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21/12/2014

Aimé Césaire, Soleil Cou Coupé

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DÉFAIRE ET REFAIRE LE SOLEIL

 

  

demeure faite d’on ne sait à quel saint se vouer

demeure faite d’éclats de sabre

demeure faite de cous tranchés

demeure faite de grains de la pluie du déluge

demeure faite d’harmonicas mâles

demeure faite d’eau verte et d’ocarinas femelles

demeure faite de plumes d’ange déchu

demeure faite de touffes de petits rires

demeure faite de cloches d’alarme

demeure faite de peaux de bêtes et de paupières

demeure faite de grains de sénevé

demeure faite de doigts d’éventails

demeure faite de masse d’armes

demeure faite d’une pluie de petits cils

demeure faite d’une épidémie de tambours

 

quel visage aurions-nous à ne pas défier la mer d’un pied plus

retentissant que nos cœurs à grenouilles

 

Demeure faite de crotte de poule

demeure faite de sumac toxique

demeure faite de plumes pour couronne d’oiseau-mouche

 

Geôlier est-ce que vous ne voyez pas que mon œil toujours serré dans mes poings crie que mon estomac me remonte à la gorge et l’alimente d’un vol de ravets nés de sa mouture de saburre ?

 

Bel ange intime usure la mienne la vôtre le pardon est un pied-plat à bannir de notre vue mais ma colère m’apporte seule le bouquet de votre odeur et sa poignée de clés.

 

Puissant d’elle naissez comme d’elle je nais au jour.

 

Geôlier mes poings serrés, m’y voici, mes poings serrés m’y voilà dans ma demeure à votre barbe.

 

Demeure faite de votre impuissance de la puissance de mes gestes simples de la liberté de mes spermatozoïdes demeure matrice noire tendue de courtine rouge le seul reposoir que je bénisse d’où je peux regarder le monde éclater au choix de mon silence

 

Aimé Césaire, Soleil Cou Coupé, K éditeur, Paris 1948, p. 55-56.

03/04/2014

Jean-Baptiste Para, Laromira

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                        Laromira

 

Pardonne-moi si je te dis à l'oreille des choses tristes

Quand j'entends le bruit de mes pas dans mes os

 

Un silence m'a sauvée du mot

Un autre silence sauvera le mot

 

Et le vent sera ma demeure

 

 

J'ai vu nager les étoiles et j'ai vu les beaux reins du lièvre

J'ai appris qu'en allant de rivière en rivière

Rien n'était véritablement loin

J'ai longtemps tourné une bague  à mon doigt

J'ai appris que l'on pensait autrement dans le froid

 

Et le vent sera ma demeure

 

 

Il pouvait neiger dans toute l'étendue de mes veines

La patience était en moi comme le pain sur la table

Mes pouces façonnaient des visages d'argile

De la main gauche je savais aérer le lait

Il y avait dans mes yeux un peu d'ambre

Un peu de vert de nos marais

 

Et le vent sera ma demeure

 

 

Comme le merle et l'abeille sauvage

J'étais l'amie du sureau noir

J'aimais la nonchalante fierté

Des hommes et des tournesols

Le rire où rebondit

La petite perle d'un collier défait

 

Et le vent sera ma demeure

 

[...

Jean-Baptiste Para, Laromira dans Rehauts, n°32,

second semestre 2013, p. 39-32.