12/05/2017
Diogène Laërce, Sentences vaticanes
Sentences vaticanes
- La nécessité est un mal, mais il n’y a aucune nécessité à vivre avec la nécessité.
- Nous sommes nés une seule fois, et il n’est pas possible de naître deux fois ; ne plus être dure nécessairement l’éternité ; mais toi, parce que tu n’es pas maître de ton lendemain, tu diffères ta joie ; or la vie est ruinée par l’attente et chacun, parmi nous, meurt dans l’affairement.
- Chacun quitte la vie comme s’il venait tout juste de naître.
- Le fruit le plus important de l’autosuffisance, c’est la liberté.
Diogène Laërce, Sentences vaticanes, traduction Daniel Delattre, dans Les Épicuriens, sous la direction de D. Delattre et Jackie Pigeaud, Pléiade/Gallimard, 2010, p. 64, 65, 70, 73.
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11/05/2017
Edmond Jabès, Le Soupçon Le Désert
Pratiquer l’écriture c’est pratiquer, sur sa vie, une ouverture par laquelle la vie se fera texte. Le vocable est l’étape vers l’inconnu où l’esprit paiera le prix de sa témérité ; cet inconnu sans lequel la pensée ne serait qu’une pensée morte et jamais une pensée à mourir, au plus vif, au plus écartelé de sa mort.
Edmond Jabès, Le Soupçon Le Désert, Gallimard, 1978, p. 81.
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09/05/2017
Jacques Izoard, La Patrie empaillée
Déjà nous attendons juin,
et que les rixes craquent,
ensoleillées comme
tant d’autres appareils du corps :
les yeux dans leurs loges,
gloutons et sereins,
les dents d’aix, les sûres
traces de doigts sur la jambe,
entre les cuisses bleues-belles,
longues du feu tapi.
Jacques Izoard, La Patrie empaillée,
Grasset, 1973, p. 72.
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08/05/2017
Françoise Morvan, Gitan & Glaïeuls, dans Babel heureuse
Gitan
Un foulard crasseux brille
Peint de soleils et de chardons
Sur fond de suie violette
Idole au front courbé
Tout luisant de sueur et d'huile
Il lève un sourire aux dents claires
Et la lumière à plis d’étole
Ondule autour des boucles noires
Pour se poser sur les épaules ruisselantes
Glaïeuls
Fleurs tigrées que l’on porte aux morts
Anthères saillant jaune au fond de l’ombre
Lys œil de tigre abysse de mémoire
Glaïeuls moulés d'un bloc comme de cire
Dans l'orange éclaté d'un bulbe
Laissés sur le marbre à reflets miroitants
Au bas du bourg où la fête foraine éclate
Dans une odeur de sucre et d’amande brûlée
Avec crépitements de tirs les fleurs de l’Assomption
Vivent leur temps de vie sous le soleil.
Françoise Morvan, dans Babel heureuse,
avril 2017, n° 1, p. 107 et 110.
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07/05/2017
Jacques Prévert, La pluie et le beau temps
Étranges étrangers
Étranges étrangers
Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
hommes des pays loin
cobayes des colonies
deux petits musiciens
soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d’Aubervilliers
brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
au beau ilieu des rues
Tunisiens de Grenelle
embauchés débauchés
manœuvres désœuvrés
Polacks du Marais du Temple des Rosiers
Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
pêcheurs des Baléares ou du cap Finisterre
rescapés de Franco et déportés de France et de Navarre
pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
la liberté des autres
Esclaves noirs de Fréjus
tiraillés et parqués
au bord d’une petite mer
où peu vous vous baignez
Esclaves noirs de Fréjus
qui évoquez chaque soir
dans les locaux disciplinaires
avec une vieille boîte à cigares
et quelques bouts de fil de fer
tous les échos de vos villages t
ous les oiseaux de vos forêts
et ne venez dans la capitale
que pour fêter au pas cadencé
la prise de la Bastille le quatorze juillet
Enfants du Sénégal
dépatriés expatriés et naturalisés
Enfants indochinois jongleurs aux innocents couteaux
qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
de jolis dragons d’or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
qui dormez aujourd’hui de retour au pays
le visage dans la terre
et des bombes incendiaires labourant vos rizières
On vous a renvoyé
la monnaie de vos papiers dorés
on vous a retourné
vos petits couteaux dans le dos
Étranges étrangers
Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez
même si vous en mourez
Jacques Prévert La pluie et le beau temps,
Gallimard, 1955, p. 29-31.
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06/05/2017
64 Dodoïstu, Les montagnes, les rizières et la mer
L’homme avec qui j’ai rompu
Le voilà au détour du chemin
Vite frottons nous les yeux
Une poussière y est entrée
Le long des berges
Par temps de pluie
Des grenouilles se tiennent
Vigiles de l’autre monde
La pluie tombe
Les mauvaises langues se délient
La pluie s’arrête
Les mauvaises langues continuent
Cœur de femme
Corps de luciole
Sans un mot
Se consument
64 Dodoïstu, Les montagnes les rizières et la mer,
traduction du japonais Alain Kervern,
Calligrammes,1984, np.
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04/05/2017
Georges Braque, Le jour et la nuit
Ne jamais adhérer.
Chez ceux qui ont le culte d’eux-mêmes, les convictions remplacent la foi.
Contrarions les vocations.
Le profil contre la silhouette, l’évolution contre le progrès.
Tous les ismes sont des constructions.
Georges Braque, Le jour et la nuit, Gallimard, 1952, p. 29, 29, 36, 38, 38.
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02/05/2017
André Frénaud, HÆRES
Les expressions de la physionomie
Celui qui sans raison prétend au sacrifice,
celui dont les dons ne valent plus,
celui qui s’entête, celui qui écourte,
celui qui fait la roue — qui fait semblant —
celui qui s’est détourné, qui est là encore
quand il sourit sans plus récriminer,
celui qui s’encourage par des billevesées
à défaut de mieux,
celui qui hurle parce qu’il ne sait plus dire,
celui dont le cri s’est étranglé,
celui qui s’entrouvrait à la rumeur
qu’il n’entend plus,
celui-ci, le même,
sous différents jeux de physionomie,
dans la bonne direction décidément,
et qui atermoie, qui atermoie,
conserve-t-il de la bonté, je le voudrais.
André Frénaud, HÆRES, Gallimard, 1982, p. 253.
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01/05/2017
Fernando Pessoa, Le violon enchanté, écrits anglais
Le Pont
Répands sur moi comme rosée
Des baisers, et ce sera le matin
À travers mon esprit émergeant du sommeil.
Mon chef courbé, grisonnant, orne-le
De laurier, que je puisse apercevoir
Mon ombre couronnée et sourire même l’âme endeuillée.
Bien que mon chef soit incliné,
Tes pieds, chaussés d’espoir,
Passent et son éloquents
En ce sens qu’ils n’ont pas de cesse.
Quelque part dans l’herbe ils se mêlent
À cette part de moi qui est en quête de vérité.
Soyons amants, oh oui !
Par-delà toute concorde charnelle,
Amants dans un style nouveau
Qui n’a besoin de mots ni de regards.
Ainsi abstrait, notre amour peut
N’étant pas nôtre, n’être qu’une vague brise d’Être Pur.
Fernando Pessoa, Le violon enchanté, écrits anglais, Christian Bourgois, 1992, p. 197.
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30/04/2017
Jacques Prévert, Paroles
Le droit chemin
À chaque kilomètre
chaque année
des vieillards au front borné
indiquent aux enfants la route
d’un geste de ciment armé.
Le grand homme
Chez un tailleur de pierre
où je l’ai rencontré
il faisait prendre ses mesures
pour la postérité.
La bouette ou les grandes inventions
Le paon fait la roue
le hasard fait le reste
Dieu s’assoit dedans
et l’homme la pousse.
La cène
Ils sont à table
Ils ne mangent pas
Ils ne sont pas dans leur assiette
Et leur assiette se tient toute droite
Verticalement derrière leur tête
Jacques Prévert, Paroles, Gallimard,
1949, p. 189-192.
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29/04/2017
Peter Gizzi, Chansons du seuil
Micro explosion
Juste une petite chanson avec un soupçon de méchanceté.
Un micro chardon sous la ceinture.
C’est ça, tu vois,
ce pincement au sein du céruléen fabuleux.
Ne t’enfuis pas. Tourne-toi vers l’intérieur
à l’aide de ta maigre force.
C’est le plus constant qui gagne l’aventure.
Ce crieur de loto. Ce pont des soupirs.
Et maintenant que tu es là sois brave.
Vis tous azimuts.
Peter Gizzi, Chansons du seuil, traduit par
Stéphane Bouquet, Corti, 2017, p. 44.
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28/04/2017
Victor Martinez, Carnets du muet
Le poème, c’est une émeute.
Il faut arracher à la langue son bien, plus grand que la signification.
Le contact est toujours nouveau, à tel point que répétition accroît l’état de la fraicheur.
Contrains tes yeux à ne pas savoir ce qu’ils voient.
Si un mot ne sert pas à mettre à distance les choses, il ne sertà rien.
Victor Martinez, Carnets du muet, fissile, 2016, np.
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Le 7 mai de la patrie et du patron ?
Non, la littérature n’est pas au centre de mes préoccupations jusqu’au 7 mai. Je lis des prises de position d’écrivains qui laissent perplexes ; résumons : les espoirs nés pour eux avec la candidature de Mélenchon ont été déçus, donc ils n’ont pas à choisir entre les deux candidats à l’élection présidentielle. Je ne discuterai pas, c’est maintenant inutile, le programme nationaliste de Mélenchon, mais ceux/celles qui refusent de voter pour Macron le 7 mai ont-ils lu le programme de Le Pen ? l’ont-ils comparé à celui de Macron ? J’en doute, puisqu’ils s’obstinent à prétendre que l’un et l’autre sont des ennemis, d’une nature différente mais des ennemis. J’ai l’impression désagréable d’un retour en arrière et j’entends encore le communiste Duclos en 1969 appeler à l’abstention sur le thème « c’est bonnet blanc et blanc bonnet », à propos de Pompidou et Poher qui s’opposaient alors au second tour de la présidentielle.
Où sommes-nous donc ? Je n’ai pas connu une telle confusion en 2002 (y compris de la part de Mélenchon), Chirac était-il alors moins « le candidat des patrons » que Macron ? L’abstention ne fera peut-être pas de Le Pen une élue — mais rien n’est gagné d’avance —, mais elle obtiendra alors un pourcentage beaucoup plus élevé qu’elle ne le devrait, c’est-à-dire que l’élection sera pour les nationalistes de droite un tremplin pour les élections législatives. Réduire le plus possible le pourcentage des voix, c’est commencer à lutter efficacement contre un parti xénophobe, obscurantiste, tourné vers le passé. Il faut bien commencer et cela, ce n’est pas approuver le programme de Macron, c’est de manière positive commencer à lutter pour qu’un cadre, la république telle qu’elle est, continue à exister : cadre qui permet les luttes, politiques et syndicales.
Je suis gêné d’avoir à écrire de telles évidences.
Publié sur Sitaudis le 27 mai 2017.
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26/04/2017
Franz Kafka, Lettres à Felice
20/08/1913 [à Felice]
(…) Je répugne absolument à parler. Du reste ce que je dis est faux à mon sens. À mes yeux la parole ôte à tout ce que je dis importance et sérieux. Il me semble qu’il ne peut en être autrement, étant donné que mille choses et mille pressions extérieures ne cessent d’influencer le discours. Je suis donc taciturne non seulement par nécessité, mais aussi par conviction. L’écriture est la seule forme d’expression qui me convienne, et elle le restera même quand nous serons ensemble.
Franz Kafka, Lettres à Felice, II, traduction Marthe Robert, Gallimard, 1972, p. 511.
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25/04/2017
Étienne Faure, Poèmes d'appartement
De ses nuits à deux corps dans un lit il garde
le réflexe de dormir sur le bord, non pas au centre,
en souvenir de l’autre qui pourrait resurgir,
se lover contre lui, demander asile
un soir de neige à pas feutré traverser la chambre
où le rêve et sa ligne de flottaison persistent
au plus rêche de l’entrée en matière — y a quelqu’un ?
Revient l’épais silence, voix tranchante il répète.
Y a personne.
Comme aux frontières de l’Europe hier
— quelque chose, rien, tout à déclarer —
il écrit, se relève la nuit pour écrire
ce qui pourrait devenir une lettre
sur du papier, juste avant la
Dématérialisation des amours
Et des déclarations qui vont avec
(âmes et hameaux où vivaient les amants qui traversent
à découvert la nuit).
à deux corps
Étienne Faure, Poèmes d’appartement, dans
Rehauts, n° 39, mars 2017, p. 48.
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24/04/2017
Giorgio de Chirico, Poèmes
Épode
— Reviens toi ô ma première félicité
la joie habite d’étranges cités
de nouvelles magies sont tombées sur la terre.
Ville des rêves non rêvés
que des démons bâtirent avec une sainte patience
c’est toi que, fidèle, je chanterai.
Un jour je serai aussi un homme-statue
époux veuf sur le sarcophage étrusque
ce jour-là en ta grande étreinte de pierre
ô ville, serre-moi, maternelle.
Giorgio de Chirico, Poèmes, traduits par
Jean-Charles Vegliante, Solin, 1981, p. 41.
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