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09/11/2020

Jacques Demarcq, La Vie volatile

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Jacques Demarcq écrit, notamment mais pas seulement, à propos des oiseaux, d’une manière différente de celle de Fabienne Raphoz ou Dominique Meens, pour citer des contemporains, ou Henri Pichette un peu plus avant ; on  le retrouve dans une belle livraison de la revue PO&SIE parue en août 2019 (n° 167-168, "Des oiseaux"). Dans ses livres publiés depuis Les Zozios (NOUS, 2008), se mêlent caractère documentaire, autobiographie, poèmes et images, et c’est ainsi qu’est encore construit, très foisonnant, La Vie volatile, avec une place importante réservée aux calligrammes. La simple description des neuf parties de l’ensemble dépasserait les limites d’une note de lecture, on ne s’attachera qu’à ce qui apparaît comme des constantes de l’œuvre.

Le titre l’indique clairement, l’essentiel des textes est relatif aux oiseaux, mais si l’observation est des plus précise, complétée par des ouvrages savants, le propos n’est pas celui d’un naturaliste. Quand besoin est, il s’appuie sur un extrait d’Élisée Reclus ou un ouvrage concernant un peuple mélanésien et sa musique, il renvoie à Utamaro ou cite Chateaubriand, c’est par souci chaque fois d’exactitude : l’ouvrage s’achève d’ailleurs par une bibliographie qui énumère les sources utilisées. Le projet de Demarcq déborde largement ce qui est apparent pour le lecteur qui feuilletterait seulement une partie du livre, la restitution des cris des oiseaux : ce n’en est qu’un aspect et, à différents endroits, sont donnés des éléments pour mieux saisir l’unité du livre.

Regarder avec attention les oiseaux, étudier autant leurs mouvements et leurs cris n’est donc pas pour écrire en ornithologue, bien plutôt « Observer avec eux m’invite à regarder le genre humain avec une distance, un décentrement, une fragile excentricité ». On entend là quasiment un moraliste, sans aucune naïveté ou anthropomorphisme béat ; certes les animaux n’apprennent pas directement ce que sont les hommes mais leur fréquentation incite à voir les hommes autrement. Demarcq le dit autrement à propos d’un séjour au Sénégal, « Je traque les oiseaux pour leurs hommes autant que pour eux. Pour les paysages et sociétés qu’ils côtoient en touristes, immigrés provisoires. » Cette attention aux hommes est lisible dans les pages du Journal tenu au cours de plusieurs séjours à New York ; Demarcq y fréquente les musées mais aussi les parcs, prend le métro, cherche sans succès les traces d’un village ancien, marche beaucoup dans les rues, s’arrête devant les gratte-ciel bâtis pour les milliardaires, constate l’appauvrissement des librairies d’occasion concurrencées par internet, concluant ainsi le Journal : « New York est une loupe rapprochant ce qu’il peut y avoir de splendide et de pire dans un Bref New World. »

Un autre aspect du projet touche à l’écriture puisque, pour Demarcq, « Les rythmes et sons, degrés zéro et infini du poétique, priment sur le sens et désaxent la syntaxe ». Partant de là, proposer de noter le cri des oiseaux n’oblige en rien à tenter une restitution que seuls des enregistrements peuvent accomplir — enregistrements qu’il utilise à l’occasion. Il essaie donc d’inventer dans la langue ce qu’est pour lui le cri du bruant ou de la fauvette, « je pars de quelques syllabes maladroitement imitées d’oiseaux / ce qui raréfie, étoffe, étrangle le vocabulaire à ma disposition ». Mais les modulations du cri ? la typographie joue un rôle puisqu’il est possible de varier le corps des lettres, d’insérer une portée musicale, de donner un mouvement : les mots d’un vers ne sont pas sur la même ligne, une série de vers représente le vol d’un oiseau. On pensera que ces manipulations sont bien éloignées du cri de tel ou tel oiseau ; cela est probable mais répond cependant à ce que recherche Demarcq.

Il y a dans sa démarche un refus du sens à tout prix ; il ne s’agit pas du tout de faire comme si la langue n’existait pas mais « de la rendre naissante, enfantine et fragile, à l’instant où des mots, des articulations s’esquissent dans le bégaiement. » C’est sans doute pourquoi, attentif aux manières de prononcer qu’il rencontre, il transcrit la prononciation différente du français par une personne rencontrée en Amérique (« Les péhuches détuisent toute sôte [...]). C’est pourquoi aussi il introduit, dans les proses comme dans les poèmes, des images pour remplacer les mots, des dessins en forme de lettres — une tente pour le A, par exemple, une suite verticale de points pour le "l" de pluie —des jeux variés avec les couleurs et les formes : ainsi un texte inscrit dans une sorte d’affiche rectangulaire elle-même dans la page.

C’est pourquoi enfin Demarcq pratique le calligramme ; il définit très justement que cet « affrontement » de l’écriture et du dessin implique pour lui « le mélange de caractères disparates, la déformation de certains ou leur détournement figuratif, la dislocation ou torsion des lignes, l’introduction d’éléments non scripturaux tels que vignettes, pictogrammes ou traits rythmiques, et mieux que tout la vibration des lettres et des couleurs, proches des vibratos du chant. » Passionné de peinture, il reprend des toiles, des couleurs ou des formes de peintres, de Monet à Dubuffet, à partir desquelles il construit ses propres formes. Il rappelle d’ailleurs dans son Journal qu’il avait essayé, à partir des toiles de Pollock à New York, de « dessiner des phrases ». Le goût — et le plaisir — de l’expérimentation sont sensibles dans ses tableaux recomposés comme dans ses transcriptions de bruits, ceux de « la futaie [qui] grinsse cracke grezzille d’insectes », du pic qui « tapopote ». Comme dans le choix des paronomases (« python piteux ») et, surtout, des calembours : en plus du titre, on relèvera les titres et sous-titres, « Cygne d’étang », « Recife à ses cieux », « exquis disent plus ? », etc.

On comprend que les réponses à la question posée au tout début du livre, « Pourquoi les oiseaux ? » sont multiples, celles d’un écrivain soucieux de « se penche[r] pour voir ce qu’il y nia ». Il faut ajouter que les réponses s’inscrivent dans une histoire, celle des lectures faites : évoquant ses souvenirs d’enfant abandonné et ses lectures précoces, Demarcq note que « qui lit descend au moins autant des auteurs qu’il a fréquentés que de son milieu », et les références littéraires ne manquent pas ici, notamment de Baudelaire, Poe, Apollinaire à Cummings. Il faut du temps pour lire et apprécier tous les jeux avec la langue de cette Vie volatile, et c’est tant mieux à une époque où tout "doit" aller vite.

Jacques Demarcq, La Vie volatile, éditions NOUS, 2020, 400 p., 30 €. Cette note de lecture a été publiée par Sitaudis le 28 septembre 2020.

 

08/11/2016

E. E. Cummings, une fois un (traduction Jacques Demarcq)

                                   140303_r24673-1200-956-18155302.jpg

l’amour est une source à laquelle

s’abreuvent ces fous qui ont grimpé

plus raides que les espoirs sont peurs

simplement pas toujours nommées

des montagnes plus si quand chaque

totalité connue s’évapore

 

insouciants sont les amants qui

plus hauts que leurs peurs sont espoirs

sont les amants genoux à terre

eux dont les lèvres heurtent des cieux

inimaginés plus profonds

que le paradis n’est l’enfer

 E. E. Cummings, une fois un, traduction Jacques

Demarcq, La Nerthe, 2015, p. 31.

13/06/2016

E. E. Cummings, No Thanks

                                               eecummings.jpg

à l’amour sois (un peu)

Plus attentif

Qu’à tout

tiens-le seulement peut-être

 

À peine moins

(étant au-delà d’ô combien)

serré que

Rie, souviens t’en par de fréquentes

 

Angoisses (imagine

Son moindre jamais avec ta meilleure

mémoire) donne entière à chaque

Toujours en liberté

 

(Ose jusqu’à une fleur,

comprenant outre mesure le soleil

Ouvre quel millième pourquoi et

découvre le rire)

 

 E. E. Cummings, No Thanks, traduit et

présenté par Jacques Demarcq, NOUS,

2011, p. 68.

02/02/2016

E. E. Cummings, 95 poèmes

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                         80

 

Si l’étoile de l’Amour sort grandissime

 

de quelque arbre rêveur s’échappe une voix

(et combien vais-je rester plus qu’immobile)

et comme elle chantera longtemps pour moi

 

et tandis que ce rêve grimpe jusqu’aux cieux

(pour que sa voix bien plus qu’oiseau devienne)

et quand nul suis ne fut jamais comme je

 

alors cette Étoile sous terre se promène

 E. E. Cummings, 95 poèmes, traduit et présenté par

Jacques Demarcq, Points / Seuil, 2006, p. 113.

23/10/2015

Jacques Demarcq, Les Zozios

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Photo Michel Durigneux

 

                  l’alouette des champs

 

(tu peux peu preux taré de près tout utudier !

au riche prix d’rythme et bruit m’éclipse et tout est dit

j’brise bing en mythe le vieux dieu creux du truc lyrique

qui vous dégougueuline en guiliguids sa vie

vile virilité tiède idée du viridique

(qu’une aile vienne à la stropheest-ce trop l’estropépier)

je dessille la niaise cécité du sugnifie

te ruine en rimes l’émue mimique du communique

« dreu-lui, dyidyidu ; tieu huittchip : tiuti-tuitutt »

l’douillet duvet du discours du discouru je déguenille

portées nues peau et tripe en poétrie je trille

trille le grimpe de l’ivresse et plus diverse y fuis

plus dissolu mon dividu s’insolitude

...jusqu’à s’ouvrir au vide et chute en chuchutuis...

Jacques Demarcq, Les Zozios, NOUS, 2008, p. 175.

 

 

 

 

 

20/08/2015

Edward Estlin Cummings, Paris

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plus

pâle

          que tous les pourquois

tapis

entre tes omoplates découvertes. — Voici

venir un solide gaillard en sarrau

de l’autre côté de la fenêtre, touchant les becs

de gaz un à un de sa canne

magique (au bout de laquelle une boule

de feu bouillonne enthousiaste)

                                                              vois

 

là et là ça explose

silencieux en crocus d’éclats.     (Cela fait bien assez

de vie pour toi.    Je comprends.    Une fois

encore...) glissant

 

un peu plus bas ; embrasse-moi de ton corps soudain

incurvant de complètes questions chaudes

 

Edward Estlin Cummings, Paris, traduit de l’anglais et présenté par

Jacques Demarcq, Seghers, 2014, p. 33.

27/07/2014

Fabienne Raphoz, Jeux d’oiseaux dans un ciel vide augures

fabienne raphoz,oiseaux,merle

Dessin de Ianna Andréadis

 

                    Au merle de mon jardin

 

                                                           (avec l’aide de quelques-uns)

 

Le merle de mon jardin est un oiseau commun

                mais c’est le merle de mon jardin ;

le merle de mon jardin est un oiseau commun

                mais j’ai aussi treize manières de le regarder ;

le merle de mon jardin est un oiseau commun

                 mais il est à lui seul le voyage tout entier ;

le merle de mon jardin n’est ni le ciel ni la terre

                 mais il les réunit ;

il n’y a pas d’ailleurs de son monde pour l’être-là merle

du merle de mon jardin ;

parfois je suis un peu le merle de mon jardin

                  car je le suis des yeux ;

ainsi, pour le dire autrement, l’œil du merle de mon

jardin et mon regard ne font qu’un, mais j’ai moins

d’acuité pour observer le merle de mon jardin

                         qu’il n’en a pour me regarder depuis le

                          pommier ;

les ancêtres du merle de mon jardin volaient

                  avant les ancêtres de la chauve-souris ;

les ancêtres dinosaures du merle de mon jardin ne se

sont pas éteints,

                  ils se sont envolés ;

le merle de mon jardin contrairement à la mouche du pré

                  ne met pas ses pattes sur sa tête ;

dans la syrinx du merle de mon jardin,

                  il y a un peu du Solitaire masqué de Monteverde ;

jaune vif le bec du mâle merle noir : tordus merula de mon jardin

                   comme ceux de tous les mâles merles tordus  sp

du monde sauf le bec du mâle Merle du Maranon Tordus maranonicus

du mâle merle cul-blanc Tordus obsoletus  et du mâle Merle

Haux-Well Tordus  hauxwelli   

 

Une année, le merle de mon jardin a fait son nid quasi

sous mon nez ;

le merle de mon jardin mange souvent des baies de lierre au-dessus

de mon nez sur le gros mur moussu de mon jardin, l’été ;

le merle de mon jardin, comme le piapiateur noir de

Jacques Demarcq,

                  piapiate et tuititrix, son chant résonne refluifluité ;

le merle de mon jardin comme Jacob de Lafon soi-même

                 aime penser les choses par deux : baie et chat,

                 air et froid, œuf et bec, eux et eux, mais à

                  l’inverse de Jacob de Lafon il n’associe rien à

l’arôme du noyau ; 

le merle de mon jardin, comme le merle de Ianna

(Andréadis)

                        peut rester longtemps immobile et regarder  de

                        biais ;

comme Claude Adelen, j’ai tutoyé l’aire du merle de mon jardin

                        en vain ;

le merle de mon jardin se tait à la mi-juillet

                        mais garde son sale caractère — je l’appelle souvent

le pipipissed off merle de mon jardin parce que j’ai un rapport passionnel avec la langue anglaise et le merle de mon jardin ;

le merle de mon jardin se merle de tout c’qui s’passe et passe dans mon jardin ;

le merle de mon jardin aime que je parle de lui et me le fait savoir par un petit

puiitpitEncore, puitpitEncore ;

chaque hiver j’espère que le froid ne tuera pas le merle de mon jardin ;

le merle de mon jardin et moi sommes assez semblables

   à une petite différence près :

                         un jour le merle de mon jardin comme le Merle de Grand Caïman éteint

je le chialerai

 

Ceci étant :

le merle de mon jardin n’est sûrement pas mon merle comme mon jardin n’est finalement pas mon jardin mais le monde du merle de mon jardin et de quelques-uns, pendant l’été pendant l’hiver, par instants, ou bien alors, durant toute l’année, comme le merle de mon jardin : le milan, la buse, le faucon, le martinet, le coucou, le pic, la corneille, le geai, la pie, la pie-grièche, le rougegorge, la grive, l’hirondelle, le verdier, la mésange, le rougequeue, le pinson, le serin, la bergeronnette, le grosbec, la fauvette, le gobemouche coche de mon jardin , le grimpereau, le chardonneret, la sitelle, le tarin, le moineau, le troglodyte, le bruant ; mais aussi le renard, le hérisson, l’écureuil, la taupe, le mulot, l’épeire, le faucheux, le lézard, la couleuvre, l’argus, la piéride, le nacré, la petite tortue, le myrtil, le macaon, le cétoine, le capricorne, le carabe, l’apion, le clairon, le criocère, le hanneton, le bousier, le taupin, le gendarme, la punaise, le criquet, la sauterelle, la guêpe, le frelon, l’abeille, le bourdon, le syrphe, la mouche, la cordulie, mais encore la verge d’or, la gesse, la balsamine, le trèfle, l’œillet, la centaurée, le millepertuis, la carotte sauvage, le coquelicot, la reine des prés, la scabieuse, l’hortie, le cornouiller, le frêne, le noisetier, le noyer ; et tous les autres que je n’sais même pas nommer, que j’n’ai même pas vu ou que j’ai acclimatés à mon jardin à l’inverse du merle de mon jardin qui lui a choisi mon jardin.

 

(Bonnaz, août 2009)

 

 

Fabienne Raphoz, Jeux d’oiseaux dans un ciel vide  augures, Dessins de Ianna Andréadis, Genève, éditions Héros-Limite, 2011, p. 158-161.

25/03/2014

E. E. Cummings, Paris, traduction Jacques Demarcq

 

e. e. cummings,paris, jacques demarcq, rue, jardin, rencontre

le long des traîtres rues fragiles et éclatantes

du souvenir avance mon cœur chantonnant comme

un idot murmurant comme un ivrogne

 

qui (à un certain angle, soudain) aperçoit

le haut gendarme de mon esprit

                                                    être éveillé

n'étant dormir, ailleurs ont débuté nos rêves

à présent repliés : mais cette année achève

son existence tel un prisonnier oublié

 

- « Ici ? » - « Ah non, mon chéri ; il fait trop froid » -

Ils sont partis dans ces jardins passe un vent porteur

de pluie et de feuilles, emplissant l'ai de peur

et de douceur.... s'arrête ... (Mi-murmurant...mi-chantant

 

agite les toujours souriants chevaux de bois)

 

when you were in Paris on se retrouvait là

 

                                       *

 

along the brittle treacherous bright sreets

of memory comes my heart,singing like

an idiot,whispering like a drunken man

 

who(at a certain corner, suddenly) meets

the tall policeman of my mind

                                                  awake

being not asleep,elsewhere our dreams began

which now are folded :but the year completes

his life as a forgotten prisoner

 

-"Ici ?" - "Ah non, mon chéri ; il fait trop froid"-

they are gone along these gardens moves a wind bringing

rain and leaves, filling the air with fear

and sweetness... pauses...(Halfwhispering...halfsinging

 

stirs the always smiling chevaux de bois)

 

when you were in Paris we meet here

 

E. E. Cummings, Paris, traduit de l'anglais et présenté par Jacques Demarcq, édition bilingue, Seghers, 2014, p. 95 et 94.

07/02/2014

E. E. Cummings, font 5, traduction de Jacques Demarcq

 

 

Les éditions NOUS ont 15 ans

      www.editions-nous.com 

                      Cummings.jpg

                        Quatre

                          XIV

 

il y a si longtemps que mon cœur n'a été avec le tien

 

serré par nos bras nous mêlant dans

une obscurité où de nouvelles lumières naissent et

grandissent,

depuis que ton esprit a parcouru

mon baiser tel un étranger

dans les rues et les couleurs d'une ville —

 

ce que j'ai peut-être oublié

oh oui, toujours (avec

ces pressantes brutalités

du sang et de la chair) l'Amour

se forge des gestes très progressifs,

 

et taille la vie pour l'éternité

 

— après quoi nos êtres se séparant sont des musées

remplis de souvenirs joliment empaillés

 

E. E. Cummings,  font 5, traduction et postface de Jacques Demarcq, NOUS, 2011, p. 91.

 

 

 

09/12/2013

E. E. Cummings, 1 x 1 [une fois un]

E. E. Cummings,  1 x 1 [une fois un], Jacques Demarcq, histoire, hiver, printemps

toute ignorance dévale en que ne sais-je

avant de regrimper vers l'ignorance encore :

mais l'hiver n'est pas sans fin, même la neige

fond ; et si le printemps gâte le plaisir, alors ?

 

toute l'histoire n'est qu'un sport d'hiver ou trois :

mais serait-ce huit ou dix, je persiste et redis

que toute l'histoire c'est bien petit pour moi ;

pour toi et moi, excessivement petit.

 

Fonce ouvrit (strident mythe collectif) ton tombeau

pour mieux gravir l'échelle des surstridences

au fond de caque marie martin marc et margot

— demain est notre adresse en permanence

 

et peu de chance qu'on nous dérange (si cependant

nous déménagerons plus loin dans l'à présent

 

 

E. E. Cummings,  1 x 1 [une fois un], traduit et présenté par Jacques Demarcq, La Nerthe, 2013, p. 49.

02/05/2013

Jacques Demarcq, Les Zozios

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                                   le vieux merle

 

Sous la fenêtre de la chambre une pergola. Où magnifique une vigne se mordore au soleil du matin. À chaque grappe, huit ou dix gouttes gorgées de transparence — on dirait du Caravage —

                                         entre des chicots noircis.

 

Les clients ont l'air d'habitués. Deux sansonnets, jeunes plumes à pointes blanches, s'attablent joyeusement face à face. En rien dérangés par la présence de trois merles — aussi ventrus que des bourgeois. De ci de là, entre deux goulées, chacun vole faire un tour dans le potager. Jusqu'au moment où, coïncidence ? tous

                                          ensemble ils se dispersent.

 

Un vieux merle alors, clopin-voletant, d'atterrir sur une patte : l'autre ratatinée dans les fripes en désordre de son plumage. Reprend pied sur la poutre ; un temps ; hoquetant du crâne au milieu des feuilles roussoyantes. Puis tente à tâtons de picorer, picoler un raisin de son bec bouffi de roses porosités — comme

                                          un nez qui aurait trop vécu.

 

Couple et trio restent à l'écart. Perchés sur un toit ou le sapin, ils le laissent vaquer à ses souvenirs fanés. De l'autre côté de la fenêtre ma tante, qui a 89 ans, devient aveugle. De plus en plus

                                           seule dans sa maison.

 

                                                                     Compiègne, octobre 1994

 

Jacques Demarcq, Les Zozios, NOUS, 2008, p. 40.

13/11/2012

e. e. cummings, 95 poèmes, traduit par Jacques Demarcq

e. e. cummings, 95 poèmes, Jacques Demarcq, vivre

              60

 

plonge au fond du rêve

qu'un slogan ne te submerge

(l'arbre est ses racines

et le vent du vent)

 

fie-toi à ton cœur

quand s'embrasent les mers

(et ne vis que d'amour

même si le ciel tourne à l'envers)

 

honore le passé

mais fête le futur

(et danse ta mort

absente à cette noce)

 

ne t'occupe d'un monde

où l'on est héros ou traître

(car dieu aime les fille

et demain et la terre)

 

e. e. cummings, 95 poèmes, traduit et

présenté par Jacques Demarcq, Points /

Seuil, 2006, p. 93.

 

 

14/09/2012

Jacques Demarcq, Dictons d'émoi

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le temps n'a pas de sens

     autant l'appât des sens

 

                *

de gai

  ou de farce

    hardi grâce

     au carnaval

      qui à la ca-

        marde ira

 

                   *

 

qu'indécente

en décembre

      la nuit

        sur nous

       descende

 

Jacques Demarcq, Dictons d'émoi, suivi de

l'aile lissitzky, "Plis urgents", Rougier V.,

p. 9, 15, 34. 

09/09/2012

Jacques Demarcq, Les Zozios

Jacques Demarcq, Les Zozios, Verlaine


            le verlaine

                                Carnamen caramba

 

Le ciel par-dessus toi ? que vois-je

de tes dessous monte à l'assaut

quand floue froutant sur le rivage

tu viens rincer l'œil du ruisseau

 

De dentelles te soudoient... nuages

dont l'air s'essouffle en cui-cui sots

léché partout d'émoi ; j'en nage

de tiédeur soûl — honte à l'oiseau

Qui s'émeut ; tant et plus que haut

   tirant de ma queue la plume

    s'y dresse un voli volume

    de frais titillés pohumes

 

Dotée d'ailes de surcroît, l'image

de mes doigts fous compte aller où

 

                                   — Vers l'aine ?

                             *

Oh merci mon cœur

  ce bel ange au nid

  qui se glisse et rit

berçant     persifleur

  ma mélancolie

 

Ce merle oui moqueur

     pris de griverie

  d'un mélange honni

perçant     postérieure

  la merde en colique

 

                  *

Le pipeau à Popol

pis que pitre il est fol

si l'artiste est l'Arthur

qui le sifflet cajole

 

Dans sa cage il carbure

et gazouille au gazole

si tenté qu'ailé vole

au verger d'envergure

 

Puis d'invertir les drôles

à l'attaque au lard dur

dans ma carne à la gnôle

et crie cuite le grill sur

 

Zizique avant toute

                                  rose

le reste au lit n'est que rature

 

Jacques Demarcq, Les Zozios, éditions NOUS, 2008, p. 238-239.

 

22/02/2012

e.e. cummings, Érotiques, traduction Jacques Demarcq

 

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les couleurs sales de son baiser viennent

d'étrangler

                  mon sang voyeur, son cœur jacasseur

 

a riveté un gratte-ciel pleureur

 

en moi

 

             je mords la croute friable des yeux

(sentant juste une pression joyeuse de l'abdomen

Vanter mon énorme passion comme dans une affaire

 

et l'Y de ses jambes haletantes lorsqu'il serre

 

offrir son omelette de désir duveteux)

à six heures pile

                          la sonnerie a couvert

 

deux fentes dans ses joues. Un cerveau a scruté l'aube.

elle s'est levée

 

                      balafrée d'un jaune bâillement

et titubé jusqu'à une glace heurtant des choses

elle a ramassé d'un air las un truc par terre

 

Ses cheveux ébouriffés, a toussé, les rattachant

 

                             *

 

the dirty colours of her kiss have just

throttled

               my seeing blood,her heart's chatter

 

riveted a weeping skyscraper

 

in me

 

          i bite on the eyes' brittle crust

(only feeling the belly's merry thrust

Boost my huge passion like a business

 

anf the Y of her legs panting as they press

 

proffers its omelet of fluffy lust)

at six exactly

                      the alarm tore

 

two slits in her cheeks. A brain peered at the dawn.

she got up

 

                  with a gashing yellow yawn

ant tottered to a glass bumping things.

She picked wearily something from the floor

 

                  Her hair was mussed, and she coughed while tying strings

 

 

E. E. Cummings, Érotiques, édition biblingue, traduit de l'anglais et présenté par Jacques Demarcq, "Poésie d'abord", Seghers, 2012, p. 61 et 60.

Jacques Demarcq a récemment traduit de Cummings, font 5 et No Thanks aux éditions NOUS, en 2011.