27/03/2020
Italo Svevo, Écrits intimes
Aujourd’hui, je suis passé devant la fenêtre d’un rez-de-chaussée. IL y avait un chat qi regardait la ville avec l’attention objective et indifférente qui est la qualité de ce petit félin au repos. Ce chat me donna envie de rire. Blanc et jaune, il avait autour du nez une tache plus sombre, qui était peut-être causée par de la saleté, ce qui lui conférait une apparence de dédain. Ce petit nez semblait se tordre de dégoût. Mais un animal à ce point inerte ne doit pas exprimer un tel dégoût. Je lui dis : « Stupide animal ! »
Il me regarda et ne donna pas d’autre réponse. Mais il n’aurait pas eu besoin d’autre chose, parce qu’avec ce geste, il avait concentré sur moi tout cet ennui qu’il avait manifesté au quartier tout entier.
Mais, derrière lui, se dressa la petite tête d’un enfant de douze ans et, de sa fenêtre sombre, il me retourna mon insulte : « C’est toi qui es stupide, et pas ma bête. »
Et j’aimai cet enfant, qui protégeait son chat.
Italo Svevo, Écrits intimes, traduction Mario Fusco, Gallimard, 1973, p. 115.
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01/01/2018
René de Obaldia, Innocentines
Dimanche
Charlotte
Fait de la compote
Bertrand
Suce des harengs
Cunégonde
Se teint en blonde
Épaminondas
Cire ses godasses
Thérèse
Souffle sur la braise
Léon
Peint des potirons
Brigitte
S’agite, s’agite
Adhémar
Dit qu’il en a marre
La pendule
Fabrique des virgules
Er moi dans tout cha ?
Et moi dans tout cha ?
Moi, ze ne bouge pas
Sur ma langue z’ai un chat
René de Obaldia, Innocentines,
Grasset, 1969, p. 81-82.
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31/05/2017
Karel Čapek, Lettres à Véra
Prague, le 30/1/1924
Madame Věra,
À vrai dire, j'ai voulu adresser cette lettre à votre membre inférieur malade mais il ne me semblait pas opportun de commencer ma lettre par "Madame la Jambe" ou bien par "Membre très estimé", je dois donc renoncer à mon intention d'entamer un dialogue avec ladite partie de votre corps. Maintenant, je tiens à vous féliciter pour votre résurrection et à exprimer en même temps ma profonde surprise face à la source mystérieuse de l'intoxication de votre jambe. Peut-être qu'un serpent, déguisé en cheville de bois dans votre soulier, a choisi votre talon pour cible. Vous avez bien fait d'avoir enduit sa tête ; il ne faut jamais se laisser faire. — J'ai oublié de vous signaler que, récemment, mon chat Vasek avait fini ses jours remplis d'espoir ; lui aussi avait été empoisonné. Pour le remplacer, le bon Dieu des chats m'a envoyé une chatte errante qui, d'après certains signes, semble enceinte. Ne savez-vous pas ce qu'on est censé faire de ses petits ? Ma bonne affirme que les noyer porte malheur ; je ne voudrais pas être malheureux, surtout pas en hiver.
Karel Čapek, Lettres à Věra, traduction Martin Daneš, éditions Cambourakis, 2016.
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19/03/2016
Sanda Voïca, Épopopoèmémés
Ouvre les yeux
Ouvre les yeux pour — je ne sais plus : c’était hier déjà
Et je me cache de plus en plus vite les raisons d’ouvrir les yeux
Ouvre les yeux — on me disait hier matin, entre sommeil et réveil.
Ouvre le tiroir et regarde, surtout : on me le disait. Qui donc ?
Et j’ai ouvert un large tiroir plein de livres, où le premier à voir et à ouvrir,
[posé couché à côté de quelques autres.
C’était mon livre : un livre que je reconnaissais sans reconnaître —
Je l’avais écrit moi, en effet, mais sa couverture bleu-blanchâtre était inédite.
Et ce n’est pas un rêve : l’interprétation d’un rêve, peut-être, mais en direct,
devant mes yeux ouverts, devant ce tiroir ouvert, et surtout dans ma vie
toujours ouverte, béante.
Je n’ai pas fini mon poème hier — le poème du jour s’arrête ici — écrit
aujourd’hui, mais c’est le poème d’hier. D’hier matin.
Le 13e en rang, le 13e diffus, le 13e en cours d’empoisonner les autres.
Celui d’aujourd’hui surtout.
Le 14edéjà commencé sur le papier — pas encore tapé : en retard de mes
poèmes.
J'ouvre une autre page word, ici.
J’ouvre. Et je ferme aussi celui-ci.
Fermeture-éclair : comme celui d’un sac de couchage, pour un camping à jamais
ajourné, mais dont profite mon chat :
Je lui ai fait prendre un bain, et pour qu’il ne s’enrhume pas, je l’ai mis dedans,
bébé sage, soulagé de sa crasse tignasse,
il ose à peine sortir son nez.
Cette fois je ferme la boutique, le numéro 14 m’attend.
Comme une femme dans un bordel, qui est attendue. Au boulot !
Sanda Voïca, Épopopoèmémés, éditions Impeccables, 2015, p. 66-67.
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19/02/2016
Thilo Krause, À la lisère du sommeil
Poème
...ed è subito sera
Salvatore Quasimodo
Remontant de la cave en frissonnant
je regardai droit
dans les yeux d’un chat.
Sans trouver
de réplique je trébuchai, pris d’un léger vertige
dans le gouffre d’une des pupilles
je tombais et
tombais et ne me rattrapai que lorsqu’une porte s’ouvrit
que le soleil se déploya d’un mur à l’autre.
Déjà le soir était là.
Gedicht
...ed è subito sera
Salvatore Quasimodo
Als ich fröstelnd aus dem Keller kam
blickte ich geradewegs
in die Augen einer Katze.
Ich wusste nichts
zu erwidern, stolperte von leichtem Schwindel gepackt
in den Brunnenschacht der einen Pupille.
Ich fiel und
fiel und fing mich erst, als eine Tür aufging
als Sonne sich spannte von Wand zu Wand.
Schon war es Abend.
Thilo Krause, À la lisère du sommeil, traduit de l’allemand par Eva Antonnikov, dans La revue de belles-lettres, 2015, 2, Lausanne, p. 41 et 40.
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06/07/2014
Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres complètes II
Haïkaïs
L'aube — Chante l'alouette. —
Le ciel est un miroir d'argent
Qui reflète des violettes.
Le soleil en feu tombe dans la mer ;
des étincelles :
Les étoiles !!
Oh ! la pleine lune sur le cimetière.—
Noirs les ifs — Blanches les tombes —
Mais en dessous ?...
Les yeux du Chat :
Deux lunes jumelles
Dans la nuit.
La nuit. — L'ombre du grand noyer
est une tache d'encre aplatie
au velours bleu du ciel.
Vie d'un instant...
J'ai vu s'éteindre dans la nuit
L'éternité d'une étoile.
La cathédrale dans les brumes :
Un sphinx à deux têtes, accroupi
dans une jungle de rêve.
J'ai vu en songe
Des splendeurs exotiques de soleil
Matin gris. — Le ciel est une chape de plomb.
Morte la Déesse,
dansons en rond !!
Mais, mes rêves aussi sont morts...
Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres complètes II,
édition établie par Jean Bollery, avant-propos
de Pierre Minet, Gallimard, 1977, p. 127-128.
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22/05/2013
Constantin Cavafy, Œuvres poétiques
Maison avec jardin
Je voudrais une maison à la campagne
Avec un grand jardin, moins
Pour les fleurs, les arbres, la verdure
(S'il y en a, tant mieux, c'est superbe)
Que pour avoir des bêtes. Ah ! Je voudrais des bêtes !
Au moins sept chats, deux complètement noirs
Et deux blancs comme la neige, pour le contraste ;
Un grave perroquet que j'écouterais
Bavarder avec emphase et conviction.
Les chiens, trois suffiraient, je pense.
Je voudrais encore deux chevaux (ce sont de bonnes bêtes),
Et sans faute trois ou quatre de ces merveilleux,
De ces sympathiques animaux, les ânes,
Qui resteraient là sans rien faire, à jouir de leur bien-être.
Constantin Cavafy, Œuvres poétiques, traduction Socrate C. Zervor et Patricia Portier, Imprimerie Nationale, 1992, np.
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17/04/2013
Frédéric Wandelère, La Compagnie capricieuse
La sauterelle
Chaque automne la même sauterelle
Des jardins saute le mur et la route
Pour se retrouver chez elle chez moi.
Patiente à ma fenêtre, sans doute,
Elle trouverait le moyen d'entrer,
Moi celui de la reprendre, le soir,
Car je l'invite, mettons, à dîner
D'herbe et de feuillage sur un mouchoir
Papillon
Même ses ailes au bout du compte
Lui pèsent quand je le relève
De mes mains. La route s'enlève
Pour notre convoi, et je monte
*
Je ne sais vraiment pas pourquoi
Je n'ai plus de fourmis chez moi ;
Les escargots c'est par erreur
Qu'ils voyagent parmi les fleurs.
Le soir, les papillons
Tournent dans la maison.
Le chien dort, les chats rodent
La nuit près d'Anne-Claude.
Feu le chat
Il est mort depuis si longtemps.
Son fantôme a pris place non
Loin de nous dans notre maison
Et le silence comme avant
Frédéric Wandelère, La Compagnie capricieuse,
La Dogana, 2012, p. 14, 15, 16, 18.
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19/05/2012
Marcel Jouhandeau, Correspondance avec Jean Paulhan
Depuis trois mois, une chatte mendiante se terrait à notre porte du côté du jardin du matin au soir. Sans doute, une abandonnée. Après les repas, ma mère lui apportait nos restes, mais je sentais que pour la pauvre bête, c'était moins de nos restes qu'elle avait faim que de notre intimité. Chaque fois qu'on entrouvrait la porte en effet, elle regardait l'avenue de cette cuisine où il devait y avoir du feu et une bonne odeur avec un geste si naïf et si éloquent d'envie et d'impatience, mais ma mère ne sachant pas d'où la bête venait, ne voulait pas la laisser pénétrer chez elle. Hier, j'ai obtenu qu'on l'adoptât et elle s'est précipitée à l'intérieur de son rêve comme d'un Paradis et elle s'y pavane maintenant, ivre de bonheur. Sans bassesse, elle est en admiration devant toute chose et ne cesse de nous remercier en se serrant tour à tour contre les jambes de ma mère et contre les miennes. Je la prends sur mes genoux, quand elle n'ose même pas monter sur une chaise. Son humilité et sa discrétion me ravissent. Je me plais à la combler et je ne saurais dire ce que cette présence du « bonheur » me fait du bien. C'est une chatte de l'espèce la plus commune, mais distinguée, à la robe blanche et manteau de deuil ; son petit museau plus blanc que le reste, sous deux bandeaux noirs très réguliers où s'enchâssent les yeux verts. J'aime surtout quand à demi assise elle vire sur elle-même comme aidée par une aile invisible sur deux pattes de devant longtemps levées, telles deux menottes, sans qu'elle paraisse avoir besoin de les reposer sur le plancher pour garder l'équilibre, avec des grâces de kangourou. On dirait qu'elle sait beaucoup plus qu'une autre, qu'elle sait beaucoup mieux le prix de la moindre joie. La misère et la souffrance lui ont donné une âme et cette science.
Marcel Jouhandeau, dans Marcel Jouhandeau, Jean Paulhan, Correspondance, 1921-1968, édition établie, annotée et préfacée par Jacques Roussillat, Gallimard, 2012, 11 février 1931, p. 114-115.
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