17/07/2019
Samuel Beckett, Peste soit de l'horoscope
Précepte
Passe les années d’études à gaspiller
Le courage qu’il faut pour les années d’errance
Dans un monde qui se détourne poliment
Des incongruités de l’érudition
Gnome, 1934
Samuel Beckett, Peste soit de l'horoscope, traduction
Édith Fournier, éditions de Minuit, 2012, p. 27.
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15/07/2019
Henri Michaux, Fille de la montagne
Fille de la montagne
Fille restée petite
sans fleurir
chapelet de jours
sans aurore
soignant les bêtes
dans un réduit sans air
rêvant fenêtres
une grande large fenêtre,
où les disparus
réapparaîtraient
pénitence terminée.
La saison de la feuillaison revenue
la voici au-dehors
menant les chèvres brouter.
À nouveau sur les cimes, l’étrangère
l’immensité devant elle
immensités autour d’elle
grimpant
dévalant
remontant
Mais loin du pays de sa naissance
loin le Grand Continent
habité des dieux.
Sur les hauteurs, les cieux sont proches,
de partout reviennent
Montagnes donnant courage aux courageux
persévérance aux persévérants
déviation à celles qui aspirent à l’élévation
(…)
Henri Michaux, Fille de la montagne, dans
Œuvres, III, Pléiade / Gallimard, 2004, 1289-1290.
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14/07/2019
Oscar Wilde, Poèmes
Madonna mia
Une fillette, un lys, inapte à la douleur du monde,
Cheveux bruns et soyeux tressés autour de ses oreilles,
Aux yeux charmants voilés de larmes folles,
Telle une eau d’un bleu pur dans un brouillard de pluie,
Et des joues pâles ignorantes des baisers,
Lèvres rouges qui ont toujours craint l’amour.
Gorge aussi blanche que gorge de colombe,
Sur le marbre de laquelle s’inscrit une veine de pourpre,
Pourtant, bien que mes lèvre ne cessent de te louer,
Je n’ose même pas embrasser ton pied,
Tant je suis assombri par les ailes de la peur,
Tel Dante, se tenant auprès de Béatrice,
Sous le portail en feu du Lion, lorsqu’il vit
La Septième splendeur et l’Escalier d’or.
Oscar Wilde, Poèmes, traduction Bernard Delvaille,
dans Œuvres, Pléiade / Gallimard, 1996, p. 13.
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13/07/2019
Vadim Kosovoï, Hors de la colline
Jeunesse éternelle
d’éblouissantes koboldinettes qui trônaient sur un tas d’ordures
et voilà par le sale balai dépouillées à poil fesses de crotte
un pressoir les berçait de son poing ossifié
une brassière leur siffla un cric-crac d’oisillon
et le seigneur piqué de son au groin du porcelet
en personne les bénit au passage d’un gros coup de casquette
alors quand
quand leurs tignasses d’emprunt brillotèrent de limaille sénile
d’éblouissantes koboldinettes se prirent par les pattes de chiasse
impérissablement
pour dansse le glas tintamarre du sordide balai écorcheur
Vadim Kosovoï, Hors de la colline, version française de l’auteur
avec la collaboration de Michel Deguy et Jacques Dupin, préface
de Maurice Blanchot, illustrations de Henri Michaux, Hermann,
1984, p. 91.
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12/07/2019
Robert Desnos, Domaine public
Siramour
Semez, semez la graine
Aux jardins que j’avais.
Je parle ici de la sirène idéale et vivante,
De la maîtresse de l’écume et des moissons de la nuit
Où les constellations profondes comme des puits grincent
de toutes leurs poulies et renversent à pleins seaux
la terre et le sommeil un tonnerre de marguerites
et de pervenches.
Nous irons à Lisbonne, âme lourde et cœur gai,
Cueillir la belladone au jardin que j’avais.
Je parle ici de la sirène idéale et vivante,
Pas la figure de proue mais la figure de chair,
La vivante et l’insatiable,
Vous que nul ne pardonne,
Âme lourde et cœur gai,
Sirène de Lisbonne,
Lionne rousse aux aguets.
Je parle ici de la sirène idéale et vivante,
Jadis une sirène
À Lisbonne vivait.
Semez, semez la graine
Aux jardins que j’avais.
(…)
Robert Desnos,Siramour, dans Domaine public,
Gallimard, 1953, p. 295.
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11/07/2019
Fernando Pessoa, Le violon enchanté
35 sonnets, I
Jamais nous n’avons d’apparence, que nous parlions
Ou que nous écrivions ; sauf quand nous regardons. Ce
que nous sommes
Ne peut passer dans un livre ou un mot.
Infiniment notre âme est loin de nous.
Et quelque forte soit la volonté que nos pensées
Soient notre âme, en imitent le geste,
Nous ne pouvons jamais communiquer nos cœurs.
Nous sommes méconnus dans ce que nous montrons.
Aucune habileté de la pensée, aucune ruse des semblants
Ne peut franchir l’abîme entre deux âmes.
Nous sommes de nous-mêmes un abrégé, quand
nous voudrions
Clamer notre être à notre pensée.
Nous sommes les rêves des lueurs de nos âmes,
Et l’un l’autre des rêves les rêves des autres.
Fernando Pessoa, Le violon enchanté, traduction des sonnets
Olivier Amiel, Christian Bourgois, 1992, p. 295.
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10/07/2019
Jean Tardieu, Pages d'écriture
Les mots de tous les jours
Il faut se méfier des mots, ils sont toujours trop beaux, trop rutilants et leur rythme vous entraîne, prêt à vous faire prendre un murmure pour une pensée.
Il faut tirer sur les mots sans cesse, de peur que ces trop bouillants coursiers ne s’emballent.
J’ai longtemps cherché les mots les plus simples, les plus usés, même les plus plats. Mais ce n’est pas encore cela : c’est leur juste assemblage qui compte.
Quiconque saurait le secret usage des mots de tous les jours aurait un pouvoir illimité — et il ferait peur.
Jean Tardieu, Pages d’écriture, Gallimard, 1967, p.32.
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09/07/2019
Jean Ristat, Artémis chasse à courre le sanglier, le cerf et le loup
La chasse du cerf
(...)
Avant que de reprendre souffle [Actéon] sent fléchir
Ses jambes et son dos se courbe entraînant sa tête
Soudain plus pesante qu’un boulet de canon
Vers le sol où parmi les feuilles pourrissantes
Dorment des étoiles chapeautées comme des
Champignons sous leurs jupes plissées, il suit
La trace d’artémis à l’odeur de cuit bouilli
Il s’étonne et s’émeut à fouiller les sous-bois
À dévorer goulûment les faines éparses
Dans les sentiers l’herbe tendre et acidulée
La pomme comme un petit sein tendu et ferme
Il s’arrête et frémit une biche paraît
Qui le regarde doucement entre les hautes
Fougères les yeux noirs grands ouverts et profonds
Comme l’abysse où s’enroule au fuseau de la
Flamme le temps sans mémoire de l’être et seule
La turbulence des oreilles trahit la
Blessure d’un désir la divine surprise
Jean Ristat, Artémis chasse à courre le sanglier, le cerf et le loup,
Gallimard, 2007, p. 20.
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08/07/2019
Armand Robin, Le Monde d'une voix
Solitaire
Solitaire, sans pays,
Je n’ai pas de jour selon vos bonjours,
Mes jours ne veulent bonjours
Que dans l’aube authentique du règne du travail.
Mes bonjours ne salueront
Que l’aube authentique du monde du travail !
Armand Robin, Le Monde d’une voix, préface Henri
Thomas, Gallimard, 1968, p. 163.
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07/07/2019
Shakespeare, Sonnets (traduction Pierre Jean Jouve)
XIII
Ah si vous étiez vous à vous-même ! mais, amour, vous n’êtes vous-même à vous-même que tant que vit ici votre vous-même : contre cette fin qui accourt vous devez vous prémunir, et votre chère semblance à quelque autre la départir.
Alors cette beauté dont vous avez la jouissance, elle ne trouverait de fin alors vous seriez votre vous-même encore après mort de vous-même, votre doux fruit portant votre très douce forme.
Qui peut laisser si belle maison tomber à ruine, qu’un soin familier maintiendrait en honneur, contre bourrasque et vent du jour d’hiver et stérile rage du froid éternel de la mort ?
Oh seulement l’infécond. Cher amour vous savez que vous eûtes un père : que votre fils aussi de vous puisse le dire.
William Shakespeare, Sonnets, traduction Pierre Jean Jouve, dans Pierre Jean Jouve, Œuvre, II, édition établie par Jean Starobinski, Mercure de France, 1987, p. 2081.
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06/07/2019
Marina Tsvétaïéva, Tentative de jalousie
Ennui et tristesse
Ennui et tristesse… À qui donnerai-je la main
À l’heure où plus rien ne nous leurre ?
Désirs ? À quoi bon désirer constamment et en vain ?
Et l’heure s’en va — la meilleure.
Aimer — mais qui donc ? À quoi bon ? — ces amours pour un jour ?
Que dure l’amour le plus tendre ?
Je sonde mon cœur. Ce qui fut est parti sans retour,
Et tout ce qui est n’est pas tendre.
Je vois mes passions, sous la faux de la froide raison
Gisant — comme tiges éparses,
Oh, vie ! soupirs et plaisirs et retour des saisons —
Oh, vie, tu n’es qu’une farce.
Marina Tsvétaïéva, Tentative de jalousie & autre poèmes,
traduction Ève Malleret, La Découverte, 1986, p. 207.
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05/07/2019
Cécile A. Holdban, Partir du silence, Variations sur Philip Glass
avril
Quelle est cette puissance
que plus rien ne contient
cette vie rouge qui éclate
aiguisée de lumière
la sève contenue par la terre
envahit l’espace
les fleurs prises dans ce mouvement
naissent s’envolent se fanent,
balayées par les vents rapides.
Les passants aveuglés de soleil
recueillent les pétales
pensent à la bénédiction
du printemps
Dans cet emballement de cheval fou
l’ivresse des éléments, la violence muette
un enfant s’abandonne
avril est mort
(Concerto pour violon. Premier mouvement)
Cécile A. Holdban, Partir du silence, Variations
sur Philip Glass, dans la revue de belles-lettres,
2019, I, p. 29.
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03/07/2019
Étienne Faure, Scrutations
Dans la ville à pied, sans repli, sans arrière
pays, origines, hors cela, il emprunte
sous le nom de rue, pont, grève
un parcours exempté de fil, anonyme,
laissant l’impasse pour attraper les quais
via les passages, les cours et circuler
inclus dans la foule en mue sans arrêt
selon l’heure ou l’allure à laquelle on passe,
interdit soudain sous un nom, un bouquet
au mur scellé (mortellement blessé)
après la chute de naguère, le bruit d’un corps au sol,
épitaphe à jamais cernée du crible des impacts
encore aux murs, semblant dire : passant,
nous allons mourir, et personne n’en saura rien,
ou bien de continuer de parler aux vivants
plus avant, ceux qui vont te survivre
— et le flâneur éclairé sous un angle
un instant exposé au soleil du soir,
médite à découvert avant de traverser vite,
regagner l’ombre.
passage à découvert
Étienne Faure, Scrutations, dans la revue de
belles-lettres, 2019, I, p. 110.
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01/07/2019
Cécile Mainardi, Idéogrammes acryliques
Ai lu aujourd’hui sur une stèle du cimetière Cauca-de l’épitaphe « à la mort innattendue de son fils » pas une faute d’inattention comme on disait à l’école non une vraie faute d’orthographe une entorse à la règle dérisoirement gravée dans la pierre comme si elle se justifiait par une forme d’illettrisme devant la mort ne rendait pas le fils à la vie le retranchait plutôt à la réalité dicible de son nouvel état à chaque lecture à chaque lecteur à chaque promeneur qui passe par là et qui accidentellement tombe dessus
Cécile Mainardi, Idéogrammes acryliques, Flammarion, 2018, p. 58. |
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30/06/2019
Antoine Emaz, Peau
Vert, I (31.09.05)
on marche dans le jardin
il y a peu à dire
seulement voir la lumière
sur la haie de fusains
un reste de pluie brille
sur les feuilles de lierre
rien ne bouge
sauf le corps tout entier
une odeur d'eau
la terre acide
les feuilles les aiguilles de pin
silence
sauf les oiseaux
marche lente
le corps se remplit du jardin
sans pensée ni mémoire
accord tacite
avec un bout de terre
rien de plus
ça ne dure pas
cette sorte de temps
on est rejoint
par l'emploi de l'heure
l'à faire
le corps se replie
simple support de tête
à nouveau les mots
l'utile
on rentre
on écrit
ce qui s'est passé
il ne s'est rien passé
Antoine Emaz, Peau, encres de Djamel Meskache,
éditions Tarabuste, 2008, p. 25-28. Photo Tristan Hordé, mai 2011.
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