15/03/2018
Francis Ponge, L'Atelier contemporain
Braque
[…] Lorsqu’on entre dans l’atelier de Braque, c’est vraiment, qu’on m’en croie, comme chez un de ces mécaniciens de village, auxquels bien des automobilistes ont eu à faire, qui s’en sont généralement bien trouvés.
Plusieurs voitures déjà sont au fond, immobiles pour l’instant encore. L’homme va posément de l’une à l’autre, selon l’urgence et le bon emploi de son temps.
Il ne s’agit, bien évidemment, ni de virtuosité, ni de délectation. Il ne s’agit que de les remettre en route, avec les moyens du bord, souvent réduits.
C’est alors qu’un esprit inventif se montre, inventif mais rien moins que maniaque et sans nulle inclination au système. Jamais il ne s’agit que de cas d’espèce. Et tout, bien sûr, commence à chaque fois par une émotion. Mais aussitôt… « J’aime, dit Braque dès 1917, la règle qui corrige l’émotion. »
Francis Ponge, L’Atelier contemporain, dans Œuvres complètes, II, Pléiade / Gallimard, 2002, p. 587.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : francis ponge, l’atelier contemporain, braque, invention | Facebook |
14/03/2018
Ceija Sojka, Nous vivons cachés, Récits d'une Romni à travers le siècle
[Les camps]
J’en rêve tout le temps. Des barbelés, des gémissements, des cris des gens. Des cauchemars. […] Parfois, quand j’ouvre les yeux le matin, mon Dieu, j’ai encore l’odeur des crémations dans le nez. Oui, les rêves, ils viennent tout seuls, sans rien faire, et on ne peut pas les balayer comme ça : j’ai juste rêvé. Je l'ai vraiment vécu, moi, et avec une peur bleue, chaque jour. Chaque jour là-dedans, c’était comme un an, chaque heure durait une éternité. Souvent on se demandait : où sont les gens tout autour ? Est-ce que l’Autriche, elle n’existe plus ? il n’y a plus que nous, et tout le reste, ça n’existe plus ?
Et aussi après 1945, c’était très dur. On a échappé et maintenant tu arrives dans la ville, avec des gens qui ne savent rien de tout ça. Cette personne ne sait même pas ce que je ressens, ce que j’ai enduré, où j’étais. C’est pas facile. Mais il faut quand même se mettre debout, sinon tu dépéris, il faut quand même vivre. Donc il faut faire face à la vérité. Ça a eu lieu. Dieu soit loué, tu as encore tes pieds, tes mains, tu sais penser. Et — on travaille, on vit, on fait ce qu’on a à faire chaque jour ; Auschwitz ou Ravensbrück ou Bergen-Belsen, c’est toujours là.
Ceija Stojka, Nous vivons cachés, Récits d’une Romni à travers le siècle, isabelle sauvage, 2018, p. 181.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ceija stojka, nous vivons cachés, récits d’une romni à travers le siècle, camp, cauchemar, auschwitz, ravensbrück, bergen-belsen | Facebook |
13/03/2018
Joseph Joubert, Carnets, I
On aime qu’une fois, disent les chansons : c’est-à-dire qu’il n’y a qu’un seul âge qui soit véritablement propre à l’amour.
Entendez-vous ceux qui se taisent ?
Par le souvenir, on remonte le temps, par l’oubli on en suit le cours.
Nous sommes, dans le monde, ce que sont les mots dans un livre. Chaque génération en est comme une ligne, une phrase.
C’est ici le désert. Dans ce silence, tout me parle : et dans votre bruit tout se tait.
Joseph Joubert, Carnets, I, Gallimard, 1994, p. 110, 130, 135, 139, 155.
Le retour
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : joseph joubert, carnets, i, aimer, souvenir, oubli, mot, désert | Facebook |
12/03/2018
Jean Daive, 1, 2, de la série non aperçue
Mort jusqu’au cri poussé
dans la matière
si je regarde
parmi les meubles
du jugement
la tombe externe.
Jean Daive, 1, 2, de la série non
aperçue, textes/Flammarion,
1976, p. 63.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean daive, 1, 2, de la série non aperçue, tombe, cri, matière | Facebook |
11/03/2018
Rose Ausländer, Pays maternel
Seule
Je vis solitaire
Avec le chant
Mes questions
Demeurent toutes inachevées
Le cel répond
Non
Oui
Je ne sais
Où la fin commence
Et le début s’achève
Rose Ausländer, Pays maternel, traduction
Edmond Verroul, Héeos-Limite, 2015, p. 18.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rose ausländer, pays maternel, solitude, question | Facebook |
10/03/2018
Marina Tsevetaeva, La diable et autres récits
Ma mère et la musique
Lorsqu'au lieu d'Alexandre, le fils désiré, réclamé, presque commandé au destin, vint au monde une fille, moi, rien que moi, ma mère avala un soupir avec dignité et dit : « Du moins, elle sera musicienne ». Et lorsque le premier mot manifestement absurde mais tout à fait distinct que je prononçais avant d'avoir un an fut "gamme", ma mère se contenta de réaffirmer : « je le savais bien » et entreprit aussitôt de m'apprendre la musique, me clamant sans cesse cette gamme : « Do, Moussia, et ça c'est ré, do-ré... ». Ce do-ré se transforma bientôt pour moi en un livre énorme, la moitié de ma propre taille, un "rivre" comme je disais alors, son "rivre" à elle, avec un couvercle sous le mauve duquel l'or perçait avec une force si effroyable, que jusqu'à présent j'en ressens en un coin secret, le coin d'ondine de mon cœur, la chaleur et l'effroi, comme si, ayant fondu, cet or sombre se fut déposé tout au fond de mon cœur et que de là, il s'élevât au moindre contact pour m'inonder tout entière jusqu'au bord des paupières et m'arracher des larmes brûlantes.
Marina Tsvétaeva, Le diable et autres récits, traduction et postface de Véronique Lossky, L'âge d'homme, 1979, p. 65.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marina tsvétaeva, le diable et autres récits, musicienne, ondine, larme | Facebook |
09/03/2018
Christophe Manon, Au nord du futur
Nous n’étions rien qui
pourrait dire le sol fumant les neiges écarlates l’air
ocreux ni tout à fait serein l’odeur
noire des rêves éparpillés doucement nos mains
doucement frôlaient les hémisphères et aucun temps aucun
nom volontaires aux silences si étroits comme si
les murs les muscles les
syllabes comme si nous avions soudain choisi
quel froid circule dans les vertèbres quelle
lumière soudain branlante où nous marchions plus vieux et pourtant et de vies
si nombreuses éphémères et pourtant pourtant si bien dressés les uns
contre les autres reste
que nous prenions nos rires pour de l’acide de minces filets
d’orgueil à nos squelettes
pendus.
Christophe Manon, Au nord du futur, NOUS, 2016, p. 11.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christophe manon, au nord du futur, rêve, lumière, rire | Facebook |
08/03/2018
Paul de Roux, Les intermittences du jour, Carnets 1984-1985
Hier, dimanche, la foule tout au long des rivages, se pressant sur les plages. Je ne saisis pas du tout pourquoi elle me blesse à ce point, la nature de la blessure. Je ressens l’ébranlement (je le ressens encore ce matin). Je me suis demandé si à toutes les raisons qui viennent à l’esprit ne s’ajoute pas une explication d’ordre simplement biologique. Dans la nature, la foule est un monstre, un non-sens. Elle n’est pas viable. (Ou alors c’est la nature telle quelle qui n’est plus viable : il y a incompatibilité entre les deux économies. À dire vrai, il n’y a pas d’économie possible de la foule dans la nature — d’où ce malaise « biologique ». La foule ne peut être qu’urbaine.)
Paul de Roux, L’es intermittences du jour, Carnets 1984-1985, Le temps qu’il fait, 1989, p. 53.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul de roux, l’es intermittences du jour, carnets 1984-1985, foule, plage, nature | Facebook |
07/03/2018
Valérie Rouzeau, Quand je me deux
Carotte
C’est toto biographique l’âne dans essentiellement
Ça dit je parce que c’est ainsi quand tu parles
Que longtemps tut ‘es couché de bonne heure longtemps
Tu es le ténébreux le veuf l’inconsolé
Tu inventas la couleur des voyelles l’i rouge
Et tu penses donc tu es et puis voici ton cœur
Plein de larmes il ne faut pas secouer
Tu accuses dans l(Aurore tu as fait un grand rêve
Très haut amour s’il se peut que tu meures
Toi délaissé comme le vent te révèle
Tu devras t’expliquer avec les étoiles oui
Tes oreilles elles sont bien à toi
Puis tes chiffres ne sont pas faux
Tu écrivais dans un grenier où la neige…
Demain dès l’aube demain tu partiras
Tu te souviens
Tu entendis sonner les trompettes d’artillerie
Tu commences ton très triste dit
Pour avancer sans potager je me tire
La carotte ce sont les vers du nez
C’est toto biographique l’âne dans l’enraciné
Pissent mes feuilles ne pas trop faner
Valérie Rouzeau, Quand je me deux, Le temps qu’il fait, 2009, p. 92-93.
Annonce d'une revue amie
La Revue Nu(e)
Fondée par Béatrice Bonhomme et Hervé Bosio en 1994, la revue NU(e) a publié 66 numéros sur la poésie contemporaine. Chaque numéro, véritable dossier de recherche consacré à un poète particulier, comprend un entretien, des textes de création inédits, des articles critiques, des interventions plastiques et une bibliographie exhaustive. La couverture de la revue a été dessinée par la plasticienne Sonia Guerin.
La revue NU(e) frappe d’abord par ses couleurs (le bleu de la méditerranée qui s’est ensuite décliné dans les couleurs de l’arc-en-ciel) et par son titre qui marque une volonté d'aller vers la nudité, le dénuement, le dépouillement. Le (e) permet aussi de souligner la présence trop souvent négligée de la femme dans la poésie contemporaine. NU(e) est également l'anagramme de une, à la fois singularité et convergence. C’est ainsi que NU(e) défend une parole de liberté contre toute caste, cénacle, chapelle, obédience, mot d'ordre. Elle refuse de limiter la poésie à des débats dépassés. NU(e) veut lutter contre le sectarisme pour accueillir la différence, les diversités. Elle voudrait faire entendre une polyphonie plutôt qu'une polyphobie, des résultats d'écriture plutôt que des diktats théoriques, des chocs de styles plutôt qu'un ton unanime. NU(e) est parole laissée aux « mineurs » et minoritaires de la poésie, mais inversement occasion, pour les « grands auteurs », de s’exprimer en confiance. La revue a ainsi créé un style qui permet, d’un numéro à l’autre, au fur et à mesure, de faire apparaître un véritable panorama de la poésie contemporaine, et cela sans exclusion, dans un souci de partage. Elle recueille ainsi des approches différentes qu’elle fait se croiser, se rencontrer, se mêler, se tutoyer, passant d’une voix à l’autre, dans une volonté de décloisonnement. Son rôle d’ouverture permet qu’elle soit présente dans une relation à d’autres cultures et à d’autres langues. Elle est donc un lieu de fertilité, un lieu d’expérimentation, un lieu de découverte, et participe à la lisibilité d’auteurs connus ou non.
Accordant également une place importante aux arts plastiques et travaillant en collaboration avec des peintres, des graveurs ou des photographes, NU(e) possède une vocation de découverte et joue le rôle d’un laboratoire. Elle constitue un lieu d’artisanat et d’amitié, au sens où l’entend Blanchot, c’est-à-dire « rapport sans dépendance » où entre « toute la simplicité de la vie ». Cette amitié passe par la « reconnaissance de l’étrangeté commune », selon « le mouvement de l’entente ». S’en remettant à Kenneth White : « Éduquez-vous en nudité. Orphée était nu sur une pierre », NU(e) souhaite marquer sa volonté d’aller vers la nudité, vers l’essentiel, tout en privilégiant une sobriété exigeante.
Après 24 ans de publication papier, la revue souhaite passer au numérique pour être encore plus accessible en proposant gratuitement les nouveaux numéros qui paraîtront désormais en ligne. Florence Trocmé, ayant accepté de l’accueillir sur son site, NU(e) continuera, sous cette nouvelle forme à paraître 3 fois par an.
La liste des anciens numéros, ainsi que tous les sommaires et quelques extraits, resteront accessibles sur le site de la revue NU(e) : revue-nue.org. Les numéros papier toujours disponibles pourront être commandés sur paypal ou par courrier à l’adresse de la Revue, 29 avenue Primerose, Nice 06000.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : valérie rouzeau, quand je me deux, citation, poète | Facebook |
06/03/2018
Christian Prigent, Merde pour ce mot
Merde pour ce mot par Christian Prigent
Journal, 2 mars 2018
L’Humanité est mon journal, j’ai dit ailleurs pourquoi. Cet amour, parfois, est déçu. Hier : pages « poésie » (le Printemps s’amène, des becs gorgés de vers vont cuicuiter dans les librairies, centres d’art, théâtres, maisons de poésies…). Fronton : « La poésie ? Un arc-en-ciel qui se lève à minuit ». Ça commence fort. Plus fort : « Muse, sa parole ailée déchire la nuit, la lumière filtre ». Toujours les cieux de convention, les yeux blancs, les mollets lyriques cambrés, « le cœur à l’écoute », le moi qui bave, le « chant du désir », la « fraîcheur du vent », maman Nature mon adorée, la chatouille sous les bras rhétoriques pour des exaltations sur-jouées. A côté, puisqu’il faut aussi au « Poète » (grand pet) « séquestrer les jougs contraires », les déplorations rituelles sur les espaces médiatiques « dramatiquement rétrécis », la misère marginalisée de la corporation (mais sa dignité dans ces déboires).
Où est le pire ? dans l’insignifiance paresseuse du poète chroniqué ? dans la logorrhée abrutie du chroniqueur (un « poète », lui aussi, forcément) ? En tout cas, dans le fourmillant petit monde poétique, rien n’a changé. Toujours les mêmes ignorances, les faiblesses de pensée, les narcissismes artistes, les formes abandonnées aux enchaînements réflexes, aux lieux communs, aux pires clichés, aux vieilleries métaphoriques recyclées sans scrupule. Le mot même de « poésie » s’étire là-dedans comme un chewing-gum mille fois remastiqué, délavé de tout goût, avec des petites bulles d’œuf peinturluré comme effet voulu bœuf. « Merde » pour lui, comme disait Ponge, s’il ne nomme que ça.
Que le Printemps des Poètes se nourrisse de ces déjections du temps est dans l’ordre des choses et n’a pas d’importance. Mais que L’Huma célèbre ces niaiseries réactionnaires me navre.
Texte publié sur Sitaudis le 5 mars 2018.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Prigent Christian | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christian prigent, merde pour ce mot, poésie, lyrisme | Facebook |
05/03/2018
Martial, Épigrammes
XII, 95
Tu peux lire des livres olé-olé,
Mais que ta nana soit à tes côtés,
Pour que tu n’ailles fleureter
Avec la Veuve Poignet
Et que tu ne deviennes, infâme,
Un mari sans femme !
Martial, Épigrammes, choisie et adaptées
du latin par Dominique Noguez, Arléa,
2006, p. 141.
Musée, en ses livres obscènes,
Rivalise avec ceux que lisait Sybaris
Tant ses pages de sel sont pleines.
Rufus, si tu lis ses écrits
Tout fragrants de saveur traîtresse,
Prends auprès de toi ta maîtresse,
Pour que ta vicieuse main,
Déshonorant le dieu d’Hymen
Par quelque trahison infâme,
Ne te fasse mari sans femme.
Martial, Épigrammes, traduction Jean Malaplate,
Poésie / Gallimard, 1992, p. 165.
Lis des bouquins surexcitants
Au sel cochon superbandant.
Mais prends bien soin que ta copine
Soit avec toi dessous la couette.
T’astique pas tout seul la pine :
Ce serait Poignet sans Poignette.
Martial, DCL épigrammes, recyclées par
Christian Prigent, P.O.L, 2014, p. 221-222.
Musseti pathicissimus libellos,
qui certant Sybariticis libellis,
et tinctas sale pruriente chartas
Instant lege Rufe ; sed puella
sit tecum tua, ne thalassionem
indiças manibus libidinosis
et fias sine femina maritus.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : martial, épigrammes, traduction, adaptation | Facebook |
04/03/2018
Alberto Giacometti, Écrits
Gris, brun, noir (Georges Braque)
Gris, brun, noir, feuilles, sables, vases : les grandes fleurs jaunes qui me regardent. Je me vois au milieu des tableaux, les regardant l’un et l’autre, passant du vase à la plage, au blé, à la bicyclette brillante, l’humidité du pré derrière les deux troncs d’arbres au bord de la route. Je sens l’asphalte, la poussière, l’étendue du pré et de la forêt, je suis sur la route passant à côté de cette bicyclette comme abandonnée dans le paysage et puis le banc sous les arbres à l’ombre fraiche. Je vois tout le jardin, je suis dans le jardin, j’entends les pas sur le gravier, les voix des autres qui sont là avec moi, qui vont et viennent, et, là-bas, il y a ce banc dans l’ombre fraiche qui m’attire.
Je regarde les fleurs. Il y a de vraies fleurs à côté du tableau, elles se ressemblent.
Alberto Giacometti, Écrits, Hermann, 1990, p. 68.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alberto giacometti, Écrits, gris, brun, noir (georges braque), jardin | Facebook |
03/03/2018
Max Ernst, Écritures
la paix
la guerre
et la rose
la paix : source fraiche et amère
la guerre : le général rit sous cape
au nez du pape
la rose : nulle rose ne pleure virginité.
Laicité
Ne pas confondre
le baiser de la fée
avec
la fessée de l’abbé.
Max Ernst, Écritures, Gallimard, 1970, p. 373-374.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : max ernst, Écritures, la paix la guerre et la rose, laïcité | Facebook |
02/03/2018
Pierre Chappuis, Dans la lumière sourde de ce jardin
Déversoir du temps
Orgues, non : ressassement brut.
Gravier, cailloux, sable s’engouffrant dans l’oreille — hoquetant, leur tri à longueur de journée —, délestés par une machinerie géanye, indifférente, indomptable.
Brinquebale ; éructe.
D’être secoué, véhiculé au gré de multiples stéréoducs, passé au crible, le jour lui-même se décolore, réduit en une poussière grise, en un brouhaha — des ribambelles de grincements, chuintements raclements de gorge venus se perdre dans un brouillage ininterrompu.
Tel, glossolalie harassante (" ce vrombissement démesuré qui n’a pas de début et n’aura pas de fin"), tel ce que crachent dans le vide plans inclinés et entonnoirs s’entrecroisant dans le ciel.
Déversoir du temps qui, sans relâche, inintelligiblement, l’émiette.
Pierre Chappuis, Dans la lumière sourde de ce jardin, Corti, 2016, p. 9-10.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre chappuis, dans la lumière sourde de ce jardin, déversoir du temps, bruits | Facebook |
01/03/2018
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline
Une révolution loupée en 1788
Lorsque sur le château la patine des âges
S’ébroue en ricanant parce qu’un menuisier
N’essuyant pas ses pieds ignore les usages
Comment les aurait-il puisqu’il est roturier
Alors les archiducs de moindres personnages
Et jusqu’au damoiseau devenu foutriquet
Remontant lentement le cours des épandages
Pour dedans le donjon pouvoir se réfugier
Mais l‘homme était suivi de plus d’un acolyte
Celui qui fend la pierre et l’ardoise délite
Celui qui tord le fer et mâchonne l’acier
Ces ludions s’élevaient artisans ou d’élite
Puis tous durent descendre à cause du plombier
Réussissant enfin à boucher une fuite
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline,
Gallimard, 1965, p. 151-152.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Queneau Raymond | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : raymond queneau, le chien à la mandoline, une révolution loupée en 1788 | Facebook |