15/03/2015
Pascal Quignard, Lycophron et Zétès
La lecture
Vir virum legit ne signifie pas : l’homme lit dans l’homme. Cette expression était usuelle dans les armées romaines. Cette formule militaire édictait l’ordre commun à tous les fantassins : Chaque soldat se choisit un compagnon d’armes qui répond de sa dépouille s’il tombe.
Chaque homme ramasse l’homme.
Sur l’audition imaginaire
[...]
La voix d’une autre parle loin en nous, encore, au fond de la langue qui nous a envahis.
Mais d’abord, ce n’est pas la langue qui dans la langue
C’est l’émouvoir de la voix du corps dont on était l’habitant, voilà ce qui parle « d’abord » et s’y poursuit « encore »
« Poussant des cris avertissant l’autre qu’on habitait », tel est le sujet avant le sujet (avant que la langue collective l’assujettisse en « personne grammaticale », avant que la société en fasse un « conscrit » sur la ligne de front de ses guerres, avant que le frère d’armes recueille la dépouille de son compagnon d’armes qi tombe, qui tombe, toujours mort, toujours prae, à son côté)
Pascal Quignard, Lycophron et Zétès, Poésie / Gallimard, 2010, p. 236 et 237.
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14/03/2015
Marie Cosnay, Le Fils de Judith : recension
Marie Cosnay 2009 ; photographiée par Michel Durigneux
Autour du double et de la métamorphose
Dans la dizaine de livres que Marie Cosnay a publiés, on retrouve quelques motifs communs, notamment ceux du double et de la métamorphose, le retour également de tout l’appareil du théâtre, et ils sont bien présents dans Le Fils de Judith. L’intrigue semble d’abord linéaire, le but du principal narrateur, Helen, bien défini : il s’agit pour la jeune femme d’enquêter pour retrouver les traces d’un homme, mais la quête devient un voyage dans un labyrinthe et révèle tout autre chose que ce qui était attendu.
Helen pense être la fille du vieillard, Quentin Wilner B., qui l’a chargée de sa tâche, et elle est persuadée partir à Hambourg pour reconstituer le parcours d’Eugen, qui serait son frère et qui, de retour à la maison natale en Espagne, s’est tué d’une balle dans la bouche. Elle rencontre deux femmes qui auraient été des amours d’Eugen ; l’une d’elles, Isole, a accompagné ce frère, en 1968, à travers une partie de l’Europe jusqu’en Tchécoslovaquie, précisément jusqu’à Lidice. On sait que ce village avait été entièrement rasé par les nazis et le couple s’y trouve un peu après l’écrasement du Printemps de Prague par les Soviétiques. Retour à Hambourg où Eugen abandonne Isole pour Moscou où, mathématicien génial, il travaille sur la théorie...des probabilités. Isole fait d’Helen son double en lui attribuant son propre prénom. Isole a un autre double en la personne de Magdalena, l’autre amour d’Eugen, qui affirme à Helen être sa mère et qu’Eugen n’est pas son frère mais son père. Qu’est-ce qui est "vrai" ? Helen revient auprès du vieillard, qui meurt rapidement ; la tombe d’Eugen est ouverte et, auprès de ses restes, elle découvre un squelette d’enfant : celui du bébé abandonné par Magdalena ? Comment alors ne pas penser « Je ne suis née nulle part et surtout de personne, d’aucune histoire singulière ».
Le lecteur resterait perplexe si la seule intrigue l’avait retenu, mais il se souvient que, dans la mythologie grecque, Hélène avait une sœur jumelle (Clytemnestre), et d’autres éléments du récit évoquent ce motif du double. Isole et Magdalena sont en tout opposées, figures d’Iseut et de [Marie] Madeleine, chacune d’elles double ; Eugen, en dehors de ses travaux de mathématiques, écrit, ce que Quentin Wilner B. entendait faire sans y avoir jamais réussi, et Helen tire du fond d’une malle un manuscrit, Le Livre de Judith — double de celui que l’on est en train de lire ? Le prénom de la mère d’Eugen est double par nature puisque c’est un palindrome, Hannah, alors que ceux de plusieurs personnages sont, au regard de l’onomastique française, incomplets : (Helen(e), Isol(d)e, Eugen(e). Eugen s’est tiré une balle dans la bouche et Quentin devenu monstre marin avale Helen (« je tombe dans la bouche de Quentin W. B. »), qui est ensuite « crachée sur une plage ». Et sur la scène du théâtre se rejouent les violences de l’Histoire...
La métamorphose du vieillard en poisson est rêvée, mais elle en annonce d’autres, en particulier celle d’Helen qui s’aperçoit que sa voix change et devient masculine, avant de sentir son corps devenir autre – « C’est une sorte d’extase que d’avoir à l’intérieur, possession et prodige, un corps doublé ». Le rêve lui-même est peut-être celui d’un narrateur qui a noté l’histoire d’Helen : on reconnaît en effet dans le début du récit une porte cochère qui ouvre sur d’autres mondes si l’on parvient à l’ouvrir, et c’est la même qui débutait Des Métamorphoses, le précédent livre de Marie Cosnay. Quand Le fils de Judith s’achève, « un jeune homme regarde, assis sur le trottoir, une jeune fille (...) » : l’un et l’autre étaient déjà là à l’ouverture du récit, qui peut donc recommencer.
L’Histoire est présente, on l’a vu, et il faut préciser que Quentin Wilner B. et son épouse ont fui l’Allemagne en 1938, le nom de jeune fille d’Hannah étant Heimann. Ce fond, avec d’inquiétantes lueurs d’incendie, met en valeur l’étonnant jeu entre réel et imaginaire qu’est Le Fils de Judith .
Marie Cosnay, Le Fils de Judith, Cheyne, 2014, 96 p., 16 €.
La recension a paru dans Sitaudis le 5 mars 2015.
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13/03/2015
Cesare Pavese, Le métier de vivre
Que dire si, un jour, les choses naturelles — sources, bois, vignes, campagne — sont absorbées par la ville et escamotées et se rencontrent dans des phrases anciennes ? Elles nous feront l’effet des theoi, des nymphes, du naturel sacré qui surgit d’un vers grec. Alors la simple phrase « il y avait une source » sera émouvante.
Le sentiment terrible que tout ce que l’on fait est de travers, et ce qu’on pense, et ce qu’on est. Rien ne peut te sauver, parce que, quelque décision que tu prennes, tu sais que tu es de travers et en conséquence ta décision l’est aussi.
Avec les autres — même avec la seule personne qui émerge — il faut toujours vivre comme si nous commencions alors et devions finir un instant plus tard.
Cesare Pavese, Le métier de vivre, traduction de l’italien par Michel Arnaud, Gallimard, 1958, p. 249, 251, 256.
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12/03/2015
Hélène Sanguinetti, Alparegho, Pareil à rien
La nuit partout dans la maison.
La nuit partout dans la maison.
Bave tient à la vitre,
avec des pics
et des crevasses.
Escargot,
escargot écrasé,
bouillonnant,
maison sur son dos,
plus de maison !
Il tenait aux feuilles, il y buvait,
la maison brillait, ne brille plus !
Ah bon, ne brille plus.
Voilà pour lui, voilà pour l’espion
qui oublie de rouler sa paillasse, et s’endort
sans pointu de coude dans l’oreille , voilà ce qui est juste.
Aujourd’hui
va dépasser la courbe des montagnes,
prendre les fils, s’y prendre,
et la mer, elle aussi, saura.
Parce qu’entre toutes les choses,
il y a des voix incessantes qui circulent,
indestructibles et lentes elles circulent
sans klaxonner
sans faire de bruit connu
sans geste ou air connu
sans air comme pour nous.
Il y a des voix indestructibles qui circulent.
Ah bon, il y a des voix.
[...]
Hélène Sanguinetti, Alparegho, Pareil à rien, Amandier,
2015, p. 33-35.
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11/03/2015
Jack Kerouac, Le LIvre des esquisses, 1952-1954
[...]
encore 500 miles jusqu’à Denver,
j’ai 1, 46 $ — mais
me sens de nouveau vivant & même
que je serai sauvé, c-à-d,
je ne suis pas un canard crevé,
ni un criminel, un
clodo, un idiot, un imbécile
— mais un grand poète
& un brave type & maintenant que c’est établi je
vais arrêter de me plaindre de
ma situation —&— me concentrer
sur mon travail à la Sp. RR pour
assurer mes besoins, comme ça je
pourrai écrire en paix, mettre en route
l’œuvre de ma vie sur mon
univers intérieur, 2e partie,
car Docteur Sax était
à coup sûr la première partie !
Jack Kerouac, Livre des esquisses, 1952-1954,
La Table ronde, 2010, p. 123-124.
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10/03/2015
Isabelle Garron, Corps fut
Variations 2
[...]
là. enfant .tu évoques l'épreuve d’un texte
aux confins d’une île. ici l’empreinte
d’origine ses contours traduits
dans la neige
la fatigue de l’image .d’une femme
sa condition .et le ventre
les soubresauts et les
expectorations
lire noté à maintes reprises
je ne raconterai point
j’écrirai
sous une nuit l’attente fêlée
d’une voix dans la ruelle
en contrebas
les nuages dans la vallée
la crainte aussi
d’un retour du froid
Isabelle Garron, Corps fut, Flammarion,
2011, p. 95-96.
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09/03/2015
Ugo Foscolo, Les Tombeaux et autres poèmes
J’ai le front ridé, les yeux profonds, aigus,
Le crin fauve, les joues creuses, l’air hardi,
La lèvre rouge et gonflée, les dents limpides,
Le chef penché, le col beau, le torse large ;
Corps proportionné, habit simple et choisi,
J’ai vifs le pas, la pensée, l’accent, le geste ;
Humain, sobre et loyal, prodigue, pur,
Adverse au monde, j’ai contre moi les faits ;
Fier en paroles et plus souvent en actes,
Fréquemment triste et seul, toujours pensif,
Prompt, coléreux, et tenace, et inquiet,
En vices riche, mais en vertus aussi,
Je loue la raison mais cours où veut le cœur :
Seule la mort m »offrira gloire et paix.
Ugo Foscolo, Les Tombeaux et autres poèmes,
traduit et présenté par Michel Orcel, collection
Villa Médicis, Académie de France,1982, p. 55.
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08/03/2015
Luc Bénazet, Articuler
Dialectes, jargons, parlers de pauvres et de riches
(Pier Paolo Pasolini), —
Quelle division des parlers est simple, lorsqu’un groupe est divisé simplement, —
Si une communauté humaine avait multiplié
les divisions en elle, divisions
multiples mais complexes, nous pourrions la même
la même typologie des parlers
(un état de langue particulier
est aliénable. Une langue de pouvoir le domine et
obtient sa disparition :
disparaît la dimension affirmative,
disparaît la forme particulière .)
Mais donner sa force, mais la perdre, non pas
en pure perte : quelque chose autre advient à un autre que soi, —
sa force grandit, un rapport à lui
s’établit. Un voile
aura recouvert ce qui nous sépare d’un autre que soi, —
nous nous parlons ! À l’instant
une langue semblant commune
est disposée.
Disons : des objets singuliers s’imposent
à chacun, avec eux, les parlers
dont ils contraignent
l’état. Et
sont des objets généreux, pour tous
(...)
Luc Bénazet, Articuler, nous, 2015, p. 13-14.
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07/03/2015
Erich Fried, Es ist was es ist
Toi
Toi
te laisser être toi
entièrement toi
Voir
que tu n’es toi
que lorsque tu es tout
ce que tu es
la tendresse
et le sauvage
ce qui veut se détacher
et ce qui veut se blottir
Celui qui n’aime que la moitié
ne t’aime pas à moitié
il ne t’aime pas du tout
celui-là veut te tailler sur mesure
t’amputer
te mutiler
Te laisser être toi
est-ce difficile ou facile ?
Cela ne dépend pas de la dose
de calcul et de bon sens
mais de la dose d’amour
et de désir suspendu à tout –
à tout
ce qui est toi
À la chaleur
et à la froideur
à l’amabilité
et à l’obstination
à ton bon vouloir
et ton mécontentement
à chacun de tes gestes
à tes mauvais gestes
ton inconstance
ta constance
Alors cela
te laisser être toi
n’est
peut-être pas
si difficile
Dich
Dich
dich sein lassen
ganz dich
Sehen
daß du nur du bist
wenn du alles bist
das Zarte
und das Wilde
das was sich losreißen
und das was sich anschmiegen will
Wer nur die Hälfte liebt
der liebt dich nicht halb
sondern gar nicht
der will dich zurechtschneiden
amputieren
verstümmeln
Dich dich sein lassen
ob das schwer oder leicht ist?
Es kommt nicht darauf an mit wieviel
Vorbedacht und Verstand
sondern mit wieviel Liebe und mit wieviel
offener Sehnsucht nach allem –
nach allem
was du ist
Nach der Wärme
und nach der Kälte
nach der Güte
und nach dem Starrsinn
nach deinem Willen
und Unwillen
nach jeder deiner Gebärden
nach deiner Ungebärdigkeit
Unstetigkeit
Stetigkeit
Dann
ist dieses
dich dich sein lassen
vielleicht
gar nicht so schwer
Erich Fried, "Dich", extrait de Es ist was
es ist, Liebesgedichte Angstgedichte Zorngedichte
(Berlin, Verlag Klaus Wagenbach, 1983), p. 34
traduction Chantal Tanet et Michael Hohmann.
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06/03/2015
James Sacré, Cherchet-on le père qu'on a eu ?, dans Rehauts
Juste après qu’on a dépassé Carcassonne
Venant de Montpellier
On entre comme dans les couleurs que sont
Les toiles de Bentajou, visage rouges
En bord de labours ocre rose ou marron
Ou leurs feuillages morts
Avec des traces de verdure. Bentajou
A tiré de cela des figures comme il dit
Qui sont et ne sont pas ces paysages
Mais ce qui est venu
Quand il a mis du temps et ses mains
À l’épreuve de la couleur, oubliant peut-être
Ou se perdant. Pourrait-on pas dire
Que toi mon père te relevant
En bout d’un arpent de vigne, en Vendée
Tu n’étais plus
Que tremblement de formes et de couleurs
Dans la longueur de ton travail paysan ?
James Sacré, Cherche-t-on le père qu’on a eu ?, dans Rehauts, n°34, automne 2014, p. 9.
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05/03/2015
Alejandra Pizarnik, Cahier jaune, traduction Jacques Ancet
Tragédie
Avec la rumeur des yeux des poupées agités par le vent si fort qu’il les faisait s’ouvrir et se fermer un peu. J’étais dans le petit jardin triangulaire et je prenais le thé avec mes poupées et la mort. Et qui est cette dame vêtue de bleu au visage bleu au nez bleu aux lèvres bleues aux ongles bleus et aux seins bleus aux mamelons dorés ? C’est mon professeur de chant. Et qui est cette dame en velours rouge qui a une tête de pied, émet des particules de sons, appuie ses doigts sur des rectangles de nacre blancs qui descendent et on entend des sons ? C’est mon professeur de piano et je suis sûre que sous ses velours rouges elle n’a rien, elle est nue avec sa tête de pied et c’est ainsi qu’elle doit se promener le dimanche en serrant la selle avec les jambes toujours plus serrées comme des pinces jusqu’à ce que le tricycle s’introduise en elle et qu’on ne le voit jamais plus.
Alejandra Pizarnik, Cahier jaune, traduction Jacques Ancet, Ypsilon, 2012, p. 43.
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04/03/2015
Mary Oliver, American Primitive
Première neige
La neige
a commencé ici
ce matin et continué
toute la journée, sa blanche
rhétorique partout
nous renvoyant au pourquoi, comment,
d’où vient une telle beauté
et quel en est le sens : une telle
fièvre oraculaire ! glissant
devant les fenêtres, une énergie qui semblait
ne jamais devoir se retirer, ne jamais s’apaiser
qu'en beauté ! seulement maintenant,
au coeur de la nuit,
elle s’est enfin arrêtée.
Le silence
est immense,
et les cieux retiennent encore
un million de bougies ; nulle part
les choses familières :
les étoiles, la lune,
l'obscurité que nous attendons
et repoussons tous les soirs. Les arbres
scintillent comme des châteaux
de rubans, les vastes champs
se consument à la lumière, le lit
d'un ruisseau amasse au passage
des collines luisantes
et bien que les questions
qui nous ont assaillis tout le jour
demeurent — pas une seule
réponse trouvée ;
sortir maintenant
dans le silence et la lumière
sous les arbres
et à travers champs,
semble en être une.
*
First snow
The snow
began here
this morning and all day
continued, its white
rhetoric everywhere
calling us back to why, how,
whence such beauty and what
the meaning; such
an oracular fever! flowing
past windows, an energy it seemed
would never ebb, never settle
less than lovely! and only now,
deep into night,
it has finally ended.
The silence
is immense,
and the heavens still hold
a million candles; nowhere
the familiar things:
stars, the moon,
the darkness we expect
and nightly turn from. Trees
glitter like castles
of ribbons, the broad fields
smolder with light, a passing
creekbed lies
heaped with shining hills;
and though the questions
that have assailed us all day
remain — not a single
answer has been found —
walking out now
into the silence and the light
under the trees,
and through the fields
feels like one.
Mary Oliver, "First snow", extrait de
American Primitive, Back Bay Books,
1983, p. 26-27. Traduction Chantal Tanet
et Melissa Nickerson.
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03/03/2015
Robert Duncan, L'ouverture du champ
Tenir la rime
Par accent et syllabe
Par changement de rime et de contour
le vers long à la cadence bizarre atteint sa période même.
Le vers court
nous raffinons
et vouons à la candeur.
Nous nous en souvenons
la braise de la flamme
prend le mot dès lors qu'il s'entend
(« Nous devons comprendre ce qui se passe »)
et surgit au désir,
air
à la justesse de l'oiseau.
C'est la bûche du solstice d'hiver qui réchauffe décembre.
C'est l'herbe neuve qui surgit de la terre.
Robet Duncan, L'ouverture du champ, traduction Martin Richet, éditions Corti, 2012, p. 110.
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02/03/2015
Florence Pazzottu, L'Inadéquat
à ma mère
alors poème
– enfant en moi de sept mois n’était pas un
non-parlant mais ce
tout-oreille
qu’effondra en lui-même
aussi bien commença
l’extrême silence d’une
(bien que revenue) disparue-mère
l’indispensable qui (don de langue)
fait sol
et
sens – a
lors poème
(persiste
ce mouvement tiers cette absence
– réel l’impossible retour n’efface
pas le manque fracturant et fondant
aujourd’hui)
ce tout multiple – poème – possiblement
disjoncte
Florence Pazzottu, L’Inadéquat (la langue crée
le dé), Flammarion, 2005, p. 87.
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01/03/2015
Jean-Philippe Salabreuil, La liberté des feuilles
Lied aux ombres d’hiver
Un matin le vent traverse les cendres
Du jeune jour maigre et ce sont
Comme d’anciens temps gris qui recommencent
Où sans rimes ni raisons
Nous vivions de beau silence
Et de belle folie.
Tu me regardes et si je te délie
Maintenant des chanvres de froide pluie
Sans doute vas-tu sourire et que luise
un instant l’âme lointaine j’épuise
Au souffle court ce vieil été d’aubes moisies
Tu n’échapperas plus au verger de mes mains
Le ciel gris passe entier parmi les doigts des morts
Ensemble souviens-toi de cette forêt torte
Nous l’avons fait pencher jusqu’aux eaux du matin
Je me souviens je t’aime et me souviens
Il y avait encore une prairie
Fleurie de larmes et d’abandons
Nous en avons sur nous fermé la grille
Est-il passé depuis tant de saisons ?
Sommes rentrés dedans mille et mille matins
Depuis le temps le temps que je t’ouvre mes mains.
Jean-Philippe Salabreuil, La liberté des feuilles, « Le Chemin », Gallimard, 1964, p. 45.
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