01/04/2014
Patrick Beurard-Valdoye, Gadjo-Migrandt
LE VÉLO
penché contre un mur
une ficelle après la selle
une bouillotte en caoutchouc rouge au bout remplie
d'eau
au dos
la coquille
d'un gros escargot
et le tout dans Elsworthy road
juste avant la rencontre avec Dali venu en
quête de saint patron des peintres
— il est fou
les Surréalistes maboules
à 95% c'est comme l'alcool —
il croque au bureau
silence analytique écho
à sa parade de vrai catalan fanatique
crânant
son article
regard sur la paranoïa
il en montre du doigt le titre
L'homme Moïse fini hier serait à l'inverse
« roman historique »
ses yeux
dévorants
ciblent le haut crâne
or Dali dit qu'il vit Freud à la une en photo
l'étape à Paris
sur la terrasse il dégustait
douze petits gris
soudain
l'idée vint
d'un secret morphique
un crâne allure d'escargot
cerveau spiralé
stream en front voûte de rivière
au bord du maelström
tête freudienne en tourbillon
avec roue
de petit vélo
Patrick Beurard-Valdoye, Gadjo-Migrandt, Flammarion, 2014, p. 211-212.
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30/12/2013
Patrick Beurard-Valdoye, La fugue inachevée
Pour "commémorer" la boucherie de 14-18...
Menoncourt samedi 1er août 1814 — Marcel à ses parents (Morvillars (Terr. de Belfort)
C'est avec une grande peine que je vous écris peut-être ces derniers mots nous sommes en troisième ligne en cantonnement d'alerte à Menoncourt nous sommes partis le vendredi 31 juillet à 8 heures du soir en tenue de guerre pour Menoncourt à 5 kilomètres de la frontière nous avons avec nous 120 cartouches ici le pays est tout sens dessus dessous nous avons fauché blé pommes de terre etc. pour faire des tranchées pour nous retrancher ici les femmes pleurent car elles ont reçu l'ordre de quitter le village j'espère qu'Albert et Amédée sont partis aussi pour faire leur devoir aujourd'hui samedi nous avons entendu l'ordre de mobilisation générale peut-être demain nous partirons au feu un aéroplane est venu ce soir atterrir à Menoncourt faire une reconnaissance je ne pensais guerre que dimanche la situation en viendrait à ce point-ci je termine ma lettre en vous embrassant bien tous
votre fils qui fera son devoir Marcel
Menoncourt lundi 3 août 1814 - Marcel à ses parents
Je crois que nous sommes encore à Menoncourt pour deux jours nous pousserons peut-être plus avant c'est un pays à peu près ruiné les vergers arbres fruitiers sont en grande partie coupés ainsi que les blés pommes de terre etc. nous avons fait des fosses pour nous abriter pour tirer nous coupons aussi les lisières de bois dans le pays on ne peut plus rien trouver aucune boisson tout a été nettoyé en deux jours Je voudrais bien que vous me disiez si Albert et Amédée sont partis et où ils sont dans le village on a tambouriné hier que tout homme valide de 16 à 60 ans devait se rendre à Belfort pour faire des travaux de défense dites-moi si le Papa est parti ainsi que nos chevaux [...]
Un commandant du 35' s'est suicidé il s'était trop rapproché de la frontière avec son bataillon le Général lui a ordonné de reculer il a refusé et s'est suicidé.
Bonjour à tous.
Patrick Beurard-Valdoye, La fugue inachevée, éditions Al Dante/Niok, éditions Léo Scheer, 2004, p. 176 et 179.
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25/10/2011
Patrick Beurard-Valdoye, Amour en cage
Amour en cage
La parole volante était proscrite
qu’était prison sans parloir ?
dans ses moment perdus l’Europe est une prison
juste un chiriklo qui tend l’espace et le clôt
en effet les tsiganes volaient des poules parfois des enfants ils étaient même des voleurs de langue empruntant où ils passaient des mots et sans les rendre allant jusqu’à corrompre leur sens les savants réputés considéraient l’idiome tsigane comme fait d’éléments de bric et de broc volés aux langues pures l’emprunt étant souvent et explicitement interprété en termes de perte de l’identité linguistique et si l’on avait interdit l’usage de ces mots détournés qu’auraient-ils donc eu à dire à se taire ? aussi les instituteurs faisaient-ils payer une couronne aux garçons surpris parlant le romani les filles on leur rasait la tête.
quant aux gitanes autant jeteuses de sorts que voleuses d’hommes on se souvenait justement de cette affaire du paysan Janik disparu avec la tsigane sans laisser d’autre trace qu’un journal intime versifié publié en feuilleton valache dans le morave Lidové Noviny
le parti agraire prêtait désormais l’oreille aux pétitions paysannes et la loi du 14 juillet combattant la peste tsigane obligeait les nomades et tous mauvestis se livrant à ce mode de vie à se déclarer pour obtenir l’indispensable carnet anthropométrique — la CIKÁNSKÁ LEGITIMACE — avec empreinte des dix doigts mention de noms et surnoms — mais le prénom romani que la mère souffle une seule fois à son nourrisson, l’administration ne l’aurait jamais — et tout détail hauteur poids visage cheveux barbe yeux front menton nez lèvres dents suivi de dix-neuf pages destinées aux observations particulières (à la rubrique profession de ces illettrés qui n’en avaient pas vraiment, le fonctionnaire écrivait TSIGANE) des panneaux d’interdiction fleurissaient accrochés aux branches des êtres ou chênes vénérables parce que les tsiganes illettrés savaient tout de même lire dans l’essence et l’écorce d’un des vingt-quatre hommes-arbres.
Patrick Beurard-Valdoye, Amour en cage, extrait de Gadjo-Migrandt (à paraître), publié dans L’étrangère, n° 26-27, 2011, p. 55-56.
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