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02/04/2011

Pierre Silvain, Le Passage de la morte

images-5.jpgVous pensez à cette confession livrée au fond d’un cabinet capitonné, dans la douleur, la honte et la révolte, devant la vitrine du magasin de poupées, à l’angle de la rue de Vaugirard et de la rue Servandoni où l’imprévu d’une promenade vous a conduit. Mais le trouble et le vague effroi que vous ressentez tiennent à un spectacle qui ne doit rien à l’illusion, il est bien réel derrière la vitre dont vous vous rapprochez encore et que vous touchez maintenant du front.

 À première vue, elles semblent normalement attachées au corps, les petites têtes de porcelaine rose et blanche des poupées anciennes disposées sur des étagères, dans leurs robes de soie aux tons fanés. En les regardant avec plus d’attention, il s’avère que toutes portent la marque d’une décollation, comme un très fin sillon entourant la base du cou juste au dessus du froncé des collerettes de dentelles, une coupure nette qui aurait été pratiquée par le fer tranchant de quelque exécuteur des hautes œuvres. Il ne s’en épanche aucun sang. Les yeux gardent leur éclat de pierre gemme, fixement braqués sur le passant terrifié, trente regards aveugles convergeant sur vous, tel le feu nourri d’un peloton.

 Si vous vous attardez jusqu’à l’heure de la fermeture, sans égard pour votre présence une main tire un rideau rouge au fond de la vitrine qui, ainsi privée des figurines insomnieuses, fait penser à une avant-scène de théâtre où se donne un divertissement tandis qu’on change le décor. Dans l’éclairage de la rue, car la boutique a éteint le sien pour la nuit, la vue n’est plus sollicitée que par un « sujet » insolite dont elle avait été distraite jusqu’alors par le spectacle des poupées. La pièce maîtresse — comment avez-vous pu ne pas la remarquer d’emblée ? — est l’une de celles-ci, mais d’une taille impressionnante en comparaison des autres, étroitement corsetée de noir, debout, dressée entre les ridelles d’une charrette peinte en vert tendre, tenant dans sa main gantée la bride inexistante d’un poney à roulettes, lui aussi disparu, de l’autre brandissant un fouet vers vous qui, à cause des cheveux blonds et frisottés de la sévère créature, vous prenez à évoquer Lou Andreas-Salomé dans la même posture, Paule de Ré et Nietzsche, le mari et l’amant, sommés — mais déjà consentants — de tirer la voiture.

 

Pierre Silvain, Le Passage de la morte [sur Pierre Jean Jouve],éditions L’Escampette, 2007, p. 18-19.

31/03/2011

Jude Stéfan, Envoi

 

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Envoi

 

à la mort du Poète

même les dieux devraient pleurer

dégénéré, pompier

son tracé tremblé couché appuyé

plus ne vous harcèlera

   jouvencelles :

où sont par milliers les chiliens

disparus les cent milliards tués

   de naissance

   où sont

— et pourquoi l’incendie de soleil ?

Désespérance, Déposition

son œuvrée son hommée

chaque jour Il la parfit subit

 

Jude Stéfan, Désespérance, Déposition, Gallimard, 2006, p. 81— ©photo Tristan Hordé

30/03/2011

Jean Baptiste Chassignet, Le Mespris de la vie...

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 Philippe de Champaigne, Vanité, allégorie du temps qui passe avec crâne et sablier

 

Tantost la crampe aux piés, tantôt la goute aus mains,

Le muscle, le tendon, et le nerf te travaille,

Tantost un pleuresis te livre la bataille,

Et la fiebvre te poingt de ses trais inhumains.

 

Tantost l’aspre gravelle espaissie en tes reins

Te pince les boyaus de trenchante tenaille,

Tantost un apostume aux deus poumons t’assaille

Et l’esbat de Venus trouble tes yeux serains.

 

Ainsi en advient il à quiconque demeure

En la maison d’autry, mais s’il faut que tu meure,

Tu deviens aussi tout pensif et soucieus.

 

Helas ! aimes tu mieux mourir toujours en doute

Que vivre par la mort ? celuy qui la redoute

Ne fera jamais rien digne d’un homme preus.

 

Jean Baptiste Chassignet, Le Mespris de la vie et Consolation contre la mort, édition critique d’après l’original de 1594 par Hans Joachim Lope, Genève, Droz et Paris, Minard, 1967, p. 44-45.

29/03/2011

Antoine Emaz, Peau

 

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peser le poids d’une vie

pas plus poète

que n’importe qui d’autre les mots n’aident plus guère

 

les mots les années les livres l’amas tout en tas d’être

 

sous une longue vague de rien une grande goulée d’air on retient son souffle on passe sous la vague sans voir seulement passer dessous traverser le mur d’eau se retrouver après on verra bien après

 

 

parvenir au bout de ce mot seul l’épuiser pour pouvoir dormir on a déjà joué cette partie on connaît ce devant quoi on est sans visage

 

seul rien

 

et pas plus avancé

 

Antoine Emaz, Peau, éditions Tarabuste, 2008, p. 72-73.

28/03/2011

James Sacré, Anacoluptères

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Une tellement courte collection que depuis c’est tout parti en poussière, fines pattes cassées, débris d’élytres qui brillent encore. Depuis si beau temps d’en allée dans les prés : la grande herbe se cloutait de buprestes dans la douceur de la flouve et des scabieuses. Comme des bijoux dans le foin d’un corps nu. À quoi t’as rêvé sans savoir. Tout ça que tu disposais dans la boîte pas vitrée, le foin rentré un peu plus tard, c’est plus rien que poussière et reste de vieux fourrage sur les fagots de la grange. Comment ça pourrait.

Ramener du printemps dans les mots d’un poème ?

 

Au lieu de m’amuser à parler d’insectes, à l’âge que j’ai comme dirait maman, comme elle a toujours dit, je ferais mieux sans doute de penser à comment j’ai vécu, à comment je continue.

Toutes ces grandes questions qu’on s’est mal posées, personne qu’a répondu. Le sentiment, la mort, le monde et les gens. Ça mériterait peut-être encore un effort. Au lieu de ça me voilà avec des poèmes comme des fourmis dans les jambes. Une petite odeur acide. Les yeux pas plus hauts qu’un peu de terre en tas mêlée à des brindilles.

C’est-y s’amuser ? Les insectes sont aussi du vivant, à l’écart des mots futiles. Comme autant de questions ?

Maman s’en va, j’entends mal ce que dit maman… maman comme une grande fourmi dans le temps.

 

James Sacré, Anacoluptères, illustrations Pierre Yves Gervais, éditions Tarabuste, 1998, n. p.

24/03/2011

Henri Pichette, Litanie des oiseaux

 

 

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Litanie des oiseaux 

 

Frère Rossignol, chantez pour nous.

Sœur Hirondelle, gazouillez pour nous.

Frère Pinson, fringottez pour nous.

Sœur Fauvette, gringottez pour nous.

Frère Chardonneret, ramagez pour nous.

Sœur Linotte, rouladez pour nous.

Frère Merle, sifflez pour nous.

Frère Loriot, flûtez pour nous.

Sœur Grive, modulez pour nous.

Frère Rougegorge, mélodiez pour nous.

Sœur Gorgebleue, musiquetez pour nous.

Sœur Alouette, tirelirez pour nous.

Frère Cini, tirlitez pour nous.

Frère Farlouse, turlutez pour nous.

Sœur Lulu, turlulurez pour nous.

Frère Bruant, bruissez pour nous.

Frère Tarin,

Frère Phragmite,

Sœur Rémiz,

Sœur Passerinette, babillez pour nous.

Sœur Grisette,

Sœur Effarvatte,  bredouillez pour nous.

Frère Moineau, pépiez pour nous.

Frère Rousseline, pipiez pour nous.

Frère Soulcie, piaillez pour nous.

Frère Vanneau, pïouitez pour nous.

Sœur Bergeronnette, güigüitez pour nous.

Sœur Sittelle, tuittuitez pour nous.

Frère Grimpereau,  tititez pour nous.î

Frère Gobemouche,  tititulez pour nous.

Sœur Bargette, tutulez pour nous.

Sœur Luciniole, lululez pour nous.

Sœur Huppe, pupulez pour nous.

Frère Échelette, pliplitez pournous.

Frère Pivert, pleupleutez pour nous.

Frère Pluvier,

Frère Bécasseau, trillondulez pour nous.

Frère Huitrier,

Frère Gravelot,

Frère Chevalier,

Frère Tournepierre,

Frère Troglodyte, trillez pour nous.

[…]

Henri Pichette, dans "Cahier Henri Pichette, 2", Les Enfances, édition Granit, 1995, p. 97-98.

 

 

22/03/2011

Tristan Corbière, 2 poèmes des Amours jaunes

 

 

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I Sonnet avec la manière de s’en servir


 

Vers filés à la main et d’un pied uniforme,

Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton,

Qu’en marquant la césure, un des quatre s’endorme…

Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.

 

Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme ;

Aux fils du télégraphe : — on en suit quatre, en long ;

À chaque pieu, la rime — exemple : chloroforme,

— Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.

 

— Télégramme sacré — 20 mots. — Vite à mon aide…

(Sonnet — c’est un sonnet —) ô Muse d’Archimède !

— La preuve d’un sonnet est par l’addition :

 

— Je pose 4 et 4 = 8 ! Alors je procède

En posant 3 et 3 ! — Tenons Pégase raide :

« Ô lyre ! Ô délire ! Ô… » — Sonnet — Attention !

 

Pic de la Maladetta — Août.

 

 

Le crapaud

 

 

Un chant dans une nuit sans air…

La lune plaque en métal clair

Les découpures du vert sombre.

 

… Un chant ; comme un écho, tout vif

Enterré, là, sous le massif…

— Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre…

 

— Un crapaud ! Pourquoi cette peur,

Près de moi, ton soldat fidèle !

Vois-le, poète tondu, sans aile,

Rossignol de la boue… —Horreur !

 

… Il chante. — Horreur !! — Horreur pourquoi ?

Vois-tu pas son œil de lumière…

Non : il s’en va, froid, sous sa pierre…

 

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  . . . . . . . . . . . .

 

Bonsoir — ce crapaud-là c’est moi.

 

Ce soir, 20 juillet.

 

 

Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros, Tristan Corbière, Œuvres complètes, édition établie (pour Tristan Corbière) par Pierre-Olivier Walzer, avec la collaboration de Francis F. Burch pour la correspondance, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1970, p. 718 et 735.

 

 

 

 

21/03/2011

Erich Fried, Zukunft? / Avenir ? (traduction Chantal Tanet et Michael Hohmann)

 

Zukunft?

 

In Hiroshima und Nagasaki schmolz der

Straßenstaub stellenweise zu einer glasigen Masse

 

Die Sonne ist die Sonne

Der Baum ist ein Baum

Der Staub ist Staub

Ich bin ich du bist du

 

Die Sonne wird Sonne sein

Der Baum wird Asche sein

Der Staub wird Glas sein

Ich und du werden Staub sein

 

Die Sonne bleibt die Sonne

Der Baum darf nicht Asche sein

Der Staub soll nicht Glas sein

Ich will nicht Staub sein

 

Du willst nicht Staub sein

Wir wollen nicht Staub sein

Sie wollen nicht Staub sein

Aber was tun wir alle?

 

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Avenir ?

 

À Hiroshima et Nagasaki la poussière des rues

a fondu par endroits en une masse informe

 

Le soleil est le soleil

L’arbre est un arbre

La poussière est poussière

Je suis moi tu es toi

 

Le soleil sera soleil

L’arbre sera cendre

La poussière sera verre

Moi et toi serons poussière

 

Le soleil reste le soleil

L’arbre n’a pas le droit d’être cendre

La poussière ne doit pas être verre

Je ne veux pas être poussière

 

Tu ne veux pas être poussière

Nous ne voulons pas être poussière

Ils ne veulent pas être poussière

Mais que faisons-nous tous ?

 

Erich Fried, Zukunft?, extrait de Es ist was es ist, Berlin, Verlag Klaus Wagenbach, 1983 ; rééd., 2005, page 63. Traduction inédite de Chantal Tanet et Michael Hohmann.

 

20/03/2011

Samuel Beckett, Worstward Ho / Cap au pire (traduction Edith Fournier)

 

                                                           samuel beckett,cap au pire,edith fournier,worstward ho

 

On. Say on. Be said on. Somehow on. Till nohow on. Said nohow on.

 

Say for be said . Missaid. From now say for be missaid.

 

Say a body. Where none. No mind. Where none. That at least. A place. Where none. For the body. To be in. Move in. Out of. Back into. No. No out. No back. Only in. Stay in. On in. Still.

 

All of old. Nothing else ever. Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail better.

 

First the body. No. First the place. No. First both. Now either. Now the other. Sick of the either try the other. Sick of it back sick of the either. So on. Somehow on. Till sick of both. Throw up and go. Where neither. Till sick of there. Throw up and back. The body again. Where none. The place again. Where none. Try again. Fail again. Better again. Or better worse. Fail worse again. Still worse again. Till sick for good. Throw up for good. Go for good. Where neither for good. Good and all.

 

Samuel Beckett, Worstward Ho, London, John Calder, 1983, p. 7-8.

 

 

 Encore. Dire encore. Soit dit encore. Tant mal que pis encore. Jusqu’à plus mèche encore. Soit dit plus mèche encore.

 

Dire pour soit dit. Mal dit. Dire désormais pour soit mal dit.

 

Dire un corps. Où nul. Nul esprit. Ça au moins. Un lieu. Où nul. Pour le corps. Où être. Où bouger. D’où sortir. Où retourner. Non. Nulle sortie. Nul retour. Rien que là. Rester là. Là encore. Sans bouger.

 

 

Tout jadis. Jamais rien d’autre. D’essayé. De raté. N’importe. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux.

 

D’abord le corps. Non. D’abord le lieu. Non. D’abord les deux. Tantôt l’un ou l’autre. Tantôt l’autre ou l’un. Dégoûté de l’un essayer l’autre. Dégoûté de l’autre retour au dégoût de l’un. Encore et encore. Tant mal que pis encore. Jusqu’au dégoût des deux. Vomir et partir. Là où ni l’un ni l’autre. Jusqu’au dégoût de là. Vomir et revenir. Le corps encore. Où nul. Le lieu encore. Où nul. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux encore. Ou mieux plus mal. Rater plus mal encore. Encore plus mal encore. Jusqu’à être dégoûté pour de bon. Vomir pour de bon. Partir pour de bon. Là où ni l’un ni l’autre pour de bon. Une bonne fois pour toutes pour de bon.

 

Samuel Beckett, Cap au pire, traduit de l’anglais par Édith Fournier, éditions de Minuit, 1991, p. 7-9.

 

19/03/2011

e. e. Cummings, is 5 / font 5 (traduction Jacques Demarcq)

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e.e.cummings, Landscape (aquarelle), The Harry

Ramson Center, Austin, Texas.

 

Five, I

 

After all white horses are in bed

 

Will you walking besides me,my very lady,

if scarcely the somewhat city

wiggles in considérable twilight

 

touch(now)with a suddenly unsaid

 

gesture lightly my eyes ?

And send life out of me and the night

absolutely into me…a wise

and puerile moving of your arm will

do suddenly that

 

                  will do

more than heroes beautifully in shrill

armour colliding on huge blue horses,

and the poets looked at them, and made verses,

 

through the sharp light cryingly as the knights flew.

 

e. e. Cummings, is 5, in Complete Poems 1904-1962, revised,corrected, and expanded edition containing all the published poetry, by George J. Firmage, New York, Liveright, 1991, p. 303.

 

 

Cinq

 I

 

Quand tous les chevaux blancs seront au lit

 

voudrez-vous, ma vraie dame, vous promener

auprès de moi si à peine un semblant de ville

dans un énorme crépuscule vacille

 

et toucher (alors) d’un inexprimé

 

geste subit légèrement mes yeux ?

Et envoyer la vie loin de moi et la nuit

absolument jusqu’au fond de moi… Un prudent

puéril mouvement de votre bras

le fera tout à coup

 

                           fera

plus que des héros magnifiques aux stridentes

armures s’entrechoquant sur de grands chevaux bleus,

et les poètes les regardaient, faisaient des vers,

 

pleurant les chevaliers enfuis sous l’aveuglante lumière.

 

e. e. Cummings, font 5,  traduction et postface de Jacques Demarcq, éditions NOUS, 2011, p. 97, 18 €.

 

13/03/2011

Christian Prigent, Météo des plages

 

christian prigent,météo des plages

                                                            (flash-back 1955/1948)

Tout n’est que cendre désormais tout n’est que cendre mais

De cette cendre sort un qui porte sa peau et le couteau

Pour couper soi de soi (qui sera soi tu ne le sais

Pas : la tête est encore infime et blême dans des hauts).

 

Dans l’épaisseur de suie de mélancolie, va, accélère — c’est

Au cinéma, les brutales nuées roulent des manches sur

Des lividités inapaisées. Sens la peau de tes joues fur

Ieusement tirer les brides, hennir dans les cuirs ou corsets :

 

Tu es dans le baquet des épidermes bleus, des porcelaines de genoux,

Des ventres concaves, des os de transparences. L’aigre mot

De rance te rince de vomissures. Ou c’est (plage) ta mère sous

 

L’œuf, l’ardeur safran, le poids de paillasson des nuées,

Les seins d’été dans un bonnet d’âne épouvantablement

Blanc que califourche minuscule dans la contre-plongée

Toi, flou de sueur ou larmes ou du blanchissement du temps.

 

Puis Madame à peau de piquetis de poule fait sa Suzanne

En cabine. Et telle icelle aux vioques dans la feuillée son

Haleine furibonde te sirène aux considérations

De basques interdites : Guarpis d’là bas, bas d’la hanne !

 

Christian Prigent, Météo des plages, roman en vers, P.O.L, 2010, p. 111.

 

Francisco de Quevedo, Les Furies et les Peines, 102 sonnets

 

Aminta, que se cubrió los ojos con la mano

 

Lo que me quita en fuego, me da en nieve

lo mano que tus ojos me recata ;

y no es menos rigor con el que mata,

ni menos llamas su blancura mueve.

 

La vista frescos los incendios bebe,

y, volcán, por la venas los dilata ;

con miedo atento a la blancura trata

el pecho amante, que la siente aleve.


Si de tus ojos el ardor tirano

le pasas por tu mano por templarle,

es gran piedad del corazón humano ;

 

mas no de ti, que pude, al ocultarle,

pues es de nieve, derretir tu mano,

si ya tu mano no pretende belarle.

 

À Aminta, qui s’est couvert les yeux de la main

 

M’ôte le feu, neige me fait faveur

la main sous qui tes yeux ont disparu ;

n’est pas moins dure avec qui elle tue,

ni moins de flammes anime sa blancheur.

 

Le regard boit d’incendies la fraicheur,

et volcan aux veines les distribue ;

le cœur amant d’une peur prévenue,

craint tout ce blanc, car il le sent trompeur.

 

Si de tes yeux le brasier souverain,

tu le passes en ta main pour l’apaiser,

c’est là grande pitié du cœur humain ;

 

mais pas de toi, car il peut, éclipsé,

puisqu’elle est neige, liquéfier ta main,

si cette main ne veut pas le glacer.

 

Francisco de Quevedo, Les Furies et les Peines, 102 sonnets, Choix, présentation et traduction de Jacques Ancet, édition bilingue, Poésie/ Gallimard, 2010, p. 134-135.

 

24/01/2025

Luis Cernuda, La Réalité et le Désir (La Realidad y el Deseo)

 

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Cimetière dans la ville

 

Derrière la grille ouverte entre les murs,

la terre noire sans arbres, sans une herbe,

les bancs de bois où vers le soir

s’assoient quelques vieillards silencieux.

Autour sont les maisons, pas loin quelques boutiques,

des rues où jouent les enfants, et les trains

passent tout près des tombes. C’est un quartier pauvre.

 

Comme des raccommodages aux façades grises,

le linge humide de pluie pend aux fenêtres.

Les inscriptions sont déjà effacées

sur les dalles aux morts d’il y a deux siècles,

sans amis pour les oublier, aux morts

clandestins. Mais quand le soleil paraît,

car le soleil brille quelques jours vers le mois de juin,

dans leur trou les vieux os le sentent, peut-être.

 

Pas une feuille, pas un oiseau. La pierre seulement. La terre.

L’enfer est-il ainsi. La douleur y est sans oubli,

dans le bruit, la misère, le froid interminable et sans espoir.

Ici n’existe pas le sommeil silencieux

de la mort, car la vie encore

poursuit son commerce sous la nuit immobile.

Quand l’ombre descend du ciel nuageux

et que la fumée des usines s’apaise

en poussière grise, du bistrot sortent des voix,

puis un train qui passe

agite de longs échos tel un bronze en colère.

 

Ce n’est pas encore le jugement, morts anonymes.

Dormez en paix, dormez si vous le pouvez.

Peut-être Dieu lui-même vous a-t-il oubliés.

 

 

 

Tras la reja abierta entre los muros,

La tierra negra sin árboles ni hierba,

Con bancos de madera donde allá a la tarde

Se sientan silenciosos unos viejos.

En torno están las casas, cerca hay tiendas,

Calles por las que juegan niños, y los trenes

Pasan al lado de las tumbas. Es un barrio pobre.

 

Tal remiendosde las fachadas grises,

Cuelgan en las ventanas trapos húmedos de lluvia.

Borradas están ya las inscripciones

De las losas con muertos de dos siglos,

Sin amigos que les olviden, muertos

Clandestinos. Mas cuando el sol despierta,

Porque el sol brilla algunos dias hacia junio,

En lo hondo algo deben sentir los huesos viejos.

 

Ni una hoja ni un pájaro. La piedra nada más. La tierra.

Es el infierno así ? Hay dolor sin olvido,

Con ruido y miseria, frío largo y sin esperanza.

Aquí no existe el sueño silencioso

De la muerte, que todavia la vida

Se agita entre estas tumbas, como una prostituta

Prosigue su negocio bajo la noche inmóvil.

 

Cuando la sombra cae desde el cielo nublado

Y del humo de las fábricas se aquieta,

En polvo gris, vienen de la taberna voces,

Y luego un tren que pasa

Agita largos ecos como un bronce iracundo.

 

No es el juicio aún, muertos anónimos.

Sosegaos, dormid ; dormid si es que podéis.

Acaso Dios también se olvida de vosotros.

 

Luis Cernuda, La Réalité et le Désir (La Realidad y el Deseo), édition bilingue, traduction de l’espagnol par Robert Marrast et Aline Schulman, choisis et préfacés par Juan Goytisolo, Gallimard, 1969, p. 87-89.