28/07/2012
Marie-Laure Zoss, hécates
S'arc-boute et force la cohue, finira bien par sauter, le couvercle, pas vrai, du brasier de cailloux, tandis que mors à l'échine vient serrer ; colère à sa tordre roulée sur elle-même, accroche grenaille au passage de syllabes, et ça s'arrête bouclé au seuil ; au fer rouge ou même forgeant à froid, celui-là essaie, n'y arrive pas, à travers la croûte terrestre pas de coup possible porté de l'intérieur ; ça ne dégage rien ; jusqu'en lisière de la voix, verbe corseté au point mort ;
à ce jour nulle autre issue que le bond ; pieds dans les ronces fraîches ou la fleur d'acacia, celui-là ne souffre pas de s'entendre, ponts sabrés derrière soi ;
et qu'il réprime ainsi qu'âcre ballot l'empêchement d'articuler, sous folle avoine, orge des murs ; l'espace entrouvert dans le cri qu'affile la suie du martinet, un souffle d'herbe froissant le talus.
Marie-Laure Zoss, hécates (extraits), dans La revue de belles-lettres,
Société de Belles-Lettres de Lausanne, 2011-2, p. 127.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marie-laure zoss, hécates, la voix | Facebook |
15/05/2012
Ahmad Châmlou et Forough Farrodkhzâd, Poésie d'Iran dans Europe, mai 2012
Ahmad Châmlou
Nocturne
Si la nuit est belle en vain
Pourquoi est-elle belle
Pour qui est-elle belle ?
La nuit
Et le flot glacé des étoiles
Les pleureuses aux longs cheveux
Avec le chant déchirant des grenouilles
Sur les deux rives
Lamentations de deuil
Ranimant le souvenir
Quand chaque aube est criblée
Par le chœur
De douze balles de fusil
Si la nuit est belle en vain
Pourquoi est-elle belle
Pour qui est-elle belle ?
Ahmad Châmlou (1925-2000), traduction
Farideh Rava et Alain Lance, dans Europe,
"Littérature d'Iran", n° 997, mai 2012, p. 261.
*
Forough Farrokhzâd
Il n'y a que la voix qui reste
Pourquoi m'arrêterai-je, pourquoi ?
Les oiseaux sont partis en quête d'un chemin bleu
L'horizon est vertical
L'horizon est vertical et le mouvement : jaillissant
et dans les tréfonds du regard
Les planètes lumineuses tournoient
La terre dans les hauteurs se répète
Et les puits emplis d'air
Se transforment en galeries de liaison
Et le jour est une étendue
Que ne saurait contenir le rêve étroit
Du vermisseau qui ronge le journal
Pourquoi m'arrêterai-je ?
Le chemin passe à travers les vaisseaux de la vie
L'atmosphère de la matrice lunaire
Tuera les humeurs
Et dans l'espace chimique après le lever du soleil
Il n'y aura que la voix
Infiltrée par les particules du temps
Pourquoi m'arrêterai-je ?
[...]
Forough Farrokhzâd (1933-1968), traduction Sara Saïdi Boroujeni, dans Europe, "Littérature d'Iran", n° 997, mai 2012, p. 286.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : a. châmlou, f? farrokhzâd, poésie d'iran, la beauté, la voix | Facebook |
15/06/2011
Jean Tardieu, Da capo, Margeries
La voix
Il me semble avoir, toute ma vie, entendu une certaine voix, étrangère à moi-même et pourtant très intime, qui me parle par intermittence et ne peut pas ou ne sait pas, ou ne veut pas me dire tout ce qu’elle sait. Un guide quelquefois, parfois aussi un abîme, un conseil dangereux, mais toujours une vérité revenue de très loin, exigeante et irréfutable, une sorte de démon de la conscience, de la connaissance (ou plutôt de l’inconnaissance), m’imposant le devoir absolu de transcrire avec soin, ses injonctions, ses plaintes et même ses menaces.
Lorsque à mon tour, c’est moi qui interroge et qui demande : « Pour qui ? Pour quoi ? Dans quel but ? », cette voix ne répond pas, mais elle a du moins le pouvoir de me communiquer une certitude obscure : c’est que (peut-être dans ce monde, peut-être hors de ce monde), il existe une région sereine et innocente où tout est su, compris et consommé d’avance. Où la rencontre d’un seul avec tous est non seulement possible mais attendue depuis toujours. Au-delà de toute vie et de tout déclin, de toute présence et de toute absence, de toute joie, de toute douleur, au-delà même de toute parole, une « réconciliation » avec ce qui nous dépasse et nous dévore. La fusion et le retour des êtres séparés qui se retrouvent dans l’unité, dans l’absence originelle.
Jean Tardieu, Da capo, Gallimard, 1995, p. 35.
La tête vide
Dans les chemins creux et perdus
je suis homme parmi les hommes
Point d’ombre plus haute que moi
point d’écho plus long que la voix
j’ai l’épaisseur de la surface
Plus léger que feuille d’automne
sous le murmure de l’oubli
qui passe à travers les mains vides
habillé de soleil
et d’incompréhensible
silence dans les branches.
(1944)
Jean Tardieu, Margeries, Gallimard, 1986, p. 228.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, MARGINALIA, Tardieu Jean | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean tardieu, da capo, margeries, la voix | Facebook |