidiane, 2015, p. 26.
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