31/03/2019
Primo Levi, À une heure incertaine
L’œuvre
Voilà, c’est terminé : on n’y touche plus.
Qu’à la main la plume me pèse !
Elle était si légère, tantôt,
Et plus vive que le vif argent :
Je n’avais qu’à la suivre,
Elle me guidait la main
Comme un voyant guide un aveugle,
Comme une dame vous amène à danser.
Maintenant, ça suffit, la tâche est terminée,
Parachevée, bouclée.
Si j’en ôtais ne fût-ce qu’un seul mot,
Ce serait comme un trou d’où suinte le sérum.
Si j’en ajoutais un,
Il saillerait, aussi laid qu’une verrue.
Si j’en changeais un seul, il sonnerait faux
Comme un chien qui aboie au milieu d’un concert.
Et maintenant, que faire ? Comment s’en détacher ?
Mettre au monde une œuvre, c’est chaque fois mourir un peu.
Primo Levi, À une heure incertaine, traduction Louis Bonalumie, Arcades /Gallimard, 1997, p. 78.
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