15/01/2023
Selima Hill, Portrait de mon amant en animal étrange
Portrait de mon amant en animal étrange
Ne me demandez pas pourquoi
mais je me suis bientôt mise à nourrir l’animal,
de chenilles, de crottes en chocolat, de baies sucrées —
ou autre, tant que c’était petit.
Sa bouche était aussi petite et serrée qu’une alliance.
Les nuits de clair de lune il aimait regarder les étoiles
et se blottir contre moi comme un flan géant.
Puis vint la nuit où il m’a semblé l’entendre parler.
Il prononçait mon nom !
Mon Dieu, comme c’était beau !
Mais il est vrai qu’alors l’épuisement m’avait fait perdre la tête.
Je m’étais laissée tomber à genoux sur le sable tant j’étais épuisée.
Et les sacs que j’avais portés ne contenaient sue des racines.
Quant à mon nom —
ce n’était que le bruit de ses mâchoires
broyant le corps
de son dernier roitelet.
Selima Hill, dans L’Île rebelle, Anthologie de poésie britannique au tournant du XXIe siècle,
Édition bilingue, choix de Martine De Clerq, Préface de Jacques Darras,
tous deux traducteurs, Poésie/Gallimard, 2022, p. 237.
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08/12/2021
Camille Loivier, Swifts
III. La langue du sanglier
Les animaux sont entrés dans ma vie
ils me poursuivent de leurs yeux agrandis
par l’incapacité de parler avec la bouche
tandis que leur langue multiple passe
par tout le corps dans un courant ininterrompu
mais les yeux parfois en disent plus long
— tu ouvres la bouche mais aucun son ne sort
les swifts crient dans le ciel
alors je viens avec mon père dans le silence
(...)
Camille Loivier, Swifts, éditions isabelle sauvage,
2021, p. 55.
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31/03/2020
Joseph Joubert, Carnets, I
L’imagination est le goût. La raison est sans appétits : la vérité et la justesse lui suffisent.
Le papier est patient, mais le lecteur ne l’est pas.
Tout ce qui est très plaisant a quelque exagération et contient nécessairement une vérité défigurée.
Les animaux aiment ceux qui leur parlent.
Le châtiment de ceux qui ont trop aimé les femmes est de les aimer toujours.
Joseph Joubert, Carnets, I, Gallimard, 1938, 1994, p. 271, 272, 273, 274, 278.
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18/11/2019
Philippe Boutibonnes, Rémanences
Comme l’homme est et comme sont les animaux nous mourrons pareils. Mélangés à la boue, roulés dans des guenilles ou dispersés avec la cendre. L’homme — l’un identifié comme pas l’autre, et tous ceux de notre espèce — parle et se tait quand il faut. L’homme parle, ressasse, avoue, se confesse et prie. L’homme se dit puis se tait. L’animal couine ou feule, alerte ceux de sa race mais il ne se tait pas. Il ne tient pas sa langue et ne retient ni un secret ni le silence. Il implore par le regard.
L’homme né en d’atroces eaux troubles, dans le sang et les écoulements, vagit. L’hase et le crocodile dans le champ de luzerne ou le marigot, vagissent. Nu, sans voix ni mots ni nom l’homme ne se sait pas mortel. Mortel il l’est et mort il le sera. L’homme naît nu. Nu, l’homme naît laid. Ni plus ni moins qu’un rat pelé, nu et perdu. Ce que perd l’homme perdu n’est pas son être encore inadvenu mais son lieu st son présent qui le nouent en son ici.
Philippe Boutibonnes, Rémanences, dans rehauts, n° 44, octobre 2019, p. 75.
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09/05/2019
Franck Guyon, une cérémonie
rejoindre ses semblables, terre et cendre et poussière, heure venue, et tu ressembleras bientôt à ce qui n’a jamais eu lieu, jamais, sans pourtant jamais te défaire tout à fait de ce mouvement perdu sur le lac et le grain de l’ombre : rejoindre ses semblables, à n’oublier que l’alphabet des choses, le lierre, le lilas mauve ou blanc, le blé, la coquille et l’écorce, les animaux du monde, le ver, le cerf, l’hirondelle à manier les anneaux de l’air, et ce bleu sur le dos des sardines, et ces vents qui montent dans les plis du large : rejoindre ses semblables et retrouver cette longue absence de laquelle autrefois nous avions cru peut-être un peu nous dégager : mais le vin nouveau qui viendra bientôt n’apaisera rien du cœur : et le cœur est plus dur et plus vert que les plus mauvaises lunes
Franck Guyon, une cérémonie, le phare du cousseix, 2018, p. 11.
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03/04/2019
Peter Gizzi, Archéophonies
Tout joli tout beau
Ici il y a de petits animaux
fourrageants et satisfaits
Peut-être est-ce comme ça que cela s’appelle
peut-être l’amour est-il un petit animal fourrageant
entièrement satisfait quand sa bouche ici
quand la fourmi et le soleil et la toison
C’est une drôle de vue
la lueur du soleil et de la toison et une bouche
affairée à la nature
une bouche affairée à se faire fleurir
une beauté à fleurir la bouche
Peter Gizzi, Archéophonies, traduction Stéphane
Bouquet, Corti, 2019, p. 47.
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03/02/2019
Marie-Claire Bancquart, Terre énergumène et autres poèmes
Déjà
Tête de petite fille sous ma paume
secrète
finement odorante
fermée sur son sort intimité fraîche avec l’animal.
Tête
le brouillon de sa mort
sous ma paume devient crâne
avec ses os si nets sous les cheveux.
Petite fille
habite déjà le blême chemin des couleuvres.
Marie-Claire Bancquart, Terre énergumène et autres poèmes,
préface d’Aude Préta-de Beaufort, Poésie / Gallimard,
2019, p. 92.
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22/04/2018
Fernando Pessoa, Le gardeur de troupeaux
Plutôt le vol de l’oiseau qui passe…
Plutôt le vol de l’oiseau qui passe et ne laisse pas de trace,
Que le passage d’une bête qui laisse sn empreinte sur le sol.
L’oiseau passe et oublie, et c’est très bien comme ça.
L’animal, là où il n’est déjà plus ne sert donc plus à rien.
Il montre qu’il était déjà là, ce qui ne sert à rien non plus.
La mémoire est une trahison de la Nature,
Parce que la Nature d’hier n’est pas la Nature.
Ce qui a été n’est rien et se souvenir c’est ne pas voir.
Passe, oiseau, passe, et apprends-moi à penser !
Fernando Pessoa, Le gardeur de troupeaux, traduction du portugais
Jean-Louis Giovannoni, Rémy Hourcade et Fabienne Vallin,
Editions Unes, 2018, np.
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01/10/2016
Cole Swenson, Si riche heure
Photo Carl Sokolow
Le 1er décembre : La Chasse
À chaque mois
son animal
animal
rythme la régularité un régulum
Pour construire un métronome
(reste une contre pulsation)
(poids)
et contre-poids, par exemple
sur le point, suspendu dans son toujours
pourvu que
Compte-les Mais c’est le cœur qui fait ça C’est sa tâche ; il compte
chaque instant de la vie d’une bête et le rend presque égal
Cole Swensen, Si riche heure, traduit de l’anglais par Maïtreyi et Nicolas
Pesquès, Corti, 2015, p. 113.
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