04/12/2020
Antonio Prete (1939), Menhir
Pauvreté de la parole
L’existence peut-elle se faire alphabet,
son, verbe de présence ?
Le souffle de la terre et de la douleur
effleure la peau des syllabes,
ce n’est pas le sang et le corps de la langue,
mais seulement un hôte, passager.
La mer lèche à peine la lettre qui le dit.
Et le ciel s’éteint dans le mot qui l’accueille.
Antonio Prete, extrait de Menhir, traduction
Philippe di Meo, La Nouvelle Revue Française,
janvier 2008, p. 109.
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14/11/2020
Giorgio Caproni, Le Mur de la terre
Moi aussi
Moi aussi j’ai essayé.
Ce fut toute une guerre
d’ongles. Mais maintenant je le sais.
Nul ne pourra jamais trouer
le mur de la terre.
Anch’io
Ho provato anch’io.
È stata tutta una guerra
d’unghie. Ma ora so. Nessuno
porrà mai perforare
il muro della terra.
Gorgio Caproni, Le Mur de la terre,
traduction Philippe di Meo, Atelier
La Feugraie, 2002, p. 85 et 84.
16/01/2017
Andrea Zanzotto, Vocatif, suivi de Surimpressions, traduction Philippe Di Meo
Vide des toiles d’araignée
par les fissures et les vallées,
vide de naissance et de sang.
De l’eau et quel verbe pierreux
tu déposes au pied de ces monts, de ces collines,
et quel vert sans pitié
vous révélez dans un feu
inégal et néfaste
ou — c’est égal — dans un feu
effilé, équilibré
contre le mur où je pleure ; et le mur s’élève
depuis la tête lasse
lasse de naître et de naître encore
dans l’atroce vie bourdonnante.
Andrea Zanzotto, Vocatif suivi de Surimpressions,
traduit de l’italien et présenté par Philippe Di Meo,
Maurice Nadeau, 2016, p. 79.
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16/05/2013
Bartolo Cattafi, L'alouette d'octobre
Rêve d'hiver
Ce foisonnement estival
tournoiement de mouches
dans une pièce hivernale...
La pensée est une opaque
matière tressaillante
dans ce bourdonnement
il dort barricadé
au sein des lois de l'heure
tel un poulpe cramponné
à son rêve d'hiver
il ouvre parfois un œil
si soleil et braise brillent vaguement
mais il ne voit pas.
Sogno d'inverno
Questo rigurgito estivo
mulinello di mosche
in una stanza invernale...
Il pensiero è un'opaca
materia trasalita
al ronzìo
egli dorme rinchiuso
tra le leggi del momento
come un polipo aggrappato
al suo sogno d'inverno
apre un occhio talvolta
se sole e brace balùginano
ma non vede.
Bartolo Cattafi, L'alouette d'octobre, traduction de
l'italien par Philippe Di Meo, Atelier La Feugraie,
2010, p. 57 et 56.
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05/03/2013
Bartolo Cattafi, L'alouette d'octobre
La crue
Quelques gestes ou paroles
murmurées à peine
paisibles regards de braise
voilés par la cendre
et dehors le grondement de la crue
eaux arbres bourbe
arrachés à quelque lieu
ici déversés pour former
une terre nouvelle une mer nouvelle
On ne s'évade pas
On ne s'évade pas de cette pièce
de ce qui ici point ne survient
La piena
Qualche gesto et parola
mormorata appena
quieti sguardi di brace
velati dalla cenere
e fuori il rombare della piena
acque alberi mota
tolti da qualche luogo
qui scagliati a formare
la nuova terra il nuovo mare.
Non si evade
Non si evade da questa stanza
de quanto qui dentro non accade.
Bartolo Cattafi, L'alouette d'octobre, traduction
Philippe Di Meo, L'atelier la Feugraie, 2010,
p. 65 et 64.
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16/05/2012
Leopardi, L'infini, traductions de Ph. Di Meo, Yves Bonnefoy, Michel Orcel, R. de Ceccaty
Toujours chère me fut cette colline solitaire,
et cette haie, qui pour une si grande part
dérobe le dernier horizon au regard.
Mais assis, fixant au-delà de
celle-ci des espaces illimités, et de surhumains
silences, une très profonde quiétude,
en mon esprit je recrée ; où peu s'en faut
que le cœur ne s'épouvante. Et comme j'entends
bruire le vent parmi ces arbres,
je vais comparant cet infini silence
à cette voix : et de l'éternel,
et des saisons mortes, et de la présente,
si vive, et de son timbre, je me souviens.
Ainsi, dans cette immensité s'abîme ma pensée :
et dans cette mer il m'est doux de naufrager.
Sempre caro mi fu quest'ermo colle,
e questa siepe, che da tanta parte,
dell'ultimo orizzonte il guardo esclude.
Ma sedendo e mirando, interminati
spazi di là da quella, e sovrumani
silenzi, e profondissima quiete
io nel pensiero mi fingo ; ove per poco
il cor non si spaura. E come il vento
oco stormir tra queste piante, io quello
infinito silenzio a questa voce
vo comparando : e mi sovvien l'eterno,
et la morte stagioni, e le presente
e viva, e il suon di lei. Cosí tra questa
immensità s'annega il pensier mio :
e il naufragar m'è dolce in questo mare.
Leopardi, L'infini, traduction de l'italien par Philippe
Di Meo, Le Cadran Ligné, 2012, n. p., 3 €.
Collection de livres d'un seul poème, Catalogue et Bon de commande :
Laurent Albarracin, "Le Mayne, 19700 Saint-Clément.
Trois autres traductions [éditions sans le texte italien]:
Toujours chère me fut cette colline
Solitaire, et chère cette haie
Qui refuse au regard tant de l'ultime
Horizon de ce monde. Mais je m'assieds,
Je laisse aller mes yeux, je façonne, en esprit,
Des espaces sans fin au-delà d'elle,
Des silences aussi, comme l'humain en nous
N'en connaît pas, et c'est une quiétude
On ne peut plus profonde : un de ces instants
Où peu s'en faut que le cœur ne s'effraie
Et comme alors j'entends
Le vent bruire dans ces feuillages, je compare
Ce silence infini à cette voix,
Et me revient l'éternel en mémoire
Et les saisons défuntes, et celle-ci
Qui est vivante, en sa rumeur. Immensité
E, laquelle s'abîme ma pensée.
Naufrage, mais qui m'est doux dans cette mer
Yves Bonnefoy, Keats et Leopardi, quelques traductions nouvelles,
Mercure de France, 2000, p. 43.
*
Toujours tendre me fut ce solitaire mont,
Et cette haie qui, de tout bord ou presque,
Dérobe aux yeux le lointain horizon.
Mais couché là et regardant, des espaces
Sans limites au-delà d'elle, de surhumains
Silences, un calme on ne peut plus profond
Je forme en mon esprit, où peu s'en faut
Que le cœur ne défaille. Et comme j'ois le vent
Bruire parmi les feuilles, cet
Infini silence-là, et cette voix,
Je les compare : et l'éternel, il me souvient,
Et les mortes saisons, et la présente
Et vive, et son chant. Ainsi par cette
Immensité ma pensée s'engloutit :
Et dans ces eaux il m'est doux de sombrer.
Leopardi, Chants, traduction, présentation, notes,
chronologie et bibliographie par Michel Orcel,
préface de Mario Fusco, Flammarion / GF,
2005, p. 103.
*
J'ai toujours aimé ce mont solitaire
Et ce buisson qui cache à tout regard
L'horizon lointain. Mais quand je m'assieds
Pour mieux observer, je me représente
Au fond de mon cœur l'espace au-delà :
Calme surhumain, très profonde paix.
Pour un peu, je suis perdu d'épouvante
En entendant geindre, entre les feuillages,
Le vent, je compare cette à voix-là
L'infini silence et je me souviens
De l'éternité, des mortes saisons,
Et de la présente, et de la vivante.
Et de sa rumeur. Ainsi dans l'immense
Sombre de ma pensée. Et dans cette mer
Il m'est doux enfin de faire naufrage.
Leopardi, Chants, traduit par René de Ceccaty,
Rivages, 2011, p. 139.
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