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27/07/2019

Jean Genet, Un chant d'amour

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Un chant d’amour

 

Berger descends du ciel où dorment tes brebis !

(Au duvet d’un berger bel Hiver je te livre)

Sous mon haleine encor si ton sexe est de givre

Aurore le défait de ce fragile habit.

 

Est-il question d’amour au lever du soleil ?

Leurs chants dorment encor dans le gosier des pâtres,

Écartons nos rideaux sur ce décor de marbre ;

Ton visage ahuri saupoudré de sommeil.

 

O ta grâce m’accable et je tourne de l’œil

Beau navire habillé pour la noce des Iles

Et du soir. Haute vague ! Insulte difficile

O mon continent noir ma robe de grand deuil !

(…)

 

Jean Genet, Un chant d’amour, dans Le condamné à mort (…),

L’Arbalète, 1966, p. 81.

26/07/2019

Bashô seigneur ermite

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Elles mourront bientôt

et pourtant n’en montrent rien —

Chant des cigales

 

Obscurité de la nuit —

Un pluvier pleure

son nid perdu

 

Jour après jour

les orges rougissent —

Chant d’alouettes

 

Souffle le vent d’automne —

Mais les bogues des châtaignes

encore vertes

 

Invisible printemps _

Des fleurs de pruniers dessinées

au revers du miroir

 

 

Bashô, seigneur ermite, édition bilingue

par Makoto Kemmoku et Dominique Chapot,

La table ronde, 2012, p. 255, 272, 276, 285, 293.

25/07/2019

Albane Prouvost, Ne tirez pas camarades

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Bien reste immobile

ne bouge pas

ou tu vas te faire tirer dessus

 

nous partons dans des directions opposées

 

en poussant des cris dans la plaine

ou en arrivant à toute vitesse

nous nous éloignons

nous sommes lourds

 

On traverse la rivière

c’est la débâcle

je pense au poète Victor Chklovski

en traversant la rivière

pendant que je traverse la rivière en me frayant

un passage à travers les blocs de glace

 

Je décide de vous faire confiance

c’est ma décision

je vous vois vous éloigner

sous les branches et le vent léger

nous sommes déjà loin et le vent rougit nos joues

le froid est très vif

(…)

 Albane Prouvost, Ne tirez pas camarades, éditions Unes,

2000, p. 19-20.

 

 

23/07/2019

Jean Queval, En somme

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                            Classique moderne

 

Dans les bordels les hangars les cartes postales grattées à la guerre

Dans l’usure au crépuscule des us ridicules

Dans les minéraux insondés des anciennes terres

 

Avec ces matériaux délaissés des héritages délaissés

Tout ce qu’ils avaient dans l’oreille sous les yeux dans la main

Avec leur main d’écrivain quelques-uns n’avaient peur de rien

 

Dans de vastes canevas aux arcanes subtils aux cavernes vidées

Dans comme tout le discours en récapitulé, ils écrivirent

Les mythologies des anciens temps dans la lumière de ce jour

                              assez triste, évidemment

 

Jean Queval, En somme, Gallimard, 1970, p. 206.

20/07/2019

René Char, La fontaine narrative

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                               Le martinet

 

Martinet aux ailes trop larges, qui vire et crie sa joie autour de la maison. Tel est le cœur.

 

Il dessèche le tonnerre. Il sème dans le ciel serein. S’il touche au soleil, il se déchire.

 

Sa repartie est l’hirondelle. Il déteste la familière. Que vaut dentelle de la tour ?

 

Sa panse est au creux le plus sombre. Nul n’est plus à l’étroit que lui.

 

L’été de la longue clarté, il filera dans les ténèbres, par les persiennes de minuit.

 

Il n’est pas d’yeux pour le tenir. Il crie, c’est toute sa présence. Un mince fusil va l’abattre. Tel est le cœur.

 

René Char, La fontaine narrative, dans Œuvres complètes, La Pléiade / Gallimard, 1983, p. 276.

19/07/2019

Jules Supervielle, La Fable du monde

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La mer secrète

 

Quand nul ne la regarde

La mer n’est plus la mer,

Elle est ce que nous sommes

Quand nul ne nous voit.

Elle a d’autres poissons,

D’autres vagues aussi.

C’est la mer pour la mer

Et pour ceux qui en rêvent

Comme je fais ici.

 

Jules Supervielle, La Fable du monde,

dans Œuvres poétiques complètes, édition

Michel Collot, Pléiade /Gallimard,

1996, p. 402.

18/07/2019

Jues Renard, Journal, 1887-1910

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Si, au lieu de gagner beaucoup d ‘argent pour vivre, nous tâchions de vivre avec peu d’argent ?

 

Il y a les bons écrivains, et les grands. Soyons les bons.

 

Il faut être honnête et modeste, mais il faut dire qu’on l’est.

 

Aller parfois dans le monde pour avaler un verre de bile.

 

Écrire, c’est une façon de parler sans être interrompu.

 

Jules Renard, Journal 1887-1910, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 254, 263, 264, 273, 277.

 

17/07/2019

Samuel Beckett, Peste soit de l'horoscope

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                  Précepte

 

Passe les années d’études à gaspiller

Le courage qu’il faut pour les années d’errance

Dans un monde qui se détourne poliment

Des incongruités de l’érudition

 

                                               Gnome, 1934

 

Samuel Beckett, Peste soit de l'horoscope, traduction

Édith Fournier, éditions de Minuit, 2012, p. 27.

15/07/2019

Henri Michaux, Fille de la montagne

 

Fille de la montagne

 

Fille restée petite

sans fleurir

chapelet de jours

sans aurore

 

soignant les bêtes

dans un réduit sans air

 

rêvant fenêtres

une grande large fenêtre,

où les disparus

réapparaîtraient

pénitence terminée.

 

La saison de la feuillaison revenue

la voici au-dehors

menant les chèvres brouter.

 

À nouveau sur les cimes, l’étrangère

l’immensité devant elle

immensités autour d’elle

grimpant

dévalant

remontant

 

Mais loin du pays de sa naissance

loin le Grand Continent

habité des dieux.

 

Sur les hauteurs, les cieux sont proches,

 

de partout reviennent

 

Montagnes donnant courage aux courageux

persévérance aux persévérants

déviation à celles qui aspirent à l’élévation

(…)

 

Henri Michaux, Fille de la montagne, dans

Œuvres, III, Pléiade / Gallimard, 2004, 1289-1290.

 

14/07/2019

Oscar Wilde, Poèmes

 

                        Madonna mia

 

Une fillette, un lys, inapte à la douleur du monde,

Cheveux bruns et soyeux tressés autour de ses oreilles,

Aux yeux charmants voilés de larmes folles,

Telle une eau d’un bleu pur dans un brouillard de pluie,

 

Et des joues pâles ignorantes des baisers,

Lèvres rouges qui ont toujours craint l’amour.

Gorge aussi blanche que gorge de colombe,

Sur le marbre de laquelle s’inscrit une veine de pourpre,

 

Pourtant, bien que mes lèvre ne cessent de te louer,

Je n’ose même pas embrasser ton pied,

Tant je suis assombri par les ailes de la peur,

 

Tel Dante, se tenant auprès de Béatrice,

Sous le portail en feu du Lion, lorsqu’il vit

La Septième splendeur et l’Escalier d’or.

 

Oscar Wilde, Poèmes, traduction Bernard Delvaille,

dans Œuvres, Pléiade / Gallimard, 1996, p. 13.

13/07/2019

Vadim Kosovoï, Hors de la colline

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                             Jeunesse éternelle

 

d’éblouissantes koboldinettes qui trônaient sur un tas d’ordures

et voilà par le sale balai dépouillées à poil fesses de crotte

un pressoir les berçait de son poing ossifié

une brassière leur siffla un cric-crac d’oisillon

et le seigneur piqué de son au groin du porcelet

en personne les bénit au passage d’un gros coup de casquette

alors quand

quand leurs tignasses d’emprunt brillotèrent de limaille sénile

d’éblouissantes koboldinettes se prirent par les pattes de chiasse

impérissablement

pour dansse le glas tintamarre du sordide balai écorcheur

 

Vadim Kosovoï, Hors de la colline, version française de l’auteur

avec la collaboration de Michel Deguy et Jacques Dupin, préface

de Maurice Blanchot, illustrations de Henri Michaux, Hermann,

1984, p. 91.

12/07/2019

Robert Desnos, Domaine public

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Siramour

 

Semez, semez la graine

Aux jardins que j’avais.

Je parle ici de la sirène idéale et vivante,

De la maîtresse de l’écume et des moissons de la nuit

Où les constellations profondes comme des puits grincent

            de toutes leurs poulies et renversent à pleins seaux

            la terre et le sommeil un tonnerre de marguerites

            et de pervenches.

Nous irons à Lisbonne, âme lourde et cœur gai,

Cueillir la belladone au jardin que j’avais.

Je parle ici de la sirène idéale et vivante,

Pas la figure de proue mais la figure de chair,

La vivante et l’insatiable,

Vous que nul ne pardonne,

Âme lourde et cœur gai,

Sirène de Lisbonne,

Lionne rousse aux aguets.

Je parle ici de la sirène idéale et vivante,

Jadis une sirène

À Lisbonne vivait.

Semez, semez la graine

Aux jardins que j’avais.

(…)

 Robert Desnos,Siramour, dans Domaine public,

Gallimard, 1953, p. 295.

 

 

11/07/2019

Fernando Pessoa, Le violon enchanté

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                    35 sonnets, I

 

Jamais nous n’avons d’apparence, que nous parlions

Ou que nous écrivions ; sauf quand nous regardons. Ce

          que nous sommes

Ne peut passer dans un livre ou un mot.

Infiniment notre âme est loin de nous.

Et quelque forte soit la volonté que nos pensées

Soient notre âme, en imitent le geste,

Nous ne pouvons jamais communiquer nos cœurs.

Nous sommes méconnus dans ce que nous montrons.

Aucune habileté de la pensée, aucune ruse des semblants

Ne peut franchir l’abîme entre deux âmes.

Nous sommes de nous-mêmes un abrégé, quand

              nous voudrions

Clamer notre être à notre pensée.

      Nous sommes les rêves des lueurs de nos âmes,

      Et l’un l’autre des rêves les rêves des autres.

 

Fernando Pessoa, Le violon enchanté, traduction des sonnets

Olivier Amiel, Christian Bourgois, 1992, p. 295.

 

10/07/2019

Jean Tardieu, Pages d'écriture

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                             Les mots de tous les jours

 

   Il faut se méfier des mots, ils sont toujours trop beaux, trop rutilants et leur rythme vous entraîne, prêt à vous faire prendre un murmure pour une pensée.

   Il faut tirer sur les mots sans cesse, de peur que ces trop bouillants coursiers ne s’emballent.

   J’ai longtemps cherché les mots les plus simples, les plus usés, même les plus plats. Mais ce n’est pas encore cela : c’est leur juste assemblage qui compte.

   Quiconque saurait le secret usage des mots de tous les jours aurait un pouvoir illimité — et il ferait peur.

 

Jean Tardieu, Pages d’écriture, Gallimard, 1967, p.32.

09/07/2019

Jean Ristat, Artémis chasse à courre le sanglier, le cerf et le loup

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                  La chasse du cerf

(...)

Avant que de reprendre souffle [Actéon] sent fléchir

Ses jambes et son dos se courbe entraînant sa tête

Soudain plus pesante qu’un boulet de canon

Vers le sol où parmi les feuilles pourrissantes

Dorment des étoiles chapeautées comme des

Champignons sous leurs jupes plissées, il suit

La trace d’artémis à l’odeur de cuit bouilli

Il s’étonne et s’émeut à fouiller les sous-bois

À dévorer goulûment les faines éparses

Dans les sentiers l’herbe tendre et acidulée

La pomme comme un petit sein tendu et ferme

Il s’arrête et frémit une biche paraît

Qui le regarde doucement entre les hautes

Fougères les yeux noirs grands ouverts et profonds

Comme l’abysse où s’enroule au fuseau de la

Flamme le temps sans mémoire de l’être et seule

La turbulence des oreilles trahit la

Blessure d’un désir la divine surprise

 

Jean Ristat, Artémis chasse à courre le sanglier, le cerf et le loup,

Gallimard, 2007, p. 20.