16/05/2012
Leopardi, L'infini, traductions de Ph. Di Meo, Yves Bonnefoy, Michel Orcel, R. de Ceccaty
Toujours chère me fut cette colline solitaire,
et cette haie, qui pour une si grande part
dérobe le dernier horizon au regard.
Mais assis, fixant au-delà de
celle-ci des espaces illimités, et de surhumains
silences, une très profonde quiétude,
en mon esprit je recrée ; où peu s'en faut
que le cœur ne s'épouvante. Et comme j'entends
bruire le vent parmi ces arbres,
je vais comparant cet infini silence
à cette voix : et de l'éternel,
et des saisons mortes, et de la présente,
si vive, et de son timbre, je me souviens.
Ainsi, dans cette immensité s'abîme ma pensée :
et dans cette mer il m'est doux de naufrager.
Sempre caro mi fu quest'ermo colle,
e questa siepe, che da tanta parte,
dell'ultimo orizzonte il guardo esclude.
Ma sedendo e mirando, interminati
spazi di là da quella, e sovrumani
silenzi, e profondissima quiete
io nel pensiero mi fingo ; ove per poco
il cor non si spaura. E come il vento
oco stormir tra queste piante, io quello
infinito silenzio a questa voce
vo comparando : e mi sovvien l'eterno,
et la morte stagioni, e le presente
e viva, e il suon di lei. Cosí tra questa
immensità s'annega il pensier mio :
e il naufragar m'è dolce in questo mare.
Leopardi, L'infini, traduction de l'italien par Philippe
Di Meo, Le Cadran Ligné, 2012, n. p., 3 €.
Collection de livres d'un seul poème, Catalogue et Bon de commande :
Laurent Albarracin, "Le Mayne, 19700 Saint-Clément.
Trois autres traductions [éditions sans le texte italien]:
Toujours chère me fut cette colline
Solitaire, et chère cette haie
Qui refuse au regard tant de l'ultime
Horizon de ce monde. Mais je m'assieds,
Je laisse aller mes yeux, je façonne, en esprit,
Des espaces sans fin au-delà d'elle,
Des silences aussi, comme l'humain en nous
N'en connaît pas, et c'est une quiétude
On ne peut plus profonde : un de ces instants
Où peu s'en faut que le cœur ne s'effraie
Et comme alors j'entends
Le vent bruire dans ces feuillages, je compare
Ce silence infini à cette voix,
Et me revient l'éternel en mémoire
Et les saisons défuntes, et celle-ci
Qui est vivante, en sa rumeur. Immensité
E, laquelle s'abîme ma pensée.
Naufrage, mais qui m'est doux dans cette mer
Yves Bonnefoy, Keats et Leopardi, quelques traductions nouvelles,
Mercure de France, 2000, p. 43.
*
Toujours tendre me fut ce solitaire mont,
Et cette haie qui, de tout bord ou presque,
Dérobe aux yeux le lointain horizon.
Mais couché là et regardant, des espaces
Sans limites au-delà d'elle, de surhumains
Silences, un calme on ne peut plus profond
Je forme en mon esprit, où peu s'en faut
Que le cœur ne défaille. Et comme j'ois le vent
Bruire parmi les feuilles, cet
Infini silence-là, et cette voix,
Je les compare : et l'éternel, il me souvient,
Et les mortes saisons, et la présente
Et vive, et son chant. Ainsi par cette
Immensité ma pensée s'engloutit :
Et dans ces eaux il m'est doux de sombrer.
Leopardi, Chants, traduction, présentation, notes,
chronologie et bibliographie par Michel Orcel,
préface de Mario Fusco, Flammarion / GF,
2005, p. 103.
*
J'ai toujours aimé ce mont solitaire
Et ce buisson qui cache à tout regard
L'horizon lointain. Mais quand je m'assieds
Pour mieux observer, je me représente
Au fond de mon cœur l'espace au-delà :
Calme surhumain, très profonde paix.
Pour un peu, je suis perdu d'épouvante
En entendant geindre, entre les feuillages,
Le vent, je compare cette à voix-là
L'infini silence et je me souviens
De l'éternité, des mortes saisons,
Et de la présente, et de la vivante.
Et de sa rumeur. Ainsi dans l'immense
Sombre de ma pensée. Et dans cette mer
Il m'est doux enfin de faire naufrage.
Leopardi, Chants, traduit par René de Ceccaty,
Rivages, 2011, p. 139.
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