18/04/2024
Ossip Mandelstam, Simple promesse
Armé de la vision des guêpes étroites ;
Qui sucent l’axe de la terre, l’axe de la terre ;
Je pressens tout ce qu’il m’a fallu connaître,
Je m’en souviens par cœur et vainement.
Et je ne dessine pas, ne chante pas,
Ne guide pas l’archet à la voix noire :
Je me contente de boire la vie et j’aime
À envier les guêpes fortes et rusées.
Oh, qu’un jour vienne, n’importe quand,
Où la piqûre de l’air et la chaleur de l’été
M’obligent, une fois franchi soleil et mort,
À entendre l’axe de la terre, l’axe de la terre.
8 février 1937, Voronèje
Ossip Mandelstam, Simple promesse
(choix 1908-1937), traduction P. Jaccottet,
L.Martinez, J-C/ Schneider, La Dogana, p. 138
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08/11/2023
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Dans ce coin du monde qu’est un village, il y a à peu près toute l’humanité.
La vanité est le sel de la vie.
Livres. Il suffit de lire les cinquante premières pages et de découper le reste.
J’avoue que parfois la nature m’embête. C’est une saveur de plus que je lui dois : celle de l’ennui.
La Bruyère, le seul dont dix lignes lues au hasard ne déçoivent jamais.
Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 1182, 1186, 1191, 1191, 1195.
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15/03/2021
Pierre Reverdy, Le gant de crin
Un artiste qui espère la gloire posthume est comme un homme qui dirait : « Quand je n’y serai plus, je ferai ceci, je ferai cela. »
La misère est une espèce de reflet sinistre de l’enfer. Mais la pauvreté nous accable du poids de l’esclavage.
Il est aussi ridicule de prendre, quand on est vieux, des airs de jeune que, quand on est jeune, des airs de vieux.
Quand on voit quels sont les hommes qui comptent, on a tout de suite envie de ne jamais compter. Mais quand on voit aussi ceux qui ne comptent pas et qui se croient dignes de compter...
Pierre Reverdy, Le gant de crin, Plon, 1927, p. 74, 76, 85, 88.
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12/04/2020
Philippe Desportes, Contre une nuit trop claire
Quand quelquefois je pense au vol de cette vie,
Et que nos plus beaux jours plus vitement s’en vont,
Comme neige au soleil mes esprits se défont,
Et de mon cœur troublé toute joie est ravie.
Ô désirs qi teniez ma jeunesse asservie,
Semant devant le temps des rides sur mon front,
Ma nef par vos fureurs ne sera mise à fond ;
Je vois la rive proche où le Ciel me convie.
Mais pourquoi, las ! plus tôt ne me suis-je avisé
Que le bien de ce monde et l’honneur plus prisé
N’est qu’un songe, un fantôme, une ombre, un vain nuage ?
Telle erreur si longtemps ne m’eût pas arrêté,
Comme une second Narcisse, amoureux de l’ombrage,
Au lieu du bien parfait et de la vérité.
(Œuvres chrétiennes, Sonnets spirituels)
Philippe Desportes, Contre une nuit trop claire, Orphée/La Différence,
1989, p. 97.
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21/04/2017
Giacomo Leopardi, Poèmes et fragments
À soi-même
Or à jamais tu dormiras,
cœur harassé. Or est le dernier mirage,
que je crus éternel. Mort. Et je sens bien
qu’en nous des chères illusions
non seul l’espoir, le désir est éteint.
Dors à jamais Tu as
assez battu. Nulle chose ne vaut
que tu palpites, et de soupirs est indigne
la terre. Amertume et ennui,
non, rien d’autre, la vie ; le monde n’est que bosse.
Or calme-toi. Désespère
un dernier coup. À notre genre le Sort
n’a donné que le mourir. Méprise désormais
toi-même, la nature, et la puissance
brute inconnue qui commande au mal commun,
et l’infinie vanité du Tout.
Giacomo Leopardi, Poèmes et fragments, traduction
de Michel Orcel, La Dogana, 1987, p. 123.
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24/06/2014
Édith Boissonnas, L'embellie
Emporté
Un grand souffle et s'envolèrent les amitiés
Encombrantes, volèrent les livres suprêmes,
Tout ce qui retient et distrait fut sans pitié
Balayé en moi par un souffle de poème.
La nuit vint et je me sentais porté toujours,
La moindre brise était de plomb et combien lente.
Aucun repos où poussent, délicates plantes,
Les vanités folles, les échanges sucrés,
Que je voyais ailleurs partout et dans ma hâte
Parfois je piétinais d'un pas ivre, harassé,
Mais au couchant, de grandes ailes battent,
S'apaisent. Je me sens alors emprisonné.
Édith Boissonnas, L'embellie, Gallimard, 1966, p. 15.
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06/03/2014
Henri-Pierre Roché, Don Juan et...
Don Juan et La Louchon
Ah ! dit la femme du sergent qui passait par là, c'est cette petite traînée de Louchon que vous attendez ce soir ,
« Hein, vous n'avez qu'à siffler et elle vient se coucher come une vraie petite chienne !»
« Non, Madame, ce n'est pas ainsi ! Je l'attends et je ne sais pas si elle viendra.»
« Si elle vient, ce n'est pas sûr d'avance qu'il arrivera ce que vous pensez. »
« Et si cela arrive, c'est une grande grâce qu'elle me fera. »
Don juan et Florine
Sa nuque brillait dans la fête, et ses tempes étaient fines.
Don Juan la pria, l'emmena dans le bosquet, sauta en selle et l'invita à monter avec lui son beau cheval.
Yeux baissés, souriante, elle se laissa placer entre ses bras.
Le cheval partit d'un doux galop, contourna une pelouse du parc, et bientôt piqua vers la forêt.
Pâmée, « Ah, pourquoi, murmura-t-elle, les hommes m'aiment-ils ? »
Don Juan ralentit son cheval. Il y avait devant eux un tas de feuilles mortes. Quand ils passèrent à côté, sans la regarder, il la poussa dedans.
Et il continua vers la forêt.
Henri-Pierre Roché, Don Juan et..., André Dimanche, 1994, np.
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