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24/03/2020

Henri Michaux, Face aux verrous

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Ne désespérez jamais. Faites infuser davantage.

 

Les oreilles dans l’homme sont mal défendues. On dirait que les voisins n’ont pas été prévus.

 

Il devait retenir son œil avec du mastic. Quand on en est là...

 

À chaque siècle sa messe. Celui-ci, qu’attend-il pour instituer une grandiose cérémonie du dégoût ?

 

 

Henri Michaux, Face aux verrous, dans Œuvres complètes, II,

Pléiade/Gallimard, 2001, p. 452, 454, 457, 457.

 

23/03/2020

Pierre Reverdy, En vrac

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Le réel est en dehors de moi. Pour m’adapter au réel, une adaptation si précaire, pour pouvoir vivre dans ce bocal, on a été obligé, et j’ai été surtout ensuite obligé moi-même, de me forger sans arrêt, de me former et de me reformer selon les circonstances et toujours selon les exigences d’un état de choses extérieur et jamais d’après le simple élan de ma nature, de ce que je sens de plus irréductiblement simple dans ma nature. Ce désir immédiat, la succession des désirs immédiats.

 

Pierre Reverdy, En vrac, dans Œuvres complètes, II, Flammarion, 2010, p. 818.

Pierre Reverdy, En vrac

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Le réel est en dehors de moi. Pour m’adapter au réel, une adaptation si précaire, pour pouvoir vivre dans ce bocal, on a été obligé, et j’ai été surtout ensuite obligé moi-même, de me forger sans arrêt, de me former et de me reformer selon les circonstances et toujours selon les exigences d’un état de choses extérieur et jamais d’après le simple élan de ma nature, de ce que je sens de plus irréductiblement simple dans ma nature. Ce désir immédiat, la succession des désirs immédiats.

 

Pierre Reverdy, En vrac, dans Œuvres complètes, II, Flammarion, 2010, p. 818.

Pierre Reverdy, En vrac

                         pierre reverdy,en vrac,désir,réel

Le réel est en dehors de moi. Pour m’adapter au réel, une adaptation si précaire, pour pouvoir vivre dans ce bocal, on a été obligé, et j’ai été surtout ensuite obligé moi-même, de me forger sans arrêt, de me former et de me reformer selon les circonstances et toujours selon les exigences d’un état de choses extérieur et jamais d’après le simple élan de ma nature, de ce que je sens de plus irréductiblement simple dans ma nature. Ce désir immédiat, la succession des désirs immédiats.

 

Pierre Reverdy, En vrac, dans Œuvres complètes, II, Flammarion, 2010, p. 818.

22/03/2020

René Char, Le Poème pulvérisé

 

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                           À la santé du serpent

 

VII

 Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience.

 

XX

Ne te courbe que pour aimer. Si tu meurs, tu aimes encore.

 

XIV

Si nous habitons un éclair, il est le cœur de l’éternel.

 

XXV

Yeux qui, croyant avoir inventé le jour, avez éveillé le vent, que puis-je pour vous ? Je suis l’oubli.

 

René Char, Le poème pulvérisé, dans Œuvres complètes, édition Jean Roudaut, Pléiade/Gallimard, 1983, p. 263, 264, 266, 267.

 

21/03/2020

Marina Tsvétaïéva, Le ciel brûle

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Deux poèmes pour Ossip Mandelstam

 

                           I

 

Personne ne nous a rien ôté —

Elle m’est douce, notre séparation !

Je vous embrasse, sans compter

Les kilomètres qui nous espacent.

 

Je sais : notre art est différant.

Comme jamais ma voix rend un son doux.

Jeune Derjavine (1), que peut vous faire

Mon vers brutal et ses à-coups !

 

Pour un terrible vol je vous

Baptise : envole-toi donc, jeune aigle ;

Tu fixes le soleil, l’œil ouvert, —

Est-ce mon regard trop jeune qui t’aveugle ?

 

Plus tendrement et sans retour

Nul regard n’a suivi votre trace.

Je vous embrasse, — sans compter

Les kilomètres qui nous espacent.

 

                                    12 février 1916

 

Marina Tsvétaïéva, Le ciel brûle, suivi de Tentative de

Jalousie, traduction Pierre Léon et Ève Malleret,

Poésie/Gallimard, 1999, p. 96.

 

 

 

  1. Gabriel Derjavine (1743-1816), poète officiel du règne de Catherine II.

20/03/2020

Andrée Chedid, Textes pour un poème et Poèmes pour un texte, 1949-1991

                Andrée Chedid, Textes pour un poème et Poèmes pour un texte, l'oubli

L’oubli

 

Il y a un grand trou noir au fond de mon jardin

Où je jette les pierres qui encombrent ma route

 

Il y a un grand trou noir au creux de ma mémoire

Où se jettent les visages à qui j’avais juré

Rempart contre l’oubli

 

Il y a un grand trou noir dans la tête du monde

Où je m’engloutirai

Moi tout baigné de vie

Avec mon sang et mes cheveux

Avec mes pas qui résonnent

Avec ma grande tourmente d’homme

 

Il y a un grand trou noir dans la tête du monde

Où je m’engloutirai.

 

Andrée Chedid, Textes pour un poème, suivi de

Poèmes pour un texte, 1949-1991, Poésie / Gallimard,

2020, p. 41.

 

18/03/2020

Simone Debout & André Breton, Correspondance 1958-1966

 

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                           L’Atelier d’André Breton

 

Derrière la lourde table bureau, le mur que l’on a célébré et finalement transporté dans un espace public, comme si l’on pouvait séparer ce mur de l’atelier qu’à la fois il clôturait et portait jusqu’aux confins de la terre. Là, étaient juxtaposées des pièces d’art primitif, une écorce aborigène, des planches sculptées de Nouvelle-Calédonie, un tableau de Picabia et la grande peinture d’une tête de Miró. Plus bas, une foule de statuettes des Marquises, de l’Île de Pâques, des masques, de sombres fétiches parés de coquillages ou d’écorces et de plumes, et des petits tableaux de Jarry, de Miró, d’Arp, une photo-portrait d’Élisa et une grande volière d’oiseaux aux brillantes couleurs et des crânes surmodelés. Le passé et le présent le plus proche et le plus lointain, un tout dont la véhémence et la cohérence étaient celles du désir, de regard qui les avait choisis un à un, et que cette commune élection accordait.

 

Simone Debout, Mémoire, d’André Breton à Charles Fourier, dans S. D. & André Breton, Correspondance, 1958-1966, éditions Claire Paulhan, 2020, p. 170-171.

 

17/03/2020

Christiane Veschambre, dit la femme dit l'enfant

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À la radio, dit la femme, j’ai entendu Simone de Beauvoir déclarer qu’elle avait totalement réussi sa vie, que tous les rêves qu’elle faisait à seize ans, elle les avait réalisés. J’ai pensé en l’entendant que l’on ne quitte jamais le monde où on est né, même quand on s’en est exilé par un bond qui semblait définitif et qu’on a mis des univers entre soi et lui : parler ainsi de sa vie réussie c’est la tenir entre ses mains comme une propriété, il faut avoir le sens de la propriété, du bien à acquérir et à faire fructifier, de la satisfaction des biens ainsi un à un thésaurisés par la réalisation de chaque rêve. J’ai senti comme ma vie ne formait pas objet, comme mes rêves pour elle ­ jouer du violoncelle, avoir un cheval, parler le russe et le portugais, peindre, construire des ponts — ne pouvaient parfois trouver leur dire qu’à présent, à la même heure où Simone de Beauvoir pouvait en faire un prospère bilan.

 

Christiane Veschambre, dit la femme dit l’enfant, éditions isabelle sauvage, 2020, p. 18-19.

16/03/2020

Julien Bosc, Neige d'avril

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ce matin sept heures trente

la mésange bleue est la première dans le cerisier

de peu suivie par la nonnette

 

— ça ne vole pas bien haut

— peut-être bien      mais c’est fort réjouissant

ces découvertes de petit jour après

le froid du lit la nuit

des rêves mi-figue mi-raisin

les poussières du réveil

le poêle en bas ici hésitant à reprendre

ça ne vole pas bien haut     moquiez-vous supérieur

mais tout de quoi

sachez

délier le dehors du dedans

 

Julien Bosc, Neige d’avril, dans Des Pays habitables,

N° 1, printemps 2020.

Photo T. H., juillet 3017.

15/03/2020

Pierre Vinclair, La Sauvagerie

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Qui protéger ? puisque les espèces

n’en finissent pas d’apparaître, muter, per

muter, se laisser aller dans leur spécialité ?

si de la terre le très-haut fit des bêtes enfuies

et les oiseaux stupidement envolés avant

qu’Adam pût les river aux clous ? allez !

puissent au moins ces noms muets comme

des cailloux qui m’attendraient sur leur dépouille

servir à éclater les vitres  et déclencher l’alarme

de vos magasins de pompes funèbres.

 

Pierre Vinclair, La Sauvagerie, Corti, 2020, p. 29.

14/03/2020

Franz Kafka, Journaux

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16 [décembre 1910]

 

J’ai été seul pendant 2 jours et demi — certes pas complètement — et déjà je suis, sinon transformé, en tout cas en bonne voie. Être seul exerce sur moi une force, qui n’échoue jamais. Mon intérieur se dissout (provisoirement en surface) et est prêt à laisser venir le plus profond. Une petite mise en ordre de mon intérieur commence à se mettre en place et je n’ai plus besoin de rien, car le désordre avec de petites capacités c’est le pire.

 

Franz Kafka, Journaux, traduction Robert Kahn, NOUS, 2020, p. 125-126.

12/03/2020

Durs Grünbein, Presque un chant

  Les journaux

 

J’ai mangé des cendres au petit déjeuner, cette poussière

Noire qui tombe des journaux, des colonnes dont l’encre est encore fraîche,

Où un putsch ne fait pas de taches et où le typhon reste immobile, noir sur blanc,

Et j’avais l’impression qu’elles se pourléchaient les babines, les Parques       bavardes,

 

Quand, à la page Sports, commença la guerre sur laquelle se fondent les cours de la Bourse.

  J’ai mangé des cendres au petit déjeuner. Mon régime quotidien.

Et de Clio, comme toujours, pas un mot... Soudain, en les repliant,

Le bruissement des pages passa sur ma peau comme un frisson.

 

Durs Grünbein, Presque un chant, traduction Jean-Yves Masson et Fedora Wesseler, 2019, p. 78.

L'Atelier contemporain :

 « L’Atelier contemporain » s’attache depuis son premier livre – paru à l’automne 2013 – à publier des livres d’art et de littérature, des ouvrages qui associent artistes et écrivains. Des pratiques et des voix dans ce qu’elles ont de plus radical. L’ambition est d’explorer, et de perpétuer en quelque sorte, la voie ouverte par Albert Skira, découvrir les « sentiers de la création » au travers de six collections réunies au sein de la Maison : essais sur l’art, écrits d’artistes, entretiens & correspondances, monographies, « Beautés » et littérature. Il s’agit d’interroger le contemporain et donner à voir, à lire, ce qui est en jeu dans l’espace de création qu’est l’atelier. Penser la phrase de Francis Ponge : « Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Que faisons-nous ? Que se passe-t-il en somme dans l’atelier contemporain ? »
 
Structure associative sans ressources autres que la passion et quelques ambitions intellectuelles, les difficultés économiques sont évidement au rendez-vous : ouvrages forcément onéreux à réaliser (reproductions, traductions, impression de qualité) — et notre société qui concède aux ouvrages de l’esprit une place de plus en plus maigre…

À côté du travail de fond des libraires tout au long de l’année, sans lesquels une maison comme L’Atelier contemporain ne pourrait tout simplement pas vivre, nous proposons donc une formule d’abonnement afin de nous permettre de répondre en partie à nos besoins en trésorerie, équilibrer nos budgets.

Merci à vous de manifester votre soutien et votre intérêt pour notre projet éditorial, de contribuer à la pérennité et au développement de « L’Atelier contemporain » !
 
Nous vous proposons de choisir 6 ouvrages, parmi ceux à paraître et/ou ceux déjà parus.
Ces livres vous seront expédiés en un envoi unique.
Si vous êtes parisien ou si vous venez aux salons auxquels nous participons (Marché de la poésie, en juin, place Saint-Sulpice ; Festival de l’Histoire de l’art de Fontainebleau, en juin ; salon L’Autre livre, en novembre, Espace des Blancs-Manteaux), nous vous les remettrons en main propre.
 
Deux possibilités de réglement :
— en 10 mensualités de 10 € en vous inscrivant ici (paiement par CB) : https://www.helloasso.com/associations/l-atelier-contempo... ;
— si vous désirez payer par chèque(s) (à envoyer à notre adresse) : 4 mensualités de 25 € ou 2 mensualités de 50 € (ou le règlement complet, en une fois, de 100 €).
 
Avec tous mes remerciements pour votre attention,
 
François-Marie Deyrolle
 
L’ATELIER CONTEMPORAIN
4, boulevard de Nancy / F-67000 Strasbourg

 

11/03/2020

Christophe Carraud, Le nouvel ordre moral

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[Le recroquevillement] apparaît sous toutes sortes de figures équivalentes: l’accès de fièvres nationalistes et enfrontiérées, si l’on ose ce néologisme, le beau mot de rassemblement étant synonyme désormais de forclusion ; le hausse- ment d’épaules devant l’Europe, quand ce n’est pas l’agitation frénétique, tel un possédé devant un bénitier ; la carrière où s’engagent à coups de «droits» tous les communautarismes possibles, en attendant le triomphe de tel d’entre eux, asservi à la loi de l’opinion la plus forte et des sinistres stratégies de lobbies ; la défaite de l’État et la vidange de ses institutions ; l’inflation des lois et la disponibilité du droit épousant les intérêts particuliers (des juges, dans ce pays, entendent même créer le droit, tant leur cœur est empli de bons sentiments, dans la confusion des ordres la plus totale) ; cependant que prospère symétriquement la propagande, celle, du même mouvement, de l’empire des choses et du « politiquement correct ». C’est ainsi, comme le disait Bobbio, que « quand un besoin entre dans la sphère des possibilités de satisfaction, il se transforme en droit » — encore faudrait-il commencer par préciser tout ce qu’il aura fallu d’efforts propagandistes pour établir dans les esprits sou- mis la nouvelle liste du désirable, ce à quoi les institutions elles-mêmes s’emploient, à commencer par l’école. La fabrique des nombrils, de l’école à l’université et aux instituts de « recherche », vastes procures de prébendes, connaît une grande prospérité, qui fait les heures glorieuses de la plage où, dûment alignés à l’horizontale des réseaux sociaux, les individus s’exposent au nouveau soleil de leurs idoles. On entend de loin en loin remuer ceux qui n’ont pas leur part du gâteau, mais ils se garderaient bien d’en modifier la recette, l’important étant qu’ils y goûtent — sous la forme minimale, en attendant, qui fait l’internationale du genre humain, c’est-à-dire un abonnement à la 4G. Et bientôt la cinquième leur permettra de savourer la sécurité complète des circulations dans le monde, l’interconnexion béate à la servitude volontaire et à la surveillance consentie. On comprend que certains d’entre eux rêvent de porter au pouvoir le maton qui assurera la cohérence du tableau.

Le pauvre se rêve riche en puissance. Nourri au même lait que lui, aux mêmes « réformes sociétales », aux mêmes objets, aux mêmes informations, aux mêmes pesticides (il y a en tous domaines des poisons, des cancers équivalents). Présent comme lui sur les mêmes «réseaux»; obéissant comme lui aux mêmes injonctions, emploi, croissance ; participant comme lui au vaste dialogue des individus se ruant, comme un seul Narcisse, sur leurs écrans et leurs images de cristaux et de plastique. Que chacun tienne à ne « représenter » que soi, et qu’aucune pensée n’émerge ni ne puisse se faire jour ne tient donc pas du hasard. Les châtiments dantesques sont remontés de leurs bolges pour hanter ces surfaces sans le moindre relief. L’individu, pauvre ou riche, a reçu sa récompense.

Christophe Carraud, Le nouvel ordre moral, dans Conférence, n° 47 et dernier, hiver 2018-printemps 2019, p. 13-14 et 22.

 

10/03/2020

Jack Spicer, c'est mon vocabulaire qui m'a fait ça

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Improvisations sur une phrase de Poe

 

« L’indéfinissable est un élément de la vraie musique »

La grande harmonie de ce qui

Ne s’abaisse pas en se définissant. La mouette

Seule sur la jetée croassant à gorge déployée

Sur nul poisson, nulle autre mouette,

Nul océan. Autant absolument dépourvue de signification

Qu’un cor anglais.

Ce n’est même pas un orchestre. Harmonie

Seule sur une jetée. La grande harmonie de ce qui

Ne s’abaisse pas en se définissant. Nul poisson

Nulle autre mouette, nul océan — la vraie

Musique.

 

Jack Spicer, c’est mon vocabulaire qui m’a fait ça,

traduction Éric Suchère, Le bleu du ciel, 2006, p. 103.