22/12/2011
Joyce Mansour, Carré blanc
Du doux repos
Prends vite une plume
Écris
Je volerai je volerai
L'orbite de la lune sauvage
Les grêles sanglots des vagues
Venues de l'autre rive
Vagues vaguelettes bandelettes et babillage
Écris
Roule entre mes bras
Ainsi qu'un caillou entre le ciel et le fond
D'un puits
Le sable sauvegarde de l'aveugle
Sur le parchemin de sa nuit
Prends vite du papier
Écris
Suis moi entre les plates bandes
tranchées béquilles épines
Écoute
Les confidences de la rose
Mâchées hachées anodines
Écris donc sur le dos d'un raz-de-marée
Grave ton signe
Mille fois inscris
La joie muette de l'ordure
Sous les voiles soumises
De l'aigue-marine
Trace
Le trait indélébile
Mon vert cœur épris ô maléfice de la lune
Signe résolument de ta verge hautaine
Sur le casque et le heaume de l'escargot cacheté
Écris signe barre
Je me noie dans l'encrier du moindre mot
Jamais
Poème sur papier rose
Ma passion gravée sur une petite pierre
Seule roule aveugle
Vers
Le nombre
Quinze
Servante effroyable de ta cuisse contraire
Ma bouche vide ton corps de son sperme
Ma langue greffe des sauvageons
Sur le buste du Quai Voltaire
Suivre ton usage
Dormir
Irruption des barbares
Versons la semence ânonnante de samedi
Dans la gamelle de la dixième chambre
Effaçons la Justice de nos portillons
Quel mot est plus faux que le mot gratuit
Joyce Mansour, Carré blanc, "Le Soleil Noir", éditions du Soleil, 1965, p. 121-122 et 67.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : joyce mansour, carré blanc, du doux repos, poème, sur papier rose | Facebook |
21/12/2011
Kobayashi Issa, Sous le ciel de Shinano
la neige doucement descend
qui aurait encore le cœur à rire
sous le ciel de Shinano
au soir
parlant avec la terre
les feuilles tombent
au soir tombant
un vol d'oies sauvages les fumées
blotti sur moi-même
herbes échevelées
le froid se sent
rien qu'à vue d'œil
silence des réclusions d'hiver
cette nuit j'ai entendu
la pluie tomber sur la montagne
juste de quoi faire un feu
les feuilles mortes
que le vent m'a apportées
Kobayashi Issa [1763-1827], Sous le ciel de Shinano, textes choisis et traduits par Alain Gouvret et Nobuko Imamura, Arfuyen, 1984, n.p.
Quelques éléments bibliographiques sur le haïku en français.
Anthologie du haïku en France, sous la dir. de Jean Antonini, Lyon, Aléas, 2003.
Au fil de l'eau : les premiers haïku français, éd. établie par Éric Dusert, Paris, Mille et une nuits, 2003.
BAUDRY Micheline (sous la direct.), Sur d'autres pas : géographie du haïku canadien-français, Seichamps, Association française de haïku, 2004.
BAUMANN Lucien, Haïkaï à la française, Strasbourg, L. Baumann, 1983.
BELLEN Salim, L'Échelle brisée, Seichamps, Association française de haïku, 2006.
BERGÈSE Paul, Le coucou du haïku, gravures de Titi Bergèse, Véron, éd. de la Renarde rouge, 2003.
BIGA Daniel, La Chasse au haïku, Bouvron, Les éd. du Chat qui tousse, 1998.
BLANCHE Patrick, L'apprenti-bouddha et l'arbre d'en face, Seichamps, Association française de haïku, 2006.
BOISSÉ Hélène, Le jour ne se lève jamais seul : haïkus, Association française de haïkus, 2009.
BORDES Luc, L'esprit du promeneur : haïkus, Lyon, Assocaition française de haïku, 2009.
BOUDET Alain, Haïku du soleil, ill. d'Adeline Lorthios, Toulon, Pluie d'étoiles, 2004.
Bourgeons éclos, (sous la direct. de Daniel Py), par les lauréats du concours Haïku-Sebryu d'internet, illustr. par Ion Codrescu, Seichamps, Association française de haïku, 2003.
CALAFERTE Louis, Haïkaï du jardin, Paris, Gallimard, 1991.
CALMANT Michel, 66 haïkus anciens et modernes, préface de Dietrich Krusche, Paris, Librairie-galerie Racine, 2007.
CAZALIS Alain et MORI Eiko, Haïku, 5 eaux-fortes d'A. Cazalis et 5 de E. Mori, avec 32 poèmes haïkus de Claude Carcassonne, Marseille, L'Échoppe, 1993.
CHIPOT Dominique (coordination de -), Le soleil sur la rosée, ouvrage collectif, illustré par les élèves de l'école Pauline Kergomard d'Arras, Seichamps, Association française de haïku, 2006.
CLAUDEL Paul, Cent phrases pour éventail, présentation de Michel Truffet, Paris, Gallimard, 1996 (1ère éd., 1926).
CONSTANTIN Pierre, Vivant (haïku), encres de Michel Joyard, Cannes, éd. Tipaza, 1999.
CONVERSET Pierre, Haïku des pierres, photog. de l'auteur, textes de J. Poullaouec, préf. d'Yves Coppens, Rennes, Apogée, 2006.
COURTAUD Pierre, Trente-trois haïkaï des sites et autres modèles, La Souterraine, La Main courante, 1987.
COURTAUD PIERRE, Onze haïkaï de la fluidité, ill. par Guy Teste, Berthecourt, G & g, 2001.
DESCÔTEAUX Diane, L'heure du thé : haïku, préf. de Georges Karedas, Paris, éd. Karedas, 2008.
DRUART Henri, Pincements de cordes, 288 haïkaïs en 24 séries, préface de René Maublanc, Reims, éd. du Pampre, 1929.
D'un ciel à l'autre : anthologie de haïkus de l'Union européenne, Seichamps, Association française de haïkus, 2006.
Éclair soudain : haïkus francophones, Seichamps, Association française de haïku, 2005.
FOURIER Claire, Le temps de le dire : haïku d'été, Paris, éd. J.-P. Rocher, 2004.
FOURIER Claire, Tâches de rousseur : haïku d'automne, préf. de Jean Markale, Paris, éd. J.-P. Rocher, 2006.
FRAIN Irène, Chat haïku, eaux-fortes de Bernard Vercruyce, Auvers-sur-Oise, Au chat mage, 1997.
GASC Yves, Infimes débris : 60 haïkus, Paris, éd. Saint-Germain-des-Prés, 1980.
GASC Yves, L'Eaublier : 99 haïkus, Paris, Le Méridien, 1990.
GILBERT-LECOMTE Roger, Neuf haïkaï, Montpellier, Fata Morgana, 1977.
Gong, revue francophone de haïku, Seichamps, Association française de haïku, n° 1, nov. 2004.
GUINSBOURG Élisabeth, 1000 haïkus, dessin de Danièle Le Bricquir, Paris, Caractères, 1999.
Haïku, Le Hotwald, éditions LUS [= Libre université de Samadeva], 2007.
Haïku : anthologie canadienne, préparée sous la dir. de Dorothy Howard et André Duhaime, Montréal, éd. Asticou,
HULIN Bruno, Le Geai grincheux, ill. de Jean-Marc Demabre, Seichamps, Association française de haïku, 2004.
LACHÈZE Henri, D'un silence à l'autre : haïkaï, Sainte-Geneviève-des-Bois, Maison rhodanienne de poésie, 1999.
Le Haïku en français, Seichamps, Association française de haïku, 2003.
LANOUE David, Fou de haïkus, traduit de l'anglais (américain) par Alain Adaken et Richard Carter, Rennes, La Part commune, 2008.
MALINEAU Jean-Hugues, Trente haïku rouges ou bleus, ill. de Christian Piéron, Toulon, Pluie d'étoiles, 2000.
MARICOURT Paul de, D'un quai à l'autre : haïkus et senryûs du métro, illustr. de Thierry Poulhès, Seichamps, Association française de haïku, 2008.
MAUDUY Jean-Pierre, Assis sur un muret de pierre : poèmes et esprit du haïku, J.-P. Mauduy, 2003.
MELANÇON Robert, Quartiers d'hiver, avec 3 photographies d'Yves Laroche, Seichamps, Association française de haïku, 2007.
MICHELOT Soizic, Haïku, Petits chants de la pluie et du beau temps, Rennes, La Part commune, 2010.
NOIR Michel, J'entends une fourmi : haïkus, Paris, éd. de La Différence, 1994.
OSANATI Jacques, La tulipe et l'espoir : haïku et son commentaire, photog. de Xavier Coulmier, Aix-en-Provence, l'Ouisti, 2007.
PALAQUER Patrice, Chroniques d'Oburo : haïku d'un planqué, illust. de Nishi, Seichamps,
Association française de haïku, 2003.
Ploc, La revue du haïku, Association pour la promotion du haïku, Seichamps, n° 1, déc. 2008.
POULLAOUEC Jacques, Haïku des quatre éléments, Rennes, La Part commune, 2006.
POUPAS Jean-Pierre, Bref, des haïku, Le Pallet, Traces, 2002
POUPAS Jean-Pierre, Haïku d'œil, vignettes de M.-F. Lavaur, Le Pallet, éd. Traces, 2005.
POUPAS Jean-Pierre, Ma tasse de thé : haïku monostiques, Le Pallet, Traces, 1998.
PY Daniel, Haïku : 1999-2000, trad. en anglais de l'auteur, ill. d'Odette Py, Aguessac, éd. associatives Clapàs, 2001.
QUERO Pascal, Pas de fil entre les regards, illustrations de Line Michaud, Seichamps, Association française de haïku, 2006.
QUINTA Philippe, Comme nous la mouche, haïkus et senryûs, Seichamps, Association française de haïku, 2008.
RAOUL Louis, Flaques du chemin : haïku, ill. de Michel-François Lavaur, Le Pallet, Traces, 1997.
RAY Lionel, Pages d'ombres, suivi de Un besoin d'azur et de Haïku, Paris, Gallimard,
Regards de femmes : haïkus francophones, réunis sous la direction de Janick Belleau, Montréal, éd. Adage, 2008.
RELIQUET Philippe, D'un loin si sombre : poèmes, haïku (1998-2003), avec deux dessins de Fred Deux,
RENONDIN Françoise, Si la terre ainsi demeure, suivi de 19 haïkus, Blois, F. Renondin, vers 1998.
RIBIÈRE René, Haïkaï, poèmes, Cavaillon, imprimerie Mistral, 1968.
ROUBAUD Jacques, Io et le loup : dix-sept plus un plus un haïku en ouliporime, Paris, Oulipo, 1981.
SELLÈS Jacques, Haïkus sous la neige, suivi de Gouttes de vitre, Le Bugue, l'Ivre cœur, 2002.
SIGG Juan, Parfums escarpés, Seichamps, Association française de haïku, 2005.
STÉFAN Jude, Stances (ou 52 contre-haï-ku), Cognac, Le temps qu'il fait, 1991.
TABLADA José Juan, Papillons de l'instant, adaptés par Patrick Blanche, Association française de haïku, 2009.
TANGUY Pierre, Haïku du chemin : en Bretagne intérieure, Rennes, La Part commune, 2002.
TANGUY Pierre, Haïku du sentier de montagne, préf. d'Alain Kerven, Rennes, La Part commune, 2007.
TIXIER Roland, Temps ordinaire banlieue est, 100 haïkus inédits, Grenoble, Le Pré carré, 2004.
Trois graines de haïku, Seichamps, Association française de haïku, 2009.
VERBEKE Geert, Baobab, Seichamps, Association française de haïku, 2006.
VILLENEUVE Jocelyne, Feuilles volantes, recueil de poèmes rédigés à la façon du haïkaï, suivi d'une bibliographie du haïkaï, Canada, Naasman, 1985.
WHITE Kenneth, Les cygnes sauvages : voyage haïku, trad. de l'anglais par Marie-Claude White, Paris, Grasset, 1990.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : kobayashi issa, sous le ciel de shinano, haïku, haïkaï | Facebook |
20/12/2011
Henti Michaux, Moments, Traversées du temps
Sur des lignes tracées sans but sur le papier ; sur des pages de
lignes.
Ennoblie par une trace d'encre, une ligne fine, une ligne, ou plus rien ne pue
Pas pour expliquer, pas pour exposer, pas en terrasses, pas monumentalement
Plutôt comme par le Monde il y a des anfractuosités, des sinuosités, comme il y a des chiens errants
une ligne, une ligne, plus ou moins une ligne...
En fragments, en commencements, prise de court, une ligne, une ligne...
... une légion de lignes
Alevins de l'eau nouvelle d'un sentiment qui point, parle, rit, ravit ou qui déjà par moments poignarde
Échappées des prisons reçues en héritage, venues non pour définir, mais pour indéfinir, pour passer le râteau sur, pour reprendre l'école buissonnière, lignes, de-ci de-là, lignes,
Dévalantes, zigzagantes, plongeantes pour rêveusement, pour distraitement, pour multiplement... en désirs qui s'étirent, qui délivrent.
Débris sans escorte, le réel déminé,
Souris du souvenir indéfiniment se profilant à 'horizon de la page,
ou bien tracés légers d'avenir incertain.
D'aucune langue, l'écriture —
sans appartenance, sans filiation
Lignes, seulement lignes.
Henri Michaux, Moments, Traversées du temps, "Le Point du jour", Gallimard, 1973, p. 29-31.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Michaux Henri | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : henti michaux, moments, traversées du temps, lignes | Facebook |
19/12/2011
Jean-Yves Masson, Neuvains du sommeil et de la sagesse
Je n'ai pas eu à la chercher longtemps, la maison grise. Soudain
près du grand pont de pierre, au bout de cette rue trop noire,
elle était là. Et si je l'avais imaginée différente,
passé le bref étonnement je crus l'avoir connue depuis toujours.
Enfant, à l'une ou l'autre de ces fenêtres
tu te penchais. Mais point de jardin, point d'allée :
le bruit seulement de la rue — carrioles, chevaux et voitures —
et l'heure au clocher de l'église, les cris d'enfants au loin...
Plus rien ici ne se souvient de ton sourire.
Jean-Yves Masson, Neuvains du sommeil et de la sagesse, éditions Cheyne,
2007, p. 63.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean-yves masson, neuvains du sommeil et de la sagesse | Facebook |
18/12/2011
Paul Celan, La Rose de personne, traduction Martine Broda
... Bruit la fontaine
Vous couteaux aiguisés de prière,
de blasphème, de prière,
de mon
silence.
Vous mes paroles, qui vous estropiez
avec moi, vous
mes paroles droites.
Et toi :
toit, toi, toi,
de vérité chaque jour plus vraie
écorché, mon plus-tard
des roses — :
Combien, ô combien
du monde. De
chemins.
Aile, tu es béquille. Nous — —
Nous chanterons la chanson d'enfant, celle,
entends-tu, celle
avec les « hom », avec les « mes », avec les hommes, oui, celle
avec la broussaille, avec
la paire d'yeux, qui restait prête là-bas :
larme-et-
larme.
... Rauscht der Brunnen
Ihr gebet-, ihr lästerungs-, ihr
gebetscharfen Messer
meines
Schweigens.
Ihr meine mit mir ver-
Krüppelnden Worte, ihr
meine geraden.
Und du :
du, du, du
mein täglich wahr- und wahrer-
geschundenes Später
der Rosen — ;
Wievel, o wievel
Welt. Wievel
Wege.
Krücke du, Schwinge. Wir — —
Wie werden das Kinderlied singen, das,
hörst du, das
mit den Men, mit den Schen, mit den Menschen, ja das
mit dem Gestrüpp und mit
dem Augenpaar, das dort bereitlag als
Träne-und-
Träne.
Paul Celan, La Rose de personne (Die Niemandsrose), édition bilingue, traduction de Martine Broda, Le Nouveau Commerce, 1979, p. 61 et 60.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul celan la rose de personne, martine broda, fontaine | Facebook |
17/12/2011
Oscar Wilde, L'artiste, et Madonna mia
L'artiste
Un soir, il lui vint l'âme le désir de façonner l'image du Plaisir qui ne dure qu'un moment. Et il s'en alla par le monde pour chercher du bronze. Car il ne pouvait penser qu'en bronze.
Mais tout le bronze du monde entier avait disparu, et nulle part dans le monde entier on ne put trouver aucun bronze, que le bronze de
la statue La Douleur qui dure pour toujours.
Or, cette statue, il l'avait lui-même de ses propres mains façonnée, et il l'avait placée sur la tombe du seul être qu'il eût aimé dans la vie. Sur la tombe de l'être défunt qu'il avait le plus aimé, il avait
placé cette statue qu'il avait lui-même faite, afin qu'elle fût comme un signe
de l'amour humain qui ne meurt pas et un symbole de la douleur humaine qui dure pour toujours. Dans le monde entier, il n'y avait d'autre bronze que le bronze de cette statue.
Il prit cette statue qu'il avait façonnée et il la plaça dans un grand creuset et il la livra au feu.
Et du bronze de la statue La Douleur qui dure toujours, il a façonné la statue du Plaisir qui ne dure qu'un moment.
Oscar Wilde, Poèmes en prose, traduction Henri D. Davray [1898], dans Œuvres,
édition publiée sous la direction de Jean Gattégno, Bibliothèque de la Pléiade,
Gallimard, 1996, p. 33.
Madonna mia
Une fillette, un lis, inapte à la douleur du monde,
Cheveux bruns et soyeux tressés autour de ses oreilles,
Aux yeux charmeurs voilés de larmes folles,
Telle une eau d'un bleu pur dans un brouillard de pluie,
Et des joues pâles ignorantes des baisers,
Lèvres rouges qui ont toujours craint l'amour,
Gorge aussi blanche que gorge de colombe,
Sur le marbre de laquelle s'inscrit une veine de pourpre.
Pourtant, bien que mes lèvres ne cessent de te louer,
Je n'ose même pas embrasser ton pied,
Tant je suis assombri par les ailes de la peur,
Tel Dante, se tenant auprès de Béatrice,
Sous le poitrail en feu du Lion, lorsqu'il vit
La septième splendeur et l'escalier d'or (1).
Oscar Wilde, Poèmes, traduction Bernard Delvaille, dans op. cité., p. 13.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : oscar wilde, l'artiste, madonna mia, poèmes en prose | Facebook |
16/12/2011
Jacques Réda, La Liberté des rues
Retour de Gif
(À Pierre Bergounioux)
Pendant un bon moment, j'acquiers la certitude d'avoir été délégué ce soir sur cette route, en poussière de diamant, et qu'une vague de feu qui ne brûle pas submerge dans les virages : c'est le feu de la source même dont il a gardé la fraîcheur. Alors les bois d'alentour brusquement s'assombrissent, pressés le long des talus comme de grands animaux curieux. J'entends leur souffle, à travers le déplacement d'air, chaque fois que j'en dépasse un plus proche. C'est en même temps farouche et fraternel. Je devrais donc m'arrêter tous les trente mètres pour répondre à cette affection. Mais pourquoi négliger les autres ? Or il y en a vraiment beaucoup, et qui dégringolent et qui grimpent à droite vers la rivière au nom (1) de restaurant de servante de faubourg, à gauche vers l'immensité de savane rose où luit l'étang de Saclay. Trois ou quatre fois quand même je fais halte, et flatte un de ces troncs rugueux ou moussus. La roue dont ils sont les rayons se suspend alors comme les miennes dans le déferlement de la chute d'or. Elle se remet à tourner dès que j'avance, prouvant que j'appartiens en quelque manière au moyeu. Tel est mon rôle, aussi modeste que celui de la rivière, dans l'accomplissement de ce moment qui ne durera pas, qui n'est ni du présent puisque je passe, ni du passé parce que je le vis — et que si bonne soit-elle un jour j'en aurai perdu la mémoire. Je ne suis là que pour recueillir, et ensuite disparaître au profit de cette lumière qui, elle, fait que rien ne peut cesser de ce qu'elle touche un seul instant.
Jacques Réda, La Liberté des rues, Gallimard, 1997, p. 43-44.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Réda Jacques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques réda, la liberté des rues, gif, pierre bergounious | Facebook |
15/12/2011
Roland Dubillard, Je dirai que je suis tombé
Roland Dubillard, 1923-13/12/2011
Je connais vos reproches
Oh ! bien sûr, je n'aurais pas dû.
Si j'avais pu prévoir une chose, comme vous dites, si prévisible !
Mais j'en avais tellement envie !...
C'est comme s'il avait fallu
que je me prive de mes bras !
Ceux qui disent que je n'aurais pas dû
ont oublié bien des choses
dont ils feraient mieux de se souvenir.
C'est facile, quand il n'est plus temps !
C'est facile, quand c'est arrivé !
Comme c'est facile et comme c'est cruel.
Car c'est moi qui reste là,
et qui regrette.
Je regrette, car maintenant
il y aurait...
Mais qui peut dire ce qu'il y aurait ?
Ils le disent pourtant, sans savoir.
On croit qu'une chose va continuer,
et quand la chose s'arrête,
on croit qu'elle aurait duré si longtemps !
Mais puisque c'est fait, puisque c'est arrivé,
On ne va pas rester là, tout autour, à ne rien faire !
J'y reviendrai tout seul trop souvent, malgré moi,
puisqu'il paraît que c'est moi...
Ou alors, si vous croyez qu'il faut que je paye,
— mais je ne sais pas avec quoi.
Roland Dubillard, Je dirai que je suis tombé, Gallimard, 1966, p. 96-97.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roland dubillard, je dirai que je suis tombé, les reproches | Facebook |
14/12/2011
Bashô, Jours d'hiver, traduction de René Sieffert
Une ombre noire
dans le petit matin blême
attise la flamme
Rossignol réveille-toi
la chandelle est allumée
Lune de trois jours
dans le ciel noir du levant
la voix de la cloche
Au jour de la lune pleine
que pareil soit mon destin
Auprès du foyer sans feu
on croit voir le disparu
On pleure les fleurs
qui du cerisier ne sont
que la moisissure
Soleil d'un matin d'hiver
tout n'est que mélancolie
Par ce temps d'automne
en voyage on versifie
sans cérémonie
Bashô, Jours d'hiver, présenté et traduit du japonais
par René Sieffert, Presses orientalistes de France, 1987, p. 17, 31, 45, 47, 51, 53, 61, 63.
Quelques éléments bibliographiques sur le haïku traduit en français
BASHÔ Matsuo, Cent cinq haïkaï, trad. du japonais par Kumiko Muraoka et Fouad El-Etr, Paris, La Délirante, 1979.
BASHÔ Matsuao, Cent onze haïkus : Bashô, traduit du japonais par Joan Titus-Carmel, Lagrasse, Verdier, 1998.
BASHÔ Matsuo, Jours de printemps : haïku, trad. du japonais par Alain Kerven, Paris, Arfuyen, 1988.
BASHÔ Matsuo, La Lumière des bambous : 60 haïkaï de Bashô et de son école, trad. et présentation par Alain Kerven, Romillé, Folle Avoine, 1988.
BASHÔ Matsuo, Le chemin étroit vers les contrées du nord, précédé de huit haïkus, trad. de Nicolas Bouvier, présentation d'Alexandre Chollier, Genève, Héros-Limite, 2006.
BASHÔ Matsuo, Le haïkaï selon Bashô : traité de poétique, propos recueillis par ses disciples, présentation et trad. par René Sieffert, Presses orientaliste de France, 1983.
BASHÔ Matsuo, Le Voyage d'hiver : Trente six haïkaï de Matsuo Bashô, trad. du japonais par Jacques Pezeu-Massabiau,
BASHÔ Matsuo, Bashô et son école, trad. du japonais par René Sieffert, Paris, Textuel, 1998.
BASHÔ Matsuo, Vingt haïku [Bashô, Buson, Issa], trad. du japonais par Philippe Denis, encres de Jacques Capdeville, Varces, La Petite fabrique, 2009.
Brefs du soleil levant : haïkai, choix et présentation de Jean Pietri, Annecy, Guile du poème, 1985.
Cueillette d'éclairs, suivi de Notes dans la paume, choix de haïkus, trad. et mise en vers de Roland Halbert, calligraphies de Hosoda Kiyonobu, Paris, éd. Le Veilleur, 2001.
BUSON Yosa, Haïku, trad. du japonais par Nobuko Imamura et Alain Gouvret, Arfuyen, 1983.
BUSON Yosa, Haïku, choisis, présentés et trad. du japonais par Joan Titus-Carmel, Paris, éd. de La Différence, 1990.
BUSON Yosa, 66 Haïku, choisis, présentés et trad. du japonais par Joan Titus-Carmel, Lagrasse, éd. Verdier, 2004.
BUSON Yosa, Travers la mémoire, florilège de haïku, poèmes trad. et adaptés du japonais par Akié Boulard, gravures d'Oscar Lloveras, Paris, éd. Arichi, 2004.
Fourmis sans ombre : le livre du haïku, anthologie-promenade par Maurice Coyaud, Paris, Phébus, 2001.
Du rouge aux lèvres, haïjins japonaises, trad. du japonais et présenté par Dominique Chipot et Makoto Kemmoku, éd. bilingue, Paris, Le Seuil, 2010.
Haïku, avant-propos et texte français de Roger Munier, préface de Yves Bonnefoy, Paris, Fayard, 1990.
Haïku, présentés et transcrits par Philippe Jaccottet, dessins d'Anne-Marie Jaccottet, Montpellier, Fata Morgana, 1996.
Haïku pour les amants, réunis par Manu Bazzano, adapté de l'anglais par Bernard Dubant, Paris, éd. Véga, 2003.
Haïku : poésies anciennes et modernes, une anthologie compilée par Jackie Hardy, adaptation de l'anglais par Bernard Dubant, Paris, éd. Véga, 2003.
Haïku : anthologie du poème court japoais, présentation, choix, traduction de Corinne Atlan et Zéno Bianu, Paris, Poésie / Gallimard, 2002.
Haïku du XXe siècle : le poème court japonais d'aujourd'hui, présentation, choix, traduction de Corinne Atlan et Zéno Bianu, Paris, Poésie / Gallimard, 2007.
Haïku : poésie du zen, textes choisis et présentés par Manuela Dunn Mascetti, péf. de T.H. Barrett, trad. de l'anglais par Zéno Bianu, Paris, P. Picquier,
Haïkus érotiques : extraits de "La fleur du bout" et du "Tonneau de saule" : des moines, des dames du palais, de la vie conjugale, des domestiques, des veuves, des courtisanes ; trad. et présenrtés par Jean Cholley, Paris, P. Picquier, 1996.
Haïkus des saisons, sous la dir. de Armelle Caron et Bruno Bonhoure, Drancy, Destination 2055, 2006.
ISSA Kobayashi, Haïku, trad. du japonais par Joan Titus-Carmel, Lagrasse, Verdier, 1994.
ISSA Kobayashi, Pas simple en ce monde d'être né humain, trad. du japonais par Danièle Faugeras et Pascale Janot, Ramonville-Saint-Agne, éd. Érès, 2008,
ISSA Kobayashi, Sous le ciel de Shinano : haïku, texte choisis et trad. par Alain Gouvret et Nobuko Imamura, Arfuyen, 1984.
L'année des douze singes, calligraphies de Sotaro Takanami, trad. du japonais par Valérie Terranova, Versailles, Artlys, 2004.
Le Livre d'or du haïkaï, réuni et présenté par Pierre Seghers, avec la collaboration de Claude Gertier, Paris, Robert Laffont, 1984.
L'hôte, l'invité et le chrysanthème blanc : haïkus d'automne, trad. du japonais par Cheng Wing fun et Hervé Collet, Millemont, Moundarren, 1990.
Les grands maîtres du haïku (Bashô, Issa, Taïgi, Shiki), présenté par Érik Sablé,
Les plus beaux haïkus, illust. de Ichiro Sato Tessen, Masayuki Kaï, Setsuko Ikai, traduits par Akié Boulard,Paris, Arichi, 2006.
MERCIER Catherine Jeanne, Haïkus, mis en images par C.J. Mercier, Paris, Le Seuil, 2003.
OKUYAMA Kimihito, Flânerie, trad. du japonais par Camille Déhauprés, gravures de Catherine Prats, Paris, Dervy, 2003.
On se les gèle, haïkus d'hiver, poèmes trad. du japonais par Cheng Wing fun et Hervé Collet, calligraphie de Cheng Wing fun, Millemont, Moundarren, 1990.
Paroles du Japon : haïkus, choisis et présentés par Jean-Hugues Malineau, Paris, Albin Michel, 1997.
Perles choisies du Japon : 150 poèmes classiques : haïkaï, trad. par Édouard Desmons, illustrations de Marguerite Capon, Denain, É. Desmons, 1989.
RYOKAN, Les 99 haïkus de Ryôkan, trad. du japonais par Joan Titus-Carmel, Lagrasse, Verdier, 1992.
Quelle chaleur ! , haïkus d'été, poèmes trad. du japonais par Cheng Wing fun et Hervé Collet, calligraphie de Cheng Wing fun, Millemont, Moundarren, 1990.
Regarder le temps : choix de haïkus illustrés, conception et illustrations d'Isabelle Bourbonnaud, Paris, Les Xénographes, vers 2005.
Sagesse du zen, texte choisis et présentés par Manuela Dunn Mascetti, introd. de T. H. Barrett, trad. de l'anglais de Zéno Bianu, Paris, P. Picquier, 1997.
SHIKI Masaoka, Cent sept haïku, trad. du japonais par Joan Titus-Carmel, Lagrasse, Verdier, 2002.
TANEDA Santôka, Zen à pas comptés : haïku, dessins de Masayuki Kaï, trad. du japonais par Akié Boulard, éd. Arichi,
Tanka, haïku, renga, le triangle magique, textes présentés et trad. par Maurice Coyaud, Paris, Les Belles Lettres, 1996.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bashô, jours d'hiver, rené sieffert, haïku, bibliographie | Facebook |
13/12/2011
Antoine Emaz, Peau
Vert, I (31.09.05)
on marche dans le jardin
il y a peu à dire
seulement voir la lumière
sur la haie de fusains
un reste de pluie brille
sur les feuilles de lierre
rien ne bouge
sauf le corps tout entier
une odeur d'eau
la terre acide
les feuilles les aiguilles de pin
silence
sauf les oiseaux
marche lente
le corps se remplit du jardin
sans pensée ni mémoire
accord tacite
avec un bout de terre
rien de plus
ça ne dure pas
cette sorte de temps
on est rejoint
par l'emploi de l'heure
l'à faire
le corps se replie
simple support de tête
à nouveau les mots
l'utile
on rentre
on écrit
ce qui s'est passé
il ne s'est rien passé
Antoine Emaz, Peau, encres de Djamel Meskache,
éditions Tarabuste, 2008, p. 25-28.
© Photo Tristan Hordé
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Emaz Antoine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : antoine emaz, peau, le jardin | Facebook |
12/12/2011
Valérie Rouzeau, Va où
Me règle un peu mes comptes ici sur le papier couche ma vie séparée ma vie mirabelle et ma joie capitale allonge enfin mon tout
Que me coule douce la Seine j'y ai laissé ma main je n'en ai plus besoin c'était un coquillage
C'était toute pour des prunes
La main qui fait rougir fallait que l'écrevisse
J'ai noyé le chagrin et la gaieté me dure j'ai craché les noyaux
Ça ne me valait rien cette eau grise qui déchante je lui ai fait un lit
Et maintenant je ris ici au bord je sèche
Des pages pour ne pas vivre idiote pour m'entraîner au testament et en même temps purger ma peine
Pour aimer frères et sœurs humains réparer toute ma méchanceté
Trouver si le silence est d'or avant qu'il devienne de la boue
La mort ne fait pas mal qu'à l'âme si vous restez assis longtemps sur le marbre d'un disparu cher
Autant de pensées de jetées dans le vague d'un rêve éveillé
Un songe à répéter encore ni folle ni sage et ni françoise
Voilà pour m'apprendre à la fin pour m'exercer au jour le jour au soleil et au jour sans jour
Valérie Rouzeau, Va où, Le temps qu'il fait, 2002, p. 48 et 73.
© Photo Chantal Tanet
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : valérie rouzeau, va où, la mort | Facebook |
11/12/2011
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis
xxii
Monde clair
monde clair, lumières terreuses, pentes
le soleil tourne dans les eaux
j'ouvre les yeux, je constate le poids
de la chaleur sur mes yeux, mes mains,
l'air est brillant, sans durée.
monde arrêté dans la transparence
présent, tournant sur soi
hier obscur, épais, opaque
demain opaque, épais, obscur
monde clair, halte
séjour
sans dimensions, que ton image traverse.
xxviii
Que le monde était là
M'endormant je croyais que le monde était là,
le monde et tout ce qui s'ensuit ;
'maintenant' plus petit qu'un point
derrière les couleurs immenses et sérieuses.
bourdonnantes années revenues de loin,
angle de la rue avec la rue,
effacées traces sous de la pluie,
jaune matériel rassemblé dans la main.
En m'endormant je voyais tout cela :
la chaleur et l'ellipse du puits,
la terre, où les feuilles n'ont plus de poids,
l'eau juste et médiane, qui balance.
Je voyais, m'endormant, je voyais cela
que j'avais accueilli en des années
que je ne savais pas dans mon souvenir :
années entières, avec vérité,
c'est-à-dire, si on veut, avec mort.
Je voulais, et je ne voulais pas, en m'endormant,
voir ce que trop de fois j'avais vu.
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard,
1991, p. 30 et 37.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Roubaud Jacques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques roubaud, la pluralité des mondes de lewis | Facebook |
10/12/2011
Les montagnes, les rizières et la mer, 64 dodoïtsu
Que les grenouilles
Coassent dans l'eau
Et se lèvent dans ma mémoire
Les jours anciens
*
Libérant leurs gosiers
D'un mutuel assaut
Des oiseaux par milliers
Sur la route des îles
*
Le long des berges
Par temps de pluie
Des grenouilles se tiennent
Vigiles de l'autre monde
*
De la montagne d'en face
Le piaillement des oiseaux
Pour la coupe des foins
Me réveille à l'aube
*
La lune luisante
La nuit si profonde
M'étreignent le cœur
Soudain le timbre d'une cloche
*
Cœur de femmes
Corps de lucioles
Sans un mot
Se consument
Les montagne, les rizières et la mer, 64 dodoïtsu, préface, traduction [du japonais] et dessins de Alain Kervern, Calligrammes, 1984, non paginé.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Claudel Paul | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : les montagnes, les rizières et la mer dodoïtsu, alain kervern | Facebook |
09/12/2011
Cesare Pavese, Travailler fatigue / Lavorare stanca
Travailler fatigue
Traverser une rue pour s'enfuir de chez soi
seul un enfant le fait, mais cet homme qui erre,
tout le jour, par les rues, ce n'est plus un enfant
et il ne s'enfuit pas de chez lui.
En été, il y a certains après-midi
où les places elles-mêmes sont vides, offertes
au soleil qui est près du déclin, et cet homme qui vient
le long d'une avenue aux arbres inutiles, s'arrêt.
Est-ce la peine d'être seul pour être toujours plus seul ?
On a beau y errer, les places et les rues
sont désertes. Il faudrait arrêter une femme,
lui parler, la convaincre de vivre tous les deux.
Autrement, on se parle tout seul. C'est pour ça que parfois
Il y a des ivrognes nocturnes qui viennent vous aborder
et vous racontent les projets de toute une existence.
Ce n'est sans doute pas en attendant sur la place déserte
qu'on rencontre quelqu'un, mais si on erre dans les rues,
on s'arrête parfois. S'ils étaient deux,
et même pour marcher dans les rues, le foyer serait là
où serait cette femme et ça vaudrait la peine.
La place dans la nuit redevient déserte
et cet homme qui passe ne voit pas les maisons
entre les lumières inutiles, il ne lève pas les yeux :
il sent seulement le pavé qu'ont posé d'autres hommes
aux mains dures et calleuses comme les siennes.
Ce n'est pas juste de rester sur la place déserte.
Il y a certainement dans la rue une femme
Qui, si on l'en priait, donnerait volontiers un foyer.
Lavorare stanca
Traversare una strada per scappare di casa
Io fa solo un ragazzo, ma quest'uomo che gira
tutto il giorno le strade, non è piú ragazzo
e non scappa di casa.
Ci sono d'estate
pomeriggi che fino le piazze son vuote, distese
sotto il sole che sta per calare, e quest'uomo, che giunge
per un viale d'inutili piante, si ferma.
Val la pena esser solo, per essere sempre piú solo ?
Solamente girarle, le piazze e le strade
sono vuote. Bisogna fermare une donna
e parlarle e deciderla a vivere insieme.
Altrimenti, uno parla da solo. È per questo che a volte
c'è lo sbronzo notturno che attacca discorsi
e racconta i progetti di tutta la vita.
Non è certo attendendo nella piazza deserta
che s'incontra qualcuno, ma chi gira le strade
si sofferma ogni tanto. Se fossero in due,
anche andando per strada, la casa sarebbe
dove c'è quella donna e varrebbe la pena.
Nella notte la piazza ritorna deserta
e quest'uomo, che passa, non vede le case
tra le inutili luci, non leva piú gli occhi :
sente solo il selciato, che han fatto altri uomini
dalle mani indurite, come sono le sue.
Non è giusto restare sulla piazza deserta,
Ci sarà certamente quella donna per strada
che, pregata, vorrebbe dar mano alla casa.
Cesare Pavese, Poésies I, Lavorare stanca / Travailler fatigue, traduit de l'italien et préfacé par Gilles de Van, "Poésie du monde entier", Gallimard, 1969, p. 193 et 195, 192 et 194.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Pavese Cesare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cesare pavese, travailler fatigue, lavorare stanca, solitude | Facebook |
08/12/2011
Tristan Tzara, Phases
Phases (4)
la nuit gratte à la porte
ronge l'impossible songe
et l'éclat de l'oranger
sous la lampe tu déchiffres
les déchirements anciens
les blessures parallèles
tu échappes à la mémoire
des bras souples de marée
à l'orée de la peur bleue
les sentiers mouvants des fleuves
or la nuit amie fidèle
dans le même sac pour rire
plie les choses et le temps
toute la terre
à ton sein
(5)
ni les yeux ne savent que dire
ni les pas mener à bien
l'aventure de poussière
le soleil fou dans les vignes
si de toutes les démarches
tu choisis la plus fragile
dégrafée au col neigeux
l'aube noire aux chevilles
c'est sous d'anciennes herbes
que par des chemins de chèvre
perce une voie imaginaire
où la mer au feu se mêle
Tristan Tzara, Phases, "Poésie 49", Pierre Seghers
éditeur, 1949, p. 12-13.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tristan tzara phases | Facebook |