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28/03/2019

Pierre Jean Jouve, La Vierge de Paris

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Merveilleuse la fleur souterraine ou le sexe

N’est-ce le bien le plus précieux de nos eaux ?

C’est le plus doux après la mort et c’est la peste

Que nous abandonnons la nuit près des ruisseaux,

Aux larmes ; quand le sexe est le dernier qui reste

Au monde incendié, gémissant je le perds

Car il est tout et donc un ennemi de Tout

Un œil de tout et donc un ennemi du Regard

Qui d’abord ne veut rien des attaches de l’art.

 

Pierre Jean Jouve, La Vierge de Paris, dans Œuvre, I,

Mercure de France, 1987, p. 515.

02/02/2019

Hölderlin, Poèmes de la folie

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Moitié de la vie

 

Suspendue avec des poires jaunes

Remplie de roses sauvages,

La terre sur le lec.

Et vous merveilleux cygnes ivres de baisers

Trempez la tête dans l’eau sainte et sobre.

 

Malheur à moi ! où les prendrai-je moi

Quand ce sera l’hiver, les roses ?

Où le miroir du soleil

Avec les ombres de la terre ?

Les murs s’élèvent sans parole et froids

Et les enseignes grincent dans le vent.

 

Hölderlin, Poèmes de la folie, traduction

Pierre Jean Jouve et Pierre Klossowski, dans

PJJ,Œuvres, II, Mercure de France, 1987, p. 1908.

22/12/2018

Pierre Jean Jouve, En miroir

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                               De la poésie

 

     Poésie, art de « faire ». Selon cette définition qui remonte à la science des Anciens, la Poésie tient sous son influence, par rayons droits ou obliques, tous les autres arts de l’homme. Faire veut dire : enfanter, donner l’être, produire ce qui, antérieurement à l’acte, n’était pas. Mais l’esprit qui formule une réalité aussi fondamentale ne peut s’empêcher de la contredire, par une nuance opposée ; sans doute parce que, comme l’amour, la Poésie est soumise à une secrète interdiction. La Poésie, qui est pour les uns la chose la plus nécessaire, peut être aux yeux de beaucoup la chose la plus décriée.

     La Poésie est rare. Si elle paraît avoir passé, au cours de son histoire, par tous les rôles et travestissements, ici discours et là ornement, simple convention de cour ou de salon, c’est que, comme toute acte « inventeur », elle est rare.

     La Poésie est l’expression des hauteurs du langage.

     Elle ne repose pas sur un nombre d’éléments sensibles comme la Musique. Embrassant par l’image, fruit de la mémoire, la totalité du monde virtuel, l’univers — elle est établie sur le mot, signe déjà chargé de sens complexe, et touchant une quantité incertaine du réel.

     Univers : l’extérieur comme l’intérieur, la pensée comme la rêverie et tout l’instinct, hier et demain, ce qui est défini et ce qui ne saurait être défini.

 

Pierre Jean Jouve, En Miroir (1954, édition revue en 1970), dans Œuvre, II, édition établie par Jean Starobinski, Mercure de France, 1987, p. 1055-1056.

Annonce d'une maison d'édition amie:

Chers amis,

 
les éditions L’Atelier contemporain souhaitent publier prochainement deux livres de JOHN BERGER :
 
« À ton tour »son dernier livre, inédit, dont ce sera la première édition mondiale, ouvrage co-écrit avec son fils Yves, la dernière année de sa vie ;
 
« Un peintre de notre temps », la réédition de son premier livre (paru en Angleterre en 1958, traduit en français en 1978, épuisé depuis de très nombreuses années).
 
Vous trouverez à ces adresses des présentations de ces livres :
 
Afin de pouvoir mener à bien ces projets je réalise aujourd’hui un « crowdfunding »  (un « financement participatif ») — il me faut en effet réunir 5.000 € (soit environ 2.500 € par livre) pour que ces livres existent.
Et je ne vous cacherai pas que la maison d’édition, comme nombre d’acteurs culturels, traverse en ce moment une passe bien difficile…
 
Je vous serais très reconnaissant de permettre à ces livres d’exister en participant à leur financement — plusieurs possibilités de « commandes » vous sont proposées, dont l’acquisition d’estampes (de Patricia Cartereau et Ann Loubert), qui peuvent être de très beaux cadeaux de Noël (je ne pourrai expédier les livres de John Berger qu’en janvier, quand ils auront été imprimés, mais les gravures sont déjà disponibles et je peux vous les envoyer très rapidement).
 
 
 
Avec tous mes remerciements pour votre attention,
 
François-Marie Deyrolle

16/04/2018

Pierre Jean Jouve, En miroir

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                                     De la poésie

 

     Poésie, art de « faire ». Selon cette définition qui remonte à la science des Anciens, la Poésie tient sous son influence, par rayons droits ou obliques, tous les autres arts de l’homme. Faire veut dire : enfanter, donner l’être, produire ce qui, antérieurement à l’acte, n’était pas. Mais l’esprit qui formule une réalité aussi fondamentale ne peut s’empêcher de la contredire, par une nuance opposée ; sans doute parce que, comme l’amour, la Poésie est soumise à une secrète interdiction. La Poésie, qui est pour les uns la chose la plus nécessaire, peut être aux yeux de beaucoup la chose la plus décriée.

     La Poésie est rare. Si elle paraît avoir passé, au cours de son histoire, par tous les rôles et travestissements, ici discours et là ornement, simple convention de cour ou de salon, c’est que, comme toute acte « inventeur », elle est rare.

     La Poésie est l’expression des hauteurs du langage.

     Elle ne repose pas sur un nombre d’éléments sensibles comme la Musique. Embrassant par l’image, fruit de la mémoire, la totalité du monde virtuel, l’univers — elle est établie sur le mot, signe déjà chargé de sens complexe, et touchant une quantité incertaine du réel.

     Univers : l’extérieur comme l’intérieur, la pensée comme la rêverie et tout l’instinct, hier et demain, ce qui est défini et ce qui ne saurait être défini.

 

Pierre Jean Jouve, En Miroir(1954, édition revue en 1970), dans Œuvre, II, édition établie par Jean Starobinski, Mercure de France, 1987, p. 1055-1056.

19/01/2018

Pierre Jean Jouve, Sueur de sang

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À celle qui s’amuse

 

Inguérissable amour ! Inguérissable plaie

Inguérissable rouge feuilles dans du noir

Ou du blond mais toujours du sombre

Inguérissables maigres démons nus

Vous laissez en vous tordant contre les ombres

Inapaisés inguérissables trous sanglants.

 

Tu voles pourtant un sourire enragé

Tes yeux se promènent comme deux pierres

Ta chevelure est un jeu de frisons sur la tombe

Ton masque est mort pour mieux regarder

Pour mieux regarder des feux d’entrailles

La déraison cherchant à devenir raison

Inscrit un numéro sur la tenture.

 

Pierre Jean Jouve, Sueur de sang, dans Œuvre, I,

Mercure de France, p. 253.

19/01/2015

Pierre Jean Jouve, En Miroir

 

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                                       De la poésie

 

     Poésie, art de « faire ». Selon cette définition qui remonte à la science des Anciens, la Poésie tient sous son influence, par rayons droits ou obliques, tous les autres arts de l’homme. Faire veut dire : enfanter, donner l’être, produire ce qui, antérieurement à l’acte, n’était pas. Mais l’esprit qui formule une réalité aussi fondamentale ne peut s’empêcher de la contredire, par une nuance opposée ; sans doute parce que, comme l’amour, la Poésie est soumise à une secrète interdiction. La Poésie, qui est pour les uns la chose la plus nécessaire, peut être aux yeux de beaucoup la chose la plus décriée.

     La Poésie est rare. Si elle paraît avoir passé, au cours de son histoire, par tous les rôles et travestissements, ici discours et là ornement, simple convention de cour ou de salon, c’est que, comme toute acte « inventeur », elle est rare.

     La Poésie est l’expression des hauteurs du langage.

     Elle ne repose pas sur un nombre d’éléments sensibles comme la Musique. Embrassant par l’image, fruit de la mémoire, la totalité du monde virtuel, l’univers — elle est établie sur le mot, signe déjà chargé de sens complexe, et touchant une quantité incertaine du réel.

     Univers : l’extérieur comme l’intérieur, la pensée comme la rêverie et tout l’instinct, hier et demain, ce qui est défini et ce qui ne saurait être défini.

 

Pierre Jean Jouve, En Miroir (1954, édition revue en 1970), dans Œuvre, II, édition établie par Jean Starobinski, Mercure de France, 1987, p. 1055-1056.

04/01/2014

Pierre Jean Jouve, Danse des morts

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Pour "commémorer" la boucherie de 1914-1918 (4)

                 

                   Cadavres

 

                     La Mort

 

Mes cadavres, mes cadavres !

 

Rampe, ta chair à demi morte,

Combattants d'hier,

Sur ce terrain-là.

Le reconnais-tu ?

Tu y courus, bête sauvage.

— Et regarde :

 

Cadavres, cadavres !

Des horizons et des marées !

Pacifiés, déchiquetés, les vieux, les jeunes,

Épaisseurs sur épaisseurs dans la terre cadavéreuse,

Brassés par la pluie,

Arrachés par celui qui passe,

Et labourés, et retournés,

Chaque jours par les obus tenaces,

Morts que la mort tue, fusille, crève et fait éclater

Encore !

Ceux de six mois, ceux de deux jours,

Et des terrains morts qui reviennent à l'air ;

Le compagnon qui rigolait la veille :

« T'en fais pas »,

Le voilà,

Torse planté en terre, et la tête penchée,

Avec le ver de ses lèvres entre ses joues,

Te regardant, d'un regard clair !

Restes séchés

Sur les plateaux, pendus aux réseaux de fer.

Par un seul jet de mitrailleuse, hachés ;

Des têtes noires, grouillant de vers,

Fémurs, dents pointues et képis,

Dans un bitume de terre paisible

Qui dévore...

Et les moins anciens, avec leurs rats sous eux,

Et les neufs, figures vertes, puanteur...

 

Pierre Jean Jouve, Danse des morts [1917], dans Œuvre I,

édition établie par Jean Starobinski, Mercure de

 

France, 1987, p. 1591-1592.

07/03/2012

Pierre Jean Jouve, Proses (Nuages, Formes), dans Œuvre II

Pierre Jean Jouve, Nuages, Formes, Starobinski

  

                              Nuages

 

   Nous nous étions bien trompés sur les nuages, alors que nous les croyions les signes de l'infini. « J'aime les nuages... les nuages qui passent... les merveilleux nuages... » À présent que nous montons sur les nuages, nous voyons ces bêtes, volumineuses et mornes, du faux pays de la haute tristesse : nous voyons ces cheminements d'années noires blêmes, ou blanches comme la mort, se poursuivre pour entasser l'impitoyable couvercle sous lequel rampe la destinée. Le ciel est-il d'un vert électrique trop pur, nous gémissons d'y être des intrus, à cause de ces nuages blessants, pareils à une terre boursouflée. Montagnes de caricature, vous nous exilez de nous-mêmes, vous nous montrez le long néant certain, et la traînée de couchant rougeâtre qui borde n'a même plus la force de nous plaindre.

   Malheur à la vie humaine prisonnière des nuages.

 

                                      *

 

                                  Formes

 

   L'art est forme, mais encore faut-il que le terme aille aux profondeurs : « L'idée et la forme sont deux êtres en un. » Est-il un amour sans corps ? une beauté sans matière, une ivresse sans flacon, est-il un désir sans objet pour lui marquer de loin sa mort ? Mais les formes d'hier nous abusent aujourd'hui par des conventions de vêtements sur des ombres défuntes. Nous du moins avons reçu l'obligation de pénétrer des formes vives adéquates au vide dévorant, des formes de l'informe, des formes consumant la durée même. Formes contraires à celles qui les ont enfantées, ennemies de leur mère, en désaccord sur toutes les manières de contact : notre ouvrage est de faire passer par elles l'amour avec l'intouchable, ce qui comporte mouvement, exaspération, limite et spasme, pour la production du vrai.

 

Pierre Jean Jouve, Proses, dans Œuvre II, texte établi et présenté par Jean Starobinski, Mercure de France, 1987, p. 1206 et 1240.