08/02/2023
Jean Grosjean, Une voix, un regard, Textes retrouvés 1947-2004
Senteurs
Le grenier sent la poussière
de nos journées inutiles
visitées par la lumière
qui se glisse entre les tuiles.
Tout ce que l’âme a coupé
dans les enclos du dimanche
a l’odeur de foin séché
qu’on hume aux portes des granges.
Un parfum de bois qu’on brûle
circule à travers les chambres
puisque notre feu posthume
n’est pas éteint sous nos cendres.
Jean Grosjean, Une voix, un regard, Textes
retrouvés 1947-2004, Gallimard, 2012, p. 107.
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15/04/2021
André Spire, Versets
J’écrivais,
Une rose s’est écroulée.
Le mystère, j’en ris !
L’âme de mes grand-mères
Ne vient plus visiter mes antiques armoires !
Je n’ai pas peur, quand je suis seul, même à minuit.
Mais, sur ma page, pourquoi ces feuilles rouges ;
Pourquoi ce parfum lourd, cette chute..., ce trouble,
Et pourquoi mon poème est-il mort tout à coup ?
André Spire, Versets, Mercure de France, 1908, p. 63.
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19/03/2021
Laurent Fourcaut, Dedans dehors
Des villes et des champs
La violence on la sent jusque dans l’air des rues
chaque pouce de l’espace est sous la pression
du forcing de la marchandise vile et brute
en ville le vivant souffre d’inanition
le printemps à contre-courant posse sa crue
l’ai puant pourri lui présente l’addition
fazut respirer un bon coup l’air de la rue
pour s’envoyer du bon côté la perdition
et même plutôt le parfum de l’aubépine
blanche il n’est pas possible que mieux on s’avine
entre cambrousse et mer au gré des chemins creux
certes c’est désolé il faut se faire buse
et renard sinon rapidement le cœur s’use
à soutenir le vent farouche et ténébreux
Laurent Fourcaut, Dedans dehors, éditions Tarabuste,
2021, p. 92.
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24/09/2017
Philippe Jaccottet, Tâches de soleil, ou d'ombre. Notes sauvegardées.
Les iris poussent au hasard dans un enclos d'herbes hautes — couleur mauve ou violet sombre — sortis de leurs papiers de soie parmi leurs dures lames vertes. Ou ceux, de couleur jaune, qui poussent dans les marais et les canaux. Et ces toutes petites fleurs basses — jaunes ou roses — qui s'accrochent aux pierres, aux rochers, qui leur tiennent lieu de pelage, doux, gras et chaud, modeste et tenace.
*
Le parfum des iris, très doux, sucré, presque suave, évoquant, me semble-t-il, l'idée qu'on a pu se faire, adolescent, du féminin : de quoi vous tourner la tête... Avec cette espèce de chenille d'un jaune éclatant, solaire, mais si bien cachée sous les pétales bleu pâle comme sous des langues d'eau. Mais le mot "chenille" gêne, et "brosse" tout autant. Une réserve de poudre d'or, un pelage d'or, une toison peut-être, cachée dans la soie de la robe ?
Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d'ombre, Notes sauvegardées, 1952-2005, Le Bruit du temps, 2013, p. 47, 154.
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04/10/2016
Carol Ann Duffy, Valentine
Valentine
Non une rose rouge ou un cœur de satin
Je te donne un oignon.
Une lune enveloppée dans du papier Kraft.
Il promet la lumière
comme l’amour délicatement déshabillé.
Tiens.
Comme un-e amant-e tu seras
Aveuglé-e par les larmes
Il fera de ton reflet
Une photo floutée de chagrin.
J’essaie d’être juste.
Ni jolie carte ni baisers postés.
Je te donne un oignon.
Son baiser sauvage tiendra à tes lèvres
fidèle et possessif
comme nous le sommes,
pour autant que nous sommes.
Prends-le.
Ses rondelles platine te feront une alliance miniature,
si tu veux.
Fatal
son parfum s’accrochera à tes doigts,
à ton couteau.
Carol Ann Duffy, traduit par Nathalie Koble, dans
- K., Drôles de Valentines, Héros-Limite, 2016, p. 150.
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29/01/2016
Jacques Roubaud, C et autre poésie (1962-2012)
Nue au fauteuil
Au début le soir interdisait bâillon jaune
D’ampoules bues sur tous objets flore ou lingots
Froids, fret des livres, vêtus, l’air, l’aigu, l’écho
De la ruche nuit éclaboussant tes épaules
Au début tu ne fus que noire entrée arôme
De cheveux sur le cuir orange griffé chaud
Qu’yeux caressés, paisiblement arrêtés, rauque
Voix et que bras, bruns mais ouverts blancs à la paume
Parfums tu fus et recueillais mes yeux sur toi
Considérais ma bouche lente sur ton ventre
Bougeant un peu, la nuit de pavot sous tes doigts
Tu rassemblais les crins d’or de notre rencontre
Dans ton empire fait de beautés et d’alarmes
Du désir qui l’assure et du plaisir qui l’arme
Jacques Roubaud, C et autre poésie, éditions Nous,
2015, p. 51.
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05/12/2015
Pierre Silvain, Assise devant la mer
Maintenant qu’il se soulève au-dessus du lit, il voit sa mère debout devant la table de toilette, en combinaison légère, ses épaules dénudées, et dans le miroir incliné son visage de profil tandis que par petites touches, d’une houppette en cygne, elle se poudre les joues, le front. Quand son regard rencontre soudain le sien qu’un reflet lumineux parmi les piqûres couleur de rouille lui renvoie, elle s’arrête, interdite, honteuse peut-être d’avoir oublié la présence de l’enfant, ou bien troublée par l’interrogation qu’elle découvre dans les yeux sombres qui ne se détournent pas. Elle va prendre aussitôt sur le dos d’une chaise sa robe bleue imprimée de pois blancs qu’elle-même a coupée et cousue, droite, sans plis, décolleté en pointe, la revêt, la lisse doucement du plat de la main sur les hanches, le ventre. Il observe chacun de ses gestes sans un cillement et lorsqu’elle vient s’asseoir au bord du lit, il sent la poudre de riz l’envelopper d’un faible nuage de rose, mais il reste aussi tendu que s’il se défendait de respirer un parfum interdit. Un instant indécise ou désarmée devant l’enfant transi par une crainte puérile, la mère ouvre ses bras, l’attire contre elle, contre ses seins qui s’écartent sous la pression de la tête de plus en plus pesante, abandonnée. Pourtant, il ne dort pas, il est tout entier ce corps sans défense qu’il laisse retourner au corps maternel dont le même mouvement berceur qu’autrefois, quand il ne savait rien du monde autour de lui, rien d’autre que l’effleurement d’un souffle ou le duvet d’un baiser de lèvres sur ses lèvres, l’endort, tandis qu’il entend les paroles d’une chanson — un peu triste — s’éloigner, se brouiller et enfin mourir là-bas où sa mère l’attend.
Pierre Silvain, Assise devant la mer, Verdier, 2009, p. 37-38. © Photo Marina Poole.
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19/03/2014
Gustave Roud, Les fleurs et les saisons
Le bois-gentil
Un petit arbuste aux lisières des forêts, aux pentes des ravins, parmi les broussailles des clairières, dans les jeunes plantations de hêtres et de sapins. Mais pour le promeneur d'avant-printemps, qui se repose sur la souche humide et ronde, couleur d'orange, des fûts fraîchement sciés, ce n'est tout d'abord qu'une gorgée d'odeur aussi puissante qu'un appel. Il se retourne : là, parmi le réseau de ramilles, à la hauteur de son genou, ces deux ou trois taches roses, d'un rose vineux, le bois-gentil en fleur ! Qu'il défasse délicatement les branches enchevêtrées, qu'il se penche sur l'arbrisseau sans en tirer à lui les tiges, car un geste brusque ferait choir les fleurs rangées en épi lâche, par petits bouquets irréguliers à même l'écorce lisse d'un gris touché de beige. Chacune, à l'extrémité d'une gorge tubulaire, épanouit une croix de quatre pétales charnus, modelés dans une cire grenue et translucide, dont les étamines aiguisent le rose, au centre de la croix, d'un imperceptible pointillé d'or. Et de chacune coule goutte à goutte ce parfum épais et sucré comme un miel où chancelante encore de l'interminable hiver s'englue irrésistiblement la pensée.
Gustave Roud, Les fleurs et les saisons, La Dogana, 2003, p. 29-30.
On appelle aussi cet arbrisseau Bois-joli, Daphné.
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31/07/2013
Christophe Pradeau, Proust à Illiers-Combray
Le parfum des asperges
D'une pièce à l'autre du rez-de-chaussée, les odeurs circulent, s'emmêlent, s'adultèrent, se recouvrent, s'annulent ou se rehaussent. Sauf à l'approche de l'heure du coucher, l'odeur du chagrin s'efface devant celles, subtilement étagées, réunies en bouquet ou vigoureusement dissociées, des plaisirs de la table. Plus que le goût, c'est en effet l'odorat que les descriptions proustiennes mobilisent pour donner à éprouver, dans toute la plénitude de la sensation, ce qu'avoir bon appétit veut dire. Toute nourriture semble devoir se résoudre en odeur dans le monde de Combray. Si l'on demandait à une société de lecteurs quel souvenir leur vient en premier des repas combraysiens, une grande majorité d'entre eux évoquerait le parfum des bottes d'asperges. Quiconque a lu Du côté de chez Swann ne pourra plus jamais faire autrement que de penser à Proust lorsque, ayant pris des asperges àdîner, il redécouvre, dans l'intimité des toilettes, le singulier pouvoir qu'elles ont de substituer la subtilité douceâtre de leur parfum à l'âcreté de l'urine. Si « l'essence précieuse » des asperges se reconnaît d'abord à leur robe couleur du temps, au glissement sur leur corps fuselé de couleurs si changeantes que le Narrateur peut les comparer à des aurores naissantes ou à des « ébauches d'arc-en-ciel », elle s'accomplit dans la façon qui leur est propre de jouer, « dans leurs farces poétiques et grossières comme une féérie de Shakespeare, à changer [le] pot de chambre en un vase de parfum ». L'asperge a ceci de singulier, qui la distingue du commun des nourritures terrestres, qu'elle demande pour libérer son parfum, pour que son odeur, atteignant son seuil de plénitude, mérité le nom de parfum, qu'on se l'incorpore. Le parfum de l'asperge se réalise dans la nuit de l'estomac, dans les replis boueux de l'intestin ; il embaume dans ces lieux malséants, ces cabinets d'aisances, où s'impose à chacun, dans toute sa trivialité, la dimension physiologique des existences.
On pourrait voir dans cette fabrique d'un parfum, qui demande à être distillé dans la nuit des viscères, un emblème assez satisfaisant de l'œuvre. Proust, et c'est l'une de ses grandeurs, ne se détourne pas, par souci d'originalité, par peur du cliché, des beautés répertoriées. Il célèbre sans façon la beauté du monde, sans dérobade, sans crainte de s'émerveiller devant la beauté convenue, pour album de jeune fille, des arbres en fleurs, découvrant dans l'intensité de son admiration de nouvelles façons de dire le soleil rayonnant sur la mer ou de donner à éprouver la gifle du vent sur les visages enflammés par le grand air.
Christophe Pradeau, Proust à Illiers-Combray, Belin, 2013, p. 75-77.
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08/05/2013
Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d'ombre, Notes sauvegardées
Les iris poussent au hasard dans un enclos d'herbes hautes — couleur mauve ou violet sombre — sortis de leurs papiers de soie parmi leurs dures lames vertes. Ou ceux, de couleur jaune, qui poussent dans les marais et les canaux. Et ces toutes petites fleurs basses — jaunes ou roses — qui s'accrochent aux pierres, aux rochers, qui leur tiennent lieu de pelage, doux, gras et chaud, modeste et tenace.
*
Le parfum des iris, très doux, sucré, presque suave, évoquant, me semble-t-il, l'idée qu'on a pu se faire, adolescent, du féminin : de quoi vous tourner la tête... Avec cette espèce de chenille d'un jaune éclatant, solaire, mais si bien cachée sous les pétales bleu pâle comme sous des langues d'eau. Mais le mot "chenille" gêne, et "brosse" tout autant. Une réserve de poudre d'or, un pelage d'or, une toison peut-être, cachée dans la soie de la robe ?
Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d'ombre, Notes sauvegardées, 1952-2005, Le Bruit du temps, 2013, p. 47, 154.
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