15/06/2012
Jean-Philippe Salabreuil, L'inespéré
Au corps perdu de la beauté
Ô dans l'obscur délice de l'issue
Vers toi qu'est-ce qui soudain m'illuminait
D'une brûlure graciée lorsque je sus
Qu'il est au-delà du suffocant ressaut de neige
Dans l'être le feu d'un monde qui se leva ?
Mais regarde une fois encore (et tu vas
Te fermer bientôt sur l'or de la vie
Comme l'œil noir de l'eau) mes yeux sont dans la mort !
Je te vois n'ai-je su te ravir à toi ravie
Déjà que tu étais d'une aile blanche au corps
Perdu de la beauté au creux de terre
Et ne t'aimerai-je plus jamais en ce monde clair ?
À moi fermée ! ne me regarde plus demeure
Une porte d'or close au fond des cieux meurs
Heureuse de m'aimer mourir de moi aimée
(Je te veille en ta nuit veille à mes jours mais
Ne te sois pas rouverte aux neiges de l'oubli
Quand je te rejoignais te rouvrir accomplie)
Et dans le blanc délire de l'essor
En moi de ces lys en démence vers elle
Était un ange d'or qui parmi le réel
Voluptueux et noir a brillé comme l'aurore
Éclairant de ses dons les panneaux condamnés !
J'allais dans les feux de la voûte où sont nés
Les nuages dorés du rêve (ils montent
Leurs yeux clos dans la gloire éternelle mais
Jamais s'éveilleront-ils ?) dans les anneaux du monstre
Où l'âme a reconnu la crypte du secret !
Qu'est-ce alors qu'il n'y eut plus que moi parmi
Les régions neigeuses de l'étoile ennemie ?
Alors à l'extrême le mur éternel blanc
Chanta comprenant une porte qui chante
Et s'ouvre dans le noir à l'état du soleil
(Une flamme s'élevait qui fut toi) merveille
Que ce feu dans le froid de la mort quand nous
Fûmes ce feu ô l'astre où les âmes renouent !
Jean-Philippe Salabreuil, L'inespéré, collection "Le Chemin",
Gallimard, 1969, p. 93-94.
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15/05/2012
Ahmad Châmlou et Forough Farrodkhzâd, Poésie d'Iran dans Europe, mai 2012
Ahmad Châmlou
Nocturne
Si la nuit est belle en vain
Pourquoi est-elle belle
Pour qui est-elle belle ?
La nuit
Et le flot glacé des étoiles
Les pleureuses aux longs cheveux
Avec le chant déchirant des grenouilles
Sur les deux rives
Lamentations de deuil
Ranimant le souvenir
Quand chaque aube est criblée
Par le chœur
De douze balles de fusil
Si la nuit est belle en vain
Pourquoi est-elle belle
Pour qui est-elle belle ?
Ahmad Châmlou (1925-2000), traduction
Farideh Rava et Alain Lance, dans Europe,
"Littérature d'Iran", n° 997, mai 2012, p. 261.
*
Forough Farrokhzâd
Il n'y a que la voix qui reste
Pourquoi m'arrêterai-je, pourquoi ?
Les oiseaux sont partis en quête d'un chemin bleu
L'horizon est vertical
L'horizon est vertical et le mouvement : jaillissant
et dans les tréfonds du regard
Les planètes lumineuses tournoient
La terre dans les hauteurs se répète
Et les puits emplis d'air
Se transforment en galeries de liaison
Et le jour est une étendue
Que ne saurait contenir le rêve étroit
Du vermisseau qui ronge le journal
Pourquoi m'arrêterai-je ?
Le chemin passe à travers les vaisseaux de la vie
L'atmosphère de la matrice lunaire
Tuera les humeurs
Et dans l'espace chimique après le lever du soleil
Il n'y aura que la voix
Infiltrée par les particules du temps
Pourquoi m'arrêterai-je ?
[...]
Forough Farrokhzâd (1933-1968), traduction Sara Saïdi Boroujeni, dans Europe, "Littérature d'Iran", n° 997, mai 2012, p. 286.
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