Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

16/06/2025

Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski

 

cécile a. holdban, le rêve de dostoïevsk, écriture

Nous avons tant écrit

les pierres s’ouvrent, sans retour sur le chemin

les voix des bêtes couvent,

petits feux dans des lieux sans carte

et les étoiles tissent l’espace

hors de nous.

Nous avons trop écrit peut-être

les mots sont plus lourds que des pierres

nous les lançons avec le fol espoir

qu’ils deviennent flamme, éclair, oiseau.

 

 Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski,

Arfuyen, 2025, p. 128.

30/05/2025

Octavio Paz, Salamandre

Unknown-4.jpeg

 

      Intérieur

 

Pensées en guerre

veulent briser mon front

 

Par des chemins d’oiseaux

avance l’écriture

 

La main pense à voix haute 

le mot en convie un autre

 

Sur la feuille où j’écris

vont et viennent les êtres que je vois

 

Le livre et le cahier

replient les ailes et reposent

 

On a déjà allumé les lampes

comme un lit l’heure s’ouvre et se ferme

 

Les bas rouges et le visage clair

vous entrez toi et la nuit

 

Octavio Paz, Salamandre, dans Œuvres,

éditionJean-Claude Masson, Pléiade/Gallimard,

2008, p. 241.

03/03/2025

Kafka, Journal

                       Unknown.jpeg    

Le voisin fait pendant des heures la conversation à la logeuse. Tous les deux parlent bas, la logeuse est presque inaudible, ce n’en est que plus énervant. J’ai interrompu l’écriture qui était repartie depuis deux jours, qui sait pour combien de temps. Désespoir pur. En est-il ainsi dans chaque logement ? Une telle détresse ridicule et nécessairement mortelle m’attend-elle chez chaque logeuse, dans chaque ville ? (…) Mais cela n’a pas de sens de désespérer immédiatement, plutôt chercher des moyens d’action, si fortement que — non cela ne va pas contre mon caractère, il y a encore un reste de judaïsme coriace en moi mais voilà, le plus souvent il aide la partie adverse. 

Kafka, Journal, traduction Robert Kahn, 2020, NOUS, p. 745.

28/02/2025

Kafka Journal

Unknown.jpeg

Ce sentiment de fausseté que j’ai en écrivant pourrait être représenté par cette image : quelqu’un attendrait devant deux trous creusés dans le sol une apparition qui ne doit surgir que de côté droit. Mais alors que justement ce trou-là reste obstrué par une paroi assez opaque, une apparition après l’autre sort du côté gauche, cherche à attirer le regard sur soi et finit par y parvenir sans effort grâce à une ampleur   croissante, qui finit même par recouvrir la bonne ouverture, quel que soit le moyen de défense pour empêcher cela. Mais voilà, si on ne veut pas quitter cette place — et cela on ne le veut à aucun prix — on doit s’accommoder de ces apparitions, qui pourtant, en raison de leur fugacité — leur force s’épuise dans le fait même d’apparaître — ne peuvent suffire, mais, quand par faiblesse, elles s’arrêtent, on les disperse vers le haut et dans toutes les directions, juste pour en susciter d’autres, parce que leur vision prolongée vous est insupportable et aussi parce que l’espoir subsiste qu’après épuisement des fausses apparitions les vraies pourront enfin surgir.

 

Kafka, Journal (27/12/1911), traduction Robert Kahn, éditions NOUS, 2020, p. 281.

27/04/2024

Franz Kafka, Lettres à Felice

                                                                    franz kafka, lettres à felice, parole, écriture

(...) Je répugne absolument à parler. Du reste ce que je dis est faux à mon sens. A mes yeux la parole ôte à tout ce que je dis importance et sérieux. Il me semble qu’il ne peut en être autrement, étant donné que mille choses et mille pressions extérieures ne cessent d’influencer le discours. Je suis donc taciturne par nécessité, mais aussi par conviction. L’écriture est la seule forme d’expression qui me convienne.

 

Franz Kafka, Lettres à Felice, II, traduction Marthe Robert, Gallimard, 1972, p. 511.

16/02/2024

Claude Chambard, Cet être devant soi

                   Unknown.jpeg

Le crayon est le chemin par lequel je peux parcourir le monde. Il me faut y arriver vivant. Ce n’est pas une mince affaire. J’ai toujours pensé que, dans le livre, le monde ne pouvait être vu qu’à hauteur d’enfance. L’écriture commence & prend fin dans une classe du cours préparatoire, pour  toute la vie & pour tous les livres, dans toutes les bibliothèques. De même la lecture. Manipulations, transgressions, interprétations, variations — archaïques. Encre violette & papier réglé à grandes marges, encrier en porcelaine, plumes Sergent Major, buvards publicitaires… Apprendre à dessiner — les caractères ­ apprendre à dessiner - les traits portraits &c - lisibilité, blanc, équilibre, approche, classe, ce qu’on ne voit pas permet ce que l’on perçoit - comme on oublie la ponctuation lorsqu’elle est juste, lorsqu’elle va de soi la lecture va de soi — l’écriture jamais. Ton corps est dans le livre, personne ne le voit, même pas moi, mais je le reconnais, aussi les oiseaux dans le ciel & le corps des écrivains dans leur écriture.

 

Claude Chambard, Cet être devant soi, Æncrages, 2012, np.

29/12/2023

Edoardo Sanguineti, Codicille

Unknown.jpeg

              je fais de l’écriture, et ne suis pas écriture :

                                                                reste le fait tout de même, que je fais des étincelles

(avec le feu et les flammes) : (je fais l’amour, et je te fais pitié) : (et j’ai fait les sept

rêves) : (et je fais le joyeux, et je ne le suis pas)) : (et je fais la tête que tu me vois) :

(je la fais longue et grosse, et cuite et crue) : (j’ai les yeux plus gros que le ventre) :

(je fais le bras de fer, je montre mes muscles) : (et je vais me faire voir et foutre) :

(m’occuper de mes oignons, de mes affaires) : (j’en fais pour trois, à moi tout seul : pour ainsi dire) :

(et pour faire et défaire) : (je me mets en quatre, en cent, et je sais y faire) : (et

enfin j’y mets fin) : n’étant pas écriture, donc, en attendant,

je garde en tête la similitude :

                                      (et ainsi je la transmets à ce papier) :

 

Edoardo Sanguineti, Codicille, traduction Patrizia Atzei et Benoît Casas, éditions NOUS, 2023, p. 9.

 

08/07/2022

Camille Loivier, les lignes indéfiniment se poursuivent

moton288.jpg

             les lignes indéfiniment se poursuivent

 

mais les lignes transversales — les branches des arbres qui passent au-dessus des murs, les rivières qui courent au-dessous des ponts, les ronces qui vont partout comme les bêtes à quatre pattes, les oiseaux qui sillonnent le ciel bas tout à leur aise, les nuages, les éclaboussures, les brises — ne nous ont pas encore traversée, elles continuent prises dans leur élan de s’éloigner, vers l’ubac et vers l’adret

 

si l’image de l’éléphant, si les sonorités du piano nous ont éloignée transversalement de notre route bordée de murs longs et étroits, au moins aurons-nous écrit, au moins cette durée vaine de vie aura été comblée par cette écriture qui n’a  pas plus de sens que les tracés des vers de bois sous l’écorce desquamée, qui nous semblaient  une écriture des temps reculés, quand les humains n’étaient pas encore des humains, et qu’ensuite nous n’avons fait que penser à cette écriture des vers sur le bois, nous nous sommes résignée à l’écouter, à la retranscrire, à refuser son silence et son insignifiance, à espérer qu’elle retienne notre mémoire

[...]

 

Camille Loivier, les lignes indéfiniment se poursuivent, dans la revue de belles-lettres, 2022, I, p.77.

10/03/2022

Pierre Vinclair, L'Éducation géographique

        mqdefault.jpg

Je vois deux stratégies d’écriture : tenter,

vénérant la littérature, une Aufhebung

dans un livre total dont quelque qualité

             littéraire (arrêtée par un secret

 

décret de qui ?) traduira quoi ? l’admiration

plutôt que le salut dont nous aurions besoin,

en dédommagement des quinze années perdues

             à donner une forme à ce machin ;

 

ou plus modestement, passer quelques minutes

à écrire un sonnet sans plus de raison d’être

             qu’un pensum affranchi par sa musique,

 

amusé, amusant avant de regagner

le cimetière des ratés prétentieux

             qu’on vénère au rayon littérature.

 

Pierre Vinclair, L’édiucation géographique, Flammarion, 2022, p. 253.

17/02/2022

Pierre Vinclair, L'Éducation géographique

pierre vinclair,l’Éducation géographique,écriture,littérature,sonnet

je vois deux stratégies d’écriture : tenter

vénérant la littérature, une Aufhebung

dans un livre total dont quelque qualité

         littéraire (arrêtée par un secret

 

décret de qui ?) produira quoi ? l’admiration

plutôt que le salut dont nous aurions besoin,

un dédommagement des quinze années perdues

         à donner une forme à ce machin ;

 

ou plus modestement, passer quelques minutes

à écrire un sonnet sans plus de raison d’être

         qu’un pensum affranchi par sa musique,

 

amusé, amusant avant de regagner

le cimetière des ratés prétentieux

         qu’on vénère au rayon littérature.

 

Pierre Vinclair, L’Éducation géographique, Flammarion, 2022, p. 253.

16/07/2021

James Sacré, Broussaille de bleus

120350679.jpg

           Fontaine de mémoire

 

Une fontaine fait son bruit de fontaine

Donne son eau claire

Au silence des buissons, on ne sait plus

Si le jour est grand bleu ou larges avancées de nuées

Tout s’efface ou brille un peu

Parmi des débris de mémoire.

 

Des pays traversés s’emmêlent

En quelques mots familiers qui furent

Ceux donnés par une enfance oubliée.

 

Quels paysages reviendraient dans le courant d’une écriture ?

Un poème fait son bruit de poème, son bruit de poème.

 

James Sacré, Broussaille de bleus, dessins de Jacques Barral, Le Réalgar, 2021, p. 43.

21/12/2020

Virginia Woolf, Journal d'adolescence, 1897-1909

moton223.jpg

Samedi 13 mai [1905]

 

Un silence aussi inquiétant signifie— comme je l’ai reconnu précédemment — que ce Journal se dirige vers une mort prématurée. C’est une entreprise impossible : noircir tous les jours une page supplémentaire, alors que j’ai écrit tellement par nécessité, me casse les pieds & ce que je raconte est sans intérêt.

 

Mercredi 31 mai

 

Nous allons solennellement renoncer à ce Journal à présent que nous arrivons à la fin du mois & que, par bonheur, ce cahier n’a plus de pages — car elles seraient restées vierges.

Un exercice comme celui-ci n’est concevable que s’il émane d’une volonté & que les mots viennent spontanément. L’écriture directe est un travail — pourquoi, se demande-t-on, s’ infliger pareil châtiment ? Les bienfaits s’annulent. Mais ce genre de réflexion n’a point lieu d’être. Ces quelques 6 mois trouvent ici une espèce de miroir d’eux-mêmes ; de l’image reflétée, on tire un enseignement ou un plaisir.

 

Virginia Woolf, Journal d’adolescence, 1897-1909, traduction Marie-Ange Dutartre, Stock, 1993, p. 426.

25/12/2019

Maurice Blanchot, La bête de Lascaux

                        blanchot.jpg

Parole écrite : parole morte, parole de l’oubli. Cette extrême méfiance pour l’écriture, partagée encore par Platon, montre quel doute a pu faire naître, quel problème susciter l’usage nouveau de la communication écrite : qu’est-ce que cette parole qui n’a pas derrière elle la caution personnelle d’un homme vrai et soucieux de vérité ? L’humanisme déjà tardif de Socrate se trouve ici à égale distance de deux mondes qu’il ne méconnaît pas, qu’il refuse par un choix vigoureux. D’un côté, le savoir impersonnel du livre qui ne demande pas à être garanti par la pensée d’un seul, laquelle n’est jamais vraie, car elle ne peut se faire vérité que dans le monde de tous et par l’avènement même de ce monde. Un tel savoir est lié au développement de la technique sous toutes les formes et il fait de la parole, de l’écriture, une technique.

 Maurice Blanchot, La bête de Lascaux, Fata Morgana, 1982, p. 13.

21/12/2019

Jules Renard, Journal, 1887-1910

                                     jules renard,journal 1887-1910,écriture,talent,humour

Je n’écris pas trop mal, parce que je ne me risque jamais.

 Il a du talent ou n’en a pas selon qu’on est bien ou mal avec lui. Tout n’est que sympathie ou antipathie.

 Brute : pas de cervelle, du cervelas.

 Il a perdu une jambe en 70 : il a gardé l’autre pour la prochaine guerre.

 Un rhume de cerveau fait bien plus souffrir qu’une idée.

 

Jules Renard, Journal 1887-1910, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 1018, 1018, 1018, 1023,1018, 1025.

21/05/2019

Philippe Jaccottet, Exemples

                           7823544.image.jpeg

                           L'habitant de Grignan

 

   Parfois, un tel poids est sur nous que nous décidons de ne rien faire, et en particulier de ne rien écrire, qui ne l'allège, mais encore ne l'allège qu'à bon droit. Cela se peut-il en parlant simplement d'un lieu ? C'est la question que je me suis posé devant ce texte. Provisoirement, en tout cas, rien d'autre ne m'intéresse, et tant pis si je m'égare.

   Il semblerait donc que je dispose d'une règle qui me permette de choisir entre le pire et le mieux, c'est-à-dire de quelque absolu ? Non ; mais comment s'expliquer ? C'est un peu comme si le mouvement de l'esprit vers une vérité pressentie révélait cette vérité, ou l'alimentait ; comme si nous devions une bonne fois partir, puisque quelque chose nous y pousse, et que la voie créât, ou plutôt découvrît le but. Marche difficile aux étapes dérobées.

   En route donc encore une fois ! Je suis un marcheur voûté par ses doutes. Mais il arrive que des souffles bienheureux m'emportent.

 

Philippe Jaccottet, Exemples, dans Œuvres, édition établie par José-Flore Tappy, Pléiade, Gallimard, 2014, p. 90.