Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/02/2012

Ariane Dreyfus, poèmes dans la revue Contre-Allées

ariane_photo_th_2.jpeg

                  « Tu voudras bien lui donner ? »

 

Dans le bol transparent une poignée de cerises

Plutôt sombres que rouges, les dernières

 

Elles ne sont pas prises

Sauf si penser à, aimer sans réponse c'est comme manger

Le bol est plein d'elles qui sont prêtes

Qui disent :

« Il faut savoir que c'est fini »

 

Gouttes coagulées exactement comme

Ce qui peut souffrir et le refuse

 

 

                    « Je les ai toutes cassées sauf deux »

 

Pauvre corps qui ne va pas pouvoir rester

Être tout près de lui encore en vrai

 

Comme boire ce qui serait du temps

Très immobile

 

Pour que rien ne tombe

Il écrase la tasse de son genou, pousse même la chaise

Ils ne veulent pas faire quelque chose

 

Ouvrir grand la bouche et l'appui tout à tour

 

Ariane Dreyfus, dans "Contre-Allées" n° 29.30, Automne-Hiver

2011, p. 11 et 14.

©Photo Tristan Hordé

Contre-Allées, revue de poésie contemporaine, http://contreallees.blogspot.com/

03/02/2012

Daniil Harms, Œuvres en proses et en vers

imgres.jpeg

Mais combien de mouvements divers

Courent impétueusement à sa rencontre

Un autre aide se hâte vers lui

Un autre char se meut encore

 

La fenêtre s'ouvre

Paisiblement s'approche

un éléphant. Le voilà le cher

spectral. Le voilà

le cher spectral.

Le voilà le cher

spectral. Le voilà

le cher spectral. Le voilà le jour

plein de souffrance. Rien à manger,

rien à manger, rien à manger.

J'ai faim. Oï oï oï !

J'ai faim. J'ai faim.

Voilà mon mot.

Je veux nourrir ma

femme. Je veux nourrir

ma femme. Nous avons très

faim.

Ah qu'il y a de choses

merveilleuses ! Ah qu'il y a

de choses merveilleuses !

Le vin et la viande. Le vin et la viande.

Le vin est plus agréable que le gruau.

Putain, putain, putain !

Le vin est plus agréable que le gruau.

Prenons prenigue prinigonfli !

La viande est meilleure que la pâte !

La viande est meilleure que la pâte !

 

Je ne mange que viande et légumes.

Je ne bois que bière et vodka.

Gongli gonfla !

Je n'aime pas les femmes russes.

La femme russe surtout si elle a maigri,

surtout si elle a maigri,

Gonfili gonfilette !

Surtout si elle a maigri,

Ça vaut pas tripette !

Pouah ! Pouah ! Pouah !

C'est une horreur !

J'aime les juives bien en chair !

Ça c'est adorable !

Ça c'est adorable !

Ça c'est,

Ça c'est,

Ça c'est adorable !

Je me conduis avec insolence.

Je me conduis avec extrême insolence.

(Saute à travers le tonneau).

Je me conduis avec insolence.

Gonfli gonfla !

J'aime manger de la viande,

Boire bière et vodka,

Manger viande et légumes

Boire bière et vodka.

Gonfilette gonfila !

Je veux manger de la viande !

Boire bière et vodka !

C'est comme ça !

(Saute à travers le tonneau !)

 

Harmonius

                                                        3 janvier 1938

 

Daniil Harms, Œuvres en prose et en vers, traduit du russe

et annoté par Yvan Mignot, Verdier, 2005, p. 706-708.

02/02/2012

Leonor Fini, Rogomelec

imgres.jpeg

   Je savais qu'il ne fallait pas se laisser tenter. Qu'il faudrait savoir rester chez soi, éviter les voyages dans cette époque barbare, les affreuses bousculades, l'humiliation de ce que l'on appelle les "villégiatures".

« Le vain travail de voir divers pays », Maurice Scève l'avait écrit ; je me le répétais.

   Mais on m'avait parlé de ce lieu solitaire, de ce climat assoupissant. Imaginant un bien-être particulier, je suis donc parti rejoindre le navire.

   C'était le Port Saïd.

   D'autres navires hurlaient déjà très fort. Pour le Port Saïd, il y avait encore du temps ; au moins une heure. Passaient des chariots avec des ballots d'odorantes épices — safran peut-être, cannelle — une bonne odeur et de la poussière jaune or tout autour. Cette poussière voilait parfois ces groupes  d'humains vociférants, tous habillés de mêmes couleurs, me semblait-il.

   Il n'y avait qu'un homme différent et peu recommandable. Mais à l'observer plus attentivement, je lui trouvai davantage l'aspect d'un assassiné que celui d'un assassin. Il se frayait un chemin pour rejoindre une jeune femme blonde qui parut surprise en l'apercevant et certainement ne le connaissait pas. Lui se baissa un peu et murmura quelque chose à l'oreille de la femme qui, contre le soleil, apparaissait d'une transparence fragile. Puis elle baissa le regard vers cette main ouverte, tendue à la hauteur de sa taille ; elle poussa un petit cri, mais le passage d'un chariot chargé de ballots qui sentaient le safran et la cannelle la fit disparaître à mes yeux.

   Je ne la voyais plus.

   La foule s'épaississait.

   Je m'apercevais que je suivais cet homme.

 

Leonor Fini, Rogomelec, éditions Stock, 1979, p. 9-11.

31/01/2012

Étienne Faure, Chapeau, Franz

3182172794.jpg


           Chapeau, Franz

 

 Contre le mur plus triste qu'un cafard

assigné au thorax,

Kafka vivrait-il encore,

sorti du portrait tiré à quatre épingles,

on l'imagine après ruptures

en ses habits de fiançailles

ridé comme un pruneau, sourire

et rire, l'œil noir de nuit, incassable,

au grand jamais voilé de pruine,

plus noir que la pénombre amendée du noyau

un peu trop entourée

pour tenir

lieu de solitude.

 

les prunelles de Kafka

 

images.jpeg

Kafka, que faisiez-vous aux temps froids,

sur le papier de neige à scruter,

des années à jeun, la mort de face,

la réception glacée de ses yeux, tenancière

aux mille griffes, ou bien serveuse

arguant de ses feux pour séduire

in limine litis, avant le catch,

tenant l'amour, cette traverse,

pour félicité provisoire

inspirée, contractée, résiliée sans cesse

comme on respire, prend l'air à la fenêtre

avant d'attraper l'onglée, quadragénaire à peine,

— et finir là toussant, crachant, tambourinaire

mû lentement en caisse de résonance

pour prendre enfin congé au prétexte

de tuberculose.

 

le cas de Franz

 

Étienne Faure, dans Contre-Allées, 29.30, Automne-Hiver 2011, p. 26 et 24.

30/01/2012

Bernard Vargaftig, Distance nue ; Dans les soulèvements

 

10540652720-hd.jpeg

24 janvier 1934 - 27 janvier 2012

 

Je t'aime

Les grèves se détachent

Et les brindilles

Où même déchiré

Ton nom est en moi

 

La dispersion

Un mot sur les jardins

déjà cela

Qu'un rossignol emmène

Que commencement

 

A murmuré

N'oubliant aucune ombre

Immense comme

L'aveu dans chaque pierre

Me voit vaciller

 

Bernard Vargaftig, Distance nue, André Dimanche,

1996, np.

 

 

 

Qu'il y a de vent et d'oiseaux

La violence de ton nom va m'emporter

Et je reconnaissais combien tout à coup

C'était l'aube sous la langage

 

Quel tremblement quand la désolation craque

Les rapidités se rapprochent

L'éclaircie l'énigme que frôle

Un pas d'oubli l'espace dans l'attirance

 

Ce qui n'est jamais effacé

Chancelant où la stupeur s'arrête immense

Et ne recouvre rien comme en moi je me

Fuyais face au consentement

 

Bernard Vargaftig, Dans les soulèvements, André Dimanche, 1996, p. 40.

29/01/2012

Guillevic, Art poétique

imgres-1.jpeg


Écrire le poème

C'est d'ici se donner un ailleurs

Plus qu'ici auparavant.

 

 

Un travail : créer

De la tension

Entre les mots.

 

Faire que chacun

En appelle un

Ou plusieurs autres.

 

Ils ne tiennent

Pas tellement à venir

De leur plein gré.

 

Quand ils arrivent

Ils sont arrimés

Irrévocablement

 

Par un silence

Qui ne sera

Jamais rompu.

 

  

Le poème

Nous met au monde.

 

 

Forcé d'écrire ?

Je n'en ai pas envie.

 

J'aimerais

Rester là, immobile.

 

À regarder le ciel,

Il n'y a pas plus bleu.

 

Et de temps en temps

L'horizon et ses approches.

 

Je voudrais

Me passer des mots.


Guillevic, Art poétique, précédé de Paroi et suivi de Le Chant, Préface de Serge Gaubert, Poésie / Gallimard, 2001, p. 260, 280, 291, 294.

 

28/01/2012

Louis Scutenaire, Mes inscriptions

imgres-3.jpeg

Les romans sont trop longs.


Le marquis de Sade sortit à cinq heures.


Orgueil, seule vertu.


Éphésien : On a tout dit.

Louis : Possible. Mais on n'a pas tout entendu.

 

C'est un livre admirable, comme il y en a tant.

 

La virtuosité me fait mal au cœur.


Si on ne me lit plus dans mille ans, on aura tort.

 

Un poète est un bonhomme qui fait des poèmes.


Mémoire que je perds, vide que je retrouve.


Tout accord repose sur des malentendus.


L'aigle donne moins de profit que le mouton.


J'ai une vison ; la voici : je vois exactement les choses que vous-mêmes voyez.

 

Louis Scutenaire, Mes inscriptions, préface d'André Thirion, lecture d'Alain Delaunois, éditions Labor, 1990, p. 22, 22, 27, 28, 33, 44, 48, 54, 83, 86, 92, 101.

27/01/2012

Vittorio Sereni, Étoile variable

vittorrio sereni,Étoile variable,rimbaud

 

Rimbaud

écrit sur un mur

 

 

Vienne un instant la morsure de son nom

la goutte qui exsude de son nom

écrit en lettres claires sur un mur brûlant.

 

Puis il me haïrait

l'homme au semelles de vent

pour y avoir cru.

 

Mais l'ombre renard ou rat qu'importe

habituée des mastabas

qui sans lien file dans notre regard

nous ignorant dans le jour qui décline...

 

Toi aussi tu l'as pensé.

 

Disparu. Faufilé dans sa maison

de cailloux de sable qui s'éboule

quand le désert recommence à vivre

il nous lance à nouveau ce nom en un long frisson.

 

Louxor, 1979

 

 

Rimbaud

scritto su un muro

 

Venga per un momento la fitta del suo nome

la goccia stillante dal suo nome

stilato in littere chiare su quel muro rovente.

 

Poi mi odierebbe

l'uomo dalle suole di vento

per averci creduto.

 

Ma l'ombra volpe o topo che sia

frequentatrice di mastabe

sfrecciante via del nostro sguardo

irrelata ignorandoci nella luce calante...

 

Anche tu l'hai pensato.

 

Sparito. Sgusciato nella sua casa

di sassi di sabbia franante

quando il deserto ricomincia a vivere

ci rilancia quel nome in un lungo brivido.

 

Luxor, 1979

 

Vittorio Sereni, Étoile variable [Stella variabile], éditon bilingue, traduit de l'italien par Philippe Renard et Bernard Simeone, préface de Franco Fortini, 1987, p. 163 et 162.

 

 

 

 

26/01/2012

André Salmon, Créances, 1905-1910

Modigliani Picasso Salmon.jpeg

                                    Modigliani, Picasso et André Salmon en 1916

 

             Arthur Rimbaud

 

MORTEL, ANGE et DÉMON, poète et baladin,

Casseur de pierre aussi et soldat de fortune,

RIMBAUD ! frère de ceux qui naissent pour l'exil,

Tu passas, recélant sous la face commune

Le visage d'un dieu honni des dieux voisins

Et voulus, dîneur des festins inutiles,

Mordre sans les cueillir tous les fruits du jardin.

Sur tes cahiers d'enfant écrasés de ratures,

Partout enluminés d'énormes caricatures,

Dans l'étude moisie et sous le gaz blafard

Tu griffonnais, petit prodige narguant son art,

Des pamphlets prophétiques que tu signais : ARTHUR.

N'étais-tu que l'enfant maudit de Charleville ?

Des mères t'ont crié dans les rues : « Antéchrist ! »

Sans savoir quelle aurore illuminait tes yeux.

Et sans faire baiser tes cheveux à leurs fils.

Tu fus le frère lointain des princes douloureux

Qui quelque soir, au fond d'une sombre Bavière,

Quand les étudiants chantent autour des pots de bière,

Laissent les eaux gardiennes se refermer sur eux,

Pour avoir compris l'âme des cygnes et des lys.

 

Un matin ce fut beau. Au pied d'un sapin rouge

Déroulant jusqu'à toi ses bras de palmes vertes,

Le voyageur qui va triste de bouge en bouge,

De palais en palais et dans les gares désertes

S'ennuie à regarder la pluie aux carreaux noirs,

L'éternel voyageur cherchant le but de vivre

Et ne le trouvant pas et repartant put voir

— Et trembla de le voir et de t'avoir surpris —

Au pied d'un sapin rouge un poète accroupi,

Qui riait aux éclats et qui brûlait son livre !...

 

Un empereur casqué de plumes et vêtu d'or

T'estimait. Ses sujets disaient : « Rimbaud le Juste ».

Tu vendais du café, du poivre et de l'ivoire

Et des fusils au nègre qui jouait les Augustes,

Et si quelqu'un venu de la mourante Europe

Te demandait : « Vous avez fait des vers, dans le temps ? »

Tu fronçais le sourcil et haussait les épaules

Et refaisais le compte de tes dents d'éléphant.

Puis tu revins mourir quelque jour à Marseille,

Avec ton or conquis caché dans ta ceinture

Et tu traînais la jambe sur le pavé cruel,

Meurtri du poids de l'or, meurtri  par tes blessures,

RIMBAUD ! Ils t'on dit mort en bon fils de l'Église

Car tu parlais d'Amour et de Terre promise...

 

André Salmon, Créances, 1905-1910 (Les Clés ardentes, Fééries, Le Calumet), Gallimard, 1926, p. 120-122.

 

25/01/2012

Julien Gracq, Carnets du grand chemin

 

   imgres.jpegÉtrange siècle, que le dix-huitième. Au moment même où la poésie semble en lui faire définitivement faux bond à l'art des vers, la littérature, elle, se met dans toute la France à rimailler à propos de bottes, de la lettre de château jusqu'à la satire vengeresse, du pamphlet politique jusqu'au traité de jardinage et de sylviculture. Cette métromanie galopante qui au XVIIe siècle obligeait déjà Boileau à suer sang et eau sur ses Satires et ses Épîtres, devient au siècle suivant une vraie épidémie. L'encaisse-or de la poésie volatilisée, l'encaisse-papier circule partout en nourrissant une inflation de mauvais aloi ; là aussi le XVIIIe siècle est bien celui qui commence avec la rue Quincampoix.

   Dans le prestige qui entoure à cette époque les petits vers, le "chant", la musique verbale, atteint à sa teneur la plus faible, et même s'élimine complètement comme élément de valeur, toutes les images sont des clichés (et même surexposés) ; ne reste que la difficulté artificielle imposée par le mètre et la rime : simple exercice d'assouplissement et de musculation abusivement tenu par toute une époque pour la beauté, dont il est un accessoire insignifiant. Une bonne partie de l'œuvre rimée de Voltaire, capable d'écrire une prose si déliée et si acérée, nous fait l'effet de gammes acrobatiques, où la virtuosité du doigté nous reste encore sensible, mais dont on se demande pourquoi on a jugé les notes dignes de s'inscrire sur une portée.

 

     Julien Gracq, Carnets du grand chemin, José Corti, 1992, p. 236-237.

24/01/2012

Jean Ristat, Du coup d'état en littérature...

imgres-2.jpeg

                                        Épilogue

 

Amour en quel état m'as-tu réduit et dou

Ce déchéance qui plus démuni que moi

Par les artifices quel monarque parmi

 

Tes serviteurs plus illustres et d'honneurs comblé

Plus soumis Ô cruel mais que nul ne plaigne

Le pauvre jean sans terre et ne rie de sa

 

Superbe qui m'habite en souveraine dé

Cision quel rêve me fait cortège et gloire

De reposer en ce jardin où je vous prie

 

Que dépouiller l'on me laisse et ne s'avise

Le dieu d'avertir l'oiseau qui porte le vent

Maintenant je veux être seul en dévotion

 

Et mon ravisseur entretenir des affai

Res du monde comme elle va l'herbe le ciel

Aiguiser et mon sang rougir la place où il

 

Me couronne voyez qu'en jalousie il

En meurt le vieux jupin enfin lassé de guer

Royer seul sur son nuage ou peut-être qu'à

 

Me foudroyer il s'emploie attends au

Moins qu'avec la lune s'achève ma course

Laisse amour nous rendre immortels prête

 

Moi l'éclair qui déchire et va dormir comme au

Trefois innocent et léger sinon de voir

Comme en ce jardin l'on joue sous les fougè

 

Res rouillées vers quel marécage

Ouvrent leurs serrures je tairai mes nuits

Tu disais c'est loin la grèce plutôt mourir

 

Que survivre plutôt me perdre et sans larmes

Le rire du dieu qui sommeille alors que

Penché sur la couché j'épie ton rêve et s'il

 

Parle de moi jaloux de n'y être pas les

Poètes disent l'oubli oh on temps sans mé

Moire quelle est ma demeure que vais-je fai

 

Re du temps qu'il me reste à vivre le décor

Est le même les dieux sur la locomoti

Ve trois-mille quarante-quatre les ombres

 

En une lanterne prisonnières ce

Grand rêve de vouloir et de ne plus atten

dre

 

[...]

 

Jean Ristat, Du coup d'état en littérature suivi d'exemples tirés de la Bible et des Auteurs anciens, Gallimard, "Le Chemin", 1970, p. 23-24.

 

 

23/01/2012

Franck Venaille, C'est à dire

 

Unknown.jpeg


          Certains qui tombent

 

Plusieurs, plusieurs fois, par jour de vie oui plusieurs

je me risquais dans mes souterrains

 

J'avais perdu ma part d'animalité

et n'étais plus rien qu'un homme

se souvenant de sa force d'autrefois, sa force

 

en allée

 

quand le père de votre père vivait encore vivant       Mais

je suis si nerveux cela me ronge de l'intérieur

ne vous attendez pas à lire la fin heureuse du poè-

Me

ainsi étais-je au-dessus de mes forces

espérant simple-

Met une fois encore entendre

hurler fort le chien si agité

 

devant la mer en larmes

[...]

 

 

       Peintures en trompe-l'œil sur les murs de l'hôpital

 

Heure noire de la journée, heure creuse, heure où les chevaux refusent toute nourriture. Animaux obstinés, comme je vous envie & vous demande de demeurer pleinement ce que vous êtes, installés calmement, les sabots de devant dans la fraîcheur de l'eau (claire, ici) lagunaire.

 

Arrivent alors des camions sans bâche où chacun des soldats prend appui sur le dos d'un autre. Quelle histoire ! C'est pour sauter à terre plus vite (bruits de croquenots) au cas où une embuscade barbaresque bouleverserait soudain les manuels traitant de stratégie militaire. Si ! Le premier blessé — pied droit arraché, moignon devenu festin pour chirurgiens carnivores — qui longuement, criera le nom de sa mère — est déjà un héros. Lâchez pour lui les chiens de guerre. Qu'ils partent tous pour la corvée de bois. C'est la mélodie des phares qui, bientôt, s'élève. Quelque chose qui tient d'un mouvement de symphonie primitive ! Eux (c'est-à-dire Moi-infant) se taisent. Obstinément ils se taisent. Obstinément les chiens.

Je dis qu'il faut plus que de la hargne pour gagner une guerre. Avant toute chose : vaincre l'ennemi principal : soi-même ! Et puis n'a-t-on pas pris l'habitude élégante de fusiller les cadavres en premier !

          LE BON DOCTEUR  DÖBLIN

          S'EN   VA - TA - LA CANTINE

          MANGER  DES   VONGOLÉS

          AVEC SA TANTE   HERMINE

 

Heure noire donc. Alors que la lumière de cette fin de journée, partout, (mer & canaux) est la même. Mais l'eau monte. Comme elle s'insinue, lentement, dans le salon d'attente de ce médecin du cerveau spécialisé dans la pensée rationnelle. Que lit-il ? : La Libre pensée. La Raison. Pensée & raison. Que peut-il faire de plus ? Se balancer d'un pied sur l'autre ! L'heure noire tombe l'hiver vers cinq heure, moment où la lagune vomit son fiel sombre.

 

L'instant où le More Othello et Desdémone échangent des serments d'amour.

(duo)

 

Tout m'est blessure. Je ne sais plus que faire pour vivre mieux.

 

Franck Venaille, C'est à dire, Mercure de France, 2012, p. 45, 77-78.

 

22/01/2012

Pierre Reverdy, Le Livre de mon bord et Le Gant de crin

 



reverdy4.jpegLe style, ce ne doit pas être tellement l’homme qu’on l’a dit – car l’on se complaît bien plus à sa personnalité qu’en ce qu’on écrit. On se désespère d’écrire mal, et rien ne concorde entre ce que l’on sent et ce que l’on écrit. On se relit, on retouche ce style répugnant, rien ne vient mieux. Je crois que ce qui est vraiment l’homme c’est le plaisir ou le dégoût qu’il prend à l’effort pour écrire mieux. C’est-à-dire qu’il n’y ait pas plus de vulgarité dans le style que dans la pensée.


L’homme ne se réalise que dans la connaissance. Les frontières de sa connaissance sont les frontières de son être. Plus il connaît, plus il est vaste et étendu, moins il connaît, plus il est étroit et restreint. Mais il y a aussi le parti qu’il tire et l’usage qu’il fait de ces connaissances et qui le font grand ou petit.


Le style, bon ou mauvais, je parle de ce qui caractérise un écrivain, ce n’est pas le premier jet, mais l’état où il laisse la chose écrite, celui auquel il n’éprouve plus le besoin de rien changer. Et ce n’est pas la moindre révélation du caractère que de ne jamais tenir pour définitive l’expression formelle de sa pensée.

Pierre Reverdy, Le Livre de mon bord, 1930-1936, Mercure de France, 1948, p. 47-48, 162, 210.

Je ne connais pas d’exemple d’une œuvre qui ait inspiré moins de confiance à son auteur que la mienne.
Aussi me gardé-je bien de la défendre.
J’accepte ici qu’elle peut n’être qu’un témoin d’impuissance.


Le propre de l’image forte est d’être issue du rapprochement spontané de deux réalités très distantes dont l’esprit seul a saisi les rapports.


Le poète est poussé à créer par le besoin constant et obsédant de sonder le mystère de son être intérieur, de connaître son pouvoir et sa force.
Il n’est que les gens de métier qui se satisfassent de quelque certitude sur leurs facultés.
Mais en poésie les gens de métier sont les médiocres.


Si les glaces de verre sont flatteuses pour toi, supprime-les. Ne te regarde pas en dehors mais en dedans, il y a là un sombre miroir sans complaisance.

 

Pierre Reverdy, Le Gant de crin, Plon, 1927, p. 26-27, 34, 44, 105.

21/01/2012

Malcolm Lowry, Nulle poésie

images-1.jpeg

          Nulle poésie

  

Nulle poésie à vivre là.

Vous êtes ces pierres mêmes, ces bruits ceux de vos esprits

Les ferraillants tramways grondeurs et les rues qui mènent

Au bar de vos rêves où le désespoir siège

Ne sont que rues et tramways : la poésie est ailleurs.

Cinémas et boutiques une fois abandonnés

On les regrette. Puis plus. Étrangement hostiles

Semblent les nouveaux points de repère marquant ici et                 maintenant.

 

Mais allez du côté de la Nouvelle-Zélande et vers les Pôles,

Ces pierres s'avivront, ce bruit sera chant,

Le tramway bercera l'enfant qui dort

Et aussi celui qui court toujours, dont vogue la nef

Mais qui jamais ne peut retourner au pays mais doit rapporter

À Illion d'étranges et sauvages trophées.

 

Malcolm Lowry, Poèmes, traduction de Jean Follain, dans "Les Lettres nouvelles", juillet-aoùt 1960, p. 91.

20/01/2012

Guy Goffette, Éloge pour une cuisine de province

imgres-4.jpeg

La visite de Rembrandt

 

La nuit a volé

son unique lampe à la cuisine

piégé dans la vitre

celui qui se tait

debout dans la tourbe des mots

Il brûle à feu très doux

l'obscure enveloppe du silence

(comme ces collines sous la cendre

réchauffent l'aube de leur mufle)

et pour la première fois peut-être

son visage d'ombre est toute la lumière

et parle pour lui seul

 

Guy Goffette, Éloge pour une cuisine de province, postface de Jacques Borel, Champ Vallon, 1988, p. 25.