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08/04/2020

Bashô, Le Faucon impatient

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Un éclair soudain

dans les ténèbres s’en va

le cri du héron

 

Champignons des pins

des feuilles d’arbres inconnus

sont restées collées

 

Automne s’en va

quand elle a ouvert le main

bogue de châtaigne

 

Dans sa robe de plumes

emmitouflées bien au chaud

pattes du canard

 

Ah le feu de braise

du visiteur sur le mur 

l’ombre se profile

 

Bashô, Le Faucon impatient, traduction

René Sieffert, POF, 1994, p. 203, 207,

215, 241, 245.

06/04/2020

Pïerre de Ronsard, Folastries

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      Folastrie III

 

Et cependant que la jeunesse,

D’une tremoussante souplesse,

Et de maniments fretillars

Agitait les rougnons paillars

De Catin à gauche et à destre ;

Moine, chanoine ou cordelier,

N’a refusé son hatelier (= ratelier].

 

Car le mestier de l’un sus l’autre

Où l’un dessus l’autre se veautre,

Luy plaisoit tant qu’en remuant,

En haletant, et en suant,

Tel bouc sortoit de ses aisselles,

Et tel parfum de ses mamelles,

Qu’au mont Liban ensafrané

En eust esté bien embrené.

 

Ceste Catin, en sa jeunesse,

Fut si nayve de simplesse,

Qu’autant le pauvre luy plaisoit

Comme le riche, et ne faisoit

Le soubresaut pour l’avarice,

Mais elle disoit que c’estoit vice

De prendre chaîne ou diamant

Du pauvre ny de riche amant,

Pourveu qu’il servist bien en chambre

Et qu’il n’eust plus d’un pied de membre ;

Autant le beau comme le laid,

Et le maistre que le valet,

Estoient repus de la doucette

A la luitte [= lutte] de la fossette,

Et si bien les resecouoit,

Les repoussoit et remouvoit

De mainte paillarde venue,

Qu’après la fievre continue

Ne falloit point de les saisir

Pour payment d’avoir fait plaisir

A Catin, sans  jamais soulée,

De tuer, pour estre foulée,

Et qui de tourdions [= contorsions] a mis

Au tombeau ses plus grands amis.

[...]

Pierre de Ronsard, Livret de folastries, édition

Van Bever, Mercure de France, 1919, p. 60-62.

05/04/2020

Paul Claudel, Ægri Somnia

                                 

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                           Ægri Somnia

Depuis que je suis malade et ne puis plus bouger de mon lit, attentif entre mes quatre murs au progrès et à la dégradation d’une certaine clarté intérieure et hagarde qui est cette journée pareille aux autres journées, je reçois beaucoup de visiteurs. Le malade est toujours là. Il est comme un triste piquet au milieu d’un fleuve qui attire et recueille toutes les flottaisons du courant. [...]

 Paul Claudel, Œuvres en prose, Pléiade /Gallimard, 1965, p. 886.

04/04/2020

Étienne Faure, Tête en bas

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De la perte il me reste une  enveloppe, pelure

de ton amour naguère qui me souriait — que faire,

respirer, humer le désert, se souvenir du

va-et-vient de l’air dans ton corps qui sortait,

rentrait dans la cage, interdit de quitter

le territoire du torse

pendant tout l’hiver quand légèrement blanchi

Paris givrait de l’intérieur au contact de nos souffles,

cette espèce de candeur où tes lèvres

et la chaleur des corps mue en chaleur humaine

m’avaient assigné — maintenant me voici

face aux arbres, nouvelle fenêtre

d’où l’avenir allègrement raté s’aperçoit,

qui exonère de tout devoir de survie

— le ciel n’est pas trop moche par rapport à hier,

si je mourais maintenant ça ne serait

pas bien grave, il est quelle heure ?

Et pense à respirer mon amour. 

le pire est expiré

 

Étienne Faure, Tête en bas, Gallimard, 2018, p. 91.

On peut lire un texte en prose récent d’Étienne Faure sur remue.net :

https://remue.net/silence-on-reve-etienne-faure

 

 

03/04/2020

Paul Valéry, Carnets, II

 

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                         Éros

 

La passion de l’amour est la plus absurde. C’est une fabrication littéraire et ridicule.

De quoi un antique auteur pouvait-il parler ? après la guerre et les champs _ il tombait dans le vin et l’amour.

Mais si l’on sépare les choses indépendantes — on trouve bien un sentiment singulier devant l’être vivant, devant l’autre — mais ce n’est pas l’amour — quoique cela puisse finir dans certaines expériences ­ de physique.

 

Paul Valéry, Carnets, II, Pléiade/Gallimard, 1974, p. 396.

02/04/2020

Giorgio Caproni, La mur de la terre

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Moi aussi

 

Moi aussi j’ai essayé

Ce fut toute une guerre

d’ongles. Mais maintenant je le sais

Nul ne pourra jamais trouer

le mur de la terre.

 

Giogio Caproni, Le mur de la terre, traduction

Philippe di Meo, Atelier La Feugraie, 2992, p. 85.

01/04/2020

Umberto Saba, Il Canzoniere

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                       Sur la place

 

L’un va à la chasse à l’amour, l’autre aux plaisirs,

ou seulement aux souvenirs.

                                        Dans les baraques

le soir, on n’arrive plus à servir

les lourds marrons grillés aux grands gaillards

du quartier libre.

                       Sur l’antique place

règne encore là-haut la gloire.

 

Personnage à cheval, prisonnier dans l’ennui

de marbre qui gauchement l’adule.

 

Umberto Saba, Il Canzoniere, L’Âge d’homme,

1988, p. 475.

31/03/2020

Joseph Joubert, Carnets, I

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L’imagination est le goût. La raison est sans appétits : la vérité et la justesse lui suffisent.

 

Le papier est patient, mais le lecteur ne l’est pas.

 

Tout ce qui est très plaisant a quelque exagération et contient nécessairement une vérité défigurée.

 

Les animaux aiment ceux qui leur parlent.

 

Le châtiment de ceux qui ont trop aimé les femmes est de les aimer toujours.

 

Joseph Joubert, Carnets, I, Gallimard, 1938, 1994, p. 271, 272, 273, 274, 278.

29/03/2020

Estienne de la Boétie, Sonnets

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J’ai fait preuve des deux, meshui je le puis dire :

Soit je pres, soit je loing, tant mal traicté je suis,

Que choisir le meilleur à grand peine je puis

Fors que le mal present me semble tousjours pire.

 

Las ! En ce rude choix que me fault il dire ?

Quand je ne la voy point, le jours me semblent nuits ;

Et je sçay qu’à la voir j’ai gaigné mes ennuis :

Mais deusse je avoir pis, de la voir je desire.

 

Quelque brave guerrier, hors du combat surpris

D’un mosquet, a despit que de pres il n’aist pris

Un plus honneste coup d’une lance cogneue :

 

Et moy, sachant combien j’ay par tout enduré,

D’avoir mal pres & loing je suis bien asseuré ;

Mais quoy ! s’il faut mourir, je veux voir qui me tue.

 

Estienne de la Boétie,  Sonnets, dans Œuvres complètes, II, édition Louis Desgraves, Conseil général de la Dordogne/William Blake ans Co, 1991, p. 127.

 

28/03/2020

Henri Thomas, Le crapaud dans la tour

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La pleine lune éclairait ma chambre par la fente des volets, et mon chien qui se promenait dans la propriété était fou comme à chaque pleine lune ici. Colpach ne connaissait, jusqu’à l’été, que les nuits des Ardennes. Celles d’ici, par pleine lune, l’ont mis dans de telles frayeurs que j’ai presque regretté de l’avoir amené, mais je n’avais vraiment personne à qui le confier. Il a peur, et il se met à aboyer, c’est le cas de le dire, à la lune. Cela m’a valu des plaintes de nos hôtes intellectuels. Cette nuit-là j’ai entendu une fenêtre s’ouvrit, et la voix de la jeune artiste-peintre : « Ô ce chien ! »

 Colpach ne se calme que si je viens à lui et lui prends le museau dans ma main. Je l’ai trouvé sur une terrasse écartée, et je l’ai amené dans  mon garage où il fait noir.

 

Henri Thomas, Le crapaud dans la tour, Fata Morgana, 1992, p. 14-15.

27/03/2020

Italo Svevo, Écrits intimes

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Aujourd’hui, je suis passé devant la fenêtre d’un rez-de-chaussée. IL y avait un chat qi regardait la ville avec l’attention objective et indifférente qui est la qualité de ce petit  félin au repos. Ce chat me donna envie de rire. Blanc et jaune, il avait autour du nez une tache plus sombre, qui était peut-être causée par de la saleté, ce qui lui conférait une apparence de dédain. Ce petit nez semblait se tordre de dégoût. Mais un animal à ce point inerte ne doit pas exprimer un tel dégoût. Je lui dis : « Stupide animal ! »

Il me regarda et ne donna pas d’autre réponse. Mais il n’aurait pas eu besoin d’autre chose, parce qu’avec ce geste, il avait concentré sur moi tout cet ennui qu’il avait manifesté au quartier tout entier.

Mais, derrière lui, se dressa la petite tête d’un enfant de douze ans et, de sa fenêtre sombre, il me retourna mon insulte : « C’est toi qui es stupide, et pas ma bête. »

Et j’aimai cet enfant, qui protégeait son chat.

 

Italo Svevo, Écrits intimes, traduction Mario Fusco, Gallimard, 1973, p. 115.

26/03/2020

Eduard Mörike (1804-1875), Poèmes

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                     À l’aimée

 

Lorsqu’à te contempler je me sens apaisé

Comblé, sans faim, sans voix, près de ton ssanctuaire

Je crois alors tout bas entendre respirer

L’ange qui te ressemble et habite en toi.

 

Un sourire étonné et qui doute, incrédule

Vient naître sur ma lèvre : est-ce leurre, illusion,

Puis-je croire enfin que on unique désir,

Mon vœu le plus hardi, en toi sera comblé ?

 

Quand plonge mon esprit d’abîmes en abîmes

J’entends dans l’antre noir de la divinité,

Les sources du Destin au bruit mélodieux.

 

Je porte mon regard chancelant vers les cieux :

Au firmament, là-haut, me sourient les étoiles ;

Et j’écoute à genoux leur beau chant lumineux.

 

Eduard Mörike, Poèmes, traduction Nicole Taubes,

Les Belles Lettres, 2010, p. 151.

25/03/2020

Christopher Okigbo, Labyrinthes

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Et comment dit-on NON en plein tonnerre ?

 

On trempe sa langue dans l’océan ;

Campa avec le chœur des dauphins

Inconstants, près de minces bancs de sable

Arrosés de souvenirs ;

On étend ses branches de corail

Les branches s’étendant dans le silence

Des sens ; ce silence se distille

En jaunes mélodies.

 

Christopher Okigbo, Labyrinthes, traduit de l’anglais

(Nigeria) Christiane Fioupou, Gallimard, 2020, p. 141.

 

24/03/2020

Henri Michaux, Face aux verrous

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Ne désespérez jamais. Faites infuser davantage.

 

Les oreilles dans l’homme sont mal défendues. On dirait que les voisins n’ont pas été prévus.

 

Il devait retenir son œil avec du mastic. Quand on en est là...

 

À chaque siècle sa messe. Celui-ci, qu’attend-il pour instituer une grandiose cérémonie du dégoût ?

 

 

Henri Michaux, Face aux verrous, dans Œuvres complètes, II,

Pléiade/Gallimard, 2001, p. 452, 454, 457, 457.

 

23/03/2020

Pierre Reverdy, En vrac

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Le réel est en dehors de moi. Pour m’adapter au réel, une adaptation si précaire, pour pouvoir vivre dans ce bocal, on a été obligé, et j’ai été surtout ensuite obligé moi-même, de me forger sans arrêt, de me former et de me reformer selon les circonstances et toujours selon les exigences d’un état de choses extérieur et jamais d’après le simple élan de ma nature, de ce que je sens de plus irréductiblement simple dans ma nature. Ce désir immédiat, la succession des désirs immédiats.

 

Pierre Reverdy, En vrac, dans Œuvres complètes, II, Flammarion, 2010, p. 818.