10/04/2020
Pierre Silvain, Le Jardin des retours
Tout commence donc par un contretemps. Un train passait et je suivais sa progression ralentie, entre les touffes de tamaris qui bordaient la voie ferrée, à l’approche de la petite gare. Le sifflement de la locomotive m’avait alerté. Je levais la tête au-dessus du papier, mais la diversion que je partageais avec les autres élèves ne me distrayait pas de mon désir contrarié par le silence d’une carte de géographie et la disparition dans les sables du fleuve reptilien sorti de la zone brun clair figurant, avant de se dégrader en tons plus clairs jusqu’au jaune pâle du désert, la haute montagne. Le retard a été une des obsessions de mon enfance, le retard des choses de ce monde à répondre à mon appel. Si exigeant et angoissé qu’il a pu être — qu’il demeure. Contrastant avec la lenteur, l’hébétude proche de l’engourdissement que le climat entretenait dans les corps et les têtes.
Pierre Silvain, Le Jardin des retours, Verdier, 2002, p. 32.
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29/08/2013
Samuel Beckett, Comment c'est
ma journée ma journée ma vie comme ça toujours les vieux mots qui reviennent plus grand'chose seulement que je me réacclimate puis dure jusqu'au sommeil ne pas s'endormir ou alors ce n'est pas la peine
fou ou pis transformé à la Haeckel né à Potsdam où vécut également Klopstock entre autres et œuvres quoique enterré à Altona l'ombre qu'il jette
le soir face au grand soleil ou adossé je ne sais plus on ne dit pas la grande ombre qu'il jette vers l'est natal les humanités que j'avais mon Dieu avec ça un peu de géographie
plus grand'chose mais dans la queue le venin j'ai perdu mon latin il faut être vigilant donc un bon moment sonné sur le ventre puis soudain me mets je ne peux pas le croire à écouter
à écouter comme si parti la veille au soir de la Nouvelle-Zemble la géographie que j'avais je venais de revenir à moi dans une sous-préfecture sub-tropicale voilà comme j'étais comme j'étais devenu ou avais toujours été c'est l'un ou l'autre
question si toujours bonne vieille question toujours comme ça depuis que le monde monde pour moi des murmures de ma mère chié dans l'incroyable tohu-bohu
comme ça à ne pouvoir faire un pas surtout la nuit sans m'immobiliser sur un pied yeux clos souffle coupé à l'affût des poursuiveurs et secours
Samuel Beckett, Comment c'est, éditions de Minuit, 1961, p. 51-52.
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