04/08/2019
Henri Michaux, Les commencements
Les commencements
L’enfant à qui on fait tenir dans sa main un morceau de craie, va sur la feuille de papier tracer désordonnément des lignes, encerclantes, les unes presque sur les autres.
Plein d’allant, il en fait, en refait, ne s’arrête plus
…………………………………………………………………………………….
En tournantes, tournantes lignes de larges cercles maladroits, emmêlés, incessamment repris
encore, encore
comme on jour à la toupie
Cercle. Désirs de la circularité.
Place au tournoiement.
Au commencement est la
RÉPÉTITION
Emprise
seuls les cercles font le tour
le tour d’on ne sait quoi de tout
du connu,
de l’inconnu qui passe
qui vient, qui est venu
et va revenir
(…)
Henri Michaux, Les commencements,
Fata Morgana, 1983, p. 7-8.
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03/08/2019
Giuseppe Ungaretti, Vie d'un homme
Du soir
Dans les soupirs humides de ta nudité
Tu dérobes un secret. Souriant,
Rien, retenant son souffle, n'est plus doux
Que de t'entendre consumer
Au soleil moribond
L'ultime flamboiement de l'ombre, terre !
Soir
Aux pieds des pas du soir
Coule une eau claire
Couleur d'olive,
Jusqu'au feu bref et sans mémoire.
À cette heure dans la fumée j'entends rainettes et grillons,
Où tremblent tendres les herbes.
Giuseppe Ungaretti, Vie d'un homme, Poésie 1914-1970, Préface de Philippe Jaccottet, Poésie / Gallimard, 2005 [1973], p. 158 (traduction Ph. Jaccottet), 163 (traduction Jean Lescure).
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02/08/2019
Pierre-Albert Jourdan, Ajouts pour une édition revue et augmentée de Fragments
Ceci est ma forêt. J'entretiendrai cette exubérance de piliers, mais que pourraient-ils soutenir, ô maçons ! Et que l'on ait pris soin de balayer le sol quand le feu vient d'en haut, qu'il plonge sur ma forêt !
Ceci est ma forêt. Est-ce ma maison ? Cela ne se règle pas par un jeu d'écriture. Et si c'est ma maison, elle est ouverte. Non pas cette porte en face de moi, ces silhouettes. Ouverte à tout autre chose. À ce tout autre qui est là, que les piliers ne peuvent contenir. Ouverte, simplement ouverte comme une déchirure de lumière. Une déchirure, oui. Les piliers ne sont là, qui paraissent soudain s'épanouir, vivre, que pour m'épauler. « Suis-moi... » Je retrouve en moi ce début de phase. Je m'arrête à ce début. Si encore je pouvais m'accomplir en tant qu'homme, me hausser un tout petit peu. Leçon de piliers sans doute. Si encore j'étais capable de me repêcher, n'est-ce pas ?
Pierre-Albert Jourdan, Ajouts pour une édition revue et augmentée de Fragments, éditions Poliphile, novembre 2011, p. 19.
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01/08/2019
Ghérasim Luca, Paralipomènes
Les cris vains
Personne à qui pouvoir dire
que nous n’avons rien à dire
et que le rien que nous nous disons
continuellement
nous nous le disons
comme si nous ne disions rien
comme si personne ne nous disait
même pas nous
que nous n’avons rien à dire
personne à qui pouvoir le dire
même pas à nous
Personne à qui pouvoir dire
que nous n’avons rien à faire
et que nous ne faisons rien d’autre
continuellement
ce qui est une façon de dire
que nous ne faisons rien une façon de ne rien faire
et de dire ce que nous faisons
Personne à qui pouvoir dire
que nous ne faisons rien
que nous ne faisons
que ce que nous disons
c’est-à-dire rien
Ghérasim Luca, Paralipomènes, dans Héros-
Limite suivi de…, Poésie / Gallimard, 2001,
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- 212-213.
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31/07/2019
Georges Fourest, La Négresse Blonde
La Négresse Blonde
I
Elle est noire comme cirage
comme un nuage
au ciel d’orage,
et le plumage du corbeau,
et la lettre A, selon Rimbaud,
comme la nuit,
comme l’ennui,
l’encre et la suie !
Mais ses cheveux,
ses doux cheveux,
soyeux et longs
sont plus blonds, plus blonds
que le soleil
et que le miel
doux et vermeil,
que le vermeil,
plus qu’Ève, Hélène et Marguerite,
que le cuivre des lèchefrites,
qu’un épi d’or
de Messidor,
et l’on croyait d’ébène et d’or
la belle Négresse, la Négresse Blonde !
Georges Fourest, La Négresse Blonde,
José Corti, 1937, p. 21-22.
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30/07/2019
Paul Claudel, Vézelay
Vézelay
(…)
Il n’y a qu’à lever la tête pour devenir conscient de tout un peuple qui, au sommet de chaque colonne, se livre à l’occupation mystique. Sur deux étages se superposent et se prolongent les rangées de ces canéphores barbares, qui, au lieu d’acanthes et de la gerbe éleusienne, supportent, sur les quatre faces de cette coiffure que leur fait le chapiteau un trophée confus d’événements. Toute l’Histoire sainte s’y mêle au rêve, à la légende et à cette liturgie campagnarde qu’on pourrait appeler le Propre du Temps. Des quatre côtés, sous le poids du sens inclus, cela se penche et se déverse sur nous. On fauche, on presse la vendange, on dort, on fait de la musique, on ramasse les grappes et les essaims, Adam et Ève voisinent avec la punition de l’avare et du calomniateur, les Israélites adorent le Veau d’or, Absalon s’accroche par les cheveux à son chêne, le cor de saint Eustache répond à celui de saint Hubert, et le son en parvient jusqu’à nous, mêlé à celui incessant du mailler qui tape sur le ciseau. Car tout cela est sorti prodigieusement du même atelier, de la même imagination et de la même piété. (…)
Paul Claudel, Vézelay, dans Œuvres en prose, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 319.
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29/07/2019
Jacques Borel, Un voyage ordinaire
(…) Se trouver, se découvrit, on n’ose plus les employer, ces mots, ça fait sourire, si on en est loin de tout ça ! N’empêche… S’approcher, mettons, se rapprocher. Et voilà ce dont, toi, tu t’es approché. Rongé, pourrissant, le continent englouti que tu avais cru d’abord, quand il a enfin commencé à émerger, à t’apparaître, découvrir plein et rayonnant. Et quand cela serait… Tu accèdes plus tard à ce que les autres et toi-même ne peuvent désormais que rejeter. Raison de plus pour toi de te répéter le mot de Novalis que tu ne cesses, lancinant, obsédant, une espèce d’ordre, de plus en plus, qui se précise, d’entendre résonner en toi : « C’est à présent seulement que je commence à me connaître et à jouir de ce que je suis… c’est pourquoi justement je dois partir. »
— Seulement je ne jouis pas, moi, de ce que je suis. De cela aussi, empêché. Et quand bien même peut-être il n’y aurait pas le lieu d’où je reviens et dont je ne m’éloigne jamais que pour, honteux, accablé, y retourner.
Jacques Borel, Un voyage ordinaire, Le temps qu’il fait, 1993, p. 33-34.
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28/07/2019
Paul Éluard, Médieuses
Au premier mot limpide
Au premier mot limpide au premier rire de ta chair
La route épaisse disparaît
Tout recommence
La fleur timide la fleur dans air du ciel nocturne
Des mains voilées de maladresse
Des mains d’enfant
Des yeux levés vers ton visage et c’est le jour sur terre
La première jeunesse close
Le seul plaisir
Foyer de terre foyer d’odeurs et de rosée
Sans âge sans liaisons sans liens
L’oubli sans ombre
Paul Éluard, Médieuses, dans Œuvres complètes, I,
Pléiade / Gallimard, 1968, p. 911.
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27/07/2019
Jean Genet, Un chant d'amour
Un chant d’amour
Berger descends du ciel où dorment tes brebis !
(Au duvet d’un berger bel Hiver je te livre)
Sous mon haleine encor si ton sexe est de givre
Aurore le défait de ce fragile habit.
Est-il question d’amour au lever du soleil ?
Leurs chants dorment encor dans le gosier des pâtres,
Écartons nos rideaux sur ce décor de marbre ;
Ton visage ahuri saupoudré de sommeil.
O ta grâce m’accable et je tourne de l’œil
Beau navire habillé pour la noce des Iles
Et du soir. Haute vague ! Insulte difficile
O mon continent noir ma robe de grand deuil !
(…)
Jean Genet, Un chant d’amour, dans Le condamné à mort (…),
L’Arbalète, 1966, p. 81.
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26/07/2019
Bashô seigneur ermite
Elles mourront bientôt
et pourtant n’en montrent rien —
Chant des cigales
Obscurité de la nuit —
Un pluvier pleure
son nid perdu
Jour après jour
les orges rougissent —
Chant d’alouettes
Souffle le vent d’automne —
Mais les bogues des châtaignes
encore vertes
Invisible printemps _
Des fleurs de pruniers dessinées
au revers du miroir
Bashô, seigneur ermite, édition bilingue
par Makoto Kemmoku et Dominique Chapot,
La table ronde, 2012, p. 255, 272, 276, 285, 293.
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25/07/2019
Albane Prouvost, Ne tirez pas camarades
Bien reste immobile
ne bouge pas
ou tu vas te faire tirer dessus
nous partons dans des directions opposées
en poussant des cris dans la plaine
ou en arrivant à toute vitesse
nous nous éloignons
nous sommes lourds
On traverse la rivière
c’est la débâcle
je pense au poète Victor Chklovski
en traversant la rivière
pendant que je traverse la rivière en me frayant
un passage à travers les blocs de glace
Je décide de vous faire confiance
c’est ma décision
je vous vois vous éloigner
sous les branches et le vent léger
nous sommes déjà loin et le vent rougit nos joues
le froid est très vif
(…)
Albane Prouvost, Ne tirez pas camarades, éditions Unes,
2000, p. 19-20.
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23/07/2019
Jean Queval, En somme
Classique moderne
Dans les bordels les hangars les cartes postales grattées à la guerre
Dans l’usure au crépuscule des us ridicules
Dans les minéraux insondés des anciennes terres
Avec ces matériaux délaissés des héritages délaissés
Tout ce qu’ils avaient dans l’oreille sous les yeux dans la main
Avec leur main d’écrivain quelques-uns n’avaient peur de rien
Dans de vastes canevas aux arcanes subtils aux cavernes vidées
Dans comme tout le discours en récapitulé, ils écrivirent
Les mythologies des anciens temps dans la lumière de ce jour
assez triste, évidemment
Jean Queval, En somme, Gallimard, 1970, p. 206.
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20/07/2019
René Char, La fontaine narrative
Le martinet
Martinet aux ailes trop larges, qui vire et crie sa joie autour de la maison. Tel est le cœur.
Il dessèche le tonnerre. Il sème dans le ciel serein. S’il touche au soleil, il se déchire.
Sa repartie est l’hirondelle. Il déteste la familière. Que vaut dentelle de la tour ?
Sa panse est au creux le plus sombre. Nul n’est plus à l’étroit que lui.
L’été de la longue clarté, il filera dans les ténèbres, par les persiennes de minuit.
Il n’est pas d’yeux pour le tenir. Il crie, c’est toute sa présence. Un mince fusil va l’abattre. Tel est le cœur.
René Char, La fontaine narrative, dans Œuvres complètes, La Pléiade / Gallimard, 1983, p. 276.
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19/07/2019
Jules Supervielle, La Fable du monde
La mer secrète
Quand nul ne la regarde
La mer n’est plus la mer,
Elle est ce que nous sommes
Quand nul ne nous voit.
Elle a d’autres poissons,
D’autres vagues aussi.
C’est la mer pour la mer
Et pour ceux qui en rêvent
Comme je fais ici.
Jules Supervielle, La Fable du monde,
dans Œuvres poétiques complètes, édition
Michel Collot, Pléiade /Gallimard,
1996, p. 402.
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18/07/2019
Jues Renard, Journal, 1887-1910
Si, au lieu de gagner beaucoup d ‘argent pour vivre, nous tâchions de vivre avec peu d’argent ?
Il y a les bons écrivains, et les grands. Soyons les bons.
Il faut être honnête et modeste, mais il faut dire qu’on l’est.
Aller parfois dans le monde pour avaler un verre de bile.
Écrire, c’est une façon de parler sans être interrompu.
Jules Renard, Journal 1887-1910, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 254, 263, 264, 273, 277.
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