15/01/2018
Jacques Roubaud, C et autre poésie (1962-2012)
1994
il n’y a pas de ciel
pas d’yeux
pas de voix
rien qu’une lampe
une lampe dans la lumière
s’écoule
et ne reviendra pas
même si elle semble
posée
en permanence
sur la photographie au mur
sur les livres
en l’absence du ciel
d’yeux
et de voix
Jacques Roubaud, C et autre poésie
(1962-2012), NOUS, 2015, p. 308.
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13/01/2018
Fabienne Raphoz, Parce que l'oiseau
Le journal fausse le passé, au moment de sa lecture, il force le souvenir. C’est un paradoxe temporel : écrit dans l’instant pour ne pas perdre l’instant, il laisse perdre tous les instants qu’il n’a pas consignés. Parfois, le journal fonctionne à la manière du carnet, comme un déictique, un propulseur, la note lacunaire ouvre un champ que le poème, même condensé, saura, ou ne saura pas, exprimer, mais s’il est trop rédigé, le fragment se suffit à soi-même.
Fabienne Raphoz, Parce que l’oiseau, collection Biophilia, Corti, 2018, p. 26.
* * *
La dernière livraison (n° 27, 12 €) de la revue Phœnix est en partie consacrée à l’écrivain Étienne Faure. À lire !
Étienne Faure publie ce mois-ci aux éditions le phare de cousseix, Écrits cellulaires, que l’on peut commander directement (7 € + 1 € frais de port):
Editions le phare de cousseix
Le Cousseix, n° 7
23500 Croze
Par ailleurs, la revue Phœnix invite Étienne Faure le 18 janvier, avec Stéphane Bouquet, Jean-Pierre Chevais et Marie de Quatrebarbes. Pour plus de précisions :
https://www.entrevues.org/actualites/phoenix-etienne-faure/
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12/01/2018
Manfred Peter Hein, L'érable contre la maison
Melencolia
Devant la fenêtre les trois
colonnades claires du bouleau
partageant l’obscurité
Obscurité mienne celle que j’écris
voix projetée dans l’obscur par-delà l’étoile
En ce jour de comète
pulvérisée lumière entre les prunelles de
Melencolia
Manfred Peter Hein, L’érable contre la maison,
traduction de l’allemand Natacha Ruedin-Royon,
Alidades, 2017, p. 25.
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11/01/2018
Jean Tardieu, Une Voix sans personne
Pouchkine
La parole amoureuse élit domicile à la sandale des nomades. Elle court dans l’avoine sans fin.
Vers le soir la passion du feu compense un clair marteau de cloche. Le vent gonfle la fureur du bronze.
Soudain l’éclair du couteau des étoiles ! Un violon sur les rochers d’ébène annonce le printemps de la mort.
Jean Tardieu, Une Voix sans personne, Gallimard, 1954, p. 109.
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Jean Tardieu, Une Voix sans personne
Pouchkine
La parole amoureuse élit domicile à la sandale des nomades. Elle court dans l’avoine sans fin.
Vers le soir la passion du feu compense un clair marteau de cloche. Le vent gonfle la fureur du bronze.
Soudain l’éclair du couteau des étoiles ! Un violon sur les rochers d’ébène annonce le printemps de la mort.
Jean Tardieu, Une Voix sans personne, Gallimard, 1954, p. 109.
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10/01/2018
Samuel Beckett, Poèmes, suivi de mirlitonnades
je suis ce cours de sable qui glisse
entre le galet et la dune
la pluie d’été pleut sur ma vie
sur moi ma vie qui me fuit me poursuit
et finira le jour de son commencement
cher instant je te vois
dans ce rideau de brume qui recule
où je n’aurai plus à fouler ces longs seuils mouvants
et vivrai le temps d’une porte
qui s’ouvre et se referme
Samuel Beckett, Poèmes , suivi de mirlitonnades,
Editions de Minuit, 1978, p. 22.
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09/01/2018
Emily Dickinson, Ses oiseaux perdus (dernières années, 1882)1886)
Tout à fait vide, tout à fait calme,
La Grive boucle son Nid et exerce ses Ailes —
Elle ne connaît pas la Route
Mais avance Machine toute
Vers des rumeurs de printemps —
Elle ne demande pas de Midi —
Elle ne demande pas de Merci —
Sans miettes et sans force, avec une seule requête —
Ses Oiseaux perdus —
Quite empty, quite at rest,
The Robin locks her Nest, and tries her Wings —
She doesnot know her Route
But puts her Craft about
For rumored springa —
She does not ask for Moon —
Se does not ask for Boon —
Crumbless and homeless, of but one request —
The Birds xhe lost —
Emily Dickinson, Ses oiseaux perdus, traduction François
Heusbourg, éditions Unes, 2017, p. 59 et 58.
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08/01/2018
Jaroslav Seifert, Sonnets de Prague
Printanier
Demoiselle au bureau devant ta machine,
Sur tes doigts brille le soleil du printemps,
Tes mains frémissent, mon dieu,
Tu voudrais pouvoir t »en aller.
La vie, vois-tu, est formidablement belle,
Le banc du parc est bien trop dur,
Mais quand on aime toute l’âme poétise
Et ce bois lui-même ne se dédaigne pas.
Oui, je sais, ça n’est pas rien d’aimer,
Le ressac de l’amour nous ballotté,
Un moment à planer haut dans le ciel,
Accompagné jusque)là d’un rayon de soleil.,
Puis soudain l’implacable pesanteur
Nous ramène tout en bas
Et la dure réalité nous visse à la terre ;
Ne t’en fais pas pour ça, tout d’un coup
Tu rejoindras les étoiles, serrée dans ses bras,
Car tu es jeune, avec tes vingt ans,
Et à ton âge tout amour gai attriste,
Car l’amour c’est comme tout le monde :
il est amer bien sûr mais savoureux.
Si tu m’en crois, je peux te donner
Un vrai conseil d’ami,
N’aie jamais peur d’aimer, demoiselle !
et si quelqu’un t’embrasse sur la joue droite,
Tends la gauche.
Jaroslav Seifert, Sonnets de Prague, traduits par
Henri Deluy et Jean-Pierre Faye, Change errant
/ Action poétique, 1984, p. 35-36.
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07/01/2018
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
Toit
Tiens, non ! j’attendrai tranquille,
Planté sous le toit,
Qu’il me tombe quelque tuile,
Souvenir de Toi !
J’ai tondu l’herbe, je lèche
La pierre, — altéré
Comme la Colique sèche
De Miserere
Je crèverai — Dieu me damne ! —
Ton tympan ou la peau d’âne
De mon bon tambour !
Dans ton boitier, ô Fenêtre !
Calme et pure, gît peut-être
……………………………..
Un vieux monsieur sourd !
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans
Charles Cros, T. C., Œuvres complètes,
Pléiade / Gallimard, 1970, p. 748.
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06/01/2018
Rachel Blau DuPlessis, Brouillons (choix de poèmes)
Brouillon 52 : Midrash, 14.
Les mots, est-ce cela qui manque ?
Est-ce la concentration ?
une page foisonne en sous-entendus et en apartés :
pluie, rouille, morne mort, morne vie.
Non. Il ne s’agit pas de ça,
mais le fait que les crocs d’argent des mots
ne peuvent rien contre de plus profonds silence, plus chargés de colère
rien contre la dislocation du désir de mémoire
rien contre d’infixables décombres.
Dès lors, le problème est « zu schreiben », d’écrire ?
D’écrire, voilà tout.
Trop, beaucoup trop de mots.
Apparaux d’auteur
amour propre
forme-matière première
et même, pitié-de-soi.
Vouloir un poème après Auschwitz
c’est —
compréhensible, inaccessible, intenable.
Quel poète pourrait bien vouloir ?
Rachel Blau DuPlessis, Brouillons, traduction et présentation par Auxeméry, avec la collaboration de Chris Tysh, Corti, 2013, p. 123-124.
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05/01/2018
Jacques Dupin, L'embrasure
Assumer la détresse de cette nuit pour qu’elle chemine vers son terme et son retournement. Littéralement précipiter le monde dans l’abîme où déjà il se trouve. En chacun se poursuit le combat d’un faux jour qui se succède avec la vraie nuit qui se fortifie. De fausse aurore en fausse aurore, et de leur successif démantèlement par la reconnaissance de leur illusoire clarté, s’approfondit la nuit, et s’ouvre la tranchée de notre chemin dans la nuit. Ce nul embrasement du ciel, reconnaissons sa nécessité comme celle de feux de balise pour évaluer le chemin parcouru et mesurer les chances de la traversée. En effet tous les mots nous abusent. . Mais il arrive que la chaine discontinue de ce qu’ils projettent et ce qu’ils retiennent, laisse surgir le corps ruisselant et le visage éclairé d’une réalité tout autre que celle qu’on avait poursuivie et piégée dans la nuit.
Jacques Dupin, L’embrasure, Gallimard, 1969, p. 95.
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04/01/2018
Arthur Adamov, L'aveu
« Sois un homme ! » Le seul rappel de ces mots rallume en moi la vieille haine pour tous mes ennemis de race, tous ceux que je méprise et qui me méprisent, les mâles satisfaits à l’air vainqueur. Je les entends se prévaloir de leurs propriétés, de l’argent qu’ils ont, des femmes qu’ils possèdent. Maintenant, je crois deviner l’origine de cette mutuelle répulsion : je me suis mis au ban de la société, du corps social, comme dans l’amour je me suis exilé du corps de la femme.
Je sais trop bien ce qui me faisait dire que je ne serai jamais un homme. Et je tiens en profond mépris tout adolescent qui n’a pas proféré un tel serment.
Arthur Adamov, L’aveu, éditions du Sagittaire, 1948, p. 68.
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03/01/2018
Maurice Blanchot, La bête de Lascaux
Il est, dans l’expérience de l’art et dans la genèse de l’œuvre, un moment où celle-ci n’est encore qu’une violence indistincte tendant à s’ouvrir et tendant à se fermer, tendant à s’exalter dans un espace qui s’ouvre et tendant à se retirer dans la profondeur de la dissimulation : l’œuvre est alors l’intimité en lutte de moments irréconciliables et inséparables, communication déchirée entre la mesure de l’œuvre qui se fait pouvoir et la démesure de l’œuvre qui veut l’impossibilité, entre la forme où elle se saisit et l’illimité où elle se refuse, entre l’œuvre comme commencement et l’origine à partir de quoi il n’y a jamais œuvre, où règne le désœuvrement éternel. Cette exaltation antagoniste est ce qui fonde la communication et c’est elle qui prendra finalement la forme personnifiée de l’exigence de lire et de l’exigence d’écrire. Le langage de la pensée et le langage qui se déploie dans le chant poétique sont comme les directions différentes qu’a prise ce dialogue originel, mais, dans l’un et dans ‘autre, et chaque fois que l’un et l’autre renoncent à leur forme apaisée et remontent vers leur source, il semble que recommence, d’une man !ère plus ou moins « vive », ce combat plus originel d’exigences plus indistinctes, et l’on peut dire que toute œuvre poétique, au cours de sa genèse, est retour à cette contestation initiale et que même, tant qu’elle est œuvre, elle ne cesse pas d’être l’intimité de son éternelle naissance.
Maurice Blanchot, La bête de Lascaux, fata morgana, 1982, p. 34-36.
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01/01/2018
René de Obaldia, Innocentines
Dimanche
Charlotte
Fait de la compote
Bertrand
Suce des harengs
Cunégonde
Se teint en blonde
Épaminondas
Cire ses godasses
Thérèse
Souffle sur la braise
Léon
Peint des potirons
Brigitte
S’agite, s’agite
Adhémar
Dit qu’il en a marre
La pendule
Fabrique des virgules
Er moi dans tout cha ?
Et moi dans tout cha ?
Moi, ze ne bouge pas
Sur ma langue z’ai un chat
René de Obaldia, Innocentines,
Grasset, 1969, p. 81-82.
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31/12/2017
Norge, La langue verte
Ode aux vaches
Allez-y, vaches sacrées,
Je suis seul à vous entendre.
Votre chant s’est retiré
De leurs oreilles de cendre.
Donnez votre lait qu’on guette
Aux ordinaires barattes,
Gardons nos secrets, fillettes
Par le Tigre et par l’Euphrate.
L’homme rond, l’homme carré,
Tout l’homme géométrique
N’écoute d’un cœur zélé
Que le sifflement de trique.
Inutile de beugler
Si haut ! J’ai compris, mes vaches,
Et nos destins sont réglés
Par une même cravache.
Ruminez les gazons bêtes,
C’est encore loin l’empyrée
Après quoi vous soupirez
Comme l’ours et le poète.
Ce qui fait votre langage
Si noble et si riche de ton,
C’est qu’il puise dans l’herbage
Le cri même du limon.
Tu rêves, je rêve, ils rêvent.
Ô, ma vache ensommeillée,
Crois-tu que les nuis s’achèvent,
Crois-tu qu’on va s’éveiller ?
Norge, La langue verte, Gallimard,
1954, p. 119-120.
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