19/10/2023
Étienne Faure, Légèrement frôlée
Où est l’exil
en sueur, en train jadis accompli
si le avions, presque
à la vitesse du mensonge, nous déposent
en des lieux prémédités de loin,
transmis par la parole, des papiers
traduits ou rédigés dans la langue des mères,
où est l’exil, un écart temporel
réduit à rien — espace crânien
où l’on revient sur ses pas pour retrouver
l’idée perdue en route —
heure de seconde main aujourd’hui effacée
devant l’entrée des morts, ou le seuil,
par politesse ultime de la mémoire
ici trahie, en creux, quand l’avion atterrit
qui ne comblera donc rien, jamais
l’amplitude intime de la perte.
il revient les mains vides
Étienne Faure, Légèrement frôlée,
Champ Vallon, 2007, p. 90.
photo Chantal Tanet, 2011
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28/09/2021
Étienne Faure, Légèrement frôlée
Le cœur serré sans préavis
entre les murs du bâtiment gris public
d’où les cris fusent, on croirait une enfance
à cause des barreaux qui restreignent
la vue du ciel
les origines restituées
comme on s’en trouve à même les livres
enracinés dans la mémoire
avec l’ennui et les récitations
— craie, encrier, cire d’abeille —
la cour d’école au gravier jaune où crisse
une espèce de véracité française,
racines, à force d’être lues, plausibles
et crues finalement, oui, avec effet rétroactif
tant le désir de croître est commun aux souvenirs
d’une enfance implantée au hasard des sols,
l’autre en papier relue, comme apprise.
Papier relu
Étienne Faure, Légèrement frôlée, Champ Vallon, 2007, p. 88.
Photo Chantal Tanet
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08/09/2020
Étienne Faure, Légèrement frôlée
Aux champs dans les kermesses,
cérémonies et fêtes, c’est la fusion
des corps, des âmes, feux et foyers
avec le tintamarre des cloches
à la volée, en concordance avec les oiseaux migrateurs
et les canards dans le ciel incendié, les fanfares
et les drapeaux des jours fériés traversés de soleil
et des lois qui les ont institués :
toutes les générations présentes,
à venir, passées, hantent les lieux à la cantonade,
la bouche ouverte au rire, mégot, cigare ou pétard à mèche,
au boire et au manger,
fêtant leur saint patron, plastronnent
avec la certitude éternelle d’être au cœur
du monde et de l’instant
(à peine à cette heure sait-on qu’elle est ronde
et tourne, ignorant
par une sorte d’application de la théorie des vases,
où va le soleil qui s’abat, s’engloutit en silence,
comme étranger aux clameurs du canton).
le centre du monde en plein champ
Étienne Faure, Légèrement frôlée, Champ
Vallon, 2007, p. 65.
Photo Chantal Tanet
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31/05/2020
Étienne Faure, Légèrement frôlée
Où est l’exil,
en sueur, en train jadis accompli
si les avions, presque
à la vitesse du mensonge nous déposent
en des lieux prémédités de loin,
transmis par la parole, des papiers
traduits ou rédigés dans la langue des mères,
où est l’exil, un écart temporel
réduit à rien — espace crânien
où l’on revient sur ses pas pour retrouver
l’idée perdue en route —
histoire de seconde main aujourd’hui effacée
devant l’entrée des morts sur le seuil,
par politesse ultime de la mémoire
ici trahie, en creux, quand l’avion atterrit
qui ne comblera donc rien, jamais
l’amplitude de la perte.
il revient les mains vides
Étienne Faure, Légèrement frôlée, Champ Vallon,
2007, p. 90.
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20/04/2016
Étienne Faure, Légèrement frôlée
La nuit quelqu’un pleure en elle
plus souvent qu’autrefois.
Sur le ponton, sa peur
— chair évidée des poissons servant d’appâts —
cent fois réveillée, c’est la noyade.
Ce chagrin d’un autre, elle le porte
ainsi qu’un deuil à très haute tension
dans la gorge, au sternum, sous les os.
Puis, le jour revenu, le sang circule,
chacun respire,
de nouveau la vie va reprendre,
on a eu peur ; pourtant
l’amour que le mort lui porte
n’a pas quitté ce corps, chair votive
où la beauté résiste à fleur de peau
— tant le mort pense à elle —
comme en janvier fleurissent
les camélias du littoral
malgré le froid, puis fanent,
offerts à la jetée.
les camélias du littoral
Étienne Faure, Légèrement frôlée, Champ Vallon,
2007, p. 60.
Étienne Faure a publié Vues prenables (2009),
Horizon du sol (2011), La vie bon train (2013),
Ciné-plage (2015).
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27/04/2013
Étienne Faure, Légèrement frôlée — Horizon du sol
Où est l'exil
en sueur, en train jadis accompli
si les avions, presque
à la vitesse du mensonge, nous déposent
en des lieux prémédités de loin,
transmis par la parole, des papiers
traduits ou rédigés dans la langue des mères,
où est l'exil, un écart temporel
réduit à rien — espace crânien
où l'on revient sur ses pas pour retrouver
l'idée perdue en route —
histoire de seconde main aujourd'hui effacée
devant l'entrée des morts, sur le seuil,
par politesse ultime de la mémoire
ici trahie, en creux, quand l'avion atterrit
qui ne comblera donc rien, jamais
l'amplitude infinie de la perte
il revient les mains vides
Étienne Faure, Légèrement frôlée, Champ Vallon, 2007, p. 90.
Comme on sort de la ville,
d'un quartier loin du cœur,
l'été longeant les rues ombragées, il arrive
la frôlant — la mort et ses fragrances —
qu'on en garde ombre et parfum mêlés,
de ces jardins le sombre pressentiment
d'un jour d'été, noir à l'idée de mourir tout à l'heure
bien avant les fleurs grillagées,
en plein contraste ayant senti,
belle ironie du nez, le mort venir
dans le mélange des parfums de fleurs
qui font desséchées à cette heure
une espèce de pot-pourri
— vite évanoui, car le jaune agressif au nez
d'un champ de moutarde inhalée
bientôt l'efface, campagne
où la route est tracée,
éperdument ne laissant qu'un lacet dans la tête.
frôlée
Étienne Faure, Horizon du sol, Champ Vallon, 2011, p. 25.
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02/11/2012
Étienne Faure, Légèrement frôlée
Des femmes sont des tombeaux qui passent
avec les désirs dans la rue, où s'enfouissent
les chers secrets, catimini,
le bruit du mâchefer dans la cour traversée
jadis pour elle, un bouquet à la main
— c'était cela sans doute, faire la cour,
ce bouquet sec d'amour aujourd'hui conservé
dans du papier journal aux nouvelles défraîchies.
L'hiver, avant de se quitter,
elle partageait les fleurs
de ses mains froides, le soir
virant au parme ou violet foncé,
qu'il ne s'en aille sans ce bouquet
jumeau du sien — mêmes couleurs passées
qui flétriraient lentement sous leurs yeux —
reliés de loin en leurs deux lieux distincts par les fleurs
pis l'idée qu'il en reste,
un souvenir, des mortes.
nécrologie des fleurs passées
Étienne Faure, Légèrement frôlée, Champ Vallon, 2007, p. 38
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15/10/2011
Étienne Faure, Légèrement frôlée
La blessure que reçut
hier le fruit
gagne
ainsi qu’une gangrène au mois d’août mille neuf cent
dix-huit ou quarante-trois
après la classe inspirant ce chagrin d’automne
comme on rentre à pas lent, une pomme
à couteau dans la poche
ou mains en l’air
devant l’ennemi criant ce mot d’arrière-saison
— schnell, après guerre
longtemps fut le cri des enfants
dans leurs yeux, où l’un gagne,
hâte le pas — ce mot
d’une époque obsolète, abîmée,
blette.
des mots s’abîment
N’importe quel talus suffit
pour faire un somme,
une oreille à l’avers du ciel,
l’autre enfouie, à l’écoute
d’insectes dérangés,
toute la hiérarchie dans l’herbe établie qui s’affole,
insulte en langue verte et se promet
de s’insurger plus tard (le reste est inaudible) ;
car le dormeur
aussi longtemps qu’on rêve en toute impunité
à mâchonner des mots extraits de la fétuque,
expertise avec soin les saveurs de la sève
et, n’étant pas pressé,
défraie jusqu’au soir la chronique.
où le flâneur est tancé vertement
Étienne Faure, Légèrement frôlée, Champ Vallon, 2007, p. 106 et 26.
© photo Tristan Hordé
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25/03/2011
Etienne Faure, Légèrement frôlée - Vues prenables
Souvent mal réveillé le matin,
d’un Bruegel sur une boîte à sucre
il fixait la scène où les corbeaux se ravitaillent,
des hommes tuent le cochon, agités,
en groupe ou isolés, ivres morts, courbatus,
ou consacrant du temps selon la saison à l’amour.
Cette façon de voir les choses en peinture
se poursuivait longtemps certains jours
puis tous les jours
au point de ne plus voir le monde
bientôt qu’en fresque ou portrait miniature
en teinte dégradées, le soir
admirant la prouesse du peintre
aux mille tableaux entre chien et loup
qui assombrit sans cesse
à la vitesse du déclin sa palette
puis noircit à la nuit le tableau final
de noir d’ivoire ou de noir d’os,
rêvant, progressivement diluée, d’une aube à la sanguine.
En peinture
Étienne Faure, Légèrement frôlée, éditions Champ Vallon, 2007, p. 43.
Où le copiste assis devant le tableau grand ouvert
s’évertue sur un paysage imprenable,
net on s’arrête, interdit, se disant
comme un matin à la fenêtre qui encadre
une vue : devant lui tant de beauté quoi faire,
paraphraser ce paysage,
cette peinture en son temps que surprit
le même saisissement original,
simple réplique, repris à l’identique,
ou alors en extraire un pan et le mettre en présence
d’autres siècles, d’autres ciels, d’autres arbres,
que la greffe en prenant fructifie, devienne
un autre organisme qui plus tard étonne
et tel un tableau non peint mais vivant offre
une énième fenêtre ou vison ouverte, à son tour
vue prenable.
Les vues prenables
Étienne Faure, Vues prenables, éditions Champ Vallon, 2009, p. 43.
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