28/01/2016
David Bosc, Mourir et puis sauter sur son cheval
Je suis une jonchée de feuilles, qui dévale, tourbillonne, s’élève, retombe, s’arrête, s’élance à nouveau, se divise, se mêle à d’autres tas de feuilles, plus jeunes ou plus anciens, accueille un papier gras, une page de journal, un morceau de ficelle, se laisse acculer dans une impasse, rebrousse chemin, explose en gerbe folle sur une bouche d’aération, paie son écot à l’eau de la rigole, espère et trouve les jambes nues d’un enfant, n’est aucune des feuilles pas plus qu’elle n’est le vent, elle est la danse, elle est dansée. Fugace impression de me disperser enfin, mais le corps résiste, le pavé, le mur, et même l’air et l’eau m’opposent leur matérialité, leur permanence obtuse.
David Bosc, Mourir et puis sauter sur son cheval, Verdier, 2016, p. 47.© Photo Frédéric Bosc.
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28/11/2015
Edmond Jabès, Je bâtis ma demeure — Le retour au livre
L’étranger
La coquetterie des choses
à paraître ce qu’elles sont
Le monde est une coterie
L’étranger a du mal à s’y faire entendre
On lui reproche gestes et langue
Et pour sa patiente courtoisie
récolte injures et menaces
Edmond Jabès, Je bâtis ma demeure, Poèmes
1943-1957, Gallimard, 1959, p. 265.
Chanson
Sur le bord de la route,
il y a des feuilles
si fatiguées d’être feuilles,
qu’elles sont tombées.
Sur le bord de la route,
il y a des Juifs
si fatigués d’être juifs,
Qu’ils sont tombés.
Balayez les feuilles.
Balayez les Juifs.
Les mêmes feuilles repoussent-elles au printemps ?
Y a-t-il un printemps pour les Juifs piétinés ?
Edmond Jabès, Le Livre des questions, III : Le retour au livre, Gallimard, 1965, p. 29.
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03/06/2014
Octavio Paz, Arbre au-dedans
Dix lignes pour Antonio Tàpies
Sur les surfaces urbaines,
les feuilles effeuillées des jours,
sur les murs écorchés, tu traces
des signes charbons, nombres en flammes.
Écriture indélébile de l'incendie,
ses testaments et ses prophéties
désormais devenus splendeurs taciturnes.
Incarnations, désincarnations :
ta peinture est le suaire de Véronique
de ce Christ sans visage qu'est le Temps.
Octavio Paz, Arbre au-dedans, traduction F. Magne
et J-C. Masson, revue par J.-C. Masson, dans
Œuvres, Pléiade, Gallimard, 208, p. 558-559.
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