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20/10/2023

Étienne Faure, Vues prenables

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À chaque alliance, premier lit, remariage,

la peau des murs avait changé,

ici offrant l’illusion du feuillage

d’une toile de Jouy inspirée des fêtes

à la campagne où le motif s’organise

en chemins, en rivières,

où court une tige fleurie sur un fond picoté

que les fabricants avaient reproduit maintes fois,

au bout du siècle effeuillé près du lit.

Parmi les vases, cassolettes, chandeliers, lampes,

on vivait volets tirés dans la pénombre

pour ne pas abîmer les tentures

et que les papiers peints ne passassent

trop vite

il y avait bien cachés dans les ramures

des souvenirs au matin réveillés, tête lourde,

en lés répétés où dormait le pavot

et les vies imprimées là, sans raccords.

la peau des murs 

 

Étienne Faure, Vues prenables,

Champ Vallon, 2009, p. 83.

Photo T.H., 2012

09/09/2020

Étienne Faure, Vues Prenables

Étienne faure,vues prenables,consolation,vérisme

Et puis après tout ce remue-ménage

laisser les dieux se reposer,

les meubles se déglinguer, lentement

retrouver le guingois propice à la résonance.

Sans inquiétude à l’idée de chute

il reste et prend goût en précaire imposture

à la minime durée qui lui échoit,

pour rire, traverser la langue et s’attarder

dans un vérisme où le soleil dru tombe

sur des motifs très humbles :

ici l’abandon d’un mot qui tout disait

mais boiteux contrariait le texte

— une mortaise le remplace

pas trop visible, ainsi qu’une console au pied plus clair,

ces meubles naguère aimés

quand jeune (pas un ver, rien de vermoulu)

il parlait aux meubles ; ils l’écoutaient, endurant ses mots

poussés jusqu’à la sciure.

 

énième consolation

 

Étienne Faure, Vues prenables, Champ Vallon,

2009, p. 95.

Photo Tristan Hordé

11/03/2017

Étienne Faure, Vues prenables

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Puis les crues avaient délogé les morts

et les cadavres d’animaux qi dormaient sous l’eau

en un boueux désordre.

Une table flottait dans la Seine,

à quel repas en aval conviée, emportée sans hâte

— ce fut à Rouen qu’elle s’arrêta

à l’auberge où Flaubert l’attendait

avec d’autres ; toute la littérature

était là, à boire, à dévorer,

à ne vouloir jamais sortir de l’auberge

que la pluie ne coupât leur vin.

La vie,

sous la besogne outrancière des mots,

ils l’attrapaient comme idée,

pouce, index et majeur ramassés en grappe,

à s’aider de ces mains veinées

où coule en transparence une vieille vendange,

puis pour ne pas finir dans le vin aigre d’un tonneau

juraient, raturaient, buvaient

et contre Accoutumance, chien commun

tirant sa renommée de grammairien

d’une langue asséchée dans le jardin des maîtres,

aux jours de pluie rêvaient la canicule, en crevaient,

belle outre de vin noir — c’était du vent.

 

Littérature

 

Étienne Faure, Vues prenables, Champ Vallon, 2009.

16/03/2016

Étienne Faure, Vues prenables

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Hep, taxi, ce qui nous fuit dans le rétroviseur

déjà n’est plus d’époque,

à vivre ici, voir venir,

dans une amphigourique attente ou merdier d’être né,

l’enfer pavé d’intentions plus ou moins bonnes,

cette envie de disparaître — pas grand chose,

une demi-vie, une heure —

puis l’idée de durer qui persiste

— et rattraper sa nuit dans le train.

 

Seul et définitivement mortel

— l’était-il moins dans l’ignorance

ou jeune ou endormi dans les mots accrochés aux cimes

avec la même exaltation des hauteurs qui conduit

à bâtir des cathédrales, marcher parmi les épilobes —

l’ennui devenu un ami, c’est le seul qui lui reste

dans le double vitrage où sommeille

un apatride au rêve étrange, qui lui redit

le temps où ils allaient au Terminus

protégés par la chaleur, noir liquide,

finir la nuit.

 

terminus nuit

 

Étienne Faure, Vues prenables, Champ Vallon, 2009, p. 28.

 

A l'occasion de la parution de

Ciné-plage

d'Etienne Faure

Alphabet cyrillique
de Jean-Claude Pinson

aux éditions Champ Vallon

 

 

 

la librairie Michèle Ignazi

a le plaisir de vous inviter à une rencontre avec

Etienne Faure

et Jean-Claude Pinson

le mardi 22 mars 2016

à partir de 19 heures

Librairie Michèle Ignazi

17, rue de Jouy

75004 Paris

0142711700

Métro : Saint-Paul ou Pont-Marie

 

 

16/11/2014

Étienne Faure, Vues prenables

                         Étienne Faure, Vues prenables,le goût du rouge, neige, ville, dimanche, guerre

 

Le temps travaille trop, on est déjà dimanche

ce matin en ouvrant la fenêtre,

il neige en silence, les rues sont d'antan ;

de la ville, la rumeur est absente,

c'est la neige ou la nuit en son cœur qui l'interrompt

— ou la mort, insistante à sonner l'heure,

qui ponctue plus sonore les rêves.

 

Tout remonte en mémoire, les petits vieux

revenus naguère estropiés, claudiquant,

plusieurs balles dans la peau, des idées

fixées désormais sur les hommes,

qui le dimanche à des poulbots sans église

tendaient des gâteaux, biscuits à la cuiller

trempés dans du vin, leur donnant

sans le savoir le goût du rouge.

 

Aidés d'un peu d'alcool ensuite ils mourraient

un après-midi dansant

entre les bras d'un fauteuil qui connut leurs étreintes

dimanche, entre deux guerres.

 

le goût du rouge

 

Étienne Faure, Vues prenables, Champ Vallon, 2009, p. 79.

 

25/03/2011

Etienne Faure, Légèrement frôlée - Vues prenables

 

etienne faure,légèrement frôlée,vues prenables

 

Souvent mal réveillé le matin,

d’un Bruegel sur une boîte à sucre

il fixait la scène où les corbeaux se ravitaillent,

des hommes tuent le cochon, agités,

en groupe ou isolés, ivres morts, courbatus,

ou consacrant du temps selon la saison à l’amour.

 

Cette façon de voir les choses en peinture

se poursuivait longtemps certains jours

puis tous les jours

au point de ne plus voir le monde

bientôt qu’en fresque ou portrait miniature

en teinte dégradées, le soir

admirant la prouesse du peintre

aux mille tableaux entre chien et loup

qui assombrit sans cesse

à la vitesse du déclin sa palette

puis noircit à la nuit le tableau final

de noir d’ivoire ou de noir d’os,

rêvant, progressivement diluée, d’une aube à la sanguine.

 

En peinture 

 

Étienne Faure, Légèrement frôlée, éditions Champ Vallon, 2007, p. 43.

 

 

Où le copiste assis devant le tableau grand ouvert

s’évertue sur un paysage imprenable,

net on s’arrête, interdit, se disant

comme un matin à la fenêtre qui encadre

une vue : devant lui tant de beauté quoi faire,

paraphraser ce paysage,

cette peinture en son temps que surprit

le même saisissement original,

simple réplique, repris à l’identique,

ou alors en extraire un pan et le mettre en présence

d’autres siècles, d’autres ciels, d’autres arbres,

que la greffe en prenant fructifie, devienne

un autre organisme qui plus tard étonne

et tel un tableau non peint mais vivant offre

une énième fenêtre ou vison ouverte, à son tour

vue prenable.

 

Les vues prenables 

 

Étienne Faure, Vues prenables, éditions Champ Vallon, 2009, p. 43.