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08/03/2022

Jacques Prévert, Choses et autres

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                              Homélie-mélo

 

Péremptoire, dans sa chaire, un vertical parle à des assis sur leurs chaises.

Et c’est toujours le même crime passionnel, le même haut-fait divers avec les clous, la croix, les épines, l’éponge, le vinaigre, les saintes femmes, le bon et le mauvais gangster, le traître, le tonnerre et les éclairs...

Les assis l’écoutent avec une patience d’ange mais, sur les dalles, des grincements de pieds de chaises témoignent qu’ils font preuve en même temps d’une impatience du diable.

Le suspense du récit du supplice leur semble plus long que le supplice lui-même.

Ils connaissent l’histoire et savent que « ça finit bien puisque le héros ressuscite à la fin. »

 

Jacques Prévert, Choses et autres, Gallimard, 1972, p. 142.

07/03/2022

Jacques Prévert, Histoires

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                   À la belle étoile

 

Boulevard de la Chapelle où passe le métro aérien

Il y a des filles très belles et beaucoup de vauriens

Les clochards affamés s’endorment sur les bancs

De vieilles poupées font encire le tapin à soixante-cinq ans

 

Boulevard Richard-Lenoir j’ai rencontré Richard Leblanc

Il était pâle comme l’ivoire et perdait tout son sang

Tire-toi d’ici tire-toi d’ici voilà ce qu’il m’a dit

Les flics viennent de passer

Histoire de s’réchauffer ils m’ont assaisonné

 

Boulevard des Italiens j’ai rencontré un Espagnol

Devant chez Dupont tout est bon après la fermeture

Il fouillait les ordures pour trouver un croûton

Encore un sale youpin qui vient manger notre pain

Dit un monsieur très bien

 

Boulevard de Vaugirard j’ai aperçu un nouveau-né

Au pied d’un réverbère dans une boîte à chaussures

Le nouveau-né dormait dormait ah ! quelle merveille

De son dernier sommeil

Un vrai petit veinard Boulevard de Vaugirard

 

Au jour le jour à la nuit la nuit

À la belle étoile

C’est comme ça que je vis

Où est-elle l’étoile

Moi je n’l’ai jamais vue

Elle doit être trop belle pour le premier venu

Au jour le jour à la nuit la nuit

À la belle étoile

C’est comme ça que je vis

C’est une drôle d’étoile c’est une triste vie

Une triste vie.

 

Jacques Prévert, Histoires, Gallimard, 1963, p. 134.

06/03/2022

Jacques Prévert, Grand bal du printempos

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Au jardin des misères

sur le sable pourri

d’un square pourrissant

la pelle d’un enfant

trace en signe d’espoir

un petit météore

 

Non loin du square

à la Fontaine des Innocents

leur sang coule encore

 

Et puis revient la nuit

des femmes allument la lampe

dess chiens remuent la queue

de façon différente.

 

Jacques Prévert, Grand bal du printemps,

Gallimard, 1976, p. 30.

05/03/2022

Jacques Prévert, Paroles

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           Le discours sur la paix

 

Vers la fin d’un discours extrêmement important

le grand homme d’état trébuchant

sur une belle phrase creuse

tombe dedans

et désemparé la bouche grande ouverte

haletant

montre les dents

et la carie dentaire de ses pacifiques raisonnements

met à vif le nerf de la guerre

la délicate question d’argent.

 

Jacques Prévert, Paroles, Gallimard, 1949, p. 259.

01/05/2020

Jacques Prévert, Le monde libre

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Le monde libre

 

Grenades à billes

bombes à ailettes

funèbres gadgets

Cramponnés à leur manche à balai

les stupides sorciers du progrès

battent leurs derniers records meurtriers

Les forteresses volantes

ne sont pas châteaux en Espagne

Sordide

humaine réalité

les enfants du Viet-nam

jetés comme cartes à jouer

sur l’herbe rouge de la douleur

meurent

perforés

par les ordinateurs de l’horreur

 

Jacques Prévert, Textes divers 1929-1977,

Œuvres complètes, II, Pléiade/Gallimard,

1996, p. 823.

25/12/2018

Jacques Prévert, Aphorismes, épigrammes et graffiti

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L’opinion publique

 

« Je suis heureux ! 

— De quel droit ? »

Et on le fusille du regard

en attendant mieux.

 

Et la Vierge Marie vendit Joseph à madame « Putiphar » pour un plat de lentilles.

Il fallait bien nourrir le Petit.

 

Jésus-Christ était

   cruciverbiste.

 

Si on avait compté les siècles après Eros ou Vénus au lieu d’après Jésus-Christ, on n’en serait pas là.

 

 Jacques Prévert, Textes divers, dans Œuvres complètes, II,

Pléiade / Gallimard, 1996, p. 931, 936, 936, 936.

22/07/2018

Jacques Prévert, La pluie et le beau temps

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            Étranges étrangers

 

Étranges étrangers

 

Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel

hommes des pays loin

cobayes des colonies

doux petits musiciens

soleils adolescents de la porte d'Italie

Boumians de la porte Saint-Ouen

Apatrides d'Aubervilliers

brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris

ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied

au beau milieu des rues

embauchés débauchés

manœuvres désœuvrés

Polacks du Marais, du Temple des Rosiers

Cordonniers de Cordoue, soutiers de Barcelone

pêcheurs des Baléares ou du cap Finisterre

rescapés de Franco

et déportés de France et de Navarre

pour avoir défendu en souvenir d ela vôtre

la liberté des autres

 

Esclaves noirs de Fréjus

tiraillés et parqués

au bord d'une petite mer

où peu vous vous baignez

Esclaves noirs de Fréjus

qui évoquez chaque soir

dans les locaux disciplinaires

avec une vieille boîte à cigares

et quelques bouts de fil de fer

tous les échos de vos villages

tous les oiseaux de vos forêts

et ne venez dans la capitale

que pour fêter au pas cadencé

la prise de la Bastille le quatorze juillet

 

Enfants du Sénégal

dépatriés expatriés et naturalisés

 

Enfants indochinois

jongleurs aux innocents couteaux

qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés

de jolis dragons d'or faits de papier plié

Enfants trop tôt grandis et si vite en allés

qui dormez aujourd'hui de retour au pays

le visage dans la terre

et des bombes incendiaires labourant vos rizières

On vous a renvoyé

la monnaie de vos papiers dorés

on vous a retourné

vos petits couteaux dans le dos

 

Étranges étrangers

 

Vous êtes de la ville

vous êtes de sa vie

même si mal en vivez

même si vous en mourez

 

Jacques Prévert, La pluie et le beau temps, Gallimard,

1955, p. 29-31.

07/05/2017

Jacques Prévert, La pluie et le beau temps

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             Étranges étrangers

 

Étranges étrangers

 

Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel

hommes des pays loin

cobayes des colonies

deux petits musiciens

soleils adolescents de la porte d’Italie

Boumians de la porte de Saint-Ouen

Apatrides d’Aubervilliers

brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris

ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied

au beau ilieu des rues

Tunisiens de Grenelle

embauchés débauchés

manœuvres désœuvrés

Polacks du Marais du Temple des Rosiers

Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone

pêcheurs des Baléares ou du cap Finisterre

rescapés de Franco et déportés de France et de Navarre

pour avoir défendu en souvenir de la vôtre

la liberté des autres

 

Esclaves noirs de Fréjus

tiraillés et parqués

au bord d’une petite mer

où peu vous vous baignez

Esclaves noirs de Fréjus

qui évoquez chaque soir

dans les locaux disciplinaires

avec une vieille boîte à cigares

et quelques bouts de fil de fer

tous les échos de vos villages t

ous les oiseaux de vos forêts

et ne venez dans la capitale

que pour fêter au pas cadencé

la prise de la Bastille le quatorze juillet

 

Enfants du Sénégal

dépatriés expatriés et naturalisés

 

Enfants indochinois jongleurs aux innocents couteaux

qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés

de jolis dragons d’or faits de papier plié

Enfants trop tôt grandis et si vite en allés

qui dormez aujourd’hui de retour au pays

le visage dans la terre

et des bombes incendiaires labourant vos rizières

On vous a renvoyé

la monnaie de vos papiers dorés

on vous a retourné

vos petits couteaux dans le dos

 

Étranges étrangers

 

Vous êtes de la ville

vous êtes de sa vie

même si mal en vivez

même si vous en mourez

 

Jacques Prévert La pluie et le beau temps,

Gallimard, 1955, p. 29-31.

30/04/2017

Jacques Prévert, Paroles

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       Le droit chemin

 

À chaque kilomètre

chaque année

des vieillards au front borné

indiquent aux enfants la route

d’un geste de ciment armé.

 

     Le grand homme

 

Chez un tailleur de pierre

où je l’ai rencontré

il faisait prendre ses mesures

pour la postérité.

 

La bouette ou les grandes inventions

 

Le paon fait la roue

le hasard fait le reste

Dieu s’assoit dedans

et l’homme la pousse.

 

           La cène

 

         Ils sont à table

       Ils ne mangent pas

Ils ne sont pas dans leur assiette

Et leur assiette se tient toute droite

Verticalement derrière leur tête

 

Jacques Prévert, Paroles, Gallimard,

1949, p. 189-192.

04/09/2016

Jacques prévert, Choses et autres

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Les prisons trouvent toujours des gardiens.

 

                                         *

 

La révolution est quelquefois un rêve, la religion, toujours un cauchemar.`

 

 

Jacques Prévert, Choses et autres, Gallimard, 1972, p. 110.

27/12/2015

Jacques Prévert, La pluie et le beau temps

 

jacques prévert,la pluie et le beau temps,étranges étrangers

   Étranges étrangers

 

 

Étranges étrangers

 

Kabyles de la Chapelle et du quai de Javel

hommes des pays loin

cobayes des colonies

deux petits musiciens

soleils adolescents de la porte d'Italie

Boumians de la porte de Saint-Ouen

apatrides d'Aubervilliers

brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris

ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied

au beau milieu des rues

Tunisiens de Grenelle

embauchés débauchés

manœuvres désœuvrés

Polacks du Marais du Temple des Rosiers

cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone

pêcheurs des Baléares ou du cap Finisterre

rescapés de Franco

et déportés de France et de Navarre

pour avoir défendu en souvenir de la vôtre

la liberté des autres

 

Esclaves noirs de Fréjus

tiraillés et parqués

au bord d'une petite mer

où peu vous vous baignez

Esclaves noirs de Fréjus

qui évoquez chaque soir

dans les locaux disciplinaires

avec une vieille boîte à cigares

et quelques bouts de fil de fer

tous les échos de vos villages

tous les oiseaux de vos forêts

et ne venez dans la capitale

que pour fêter au pas cadencé

la prise de la Bastille le quatorze juillet

 

Enfants du Sénégal

dépatriés expatriés et naturalisés

 

Enfants indochinois

jongleurs aux innocents couteaux

qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés

de jolis dragons faits de papier plié

Enfants trop tôt grandis et si vite en allés

qui dormez aujourd'hui de retour au pays

le visage dans la terre

et des bombes incendiaires labourant vos rizières

On vous a renvoyé

la monnaie de vos papiers dorés

on vous a retourné

vos petits couteaux dans le dos

 

Étranges étrangers

 

Vous êtes de la ville

vous êtes de sa vie

même si mal en vivez

même si vous en mourez

 

Jacques Prévert, La pluie et le beau temps, Gallimard,

"Le point du jour", 1955, p. 29-31.

 

 

23/12/2015

Jacques Prévert, Histoires

 

                   Et Dieu chassa Adam

 

Et Dieu chassa Adam à coups de canne à sucre

Et ce fut le premier rhum sur la terre

 

Et Adam et Ève trébuchèrent

dans les vignes du Seigneur

la sainte Trinité les traquait

mais ils s’obstinaient à chanter

d’une enfantine voix d’alphabet

Dieu et Dieu quatre

Dieu et Dieu quatre

Et la sainte Trinité pleurait

Sur le triangle isocèle et sacré

un biangle isopoivre brillait

et l’éclipsait.

 

Jacques Prévert, Histoires, Gallimard, 1963, p. 218

 

25/12/2014

Jacques Prévert, Fatras

 

                    jacques prévert,fatras,je vous salis ma rue

     Je vous salis, ma rue

 

Je vous salis ma rue

et je m'en excuse

un homme-sandwich m'a donné un prospectus

de l4armée du Salut

je l'ai jeté

et il est là tout froissé

dans votre ruisseau

et l'eau tarde à couler

Pardonnez-moi cette offense

les éboueurs vont passer

avec leur valet mécanique

et tout sera effacé

Alors je dirai

je vous salue ma rue pleine d'ogresses

charmantes comme dans les contes chinois

et qui vous plantent au cœur

l'épée de cristal du plaisir

dans la plaie heureuse du désir

 

Je vous salue ma rue pleine de grâce

l'éboueur est avec nous.

                        *

Mélodie démolie

 

Au petit mystère

chantait Miss Terre

Optimiste air

chantait fille Mer

Ogre en mystère

Pessimiste ère

chantait super-fils-ciel

 

Il faut bien que genèse se passe

chantait le Père

 

Jacques Prévert, Fatras, Gallimard, "Le Point du jour", 1966, p. 79, 231.

01/05/2014

Jacques Prévert, Choses et autres

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                          Mai 68

 

On ferme !

Cri du cœur des gardiens du musée homme usé

Cri du cœur à greffer

à rafistoler

Cri du cœur exténué

On ferme !

On ferme la Cinémathèque et la Sorbonne avec

On ferme !

On verrouille l'espoir

On cloître les idées

On ferme !

O. R. T. F. bouclée !

Vérités séquestrées

Jeunesse bâillonnée

On ferme !

Et si la jeunesse ouvre la bouche

par la force des choses

par les forces de l'ordre

on la lui fait fermer

On ferme !

Mais la jeunesse à terre

matraquée piétinée

gazée et aveuglée

se relève pour forcer les grandes portes ouvertes

les portes d'un passé mensonger

périmé

On ouvre !

On ouvre sur la vie

la solidarité

et sur la liberté de la lucidité.

 

Jacques Prévert, Choses et autres, in Œuvres complètes, II,

édition établie et annotée par Danièle Gasiglia-Laster et

Arnaud Laster, Pléiade / Gallimard, 1996, p. 346.

01/01/2014

Jacques Prévert, La pluie et le beau temps

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             Étranges étrangers

 

Étranges étrangers

 

Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel

hommes des pays loin

cobayes des colonies

doux petits musiciens

soleils adolescents de la porte d'Italie

Boumians de la porte Saint-Ouen

Apatrides d'Aubervilliers

brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris

ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied

au beau milieu des rues

embauchés débauchés

manœuvres désœuvrés

Polacks du Marais, du Temple des Rosiers

Cordonniers de Cordoue, soutiers de Barcelone

pêcheurs des Baléares ou du cap Finisterre

rescapés de Franco

et déportés de France et de Navarre

pour avoir défendu en souvenir d ela vôtre

la liberté des autres

 

Esclaves noirs de Fréjus

tiraillés et parqués

au bord d'une petite mer

où peu vous vous baignez

Esclaves noirs de Fréjus

qui évoquez chaque soir

dans les locaux disciplinaires

avec une vieille boîte à cigares

et quelques bouts de fil de fer

tous les échos de vos villages

tous les oiseaux de vos forêts

et ne venez dans la capitale

que pour fêter au pas cadencé

la prise de la Bastille le quatorze juillet

 

Enfants du Sénégal

dépatriés expatriés et naturalisés

 

Enfants indochinois

jongleurs aux innocents couteaux

qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés

de jolis dragons d'or faits de papier plié

Enfants trop tôt grandis et si vite en allés

qui dormez aujourd'hui de retour au pays

le visage dans la terre

et des bombes incendiaires labourant vos rizières

On vous a renvoyé

la monnaie de vos papiers dorés

on vous a retourné

vos petits couteaux dans le dos

 

Étranges étrangers

 

Vous êtes de la ville

vous êtes de sa vie

même si mal en vivez

même si vous en mourez

 

Jacques Prévert, La pluie et le beau temps, Gallimard,

 

1955, p. 29-31.