31/12/2019
Jean-Pierre Lemaire, L'exode et la nuée
Tu déblaies le temps devant toi
ce temps qui nous vient toujours de l’arrière
et progressivement plus rien ne s’impose
aucune fenêtre, aucun paysage
rien que l’avenir
muet, couleur de neige
devant lequel tu avais reculé
à vingt ans. Sur le même seuil
pour ne pas manquer le second rendez-vous
tu sors les yeux nus
dans le silence et dans le blanc
Jean-Pierre Lemaire, L’exode et la nuée, Gallimard,
1982, p. 101.
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30/12/2019
Yanette Delétang-Tardif, Vol des oiseaux
Désir
De ces chants, de ces danses, de ces jeux
Liés à la terre en notre pesanteur
Nul chant ne monte, assez voluptueux,
Nulle forme perdue en elle-même
Ne rejoindra sa naissance de sève
Dont un esprit veut trouver la fraîcheur
Mais vous, oiseaux, image d’un désir,
Partez, glissez, plus légers que ce rêve
Où notre corps veut sentir qu’il s’élève,
Où notre cœur chante pour s’accomplir !
Yanette Delétang-Tardif, Vol des oiseaux,
Aristide Quillet, 1931, p. 20-21.
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29/12/2019
Charlie Chaplin, Le dictateur (1940)
Discours du barbier juif, sosie du dictateur
Je suis désolé, mais je ne veux pas être empereur, ce n’est pas mon affaire. Je ne veux ni conquérir, ni diriger personne. Je voudrais aider tout le monde dans la mesure du possible, juifs, chrétiens, païens, blancs et noirs. Nous voudrions tous nous aider, les êtres humains sont ainsi. Nous voulons donner le bonheur à notre prochain, pas le malheur. Nous ne voulons ni haïr ni humilier personne. Dans ce monde, chacun de nous a sa place et notre terre est bien assez riche pour nourrir tout le monde. Nous pourrions tous avoir une belle vie libre mais nous avons perdu le chemin.
L’avidité a empoisonné l’esprit des hommes, a barricadé le monde avec la haine, nous a fait sombrer dans la misère et les effusions de sang. Nous avons développé la vitesse pour finir enfermés. Les machines qui nous apportent l’abondance nous laissent néanmoins insatisfaits. Notre savoir nous a rendu cyniques, notre intelligence inhumains. Nous pensons beaucoup trop et ne ressentons pas assez. Étant trop mécanisés, nous manquons d’humanité. Étant trop cultivés, nous manquons de tendresse et de gentillesse. Sans ces qualités, la vie n’est plus que violence et tout est perdu. Les avions, la radio nous ont rapprochés les uns des autres, ces inventions ne trouveront leur vrai sens que dans la bonté de l’être humain, que dans la fraternité, l’amitié et l’unité de tous les hommes.
En ce moment même, ma voix atteint des millions de gens à travers le monde, des millions d’hommes, de femmes, d’enfants désespérés, victimes d’un système qui torture les faibles et emprisonne des innocents.
Je dis à tous ceux qui m’entendent : Ne désespérez pas ! Le malheur qui est sur nous n’est que le produit éphémère de l’avidité, de l’amertume de ceux qui ont peur des progrès qu’accomplit l’Humanité. Mais la haine finira par disparaître et les dictateurs mourront, et le pouvoir qu’ils avaient pris aux peuples va retourner aux peuples. Et tant que les hommes mourront, la liberté ne pourra périr. Soldats, ne vous donnez pas à ces brutes, ceux qui vous méprisent et font de vous des esclaves, enrégimentent votre vie et vous disent ce qu’il faut faire, penser et ressentir, qui vous dirigent, vous manœuvrent, se servent de vous comme chair à canon et vous traitent comme du bétail. Ne donnez pas votre vie à ces êtres inhumains, ces hommes-machines avec des cerveaux-machines et des cœurs-machines. Vous n’êtes pas des machines ! Vous n’êtes pas des esclaves ! Vous êtes des hommes, des hommes avec tout l’amour du monde dans le cœur. Vous n’avez pas de haine, seuls ceux qui manquent d’amour et les inhumains haïssent. Soldats ! ne vous battez pas pour l’esclavage, mais pour la liberté !
Il est écrit dans l’Évangile selon Saint Luc « Le Royaume de Dieu est au dedans de l’homme », pas dans un seul homme ni dans un groupe, mais dans tous les hommes, en vous, vous le peuple qui avez le pouvoir : le pouvoir de créer les machines, le pouvoir de créer le bonheur. Vous, le peuple, en avez le pouvoir : le pouvoir de rendre la vie belle et libre, le pouvoir de faire de cette vie une merveilleuse aventure. Alors au nom même de la Démocratie, utilisons ce pouvoir. Il faut nous unir, il faut nous battre pour un monde nouveau, décent et humain qui donnera à chacun l’occasion de travailler, qui apportera un avenir à la jeunesse et à la vieillesse la sécurité. Ces brutes vous ont promis toutes ces choses pour que vous leur donniez le pouvoir — ils mentent. Ils ne tiennent pas leurs promesses — jamais ils ne le feront. Les dictateurs s’affranchissent en prenant le pouvoir mais réduisent en esclavage le peuple. Alors, battons-nous pour accomplir cette promesse ! Il faut nous battre pour libérer le monde, pour abolir les frontières et les barrières raciales, pour en finir avec l’avidité, la haine et l’intolérance. Il faut nous battre pour construire un monde de raison, un monde où la science et le progrès mèneront vers le bonheur de tous.
Film Le dictateur (1940)
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27/12/2019
Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit
rien de ce tourment qui m’épuisait
comme la poésie qui portait mon âme,
rien de ces mille crépuscules, de ces mille miroirs
qui me précipitent dans l’abîme.
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit
que j’ai dû traverser à gué dans le fleuve
dont les âmes sont depuis longtemps étranglées par les mers,
et tu ne sais rien de cette formule magique
que notre Lune m’a révélée entre les branches mortes
comme un fruit du printemps.
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit
qui me chassait à travers les tombeaux de mon père,
qui me chassait à travers des forêts plus grandes que la terre,
qui m’apprenait à voir des soleils se lever et se coucher
dans les ténèbres malades de ma tâche journalière.
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit
du trouble qui tourmentait le mortier,
rien de Shakespeare et du crâne brillant
qui, comme la pierre, portait des cendres par millions,
qui roulait jusqu’aux blanches côtes,
au-delà de la guerre et de la pourriture, avec des éclats de rire.
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit
car ton sommeil passait par les troncs fatigués
de cet automne, par le vent qui lavait tes pieds comme la neige.
Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer, Orphée/La Différence,
2012, p. 47.
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26/12/2019
Vitezslav Nezval, Prague aux doigts de pluie
Maïakovski à Prague
Entre les coiffeurs et les popes
Un athlète agile comme une antilope
Ses jeux préférés c'étaient
Les vers et le revolver à tambour
Qui veut de la vodka qui se bouche les intestins
Gauche gauche gauche
Quand Maïakovski vint à Prague
J'étais dans un théâtre au vestiaire
Haut-de-forme de maître de poste
Qu'il est impossible d'enlever
C'était futuriste
Comme nos vies brèves
Et comme ce passant superbe
Qui boirait de la jambe gauche
Il avait l'air trop sérieux pour un poète
Il était trop empâté pour une grenouille
Ah tout ce qui serait arrivé
Si la veste et la fiancée étaient de la même cuvée
C'était de la honte
Que naît la haine
Comme les éléphants il dédaignait toute chose
Plus le ciel est lointain plus il est monotone
Surtout dans les bars
Où n'importe qui admire le charlatan
Il l'avait vu danser à Harlem
Il aimait les palmiers autant que les pommes de terre
Des volets
Et Maïakovski est mort
Lui qui pleurait dès qu'il était seul
Tu connais cela et moi aussi je connais cela
Comme nous aimons Prague
Chaque fois qu'il venait quelqu'un de là-bas
Les tavernes et les ménages bouleversés
Et la Voltava tout à coup séduisante
comme une baigneuse
Nous nous éloignons dans la nuit
À l'angle d'une rue Maïakovski agite son chapeau
Tu te jettes tête baissée
Dans des vers indéfinissables comme la nuit
Et Prague est de nouveau vivante
Le charme des blondes de la petite charcuterie
Comme les ouvrières sont belles
Et nous ne le savions pas
Tu marches et tu parles
Les perspectives défilent
Belles et usées
Comme ton manteau marron
Je connais dans les faubourgs un immeuble
Auquel il ressemble
Comme la poésie à la réalité
Et comme la réalité à la poésie sa demi-sœur
Vitezslav Nezval, Prague aux doigts de pluie, et autres poèmes (1919-1955), traduit du tchèque par François Kérel, Préface de Philippe Soupault, Les Éditeurs Français Réunis, 1960, p. 63-64.
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25/12/2019
Maurice Blanchot, La bête de Lascaux
Parole écrite : parole morte, parole de l’oubli. Cette extrême méfiance pour l’écriture, partagée encore par Platon, montre quel doute a pu faire naître, quel problème susciter l’usage nouveau de la communication écrite : qu’est-ce que cette parole qui n’a pas derrière elle la caution personnelle d’un homme vrai et soucieux de vérité ? L’humanisme déjà tardif de Socrate se trouve ici à égale distance de deux mondes qu’il ne méconnaît pas, qu’il refuse par un choix vigoureux. D’un côté, le savoir impersonnel du livre qui ne demande pas à être garanti par la pensée d’un seul, laquelle n’est jamais vraie, car elle ne peut se faire vérité que dans le monde de tous et par l’avènement même de ce monde. Un tel savoir est lié au développement de la technique sous toutes les formes et il fait de la parole, de l’écriture, une technique.
Maurice Blanchot, La bête de Lascaux, Fata Morgana, 1982, p. 13.
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24/12/2019
Francis Ponge, Pratiques d'écriture
L’écolier
Le langage est donné comme fait. Les hommes parlent et croient se comprendre. Les hommes parlent et croient s’exprimer.
J’y éprouve, tu y éprouves, ils y éprouvent sinon un plaisir du moins la satisfaction naturelle (quoique illusoire absolument) d’un besoin certain.
La littérature est à ce bas niveau de l’expression des hommes, de la conversation. Elle est en partie de l’erreur, de l’imparfait social. Quant à ses rapports avec le besoin d’infini, l’aptitude métaphysique de l’homme, elle n(a pas d’avantages sur le langage courant, elle n’a aucune vertu particulière.
Ce qui précède exprimé de la sorte paraît évident : « inutile de le dire ».
Francis Ponge, Pratiques d’écriture, Hermann, 1984, p. 66.
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23/12/2019
Max Ernst, Les Malheurs des immortels
L’heure de se taire
Près de la lèvre vue dans l’eau, la coquette défrisée promène la lampe dans ses yeux dodus comme des amours. Elle aime à montrer sa faculté de sourire à surface miroitante. Elle étend ses doigts peau d’amazone à la force des bras. Elle étend la mâture de ses seins au pied des ruines et s’endort au crépuscule de ses ongles rongés par des plantes grimpantes.
Max Ernst, Les Malheurs des immortels, dans Écritures, Gallimard, 1970, p. 120.
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22/12/2019
Jules Laforgue, L'imitation de Notre-Dame la Lune
Stérilités
Cautérise et coagule
En virgules
Ses lagunes des cerises
Des félines Ophélies
Orphelines en folie.
Tarentules des feintises
La remise
Sans rancune des ovules
Aux félines Ophélies
Orphelines en folie.
Sourd aux brises des scrupules,
Vers la bulle
De la Lune, adieu, nolise
Ces félines Ophélies
Orphelines en folie !
Jules Laforgue, L’imitation de
Notre-Dame la Lune, dans Poésies complètes,
Léon Vanier, 1902, p. 206.
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21/12/2019
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Je n’écris pas trop mal, parce que je ne me risque jamais.
Il a du talent ou n’en a pas selon qu’on est bien ou mal avec lui. Tout n’est que sympathie ou antipathie.
Brute : pas de cervelle, du cervelas.
Il a perdu une jambe en 70 : il a gardé l’autre pour la prochaine guerre.
Un rhume de cerveau fait bien plus souffrir qu’une idée.
Jules Renard, Journal 1887-1910, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 1018, 1018, 1018, 1023,1018, 1025.
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19/12/2019
Claude Chambard, le chemin vers la cabane
j’ai scruté le ciel
à la recherche des nuages de pluie
une chauve-souris a traversé la pénombre
les constellations de l’été apparaissaient lentement
le chien a frotté son museau contre ma main
il n’y avait pas un bruit dans la maison
Grandpère disait que ce sont les fantômes
qui font grincer les planchers & les armoires
c’est sans doute pourquoi
je n’aime ni les maisons ni les meubles neufs
j’ai besoin de l’âme des anciens
ils ne me racontent pas leurs histoires
non mais ils me disent que je ne suis pas
seulement un rebut
& que nous avons besoin les uns des autres
pour comprendre un peu
ce que devient la vie
(un fil)
Claude Chambard, le chemin vers la cabane, Le bleu
du ciel, 2008, p. 23.
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18/12/2019
Paul Claudel, L'Oiseau noir dans le soleil levant
Deux bambous verts
Sur une longue bande de papier Seiki a peint deux bambous parallèles de diamètres différents, pas de feuilles, rien que les deux tuyaux d’un vert égal en commençant par les racines. Deux cannes, on dirait : est-ce un sujet pour un peinte ? Mais que les deux tuyaux n’aient pas la même grosseur, est-ce que l’œil ne s’en aperçoit pas aussitôt et ce qui nourrit en nous le sens de la proportion ? Aussi ne vois-tu pas que les jointures très rapprochées près de la racine s’écartent ensuite à des distances calculées qui ne sont pas sur les deux tiges les mêmes ? Et de cette double comparaison ne jaillit-il pas pour l’esprit à la fois une harmonie et une mélodie comme des nœuds d’une double flûte ? l’œil ne se lasse pas de vérifier que la proportion est ce nombre qui n’est capable d’être représenté par aucun chiffre.
Paul Claudel, L’Oiseau noir dans le soleil levant, à la suite de Connaissance de l’Est, Poésie/Gallimard, 1974, p. 247.
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Paul Claudel, L'Oiseau noir dans le soleil levant
Deux bambous verts
Sur une longue bande de papier Seiki a peint deux bambous parallèles de diamètres différents, pas de feuilles, rien que les deux tuyaux d’un vert égal en commençant par les racines. Deux cannes, on dirait : est-ce un sujet pour un peinte ? Mais que les deux tuyaux n’aient pas la même grosseur, est-ce que l’œil ne s’en aperçoit pas aussitôt et ce qui nourrit en nous le sens de la proportion ? Aussi ne vois-tu pas que les jointures très rapprochées près de la racine s’écartent ensuite à des distances calculées qui ne sont pas sur les deux tiges les mêmes ? Et de cette double comparaison ne jaillit-il pas pour l’esprit à la fois une harmonie et une mélodie comme des nœuds d’une double flûte ? l’œil ne se lasse pas de vérifier que la proportion est ce nombre qui n’est capable d’être représenté par aucun chiffre.
Paul Claudel, L’Oiseau noir dans le soleil levant, à la suite de Connaissance de l’Est, Poésie/Gallimard, 1974, p. 247.
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17/12/2019
Victoria Xardel, J'ai les moyens
J’ai les moyens
Lorsque la glace cède tous les excréments refont surface
et flics et émeute en viennent à se présupposer réciproquement.
Après avoir châtré une écrevisse je lui envie sa dextérité à mourir.
Kenneth Rexroth soutient que les carcasses de voitures
sont un problème écologique. Vieux con.
Ce qui me rend profondément pessimiste
c’est qu’on ne parle bien que de ce qui est en train de disparaître.
Tu casses les objets par nonchalance. Ton goût pour le désordre
n’est qu’une autre forme de maîtrise.
Une prédilection pour les hypothèses extravagantes
et, comme telles, inattaquables, les maniaques de l’appropriation,
la construction de systèmes mélancoliques.
Victoria Xardel, dans Senna Hoy, n° 1, décembre 2019, np.
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16/12/2019
Jean-Paul de Dadelsen, Gœthe en Alsace
Les ponts de Budapest
Ils m'ont pendu pour avoir voulu vivre
Ils m'ont pendu pour n'avoir pas tué
Ils = ce ne sont pas les mêmes tous les jours — m'ont pendu
pour avoir cru ce que prédisent les autres
dans leurs livres d'école du soir pour adultes arriérés. Ils m'ont pendu
pour rien. Pour oublier la peur. Pour étrangler la honte.
Écoute, sur les ponts de Budapest, coexister
les pendus de tous catéchismes, de toutes cosmogonies
Une fois le mauvais moment passé, on se tient compagnie
plus on est de pendus, plus on peut causer
au point où l'on en est, plus on peut rire
Le vent du beau Danube bleu remplit nos poches à jamais vides de grenades
le givre raidit les défroques de nos corps. Six jours durant
j'ai trimé dur : le septième jour je me suis reposé, j'ai vu
D'étranges mandragores vont naître sur les routes
quand les chars, quand les chiens, quand les égouts en débordant
auront disséminé dans toutes les veines de la terre, dans toutes
ses matrices ce foutre de pendu, ce sang
giclant en pluie équatoriale sur les arbres gluants
ces lambeaux de muqueuses et d'os et d'ongles de gamines de treize ans
pour de précoces noces habillées de grenades
se glissant sous les chars pour se faire avec eux sauter
[...]
Jean-Paul de Dadelsen, Gœthe en Alsace, Le temps qu'il fait, 1982, p. 40-41.
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