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20/12/2021

Sergueï Essenine, Journal d'un poète

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Ne m’en veuillez pas, c’est ainsi !

Je ne barguignerai pas avec les mots :

elle est alourdie, affaissée,

ma jolie tête dorée.

 

Ne plus aimer la ville, ni mon village

comment le souffrirai-je ?

Je largue tout. Me laisse pousser la barbe.

Et je vais bourlinguer en Russie.

 

J’oublierai livres et poèmes,

j’irai le ballot sur l’épaule

— au noceur dans la steppe, on le sait,

le vent fait fête comme à nul autre.

 

Je puerai le raifort et l’oignon.

Et troublant la torpeur du soir

me moucherai bruyamment dans les doigts.

Partout je ferai l’idiot.

 

Je ne réclame d’autre bonheur

que de me perdre dans le blizzard ;

car sans ces extravagances

je ne puis vivre sur terre.

 

Sergueï Essenine, Journal d’un poète, traduction

Christiane Pighetti, éditions de la Différence, 2014, p. 91.

29/12/2020

Serguei Essenine, Journal d'un poète

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Caravelles-haridelles

 

                I

 

Si le loup hurle à l’étoile, c’est

que les mers ont englouti le ciel.

Haridelles éventrées,

noires voilures des corbeaux.

 

Des hoquets nauséabonds du blizzard

l’azur ne sortira pas ses serres ; il plane

sur un jardin de crânes jonché d’aiguilles d’or,

sous le hennissement des tempêtes.

 

Entendez-vous ? entendez-vous ce cliquetis ?

Ce sont les râteaux de l’aube dans les bosquets.

Avec des rames de mains coupées

vous souquez vers le futur.

 

Voguez, voguez vers les hauteurs !

De l’arc-en-ciel craillez corneilles !

L’heure vient où la feuillée jaune de ma tête

va se muer en arbre blanc.

(...)

 

Serguei Essenine, Journal d’un poète, traduction

Christiane Pighetti, éditions de la Différence,

2014, p. 183.

27/07/2020

Serguei Essenine, Journal d'un poète

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Première neige

 

En route. Silence blanc.

Sous les sabots sonne un galop.

Dans les prés seuls batifolent

des volées de corbeaux gris.

 

Envoûtée par quelque fée

la forêt somnole en rêvant.

Ne dirait-on pas le sapin

natté de tresse blanche.

 

Courbé comme une petite vieille

appuyée sur un bâton.

À la cime du houppier

un pivert martèle le tronc.

 

Le cheval caracole — vaste, l'espace !

La neige étale son châle de flocons.

Sans fin, la route fuit

comme un ruban à l'infini.

                                                             (1914)

 

Sergueï Essenine, Journal d'un poète, traduit

du russe, présenté et annoté par Christiane

Pighetti, éditions de la Différence, 2014, p. 49.

22/03/2019

Sergueï Essenine, Journal d'un poète

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Heureux qui par un frais automne

largue son âme comme pomme au vent

et contemple le soc du soleil

fendre l’eau bleue de la rivière.

 

Heureux qui extrait de sa chair

l’incandescent clou des poèmes,

et revêt le blanc vêtement de fête

en attendant que l’hôte frappe.

 

Apprends, mon âme, apprends à garder

au fond des yeux la fleur de merisier ;

Avares sont les sens à s’échauffer

quand du flanc coule un filet d’eau.

 

Les étoiles carillonnent en silence

 telle la bougie à l’aube, telle la feuille blanche.

Nul n’entrera dans la chambre haute,

je n’ouvrirai la porte à personne.

 

Sergueï Essenine, Journal d’un poète, traduction

Christiane Pighetti, La Différence, 2014, p. 77.

19/02/2018

Sergueï Essenine, Journal d'un poète

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Caravelles haridelles

 

4.

Bêtes, venez à moi ! venez bêtes farouches

épancher toute haine dans la coupe de mes mains !

Il est grand temps que la lune là-haut

cesse enfin de laper les nuages.

 

Sœurs chiennes, frères chiens,

traqué comme vous parmi les hommes

qu’ai-je à faire de caravelles haridelels

ou des voilures de corbeaux.

 

Si la faim suintant de murs en ruine

vient à s’agripper à ma chevelure,

je mangerai la moitié de ma jambe

et vous offrirai l’autre en pâture.

 

Je n’irai nulle part avec les gens,

mieux vaut crever ensemble, avec vous

que de ma terre aimée ramasser une pierre

pour la lancer sur mon fou de prochain.

 

Sergueï Essenine, Journal d’un poète, traduction du

russe Christiane Pighetti, éditions de la Différence,

2014, p. 187.

28/12/2017

Sergueï Essenine, Journal d'un poète

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Ne m’en veuillez pas, c’est ainsi !

je ne barguignerai pas avec les mots :

elle est alourdie, affaissée,

ma jolie tête dorée.

 

Ne plus aimer ni la ville, ni mon village

comment le souffrirais-je ?

Je largue tout. Me laisse pousser la barbe.

Et je vais bourlinguer en Russie.

 

J’oublierai livres et poèmes,

j’irai le ballot sur l’épaule

— au noceur dans la steppe, on le sait,

le vent fait fête comme à nul autre.

 

Je puerai le raifort et l’oignon.

Et troublant la torpeur du soir

me moucherai bruyamment dans les doigts.

Partout je ferai l’idiot.

 

Je ne réclame d’autre bonheur

que de me perdre dans le blizzard :

car sans ces extravagances

je ne puis vivre sur terre.

 

Sergueï Essenine, Journal d’un poète, traduction

du russe Christiane Pighetti, éditions de la

Différence, 2014, p. 91.

08/01/2015

Sergueï Essenine, Journal d'un poète

 

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Violon tzigane, la tempête gémit.

Fillette gentillette au sourire fielleux

me laisserai-je intimider par ton regard bleu ?

Il me faut beaucoup, beaucoup m'est superflu.

 

Si loin, si dissemblables en somme :

tu es jeune, moi j'ai tout vécu.

Aux jeunes le bonheur, à moi la mémoire seule :

Nuit de neige, étreinte fougueuse.

 

Câliné ? non. La tempête est mon violon.

Un sourire de toi lève la tempête en moi.

 

                                           4-5 octobre 1925

 

 

Sergueï Essenine, Journal d'un poète, Éditions

de la Différence, 2014, p. 161.

 

06/01/2015

Sergueï Essenine, Journal d'un poète

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Première neige

 

En route. Silence blanc.

Sous les sabots sonne un galop.

Dans les prés seuls batifolent

des volées de corbeaux gris.

 

Envoûtée par quelque fée

la forêt somnole en rêvant.

e dirait-on pas le sapin

natté de tresse blanche.

 

Courbé comme une petite vieille

appuyée sur un bâton.

À la cime du houppier

un pivert martèle le tronc.

 

Le cheval caracole — vaste, l'espace !

La neige étale son châle de flocons.

Sans fin, la route fuit

comme un ruban à l'infini.

                                                             (1914)

 

Sergueï Essenine, Journal d'un poète, traduit

du russe, présenté et annoté par Christiane

Pighetti, éditions de la Différence, 2014, p. 49.

 

 

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