16/05/2022
Cesare Pavese, Dialogues avec Leuco
L’île
Chacun sait qu’Ulysse naufragé, sur la route du retour, resta neuf ans dans l’île d’Ogygie, où il n’y avait que Calypso, antique déesse.
Calypso : Ulysse, rien n’est bien différent. Toi aussi, comme moi, tu veux t’arrêter dans une île. Tu as tout vu et souffert. Peut-être un jour te dirais-je ce que j’ai enduré. Tous les deux nous sommes las d’un lourd destin. Pourquoi continuer ? Que t’importe que l’île ne soit pas celle que tu cherchais ? Ici jamais personne n’arrive. C’est un peu de terre et un horizon. Ici on peut vivre toujours.
Ulysse : Une vie immortelle.
Calypso : Immortel est celui qui accepte l’instant. Qui ne connaît plus un demain. Mais si ce mot te plaît, dis-le. Tu en es bien à ce point ?
Ulysse : Je croyais immortel celui qui ne craint pas la mort.
(...)
Cesare Pavese, Dialogues avec Leuco, traduction André Cœuroy, Gallimard, 1964, p.195 et 197.
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21/02/2021
Philippe Beck, Traité des Sirènes suivi de Musiques du nom
Dignité 17. Le silence des Sirènes, Kafka le fait dépendre d’un capitaine qui refuse d’entendre ce qu’elles semblent chanter : il imagine l’entente de la fin de la musique (de la disparition du son éloquent) et ce mutisme lyrique est peut-être le silence des algues séchées au bord de l’eau, ou des joncs que le vent fait chanter d’ordinaire, témoins paradoxaux des jungles aux mille violences nues comme Orphée est une discrète tanière aux mille monstres. Ulysse déploie et signe la première tentative pour « écouter le silence sublime et effrayant : la mer d’huile est la promesse d’un suspens du travail chanté, que le dirigeant interdit ; C’est peut-être pourquoi Kafka change le récit homérique et imagine la cire qui ferme Ulysse aux bruits suspendus de l’océan : il fait du capitaine un étrange matelot soumis au besoin d’entendre la silencieuse loi du travail qu’impose la mer sans vent ; dans Homère, le silence des Sirènes est la conséquence d’un courage autoritaire, et du pénible courage d’entendre ce qui précède le silence : la plainte pure, avant tout voyage au pays de l’effort. L’Odyssée n’entend pas (mais fait résonner) la plainte des marins que la cire ne préserve pas des tortures de la rame sur une mer étale, au soleil de midi. Les marins, soumis au rythme du silence sont pourtant les Sirènes les plus proches, et endurent Sirius qui dessèche les efforts.
Philippe Beck, Traité des sirènes suivi de Musiques du nom, Le bruit du temps, 2020, p. 27.
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28/01/2018
Robert Marteau, La fleur noire et blanche
La fleur noire et blanche
Écoute le coq
Parmi les étoiles
C’est lui qui a vu
La fleur noire et blanche
Qu’Ulysse a cueillie
Là où la prairie
Et le ciel se joignent
Dénouant la nuit
S’ouvrant au soleil
*
Coq tôt levé tu
Chantes clames cries
Sonne la venue d’un autre aujourd’hui
Tu as vu Vénus
S’évanouir au
Sommet du bouleau
La nuit de ses voiles
S’évaporer tu
Triomphes têtu
Ayant de la terre
Extrait le soleil
[…]
Robert Marteau, La fleur noir et blanche,
dans ce qui reste, n° , janvier 2018.
On peut lire le poème entier, accompagné
des peintures de Benoît de Roux , dans la revue
numérique ce qui reste
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Robert Marteau, La fleur noire et blanche
La fleur noire et blanche
Écoute le coq
Parmi les étoiles
C’est lui qui a vu
La fleur noire et blanche
Qu’Ulysse a cueillie
Là où la prairie
Et le ciel se joignent
Dénouant la nuit
S’ouvrant au soleil
*
Coq tôt levé tu
Chantes clames cries
Sonne la venue d’un autre aujourd’hui
Tu as vu Vénus
S’évanouir au
Sommet du bouleau
La nuit de ses voiles
S’évaporer tu
Triomphes têtu
Ayant de la terre
Extrait le soleil
[…]
Robert Marteau, La fleur noir et blanche,
dans ce qui reste, n° , janvier 2018.
On peut lire le poème entier, accompagné
des peintures de Benoît de Roux , dans la revue
numérique ce qui reste
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09/04/2014
Barbara Cassin, La nostalgie
Quand donc est-on chez soi ? Quand donc Ulysse est-il chez lui ? Quand il est oikade, à la maison ? Trois jours, le temps de tuer les prétendants et les servantes infidèles, le temps de se faire reconnaître par Télémaque - le chien Argos - le porcher Eumée - la nourrice Éuryclée - les bonnes servantes - Pénélope - Laërte - tous ceux d'Ithaque ? De passer la longue nuit avec Pénélope ? Un si bref laps de temps par rapport à l'errance : chez lui trois jours en vingt ans ?
Ou bien quand il repart, jusqu'à ce que... Jusqu'à ce qu'il arrive en un endroit où ce qu'il est, ce qui le détermine pour le meilleur et pour le pire, la mer, ses tempêtes, ses sirènes, ses naufrages, ses esquifs ses îles, soir radicalement inconnu ? Mais alors, cela ne veut-il pas dire qu'il est chez lui partout ailleurs que dans cet improbable ailleurs ? Chez lui, c'est la Méditerranée. Son identité, son « lui » et son « chez lui » se sont étendus aux limites du monde connu.
Barbara Cassin, La nostalgie, éditons Autrement, 2013, p. 57-58.
De Chirico, Le retour d'Ulysse, 1973
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