Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/09/2017

Antonio Tabucchi, Les oiseaux de Fra Angelico

 

                               

                                         Unknown.jpeg

                                       Dernière invitation

 

   Au voyageur solitaire — l’espèce est rare, mais il s’en trouve encore — qui ne se résigne pas aux formes tièdes et standardisées de la mort à l’hôpital telle que la garantissent les États modernes, à celui-là qui, plus encore, est terrorisé à l’idée du sort expéditif et impersonnel auquel sera voué son corps au moment des obsèques, Lisbonne continue d’offrir une appréciable variété de choix pour un noble suicide. Cette ville dispose en outre des infrastructures es plus décentes, les plus raffinées, les plus diligentes et surtout les plus économiques pour le traitement de ce qui subsiste après un suicide bien réussi : l’inévitable cadavre.

 

Antonio Tabucchi, Les oiseaux de Fra Angelico, traduction Jean-Baptiste Para, Christian Bourgois, 1989, p. 84.

07/05/2012

Fernando Pessoa, Poésie d'Alvaro de Campos

imgres-1.jpeg

                        Lisbon revisited

 

Rien ne m'attache à rien.

Je veux cinquante choses en même temps,

Avec une angoisse de faim charnelle

J'aspire à un je ne sais quoi —

de façon bien définie à l'indéfini...

Je dors inquiet, je vis dans l'état de rêve anxieux

du dormeur inquiet, qui rêve à demi.

 

On a fermé sur moi toutes les portes abstraites et nécessaires,

on a tiré les rideaux de toutes les hypothèses que j'aurais pu

     voir dans la rue,

il n'y a pas, dans celle que j'ai trouvée, le numéro qu'on m'avait

     indiqué.

 

Je me suis éveillé à la même vie sur laquelle je m'étais endormi.

Il n'est jusqu'aux armées que j'avais vues en songe qui n'aient été

     mises en déroute.

Il n'est jusqu'à mes songes qui ne se soient sentis faux dans

     l'instant où ils étaient rêvés.

Il n'est jusqu'à la vie de mes vœux — même cette vie là — dont

     je ne sois saturé.

[...]

 

                 Lisbon revisited

 

Nada me prende a nada

Quero cinqüenta coisas ao mesmo tempo.

Anseio com uma angústia de fome de carne

O que não sei que seja _

Definidamente pelo indefinido...

Durmo irrequieto, e vivo num sonhar irrequieto

De quem dorme irrequieto, metade a sonhar.

 

Fecharam-me tôdas as portas abstratas e necessárias.

Correram cortinas de tôdas as hipóteses que eu poderia ver na rua.

Não há na travessa achada número de porta que me deram,

 

Acordei para a mesma vida para que tinha adormecido.

Até os meus exércitos sonhados sofreram derrota.

Até os meus sonhos se sentiram falsos ao serem sonhados.

Até a vida só desejada me farta — até essa vida...

 

Fernando Pessoa, Poésies d'Alvaro de Campos [Poesias de Alvaro de Campos], traduit du portugais et préfacé par Armand Guibert, "Du Monde entier", Gallimard, 1968, p. 67 et 66.