09/11/2020
Jacques Demarcq, La Vie volatile
Jacques Demarcq écrit, notamment mais pas seulement, à propos des oiseaux, d’une manière différente de celle de Fabienne Raphoz ou Dominique Meens, pour citer des contemporains, ou Henri Pichette un peu plus avant ; on le retrouve dans une belle livraison de la revue PO&SIE parue en août 2019 (n° 167-168, "Des oiseaux"). Dans ses livres publiés depuis Les Zozios (NOUS, 2008), se mêlent caractère documentaire, autobiographie, poèmes et images, et c’est ainsi qu’est encore construit, très foisonnant, La Vie volatile, avec une place importante réservée aux calligrammes. La simple description des neuf parties de l’ensemble dépasserait les limites d’une note de lecture, on ne s’attachera qu’à ce qui apparaît comme des constantes de l’œuvre.
Le titre l’indique clairement, l’essentiel des textes est relatif aux oiseaux, mais si l’observation est des plus précise, complétée par des ouvrages savants, le propos n’est pas celui d’un naturaliste. Quand besoin est, il s’appuie sur un extrait d’Élisée Reclus ou un ouvrage concernant un peuple mélanésien et sa musique, il renvoie à Utamaro ou cite Chateaubriand, c’est par souci chaque fois d’exactitude : l’ouvrage s’achève d’ailleurs par une bibliographie qui énumère les sources utilisées. Le projet de Demarcq déborde largement ce qui est apparent pour le lecteur qui feuilletterait seulement une partie du livre, la restitution des cris des oiseaux : ce n’en est qu’un aspect et, à différents endroits, sont donnés des éléments pour mieux saisir l’unité du livre.
Regarder avec attention les oiseaux, étudier autant leurs mouvements et leurs cris n’est donc pas pour écrire en ornithologue, bien plutôt « Observer avec eux m’invite à regarder le genre humain avec une distance, un décentrement, une fragile excentricité ». On entend là quasiment un moraliste, sans aucune naïveté ou anthropomorphisme béat ; certes les animaux n’apprennent pas directement ce que sont les hommes mais leur fréquentation incite à voir les hommes autrement. Demarcq le dit autrement à propos d’un séjour au Sénégal, « Je traque les oiseaux pour leurs hommes autant que pour eux. Pour les paysages et sociétés qu’ils côtoient en touristes, immigrés provisoires. » Cette attention aux hommes est lisible dans les pages du Journal tenu au cours de plusieurs séjours à New York ; Demarcq y fréquente les musées mais aussi les parcs, prend le métro, cherche sans succès les traces d’un village ancien, marche beaucoup dans les rues, s’arrête devant les gratte-ciel bâtis pour les milliardaires, constate l’appauvrissement des librairies d’occasion concurrencées par internet, concluant ainsi le Journal : « New York est une loupe rapprochant ce qu’il peut y avoir de splendide et de pire dans un Bref New World. »
Un autre aspect du projet touche à l’écriture puisque, pour Demarcq, « Les rythmes et sons, degrés zéro et infini du poétique, priment sur le sens et désaxent la syntaxe ». Partant de là, proposer de noter le cri des oiseaux n’oblige en rien à tenter une restitution que seuls des enregistrements peuvent accomplir — enregistrements qu’il utilise à l’occasion. Il essaie donc d’inventer dans la langue ce qu’est pour lui le cri du bruant ou de la fauvette, « je pars de quelques syllabes maladroitement imitées d’oiseaux / ce qui raréfie, étoffe, étrangle le vocabulaire à ma disposition ». Mais les modulations du cri ? la typographie joue un rôle puisqu’il est possible de varier le corps des lettres, d’insérer une portée musicale, de donner un mouvement : les mots d’un vers ne sont pas sur la même ligne, une série de vers représente le vol d’un oiseau. On pensera que ces manipulations sont bien éloignées du cri de tel ou tel oiseau ; cela est probable mais répond cependant à ce que recherche Demarcq.
Il y a dans sa démarche un refus du sens à tout prix ; il ne s’agit pas du tout de faire comme si la langue n’existait pas mais « de la rendre naissante, enfantine et fragile, à l’instant où des mots, des articulations s’esquissent dans le bégaiement. » C’est sans doute pourquoi, attentif aux manières de prononcer qu’il rencontre, il transcrit la prononciation différente du français par une personne rencontrée en Amérique (« Les péhuches détuisent toute sôte [...]). C’est pourquoi aussi il introduit, dans les proses comme dans les poèmes, des images pour remplacer les mots, des dessins en forme de lettres — une tente pour le A, par exemple, une suite verticale de points pour le "l" de pluie —des jeux variés avec les couleurs et les formes : ainsi un texte inscrit dans une sorte d’affiche rectangulaire elle-même dans la page.
C’est pourquoi enfin Demarcq pratique le calligramme ; il définit très justement que cet « affrontement » de l’écriture et du dessin implique pour lui « le mélange de caractères disparates, la déformation de certains ou leur détournement figuratif, la dislocation ou torsion des lignes, l’introduction d’éléments non scripturaux tels que vignettes, pictogrammes ou traits rythmiques, et mieux que tout la vibration des lettres et des couleurs, proches des vibratos du chant. » Passionné de peinture, il reprend des toiles, des couleurs ou des formes de peintres, de Monet à Dubuffet, à partir desquelles il construit ses propres formes. Il rappelle d’ailleurs dans son Journal qu’il avait essayé, à partir des toiles de Pollock à New York, de « dessiner des phrases ». Le goût — et le plaisir — de l’expérimentation sont sensibles dans ses tableaux recomposés comme dans ses transcriptions de bruits, ceux de « la futaie [qui] grinsse cracke grezzille d’insectes », du pic qui « tapopote ». Comme dans le choix des paronomases (« python piteux ») et, surtout, des calembours : en plus du titre, on relèvera les titres et sous-titres, « Cygne d’étang », « Recife à ses cieux », « exquis disent plus ? », etc.
On comprend que les réponses à la question posée au tout début du livre, « Pourquoi les oiseaux ? » sont multiples, celles d’un écrivain soucieux de « se penche[r] pour voir ce qu’il y nia ». Il faut ajouter que les réponses s’inscrivent dans une histoire, celle des lectures faites : évoquant ses souvenirs d’enfant abandonné et ses lectures précoces, Demarcq note que « qui lit descend au moins autant des auteurs qu’il a fréquentés que de son milieu », et les références littéraires ne manquent pas ici, notamment de Baudelaire, Poe, Apollinaire à Cummings. Il faut du temps pour lire et apprécier tous les jeux avec la langue de cette Vie volatile, et c’est tant mieux à une époque où tout "doit" aller vite.
Jacques Demarcq, La Vie volatile, éditions NOUS, 2020, 400 p., 30 €. Cette note de lecture a été publiée par Sitaudis le 28 septembre 2020.
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08/11/2016
E. E. Cummings, une fois un (traduction Jacques Demarcq)
l’amour est une source à laquelle
s’abreuvent ces fous qui ont grimpé
plus raides que les espoirs sont peurs
simplement pas toujours nommées
des montagnes plus si quand chaque
totalité connue s’évapore
insouciants sont les amants qui
plus hauts que leurs peurs sont espoirs
sont les amants genoux à terre
eux dont les lèvres heurtent des cieux
inimaginés plus profonds
que le paradis n’est l’enfer
E. E. Cummings, une fois un, traduction Jacques
Demarcq, La Nerthe, 2015, p. 31.
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13/06/2016
E. E. Cummings, No Thanks
à l’amour sois (un peu)
Plus attentif
Qu’à tout
tiens-le seulement peut-être
À peine moins
(étant au-delà d’ô combien)
serré que
Rie, souviens t’en par de fréquentes
Angoisses (imagine
Son moindre jamais avec ta meilleure
mémoire) donne entière à chaque
Toujours en liberté
(Ose jusqu’à une fleur,
comprenant outre mesure le soleil
Ouvre quel millième pourquoi et
découvre le rire)
E. E. Cummings, No Thanks, traduit et
présenté par Jacques Demarcq, NOUS,
2011, p. 68.
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02/02/2016
E. E. Cummings, 95 poèmes
80
Si l’étoile de l’Amour sort grandissime
de quelque arbre rêveur s’échappe une voix
(et combien vais-je rester plus qu’immobile)
et comme elle chantera longtemps pour moi
et tandis que ce rêve grimpe jusqu’aux cieux
(pour que sa voix bien plus qu’oiseau devienne)
et quand nul suis ne fut jamais comme je
alors cette Étoile sous terre se promène
E. E. Cummings, 95 poèmes, traduit et présenté par
Jacques Demarcq, Points / Seuil, 2006, p. 113.
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23/10/2015
Jacques Demarcq, Les Zozios
Photo Michel Durigneux
l’alouette des champs
(tu peux peu preux taré de près tout utudier !
au riche prix d’rythme et bruit m’éclipse et tout est dit
j’brise bing en mythe le vieux dieu creux du truc lyrique
qui vous dégougueuline en guiliguids sa vie
vile virilité tiède idée du viridique
(qu’une aile vienne à la stropheest-ce trop l’estropépier)
je dessille la niaise cécité du sugnifie
te ruine en rimes l’émue mimique du communique
« dreu-lui, dyidyidu ; tieu huittchip : tiuti-tuitutt »
l’douillet duvet du discours du discouru je déguenille
portées nues peau et tripe en poétrie je trille
trille le grimpe de l’ivresse et plus diverse y fuis
plus dissolu mon dividu s’insolitude
...jusqu’à s’ouvrir au vide et chute en chuchutuis...
Jacques Demarcq, Les Zozios, NOUS, 2008, p. 175.
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20/08/2015
Edward Estlin Cummings, Paris
plus
pâle
que tous les pourquois
tapis
entre tes omoplates découvertes. — Voici
venir un solide gaillard en sarrau
de l’autre côté de la fenêtre, touchant les becs
de gaz un à un de sa canne
magique (au bout de laquelle une boule
de feu bouillonne enthousiaste)
vois
là et là ça explose
silencieux en crocus d’éclats. (Cela fait bien assez
de vie pour toi. Je comprends. Une fois
encore...) glissant
un peu plus bas ; embrasse-moi de ton corps soudain
incurvant de complètes questions chaudes
Edward Estlin Cummings, Paris, traduit de l’anglais et présenté par
Jacques Demarcq, Seghers, 2014, p. 33.
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27/07/2014
Fabienne Raphoz, Jeux d’oiseaux dans un ciel vide augures
Dessin de Ianna Andréadis
Au merle de mon jardin
(avec l’aide de quelques-uns)
Le merle de mon jardin est un oiseau commun
mais c’est le merle de mon jardin ;
le merle de mon jardin est un oiseau commun
mais j’ai aussi treize manières de le regarder ;
le merle de mon jardin est un oiseau commun
mais il est à lui seul le voyage tout entier ;
le merle de mon jardin n’est ni le ciel ni la terre
mais il les réunit ;
il n’y a pas d’ailleurs de son monde pour l’être-là merle
du merle de mon jardin ;
parfois je suis un peu le merle de mon jardin
car je le suis des yeux ;
ainsi, pour le dire autrement, l’œil du merle de mon
jardin et mon regard ne font qu’un, mais j’ai moins
d’acuité pour observer le merle de mon jardin
qu’il n’en a pour me regarder depuis le
pommier ;
les ancêtres du merle de mon jardin volaient
avant les ancêtres de la chauve-souris ;
les ancêtres dinosaures du merle de mon jardin ne se
sont pas éteints,
ils se sont envolés ;
le merle de mon jardin contrairement à la mouche du pré
ne met pas ses pattes sur sa tête ;
dans la syrinx du merle de mon jardin,
il y a un peu du Solitaire masqué de Monteverde ;
jaune vif le bec du mâle merle noir : tordus merula de mon jardin
comme ceux de tous les mâles merles tordus sp
du monde sauf le bec du mâle Merle du Maranon Tordus maranonicus
du mâle merle cul-blanc Tordus obsoletus et du mâle Merle
Haux-Well Tordus hauxwelli
Une année, le merle de mon jardin a fait son nid quasi
sous mon nez ;
le merle de mon jardin mange souvent des baies de lierre au-dessus
de mon nez sur le gros mur moussu de mon jardin, l’été ;
le merle de mon jardin, comme le piapiateur noir de
Jacques Demarcq,
piapiate et tuititrix, son chant résonne refluifluité ;
le merle de mon jardin comme Jacob de Lafon soi-même
aime penser les choses par deux : baie et chat,
air et froid, œuf et bec, eux et eux, mais à
l’inverse de Jacob de Lafon il n’associe rien à
l’arôme du noyau ;
le merle de mon jardin, comme le merle de Ianna
(Andréadis)
peut rester longtemps immobile et regarder de
biais ;
comme Claude Adelen, j’ai tutoyé l’aire du merle de mon jardin
en vain ;
le merle de mon jardin se tait à la mi-juillet
mais garde son sale caractère — je l’appelle souvent
le pipipissed off merle de mon jardin parce que j’ai un rapport passionnel avec la langue anglaise et le merle de mon jardin ;
le merle de mon jardin se merle de tout c’qui s’passe et passe dans mon jardin ;
le merle de mon jardin aime que je parle de lui et me le fait savoir par un petit
puiitpitEncore, puitpitEncore ;
chaque hiver j’espère que le froid ne tuera pas le merle de mon jardin ;
le merle de mon jardin et moi sommes assez semblables
— à une petite différence près :
un jour le merle de mon jardin comme le Merle de Grand Caïman éteint
je le chialerai
Ceci étant :
le merle de mon jardin n’est sûrement pas mon merle comme mon jardin n’est finalement pas mon jardin mais le monde du merle de mon jardin et de quelques-uns, pendant l’été pendant l’hiver, par instants, ou bien alors, durant toute l’année, comme le merle de mon jardin : le milan, la buse, le faucon, le martinet, le coucou, le pic, la corneille, le geai, la pie, la pie-grièche, le rougegorge, la grive, l’hirondelle, le verdier, la mésange, le rougequeue, le pinson, le serin, la bergeronnette, le grosbec, la fauvette, le gobemouche coche de mon jardin , le grimpereau, le chardonneret, la sitelle, le tarin, le moineau, le troglodyte, le bruant ; mais aussi le renard, le hérisson, l’écureuil, la taupe, le mulot, l’épeire, le faucheux, le lézard, la couleuvre, l’argus, la piéride, le nacré, la petite tortue, le myrtil, le macaon, le cétoine, le capricorne, le carabe, l’apion, le clairon, le criocère, le hanneton, le bousier, le taupin, le gendarme, la punaise, le criquet, la sauterelle, la guêpe, le frelon, l’abeille, le bourdon, le syrphe, la mouche, la cordulie, mais encore la verge d’or, la gesse, la balsamine, le trèfle, l’œillet, la centaurée, le millepertuis, la carotte sauvage, le coquelicot, la reine des prés, la scabieuse, l’hortie, le cornouiller, le frêne, le noisetier, le noyer ; et tous les autres que je n’sais même pas nommer, que j’n’ai même pas vu ou que j’ai acclimatés à mon jardin à l’inverse du merle de mon jardin qui lui a choisi mon jardin.
(Bonnaz, août 2009)
Fabienne Raphoz, Jeux d’oiseaux dans un ciel vide augures, Dessins de Ianna Andréadis, Genève, éditions Héros-Limite, 2011, p. 158-161.
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25/03/2014
E. E. Cummings, Paris, traduction Jacques Demarcq
le long des traîtres rues fragiles et éclatantes
du souvenir avance mon cœur chantonnant comme
un idot murmurant comme un ivrogne
qui (à un certain angle, soudain) aperçoit
le haut gendarme de mon esprit
être éveillé
n'étant dormir, ailleurs ont débuté nos rêves
à présent repliés : mais cette année achève
son existence tel un prisonnier oublié
- « Ici ? » - « Ah non, mon chéri ; il fait trop froid » -
Ils sont partis dans ces jardins passe un vent porteur
de pluie et de feuilles, emplissant l'ai de peur
et de douceur.... s'arrête ... (Mi-murmurant...mi-chantant
agite les toujours souriants chevaux de bois)
when you were in Paris on se retrouvait là
*
along the brittle treacherous bright sreets
of memory comes my heart,singing like
an idiot,whispering like a drunken man
who(at a certain corner, suddenly) meets
the tall policeman of my mind
awake
being not asleep,elsewhere our dreams began
which now are folded :but the year completes
his life as a forgotten prisoner
-"Ici ?" - "Ah non, mon chéri ; il fait trop froid"-
they are gone along these gardens moves a wind bringing
rain and leaves, filling the air with fear
and sweetness... pauses...(Halfwhispering...halfsinging
stirs the always smiling chevaux de bois)
when you were in Paris we meet here
E. E. Cummings, Paris, traduit de l'anglais et présenté par Jacques Demarcq, édition bilingue, Seghers, 2014, p. 95 et 94.
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07/02/2014
E. E. Cummings, font 5, traduction de Jacques Demarcq
Les éditions NOUS ont 15 ans
www.editions-nous.com
Quatre
XIV
il y a si longtemps que mon cœur n'a été avec le tien
serré par nos bras nous mêlant dans
une obscurité où de nouvelles lumières naissent et
grandissent,
depuis que ton esprit a parcouru
mon baiser tel un étranger
dans les rues et les couleurs d'une ville —
ce que j'ai peut-être oublié
oh oui, toujours (avec
ces pressantes brutalités
du sang et de la chair) l'Amour
se forge des gestes très progressifs,
et taille la vie pour l'éternité
— après quoi nos êtres se séparant sont des musées
remplis de souvenirs joliment empaillés
E. E. Cummings, font 5, traduction et postface de Jacques Demarcq, NOUS, 2011, p. 91.
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09/12/2013
E. E. Cummings, 1 x 1 [une fois un]
toute ignorance dévale en que ne sais-je
avant de regrimper vers l'ignorance encore :
mais l'hiver n'est pas sans fin, même la neige
fond ; et si le printemps gâte le plaisir, alors ?
toute l'histoire n'est qu'un sport d'hiver ou trois :
mais serait-ce huit ou dix, je persiste et redis
que toute l'histoire c'est bien petit pour moi ;
pour toi et moi, excessivement petit.
Fonce ouvrit (strident mythe collectif) ton tombeau
pour mieux gravir l'échelle des surstridences
au fond de caque marie martin marc et margot
— demain est notre adresse en permanence
et peu de chance qu'on nous dérange (si cependant
nous déménagerons plus loin dans l'à présent
E. E. Cummings, 1 x 1 [une fois un], traduit et présenté par Jacques Demarcq, La Nerthe, 2013, p. 49.
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02/05/2013
Jacques Demarcq, Les Zozios
le vieux merle
Sous la fenêtre de la chambre une pergola. Où magnifique une vigne se mordore au soleil du matin. À chaque grappe, huit ou dix gouttes gorgées de transparence — on dirait du Caravage —
entre des chicots noircis.
Les clients ont l'air d'habitués. Deux sansonnets, jeunes plumes à pointes blanches, s'attablent joyeusement face à face. En rien dérangés par la présence de trois merles — aussi ventrus que des bourgeois. De ci de là, entre deux goulées, chacun vole faire un tour dans le potager. Jusqu'au moment où, coïncidence ? tous
ensemble ils se dispersent.
Un vieux merle alors, clopin-voletant, d'atterrir sur une patte : l'autre ratatinée dans les fripes en désordre de son plumage. Reprend pied sur la poutre ; un temps ; hoquetant du crâne au milieu des feuilles roussoyantes. Puis tente à tâtons de picorer, picoler un raisin de son bec bouffi de roses porosités — comme
un nez qui aurait trop vécu.
Couple et trio restent à l'écart. Perchés sur un toit ou le sapin, ils le laissent vaquer à ses souvenirs fanés. De l'autre côté de la fenêtre ma tante, qui a 89 ans, devient aveugle. De plus en plus
seule dans sa maison.
Compiègne, octobre 1994
Jacques Demarcq, Les Zozios, NOUS, 2008, p. 40.
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13/11/2012
e. e. cummings, 95 poèmes, traduit par Jacques Demarcq
60
plonge au fond du rêve
qu'un slogan ne te submerge
(l'arbre est ses racines
et le vent du vent)
fie-toi à ton cœur
quand s'embrasent les mers
(et ne vis que d'amour
même si le ciel tourne à l'envers)
honore le passé
mais fête le futur
(et danse ta mort
absente à cette noce)
ne t'occupe d'un monde
où l'on est héros ou traître
(car dieu aime les fille
et demain et la terre)
e. e. cummings, 95 poèmes, traduit et
présenté par Jacques Demarcq, Points /
Seuil, 2006, p. 93.
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14/09/2012
Jacques Demarcq, Dictons d'émoi
le temps n'a pas de sens
autant l'appât des sens
*
de gai
ou de farce
hardi grâce
au carnaval
qui à la ca-
marde ira
*
qu'indécente
en décembre
la nuit
sur nous
descende
Jacques Demarcq, Dictons d'émoi, suivi de
l'aile lissitzky, "Plis urgents", Rougier V.,
p. 9, 15, 34.
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09/09/2012
Jacques Demarcq, Les Zozios
le verlaine
Carnamen caramba
Le ciel par-dessus toi ? que vois-je
de tes dessous monte à l'assaut
quand floue froutant sur le rivage
tu viens rincer l'œil du ruisseau
De dentelles te soudoient... nuages
dont l'air s'essouffle en cui-cui sots
léché partout d'émoi ; j'en nage
de tiédeur soûl — honte à l'oiseau
Qui s'émeut ; tant et plus que haut
tirant de ma queue la plume
s'y dresse un voli volume
de frais titillés pohumes
Dotée d'ailes de surcroît, l'image
de mes doigts fous compte aller où
— Vers l'aine ?
*
Oh merci mon cœur
ce bel ange au nid
qui se glisse et rit
berçant persifleur
ma mélancolie
Ce merle oui moqueur
pris de griverie
d'un mélange honni
perçant postérieure
la merde en colique
*
Le pipeau à Popol
pis que pitre il est fol
si l'artiste est l'Arthur
qui le sifflet cajole
Dans sa cage il carbure
et gazouille au gazole
si tenté qu'ailé vole
au verger d'envergure
Puis d'invertir les drôles
à l'attaque au lard dur
dans ma carne à la gnôle
et crie cuite le grill sur
Zizique avant toute
rose
le reste au lit n'est que rature
Jacques Demarcq, Les Zozios, éditions NOUS, 2008, p. 238-239.
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22/02/2012
e.e. cummings, Érotiques, traduction Jacques Demarcq
les couleurs sales de son baiser viennent
d'étrangler
mon sang voyeur, son cœur jacasseur
a riveté un gratte-ciel pleureur
en moi
je mords la croute friable des yeux
(sentant juste une pression joyeuse de l'abdomen
Vanter mon énorme passion comme dans une affaire
et l'Y de ses jambes haletantes lorsqu'il serre
offrir son omelette de désir duveteux)
à six heures pile
la sonnerie a couvert
deux fentes dans ses joues. Un cerveau a scruté l'aube.
elle s'est levée
balafrée d'un jaune bâillement
et titubé jusqu'à une glace heurtant des choses
elle a ramassé d'un air las un truc par terre
Ses cheveux ébouriffés, a toussé, les rattachant
*
the dirty colours of her kiss have just
throttled
my seeing blood,her heart's chatter
riveted a weeping skyscraper
in me
i bite on the eyes' brittle crust
(only feeling the belly's merry thrust
Boost my huge passion like a business
anf the Y of her legs panting as they press
proffers its omelet of fluffy lust)
at six exactly
the alarm tore
two slits in her cheeks. A brain peered at the dawn.
she got up
with a gashing yellow yawn
ant tottered to a glass bumping things.
She picked wearily something from the floor
Her hair was mussed, and she coughed while tying strings
E. E. Cummings, Érotiques, édition biblingue, traduit de l'anglais et présenté par Jacques Demarcq, "Poésie d'abord", Seghers, 2012, p. 61 et 60.
Jacques Demarcq a récemment traduit de Cummings, font 5 et No Thanks aux éditions NOUS, en 2011.
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