Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29/05/2015

Ariane Dreyfus, Nous nous attendons, Reconnaissance à Gérard Schlosser

 

aeiane dreyfus,nous nous attendons,reconnaissance à gérad schlosser

              « Encore une fois »

 

Derrière la porte il ne respire qu’à moitié

Si elle entre rien ne s’arrête

Ne s’oppose

 

À celle qui s’approche elle est vraie

 

Maintenant on peut s’ouvrir en deux

Les lèvres pas toutes seules

De toute sa figure il y va

Elle recule

 

Contre l’armoire l’attend, figée de désir

Pas froid chérie

Il faut poser sa robe

 

Ariane Dreyfus, Nous nous attendons (Reconnaissance

                           à Gérard Schlosser), Le CastorAstral, 2012, p. 98.

23/08/2014

Ariane Dreyfus, Nous nous attendons

          Ariane.jpg

         « Encore une fois »

 

Derrière la porte il ne respire qu'à moitié

Si elle entre rien ne s'arrête

Ne s'oppose

 

À celle qui s'approche elle est vraie

 

Maintenant on peut s'ouvrir en deux

Les lèvres pas toutes seules

De toute sa figure il y va

Elle recule

 

Contre l'armoire l'accent, figée de désir

Pas froid chérie

Il faut poser sa robe

 

        « Je vais au jardin »

 

Elle ouvre la main même s'il ne comprend pas

Être visible,

Est-ce se montrer ?

 

À un endroit, un cri de couleur

Le forsythia, se montre

 

Ariane Dreyfus, Nous nous attendons, Reconnaissance à Gérard Schlosser, Le Castor Astral, 2012, p.

10/05/2012

Ariane Dreyfus, Nous nous attendons (lecture)

Ariane Dreyfus, nous nous attendons, gérard schlosser

   Nous nous attendons ne réunit pas seulement des poèmes, s'y ajoutent deux essais sur la "fabrique" de deux poèmes (présents p. 64 et p. 65), qui permettent de comprendre le sous-titre. La relation à Gérard Schlosser et à ses tableaux figuratifs est introduite dans la page d'ouverture, "Ce qui est arrivé" ; pour Ariane Dreyfus, sa difficulté à regarder des tableaux vient de ce qu'elle se trouve devant eux, presque toujours, « privée du monde comme on se trouve privé d'air », et qu'alors « le sens de la vie est tout à fait perdu ». Le hasard lui a fait connaître les tableaux de Gérard Schlosser, ce qui a transformé sa relation à la peinture et a suscité l'écriture de Nous nous attendons.

   Il ne s'agissait de reproduire avec les mots des tableaux et les allusions à une toile précise sont rares ; on reconnaît en partie un motif du peintre dans le poème "Tu peux dormir si tu veux" et bien des vers peuvent sans difficulté évoquer tel détail d'une toile : il suffit pour s'en convaincre, en ayant le livre d'Ariane Dreyfus en tête, de feuilleter la monographie de Bernard Noël consacrée à Schlosser. L'essentiel n'est pas là, le propos était d'écrire « pour provoquer un effet approchant ». On sait que le peintre restitue sur ses toiles des éléments du quotidien dans leur banalité, le tissu non vu des jours, des corps aussi plus ou moins fragmentés — un sein, des genoux repliés, etc. —, et que le titre de chacune paraît être, souvent, une phrase à la signification transparente, propre à la conversation familière, comme "Tu as trouvé du muguet ?" (1971), "Tu le connais ?" (1974), "Il ne se plaignait jamais" (1976) et, récemment, "À peu près" (2009), "On aurait pu" (2011). Ariane Dreyfus conserve ce principe et introduit ainsi un décalage entre le titre choisi, toujours un lieu commun, et le contenu du poème, pour créer un « effet de béance », alors que dans la tradition poétique le titre constitue plus ou moins un programme— tradition bien malmenée par ailleurs par bien des poètes, mais selon d'autres règles.

   Dans ses réflexions sur l'écriture, Ariane Dreyfus précise qu'elle a pris pour règle d'exclure le "je" et le "tu", présents dans les titres, dans le corps des poèmes où viennent seulement « des ils et des elles qui rest[ent] à la frontière entre présence et personnages ». Toute règle étant établie pour ne pas être toujours suivie, on relèvera qu'un titre, "Arrête, veux-tu" prend place dans un vers (p. 48) : « elle se mange un ongle » et « Il prend son poignet arrête veux-tu ». Si la relation entre le titre (par exemple "Tu aurais pu dire une chose pareille ?" ou "Moi aussi j'ai essayé") — et ce qui le suit est presque toujours absente, elle peut à l'inverse être exhibée ; au titre "Je joue" répond :

 

Elle levait l'escargot devant son visage

En l'air il était bien obligé

          De faire des boucles avec son muscle interrogatif

Les heures au fond du jardin

Je ne fais pas de mal je fais du silence

On ne serre pas une aussi légère coquille

     Dans ce poème, en même temps la règle d'exclusion du "je" n'est pas suivie.

 

      Ces délimitations faites, qu'en est-il des poèmes, partagés en six ensembles contenant chacun, mais à la suite d'un poème, une citation qui oriente, ou peut orienter, la lecture. La figure du peintre apparaît à plusieurs reprises, par exemple à l'issue de son activité : « Il pose son pinceau dans le pot de pinceaux ». Cependant la quasi totalité du livre est consacrée à "il" et "elle", presque toujours dans une relation amoureuse, relation qui déborde les autres "sujets" de poème ; ainsi, "Tout un après-midi" met en scène deux poireaux (poireaux présents chez Schlosser), mais s'achève par :

Tout penchés dans leur pot, des pinceaux

Se touchent-ils au fond de leur eau ?

 

   Ariane Dreyfus précise que "il" et "elle" « semblent revenir d'un poème à l'autre, sans pour autant rien affirmer de leur identité ». Ce retour aboutit à ce que les poèmes, toujours brefs, les plus longs ne dépassant pas une douzaine de vers, se lisent comme un récit de gestes amoureux intimes, simples, et le sentiment d'une continuité est renforcé par toute une série d'indices. Deux vers, page 29,

Elle a laissé le couteau et l'a posé

La moitié de la pomme aussi

semblent se poursuivre page 102 avec

La pomme coupée

Tombe en morceaux sur la table

Autres marques discrètes, la reprise à différents moments de "oui" ou, plus forte, celle d'un vers qui achève un ensemble (« Sur l'oreiller la joue fait commencer le visage ») et commence le suivant, ou le déplacement d'une serviette, ou d'une couverture sur le lit. Plus visible la quasi unité de lieu — la chambre, le lit — et de saison —le printemps, l'été, en accord avec les gestes amoureux — ; une mention, unique, de l'hiver (« La neige du dehors rafraîchit le carrelage ») est corrigée par la présence d'une jacinthe fleurie. Plus visible encore apparaît le retour de la chevelure de "elle", qui s'étend jusqu'aux poireaux vus « échevelés », et, d'un bout à l'autre du livre, de la nudité féminine, avec la récurrence de "nu", "nudité" (« Nue d'en bas », « Bras entièrement nus », « une cuisse très nue », «La nudité s'arrête à la taille », etc. ) et masculine (« Tout près de la serviette le sexe / reste humide avec ses plis et lourd » ).

 

   Ariane Dreyfus n'a pas abandonné le lyrisme, mais la succession de scènes minuscules avec pour personnages un "il" et un "elle" (pas toujours ensemble) suggère à mes yeux, par une mise à distance du "je + tu", de relire autrement les livres précédents. Certes, l'expérience, le vécu passent ici et ailleurs dans les poèmes, mais qu'Ariane Dreyfus, dans la réalité, adore les cerises (j'en témoigne...) ne signifie pas qu'elle écrit à propos de ces cerises ; elle note justement dans la première annexe, "Cerises interlocutrices", que tout cerisier lui évoque le « paradis entrevu » de l'enfance, mais tout autant important « celui dont parle Rousseau dans le livre IV des Confessions. », et elle ajoute « La cerise est pour moi un fruit essentiellement mental. » Ceci dit, le lecteur retrouvera la force des ellipses qu'affectionne Ariane Dreyfus, comme « Elle se lève avec l'envie d'être deux » qui se résout en « À deux, ils font un corps », la tranquille assurance que tout de l'étreinte peut être dit (« Quand la bouche se décolle du sexe qui a joui »), l'audace de la simplicité pour désigner le sexe féminin (« La moitié d'un losange / En dessous c'est un peu d'ombre c'est creux) ». Une nature aussi, dans laquelle se fondre, magiquement, puisque presque toujours elle ne se sépare pas de l'humain (« Le pommier lance son geste compliqué »), où les éléments se mêlent (« C'est la nature, le ciel touche directement l'herbe ») ; nature parfois inattendue : l'ellipse la rapproche d'un lieu carrollien : « L'herbe va si loin un animal bondirait dessus / Déjà évanoui ».

 

   La mise en place du jeu entre le lieu commun du titre et le "il + elle", présent et abstrait tout à la fois, la composition dont j'ai brièvement souligné la complexité, l'inventivité dans les images elliptiques font de Nous nous attendons autre que, par exemple, Iris, c'est votre bleu (2008). Il était juste d'y inclure les annexes sur la construction de deux poèmes, non pour montrer comment cela se fait : on ne voit rien, mais pour faire prendre conscience que ce n'est pas avec l'"inspiration" que l'on aboutit à une dizaine de vers qui semblent couler de source. Une réussite.

Un poème (p. 61) :

« Peut-être »

 

Sur l'oreiller la joue fait commencer le visage

 

Quelqu'un chauffe la terre de son corps

Son épaule fait glisser, obéissante,

La couverture au poids presque vivant

 

Aux courbes ses lignes, d'orange et de rouge continus

Se perdent, se rencontrent, touchent les losanges noirs,

Les uns repoussés doucement dans un creux,

D'autres tachés de soleil

Jusqu'aux pieds découverts

 

Ne laissant rien dans la mémoire se tordre.


Ariane Dreyfus, Nous nous attendons (Reconnaissance à Gérard Schlosser), Le Castor Astral, 2012.© Photo Tristan Hordé

Cette note de lecture a paru en avril 2012 dans Terres de femmes la revue littéraire d'Angèle Paoli.




07/10/2011

Ariane Dreyfus, Nous nous attendons

Ariane Dreyfus, Nous nous attendons, Gérard Schlosser, avec plaisir

« Avec plaisir »

 

C’est le milieu de la nuit et du lit

S’ouvre

 

La chambre la salle de bains la chambre encore

Façon d’y déposer chaque femme qu’elle est

 

Elle s’essuie entre

Un peu seule dans ses cuisses mais pas grave

Geste qui restera au fond d’ici

Le corps ne va pas se refermer

Si vivant

 

Puis le grand et doux du retour contre toi

Faisant sortir l’âme de partout au moindre mouvement

Serre

 

Tout juste

Le sentiment de dormir dans les bras

 

Ariane Dreyfus, extrait de Nous nous attendons (Reconnaissance à Gérard Schlosser, peintre)[à paraître], dans Rehauts, n° 2, printemps-été 2011, p. 31.

©Photo Tristan Hordé