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17/09/2021

Baudelaire, Mon cœur mis à nu

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Ne pouvant pas supprimer l’amour, l’Église a voulu au moins le désinfecter, et elle a fait le mariage.

Pourquoi l’homme d’esprit aime les filles plus que les femmes du monde, malgré qu’elles soient également bêtes ? — À trouver.

Ce qu’il y a d’ennuyeux dans l’amour, c’est que c’est un crime où l’on ne peut pas se passer d’un complice.

Défions-nous du peuple, du bon sens, du cœur, de l’inspiration, et de l’évidence.

Le jour où le jeune écrivain corrige sa première épreuve, il est fier comme un écolier qui vient de gagner sa première vérole.

 

Baudelaire, Mon cœur mis à nu, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1961, p. 1283, 1283, 1284, 1287, 1288.

13/04/2020

Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène

Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène, adieu, temps, épreuve

   Bonjour, ma douce vie, autant remply de joye,

Que triste je vous dis au departir adieu :

En vostre bonne grace, hé, dites moy quel lieu

Tient mon cœur, que captif devers vous je r’envoye ?

   Ou bien si la longueur du temps & de la voye

Et l’absence des lieux ont amorty le feu

Qui commençoit en vous à se monstrer un peu :

Au moins, s’il n’est ainsi, trompé je le pensoye.

   Par espreuve je sens que les amoureux traits

Blessent plus fort de loing qu’à l’heure qu’ils sont pres,

Et que l’absence engendre au double le servage.

   Je suis content de vivre en l’estat où je suis,

De passer plus avant je ne dois ny ne puis :

Je deviendrois tout fol, où je veux estre sage.

 

Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène, dans Les

Amours, Garnier, 1963, p. 429.

14/10/2017

Robert Coover, Rose (L'Aubépine)

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   Dans son imagination (tout ce qui lui reste) il s’est taillé un chemin à travers l’aubépine, a escaladé les murailles du château et atteint le chevet de la princesse. Il s’attendait à être excité rien qu’en la regardant, cette beauté légendaire qui tient à la fois de la biche et du félin, et il est vrai que, entièrement dénudé par l’aubépine, la chair encore douloureuse des piqûres d’épines qui à présent paraissent l’envelopper à la manière du linceul d’un martyr, il est excité, mais pas par la créature grave étendue là devant lui, pâle et immobile, revêtue de sa beauté spectrale comme d’un chagrin ancien et inextirpable. Le sens de sa mission le stimule et, animé par l’amour et l’honneur qui le contraignent à mener à bien cette aventure fabuleuse, il se penche en avant pour embrasser ces douces lèvres de corail légèrement écartées qui l’attendent depuis cent ans, de sorte qu’il pourrait la libérer de son envoûtement et accomplir ainsi son propre destin emblématique. Mais il hésite. Qu’est-ce donc qui le retient ? Sûrement pas ce fracas sourd de vieux ossements autour de lui. Plutôt la compassion sans doute. Que signifie vivre dans le bonheur pour l’éternité, en fin de compte, sinon chuter dans l’ordinaire, dans la faiblesse humaine, toujours davantage de désespoir, chuter dans la mort ?

 Robert Coover, Rose (L’aubépine), traduction Bernard Hœpffner, Seuil, 1998, p. 58-59.

04/12/2014

Robert Coover, Rose (L'Aubépine)

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Depuis son siège sur l'estrade de la table seigneuriale il a annoncé à tous ceux qui se trouvaient dans le grand hall qu'il a entendu parler d'une autre princesse enchantée, à quelques lieues de là, qui dort depuis cent ans, et qu'il a l'intention de monter immédiatement à cheval afin de la trouver et, si possible, de rompre l'enchantement. En tant que prince royal, voué à des exploits vertueux de cette nature, c'est le moins qu'il puisse faire, autant pour sauver le royaume accablé que pour la jeune fille. De sorte que, stimulé par l'amour et l'honneur, il a embrassé son épouse (ou l'aurait fait si elle le lui avait permis) et s'est mis en route pour affronter les puissances du mal, dompter le mystère, se faire un nom. Aux portes du château, il rencontre une vieille femme aux pieds palmés qui lui accorde un don et lui donne un avertissement prophétique. Son don est un onguent magique qui fera fuir les mauvaises sorcières et rendra ses cheveux plus souples, cicatrisera les blessures contre nature et lui redonnera toute sa vigueur masculine. L'avertissement est le suivant : prends avec toi la tête de la vieille folle, quand tu t'approcheras du lieu enchanté. Et on dirait qu'elle enlève sa propre tête pour la lui offrir. Il rit, plein de confiance envers ses propres pouvoirs princiers, et la commère gloussant en même temps que lui, disparaît comme si elle s'était tout à coup transformée en poussière. Il voyage pendant de nombreuses années, suivant les conseils contradictoires de paysans qu'il rencontre en chemin, jusqu'au jour où il arrive dans une forêt enchantée près des limites du monde, et là on le dirige vers un château sombre et lugubre qu'on dit hanté par les esprits et les ogres et dont on prétend qu'il abrite dans ses profondeurs une princesse endormie qui est étendue là, comme morte, depuis cent ans.

 

Robert Coover, Rose (L'Aubépine), traduit de l'américain par Bernard Hœpffner, avec la collaboration de Catherine Goffaux, Seuil, 1998, p. 85-86.