09/09/2019
Jacques Dupin, Gravir
Grand vent
Nous n’appartenons qu’au sentier de montagne
Qui serpente au soleil entre la sauge et le lichen
Et s’élance à la nuit, chemin de crête,
À la rencontre des constellations.
Nous avons rapproché des sommets
La limite des terres arables.
Les graines éclatent dans nos poings.
Les flammes rentrent dans nos os.
Que le fumier monte à dos d’hommes jusqu’à nous !
Que la vigne et le seigle répliquent
À la vieillesse du volcan !
Les fruits de l’orgueil, les fruits du basalte
Mûriront sous les coups
Qui nous rendent visibles.
La chair endurera ce que l’œil a souffert,
Ce que les loups n’ont pas rêvé
Avant de descendre à la mer.
Jacques Dupin, Gravir, Gallimard, 1963, p. 23.
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07/09/2019
Virgile, Le souci de la terre
La terre ouverte par le croc de la bêche donne assez d’humidité, et par le soc, des fruits lourds
Nourrir ainsi l’olive grasse, si chère à la paix
Les arbres fruitiers aussi, ils sentent s’affirmer la vigueur d e leur tronc puissant, ils se tendent vigoureusement vers les étoiles, sans besoin de notre aide
Et c’est toujours la forêt qui se charge de fruits
Les bois sauvages qui rougissent de baies de sang
Les troupeaux dévorent les cytises
Les hautes forêts fournissent des torches et alimentent les feux de la nuit pour répandre la lumière
Oh les hommes hésitent à planter des arbres et à en prendre soin
Virgile, Le souci de la terre, traduction du latin Frédéric Boyer, Gallimard, 2019, p. 138.
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06/09/2019
Ossip Mandelstam, De la poésie
De l’interlocuteur
Un aventurier des mers sur le point de sombrer lance dans les eaux de l’océan une bouteille scellée où il dépose avec son nom le récit de son destin. De longues années plus tard, errant au milieu des dunes, je la dégage du sable, lis la lettre, apprends la date du naufrage, les dernières volontés du disparu. J’étais en droit de la lire. Je n’ai pas ouvert le courrier d’un autre. La lettre scellée dans la bouteille était pour qui la ramasserait. Je l’ai trouvée. J’en suis donc l’obscur destinataire.
Pauvres sont mes dons et chétive ma voix,
Mais je vis et sur la terre qui est mienne
Mon existence pour quelqu’un sera douce.
Un lointain descendant pourra dans mes vers
La retrouver : et à son âme, qui sait,
La mienne, c’est possible, s’accordera.
J’ai eu dans ma génération un ami,
Dans la postérité j’aurai le lecteur.
Lisant les vers de Baratynski, j’éprouve la même émotion que si une telle bouteille m’était tombée entre les mains. L’océan avec son immense élément est intervenu en sa faveur, l’a aidée à accomplir son destin : la découvrant, j’ai l’impression d’une providence. L’objet confié aux vagues par le vagabond des mers et les vers expédiés par Baratynski sont deux moments identiques dont la parole est claire. Ni la lettre ni les vers ne nomment un destinataire en particulier. Ils n’en ont pas moins l’un comme l’autre son correspondant : pour elle celui qui par hasard remarquera la bouteille dans le sable, pour eux le « lecteur de la postérité ». J’aimerais savoir si quelqu’un, parmi ceux à qui les yeux tomberont sur les lignes de Baratynski, ne tressaillirait pas de joie, n’aurait pas le frisson de ferveur de qui s’entend inopinément appeler par son nom.
Ossip Mandelstam, De la poésie, dans Œuvres complètes II, traduction Jean-Claude Schneider, Le bruit du temps / La Dogana, 2018, p. 313-314.
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05/09/2019
Kafka, Récits et fragments narratifs
En rentrant chez soi
Quel pouvoir de conviction n'y a-t-il pas dans l'air, après l'orage ! Mes mérites m'apparaissent et s'imposent à moi ; il est vrai que je ne cherche pas à leur résister.
Je marche d'un pas ferme et mon rythme est le rythme de tout ce côté de la rue, le rythme de la rue entière, le rythme de tout le quartier. Je suis à juste titre responsable de tous les coups frappés aux portes ou sur les tables, de tous les toasts que l'on porte, de tous les couples d'amoureux réunis dans les lits, sous les échafaudages des maisons en construction, pressés au bord des murs dans les ruelles sombres, sur les canapés des bordels. Je pèse mon passé et suppute mon avenir, je les trouve excellents tous les deux sans pouvoir donner la préférence à l'un ou à l'autre ; je ne peux incriminer que l'injustice de la Providence, qui m'a favorisé de la sorte.
Ce n'est qu'en entrant dans ma chambre que je me sens un peu pensif, alors que je n'avais rien trouvé, en montant l'escalier, qui fût digne d'occuper mes pensées. Je ne trouve pas beaucoup de réconfort à ouvrir grand la fenêtre, et à écouter encore un peu de musique au fond d'un jardin.
Franz Kafka, Récits et fragments narratifs, traduction Claude David, dans Œuvres complètes II, édition présentée et annotée par Claude David, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1980, p. 108.
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04/09/2019
Sylvie Durbec, Autobiographies de la faim
Le pain de la faim, le pain des fous
Enfance sans pain,
Pain sans enfance ?
Impossible alliance.
Nous sommes toujours les premiers à réclamer du pain. On nous donne du sucre. En morceaux. Petits quadrilatères de sucre blanc à manger avec la tranche épaisse de pain. Quelquefois le sucre est remplacé par des pâtes de fruits. Le dimanche. C’est une colonie d’enfants déshérités. Sans parents pour certains, ou pour d’autres dont je fais partie, sans héritage. Le pain est notre aliment. C’est le pain des enfants, nous répète-t-on. Celui du goûter mais aussi du matin. Il fait grandir.
Enfance sans fin.
Sylvie Durbec, Autobiographies de la faim, éditions Rhubarbe, 2019, p. 40.
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03/09/2019
Horace, Odes, I, 5
Quis multa gracilis te puer in rosa
perfusus liquidis urget odoribus
grato, Pyrrha, sub antro ?
cui flauam religas comam,
simplex munditiis ? heu quotiens fidem
mutatosque deos flebit et aspera
nigris aequora uentis
emirabitur insolens,
qui nunc te fruitur credulus aurea,
qui semper uacuam, semper amabilem
sperat, nescius aurae
fallacis. Miseri, quibus
intemptata nites. Me tabula sacer
uotiua paries indicat uuida
suspendisse potenti
uestimenta maris deo.
Horace,Odes, I, 5
Quel est ce mince garçon parmi les roses,
Qui te presse, inondé de parfums
Pyrrha, sous une grotte charmante,
Et pour qui tu dénoues ta blonde chevelure
Avec une élégante simplicité ?
Hélas, combien de fois
Pleurera-t-il les dieux et ton amour changeants
Et, novice au naufrage, s’étonnera-t-il
Du flot qu’agitent les vents noirs,
Celui qui sans méfiance jouit en ce jour de ton corps lumineux,
Et croit que tu seras toujours vacante, et prête
À aimer, ignorant le vent trompeur ?
Malheur à ceux pour qui tu brilles, intouchée !
Une planche, sur la paroi sainte, proclame
Votive que j’ai pendu là mes habits trempés,
En l’honneur du puissant dieu des mers.
Traduction de François Lallier, dans Vita poetica, éditions L’Arbre à paroles, 2010, p. 118.
What slender youth, bedew’d with liquid odors,
Courts thee on roses in some pleasant cave,
Pyrrha? For whom bind’st thou
In wreaths thy golden hair,
Plain in thy neatness? O how oft shall he
Of faith and changed gods complain, and seas
Rough with black winds, and storms
Unwonted shall admire!
Who now enjoys thee credulous, all gold,
Who, always vacant, always amiable
Hopes thee, of flattering gales
Unmindful. Hapless they
To whom thou untried seem’st fair. Me, in my vow’d
Picture, the sacred wall declares to have hung
My dank and dropping weeds
To the stern god of sea.
Traduction de John Milton (1608-1674), dans Poems, &c, Upon Several Occasions, 1673.
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02/09/2019
Léon-Paul Fargue, D'après Paris
De ma fenêtre
À la jumelle, je voyais les départs hâtifs du dimanche. Une fenêtre grande ouverte où les gens s’apprêtent, passent et repassent.
La suspension trop basse où les allées et venues se cognent. (Ils ont rangé la table pour faire de la place.) Un coup de pouce arrête le pendentif.
Un bout de miroir me renvoie le ciel du fond de l’autre. (Je le vois en œil tout grand ouvert dans les ténèbres.)
Un homme vient brosser son chapeau sur la rue.
Ceux qui sont punis s’installent et bâillent à tous les étages.
Ils passent la tête, et tournent, et rentrent, comme un coucou dans sa pendule.
La femme qui profite de son dimanche pour nettoyer, d’un air de stryge intermittente. (Elle secoue l’adieu suprême du mouchoir dans le dos d’un sergent de ville.)
L’employé qui reprend son chef-d’œuvre en bois sculpté à la mécanique. (Est-ce un service de fumeur ? Est-ce un cabaret à liqueurs ?)
Le retraité qui joue du trombone. (Invisible.)
Le monsieur qui prend son parti de passer son dimanche devant sa fenêtre, en bras de chemise. Il vide sa pipe sur la barre d’appui, la rebourre, l’allume, ressemble un instant à Edouard VII, et sursaute ! Une énorme araignée qui lui tombe du ciel lui passe dans la barbe !
C’est un animal japonais, d’ailleurs splendide, qu’un enfant fait descendre, à petites secousses, au bout d’un fil.
Le voilà qui arrive sur le trottoir.
Trois passants s’arrêtent, rentrent le ventre, prennent du champ sur la chaussée, regardent en l’air, se bousculent, et se fendent comme du bois sec.
Il faut se garer des pétards, qui dessinent des nouilles et creusent leur vitesse, ardemment, comme feraient des fossoyeurs qui viendraient de s’apercevoir que la Mort est un crocodile !
Rêverie sur l’omnibus
[…] Quand un garçon élevé solitaire commence à sortir seul, ses premiers voyages en omnibus lui donnent des grandes espérances. Ce sont ses débuts dans le monde. La gradation en est sans larmes. Pensez donc, un salon qui roule, et où l’on n’est pas obligé de parler !
Tout de même, quad on monte là-dedans, on entre dans un tribunal. Le public d’en face a l’air d’un jury, les yeux fuyants, les oreilles bouchées à tout espèce d’accent sincère. Le conducteur et le contrôleur sont du genre gardien de prison. Il y a même des militaires.
Tu finiras sur l’échafaud.
[…] On montait sur l’impériale de l’omnibus à deux chevaux par trois marches de fer, irrégulièrement disposées, pas plus grandes que des pelles d’enfant, en s’aidant d’une corde. Quand on se trompait ou qu’on manquait la marche, il fallait redescendre en s’ébréchant le tarse. Ainsi s’acquiert l’expérience. Mais le spectacle en valait la peine, quand une femme grimpait devant vous, cloche évasée par la tournure, oscillant d’une seule pièce jambe de-ci, jambe de-là, comme une poupée d’un modèle riche, et qu’on savait choisir la marche et l’intervalle.
Quelques espèces de ce genre de voiture n’avaient pas de plate-forme, et le conducteur se renait en équilibre sur sa porte, le derrière appuyé sur son composteur à correspondances, emporté sur la croupe du joyeux pachyderme à des vitesses vertigineuses !
Dans les premiers temps, quand je ne fumais pas, j’allais, dès que je le pouvais, m’asseoir à l’une des deux places du fond, d’où l’on dominait la croupe des chevaux, dont l’anus s’ouvrait en grand, comme une pivoine, presque aussi souvent qu’il était raisonnable de le souhaiter, et lâchait très proprement des esquilles d’un jaune indien tout à fait somptueux, qui s’accrochaient à la ventrière, aux sangles et aux traits de cuir.
Léon-Paul Fargue, D’après Paris, Gallimard, 1932, p. 41-44, 53-54 et 59-61.
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01/09/2019
Samuel Beckett, Peste soit de l'horoscope
Rondeau
tout au long de ce rivage
à la tombée du jour
seul bruit les pas
seul bruit longuement
jusqu’à s’arrêter sans raison
alors aucun bruit
tout au long de ce rivage
aucun bruit longuement
jusqu’à repartir sans raison
seul bruit les pas
seul bruit longuement
tout au long de ce rivage
à la tombée du jour
Samuel Beckett, Peste soit de l’horoscope,
traduction Édith Fournier, éditions de minuit,
2012, p. 36.
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30/08/2019
Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours
© photo Florence Trocmé
Iconoclaste est un mot auquel il m’est arrivé parfois de trouver quelque séduction, encore que dans mon cas, plutôt que de fureur il faille parler d’indifférence iconoclaste. Je ne détruis pas j’ignore.
Le cri de l’effraie légitime l’insomnie.
Sans doute est-ce à La Fontaine que je dois ma sympathie pour les rats.
Je me rends compte, à présent qu’elle ressurgit intacte, combien le vent furieux qui vient à peine de retomber avait chassé, transitoirement, mon intolérable conscience du temps.
Mes tourments, la plupart du temps, m’interdisent d’accéder à leur origine.
Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le bruit du temps, 2014, p. 131, 137, 140, 142, 150.
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28/08/2019
Johannes Bobrowski, Boehlendorff et quelques autres
Valéry et les haricots
C’est donc un drap en cuir, si tanné qu’il laisse passer la lumière, et si serré et résistant qu’on peut le tendre au-dessus de tout ce qui est en vie ou qui est mort sans le déchirer : au-dessus d’un squelette disloqué comme d’une rame de haricots, qui pousseront bien sous lui et se développeront et peut-être même fleuriront, tant qu’ils trouvent de la lumière dans leur pot, assez pour couvrir les racines, et un peu d’air qui passe par les pores du cuir. Ce drap blanc jaunâtre, tendu sur des crochets et des baguettes, donne là-bas un contour net, ici — au-dessus de la rame de haricots — quelques courbes irrégulières, ne bouffe nulle part, lisse et en même temps très léger il repose et se laisse porter par les mouvements silencieux, précautionneux des feuilles vivantes, des tiges, des fleurs rouges et blanches.
J’ai voulu dessiner un portrait et n’y suis pas parvenu. Un monsieur assez âgé, frêle et pourtant bien en chair, une chair qui s’efface, avec ses veines minces, sous un uniforme doré, un membre de l’Académie avec une petite épée et un beau chapeau sur le bras. Ce n’est pas réussi, je me suis trop consacré aux haricots, à la rame, une plante martiale — même sous un drap de cuir fin et jaunâtre qui laisse passer la lumière du jour.
Johannes Bobrowski, Boehlendorff et quelques autres, traduction de l’allemand Jean-Claude Schneider, La Dogana, 1993, p. 85-86.
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27/08/2019
Jacques Baron, L'allure poétique, 1924-1973
Éphémérides
Une semaine de tourterelle
Un lundi en fil de la vierge
Un mardi en écailles de poisson
Un mercredi où l’on mange la tête de veau
Un jeudi dans les ajoncs
Un vendredi inquiet comme un lièvre
Un samedi rêvé pour jouer au chat et à la souris
Et pas de dimanche
pas plus de dimanche que du beurre sur la main
pas de beurre donc pas de friture
pas de dimanche dans la friture
Une semaine perdue
Jacques Baron, L’allure poétique, 1924-1973,
Gallimard, 1974, p. 123.
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24/08/2019
Roger Giroux, Si la mémoire...
À quoi reconnaît-on un « bon », un « grand » poème ? Comment le distinguer du médiocre ? À l’exigence la plus haute, à la plus dense tension, au point de rupture approché, au-delà duquel tout se désorganise et s’effondre dans le néant antérieur. Aller jusque-là et s’arrêter au seuil de ce qui ne peut plus être dit que par le silence. La parole du Poème est la montée — le calvaire — au silence. Jusqu’à la mort-vive. Jusqu’à la déchirure.
Comment combler cette distance entre ce que je dis du Poème et le Poème lui-même ? Quelle est cette distance ? Est-elle située, situable ailleurs qu’en écriture ? Elle est précisément ailleurs— car le P[oème] se situe hors de moi. Il me tourne le dos, il regarde plus loin que je ne saurais le faire avec mes mots avec toutes mes facultés. Né de moi (et d’une culture en expansion) il est le seuil de l’au-delà de moi et de cette culture. Le P[oème] est la porte nécessaire. Ce qu’il y a derrière, nul Poème ne le dira jamais, comme s’il y avait un interdit, un secret à garder*. Poème, gardien du secret ?
(* Mais plus loin, vers un nouveau « possible » de la culture dont je suis une des voix, un des faciès — mais Je… ?)
Roger Giroux, Si la mémoire…, dans KOSHKONONG, n° 16, Printemps 2019, p. 13-14.
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23/08/2019
Camille Loivier, une voix qui mue
je suis retournée sur les lieux
où j’ai retrouvé l’enfance
le temps avait arrêté de s’écouler
nous venions du passé
nous venions du temps long et de
l’univers clos, nous venions
de l’époque où nos mères sont jeunes et
nous sourient, où nos pères nous
portent sur leurs épaules, il est si
enivrant de voir le monde d’en haut
plus haut, encore plus haut
on vit au ralenti, extrêmement
précautionneux de nos pas
et de nos
gestes
c’est cela qui m’arrive
je retourne à Taipei
comme dans ma ville natale
c’est donc ma ville natale car
je n’en ai pas d’autre
Camille Loivier, une voix qui mue, Potentille,
2019, p. 5.
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22/08/2019
Pia Tafdrup, Le soleil de la salamandre
Bonheur mélancolique
La lumière disparaît avec les voix des oiseaux,
écrasante.
Je me traîne jusqu’à la mer dans l’obscurité.
L’outil pour la transformation est cassé,
d’abord il faut la réparer, aussi je dois
rechercher les changements possibles,
aussi le monde doit…
Descendre. Je me tiens debout au bord de l’eau en bottes,
les vagues tombent et retombent, lavent
par-dessus mes pieds, laissent
un peu d’écume salée dans le sable.
Me tiens penchée sur mon âme,
avec une lampe, éclaire
tout au fond.
Me suis longtemps inquiétée de mes inquiétudes,
qui font que les os s’émiettent,
que l’infini
se fond dans les moindres intervalles.
Les vagues battent leurs coups anesthésiants,
instant d’eau calme,
un bruissement dans ma tête, un mugissement.
Je suis en vie, chaque cellule de mon corps est en vie :
Inhale l’air cru de la mer. Dans les poumons,
le monde se renouvelle.
Le sable, l’eau et le ciel existent,
le froid sur mes pieds.
L’eau est en mouvement constant où je suis —
je pourrais peut-être m’élever avec les vagues,
pour ensuite sombrer,
m’élever encore, me laisser prendre par le vent,
soulever
entre les étoiles filantes.
Je me trouve au milieu de l’obscurité,
secoue mes inquiétudes
dans la mer.
Vais essayer de rassembler l’âme et le squelette,
revenir bien droit dans la clarté de la lampe torche.
Pia Tafdrup, Le soleil de la salamandre, traduit du
danois par Janine Poulsen, éditions Unes, p. 62.
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21/08/2019
Francis Ponge, Pratiques d'écriture ou L'inachèvement perpétuel
L’écolier
Le langage est donné comme fait. Les hommes parlent et croient se comprendre. Les hommes parlent et croient s’exprimer.
J’y éprouve, tu y éprouves, ils y éprouvent sinon un plaisir du moins la satisfaction naturelle (quoique illusoire absolument) d’un besoin certain.
La littérature est à ce bas niveau de l’expression des hommes, de la conversation. Elle est partie de l’erreur, de l’imparfait social. Quant à ses rapports avec le besoin d’infini, l’aptitude métaphysique de l’homme, elle n’a pas d’avantages sur le langage courant, elle n’a aucune vertu particulière.
Ce qui précède exprimé de la sorte paraît évident : « inutile de le dire ».
Francis Ponge, Pratiques d’écriture ou L’inachèvement perpétuel, Hermann, 1984, p. 66.
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