03/02/2018
Hilda Doolittle, Trilogie
Les murs ne tombent pas
[1]
Un incident ici et là,
grilles confisquées (pour les canons)
dans ton (et mon) vieux square :
brume et gris brumeux, pas de couleur,
mais abeille, poudre et lièvre de Luxor
poursuivent un but inaltérable
en vert, rose-rouge, lapis ;
ils continuent à prophétiser
depuis le papyrus de pierre :
là-bas, comme ici, ruine ouvre
la tombe, le temple ; entre
là-bas comme ici, aucune porte :
le lieu saint est ouvert au ciel,
la pluie tombe, ici, là-bas
le sable glisse ; l’éternité endure :
ruine partout, or comme le toit tombé
laisse la chambre scellée
ouverte à l’air,
ainsi, dans notre désolation,
des pensées s’éveillent, l’inspiration nous traque
dans l’obscurité :
[…]
H(ilda) D(oolite), Trilogie, traduction Bernard
Hoepffner, Corti,2011, p. 9.
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02/02/2018
Eugène Fromentin, Lettres de jeunesse
« Dessiner en Algérie au milieu du xixe siècle »
à madame Fromentin mère, 27 juillet 1846
Le dessin d’arbres est un portrait exact d’une partie du Bois des Oliviers de Blidah, plus connu sous le nom de Bois sacré. Ce bois, autrefois très étendu, composé de frênes séculaires, est célèbre dans l’histoire militaire de la conquête, il s’y est livré en 1839 et 1840 plusieurs combats très meurtriers (…). On n a incendié la plus grande partie, on a surtout détruit complètement les broussailles qui, à cette époque, le rendaient presque impénétrable et en faisaient une position si forte pour les tirailleurs arabes. Aujourd’hui, il ne reste plus que cent ou deux cent pieds d’arbres fort beaux dont les troncs noueux et crevassés portent partout les traces du feu. C’est à l’ombre de ces arbres, autour de ces troncs énormes sur une pelouse courte, maigre et languissante malgré les nombreux cours d’eau qui l’arrosent que se tient tous les vendredis le grand marché arabe de Blidah. C’est aussi là que se font les exécutions. La route de Blidah à Médéah par la Moussaïah passe entre le bois et la montagne, les convois d’âne et de mulets et les caravanes de chameaux y défilent à toute heure du jour. J’ai fait plusieurs dessins de ce bois, un des endroits les plus pittoresques de Blidah, un surtout que je réserve pour un tableau.
Eugène Fromentin, Lettres de jeunesse, Plon-Nourrit et Cie, 1909, p. 18-189.
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01/02/2018
Rainer Maria Rilke, Le Livre des images
Solitude
La solitude est comme une pluie.
Montant de la mer à la rencontre des soirs,
venue des confins des plaines oubliées,
elle gravit le ciel, sa demeure,
et parvenue là-haut retombe sur la ville.
Elle pleut ici-bas, entre chien et loup,
quand toutes les rues virent au matin
et que les corps qui n’ont rien trouvé
déçus et tristes se désunissent ;
et quand des êtres qui se haïssent
doivent dormir dans le même lit ;
La solitude s’en va suivre le cours des fleuves…
Rainer Maria Rilke, Le Livre des images, traduction
Jean-Claude Crespy, dans Œuvres poétiques et théâtrales,
Pléiade / Gallimard, 1997, p. 213.
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29/01/2018
Paul Claudel, Lettres à Ysé
"L'amour fou"
Rio de Janeiro, 4 août 1917 (Paul Claudel à Rozie — "Ysé")
(…) il est parfaitement vrai que pendant plusieurs mois j’ai été complètement fou, mais je sais aussi qu’aucune femme au monde n’a été aimée par un homme comme vous l’avez été par moi. Ce sentiment ne s’est jamais éteint dans mon cœur, vous êtes la seule femme que j’aie jamais aimé, celle vers qui mes pensées et mes rêves ne cessent de revenir, et il me semble que rien et la mort elle-même ne pourra jamais étouffer le mouvement profond, impétueux, irrésistible, qui entrainait mon être vers le vôtre. Dans mes pires heures de torture, je n’ai jamais eu qu’une seule véritable souffrance, c’était la pensée que vous aviez cessé de m’aimer. Cette idée me perçait le cœur et elle était à peine soutenable pour moi.
Paul Claudel, Lettres à Ysé, édition G. Antoine, Gallimard, 2017, p. 112-113.
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28/01/2018
Robert Marteau, La fleur noire et blanche
La fleur noire et blanche
Écoute le coq
Parmi les étoiles
C’est lui qui a vu
La fleur noire et blanche
Qu’Ulysse a cueillie
Là où la prairie
Et le ciel se joignent
Dénouant la nuit
S’ouvrant au soleil
*
Coq tôt levé tu
Chantes clames cries
Sonne la venue d’un autre aujourd’hui
Tu as vu Vénus
S’évanouir au
Sommet du bouleau
La nuit de ses voiles
S’évaporer tu
Triomphes têtu
Ayant de la terre
Extrait le soleil
[…]
Robert Marteau, La fleur noir et blanche,
dans ce qui reste, n° , janvier 2018.
On peut lire le poème entier, accompagné
des peintures de Benoît de Roux , dans la revue
numérique ce qui reste
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Robert Marteau, La fleur noire et blanche
La fleur noire et blanche
Écoute le coq
Parmi les étoiles
C’est lui qui a vu
La fleur noire et blanche
Qu’Ulysse a cueillie
Là où la prairie
Et le ciel se joignent
Dénouant la nuit
S’ouvrant au soleil
*
Coq tôt levé tu
Chantes clames cries
Sonne la venue d’un autre aujourd’hui
Tu as vu Vénus
S’évanouir au
Sommet du bouleau
La nuit de ses voiles
S’évaporer tu
Triomphes têtu
Ayant de la terre
Extrait le soleil
[…]
Robert Marteau, La fleur noir et blanche,
dans ce qui reste, n° , janvier 2018.
On peut lire le poème entier, accompagné
des peintures de Benoît de Roux , dans la revue
numérique ce qui reste
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27/01/2018
Henri Michaux, Connaissance par les gouffres
Tapis roulant en marche
Je vais de l’avant, vite
Des pelles volent
puis des cris
Je me dégage
l’instant d’après, Naples
Cette pensée merveilleuse
mais quelle était donc cette pensée ?
Soudain précipice.
En bouillonnant
une eau torrentielle cascade dans le fond d’un cañon
vice vice vivacissime
Tenant fortement un grand anneau métallique
je serre, je serre
Je… pensée, voyons, c’était avant
mais quelle était donc cette pensée ?
« Parlez ! Parlez ! »
crié d’une voix bordée de rouge
Oublis
oublis à grande vitesse
Henri Michaux, Connaissance par les gouffres, dans Œuvres complètes, III, Pléiade / Gallimard, 2004, p. 47-48.
* * *
La revue numérique de poésie contemporaine ce qui reste, publiée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Corniaud-Marcheteau, propose dans son dernier numéro une série de poèmes de Robert Marteau accompagnés de peintures de Benoît de Roux, présentés par Jacques Lèbre. On peut les retrouver sur le site de la revue ( https://wwwce quireste.fr) ou les lire sur calameo :<http://fr.calameo.com/read/004921864d9221962908d>
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25/01/2018
Guillevic, Relier, 1938-1996
Hautbois
À voir autour de lui
Tant de coquelicots
Le bluet
Préférait le rouge
*
Il fait très beau. La terre
Monte les escaliers.
*
À défaut d’océan,
Il y a ta paume
À regarder.
*
À cause
de la branche du frêne,
L’heure est gagnée.
*
Pas la peine, tilleul,
De te cacher en toi,
Je te connais.
*
Le poulain se surprend
Au cri du chat-huant.
*
Dans le verger,
Les pierres des murs,
Les prunes
Comptaient par siècles.
Guillevic, Relier, 1938-1996, Gallimard,
2007, p. 597 et 599.
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24/01/2018
Malcolm Lowry, "Poèmes inédits, traduction Jean Follain
Divagation à Vera Cruz
Où s'est-elle enfuie la tendresse demanda-t-il
demanda-t-il au miroir du Baltimore Hôtel, chambre 216.
Hélas son reflet peut-il lui aussi se pencher sur la glace
en demandant où je suis parti vers quelles horreurs ?
Est-ce elle qui maintenant me regarde avec terreur
inclinée derrière votre fragile obstacle ? La tendresse
se trouvait là, dans cette chambre même, à cet endroit même
sa forme vue, ses cris par vous entendus.
Quelle erreur est-ce là, suis-je cette image couperosée ?
Est-ce là le spectre de l'amour que vous avez reflété ?
Avec maintenant tout cet arrière-plan
de tequila, mégots, cols sales, perborate de soude
et une page griffonnée à la mémoire de ceux-là
qui sont morts, le téléphone décroché.
De rage il fracassa toute cette glace de la chambre. (Coût 50 dollars)
Malcolm Lowry, "Poèmes inédits", traduction Jean Follain, dans Les Lettres Nouvelles, "Malcolm Lowry", Mai-juin 1974, p. 226.
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22/01/2018
Maryline Desbiolles, Poèmes saisonniers
buis l’odeur
du buis reçue brève et
insistance (comme le ui de son nom)
en pleine joue bouche et même palais
odeur tout de suite perdue
le souvenir du buis ne sent rien
Maryline Desbiolles, Poèmes saisonniers,
éditions Telo Martius, 1992, np.
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20/01/2018
Haïku, anthologie du poème court japonais
Pas de pont —
le jour se couche
dans les eaux du printemps
Yosa Buson
Au printemps qui s’en va
les oiseaux crient —
les yeux des poissons en larmes
Matsuo Bashô
Jour de brume —
les nymphes du ciel
auraient-elles du vague ) l’âme ?
Kobayashi Issa
À la surface de l’eau
des sillons de soie —
pluie de printemps
Ryôkan
Dans les jeunes herbes
le saule
oublie ses racines
Yosa Buson
Haïku, anthologie du poème court japonais,
traduction Corinne Atlan et Zéno Bianu,
Poésie / Gallimard, 2002, p. 29, 32, 34, 36, 53.
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19/01/2018
Pierre Jean Jouve, Sueur de sang
À celle qui s’amuse
Inguérissable amour ! Inguérissable plaie
Inguérissable rouge feuilles dans du noir
Ou du blond mais toujours du sombre
Inguérissables maigres démons nus
Vous laissez en vous tordant contre les ombres
Inapaisés inguérissables trous sanglants.
Tu voles pourtant un sourire enragé
Tes yeux se promènent comme deux pierres
Ta chevelure est un jeu de frisons sur la tombe
Ton masque est mort pour mieux regarder
Pour mieux regarder des feux d’entrailles
La déraison cherchant à devenir raison
Inscrit un numéro sur la tenture.
Pierre Jean Jouve, Sueur de sang, dans Œuvre, I,
Mercure de France, p. 253.
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18/01/2018
Louis Scutenaire, Mes inscriptions
Le marquis de Sade sortit à cinq heures.
Ce monsieur est un gros poète.
C’est un livre admirable, comme il y en a tant.
L’idée de discipline me fait blêmir.
Dans ce monde où l’on n’a que la terreur pour se défendre de l’angoisse.
Il n’y a pas d’utopie.
Louis Scutenaire, Mes inscriptions, éditions Labor, 1990, p. 22, 24, 33, 42, 43, 44.
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17/01/2018
Saint-John Perse, Oiseaux
L’oiseau, de tous nos consanguins le plus ardent à vivre, mène aux confins du jour un singulier destin. Migrateur, et hanté d’inflation solaire, il voyage de nuit, les jours étant trop courts pour son activité. Par temps de lune grise couleur du gui des Gaules, il peuple de son spectre la prophétie des nuits. Et son cri dans la nuit est cri de l’aube elle-même : cri de guerre sainte à l’arme blanche.
Saint-John Perse, Oiseaux (1963), dans Œuvres complètes, Pléiade / Gallimard, 1972, p. 409.
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16/01/2018
Joseph Joubert, Carnets II
Ces esprits secs qui n’ont besoin que de doctrines ou de sèches pensées.
Pourquoi, disait-on à la pierre, offres-tu si peu de poli ? C’est que je ne suis pas du marbre.
De ce qui est théâtral dans la vie, dans les discours, dans les actions, dans les pensées.
L’esprit militaire est un esprit favorable à la bougrerie.
Tout vieillit, même l’estime, si on n’y prend garde.
Joseph Joubert, Carnets, II, Gallimard, 1994, p. 409, 419, 422, 424, 426.
Publication en janvier 2018 :
PAPILLES n° 48 AU RESTAURANT
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