18/07/2020
Paul Claudel, Connaissance de l'Est
La pluie
Par les deux fenêtres qui sont en face de moi, deux fenêtres qui sont à ma gauche, et les deux fenêtres qui sont à ma droite, je vois, j’entends d’une oreille et de l’autre tomber intensément la pluie. Je pense qu’il est un quart d’heure après midi ; autour de moi, tout est lumière et eau. Je porte ma plume à l’encrier, et, jouissant de la sécurité de mon emprisonnement intérieur, aquatique, tel qu’un insecte dans le milieu d’une bulle d’air, j’écris ce poème.
Ce n’est point de la bruine qi tombe, ce n’est point une pluie languissante et douteuse. La nue attrape de près la terre et descend sur elle serré et bourru, d’une attaque puissante et profonde. Qu’il fait frais, grenouilles, à oublier, dans l’épaisseur de l’herbe mouillée, la mare ! Il n’est point à craindre que la pluie cesse ; cela est copieux, cela est satisfaisant.
Paul Claudel, Connaissance de l’Est (1929), Poésie / Gallimard, 1974, p. 82.
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22/01/2020
Yosa Buson, Le Parfum de la lune
au bord du chemin
des jacinthes d’eau arrachées fleurissent
la pluie du soir
pluie du cinquième mois
le sentier
a disparu
dans la véranda
fuyant femme et enfants
quelle chaleur !
la lune voilée
les grenouilles brouillent
l’eau et le ciel
pas une feuille ne bouge
terrifiant
le bosquet d’été
Yosa Buson, Le Parfum de la lune, traduction du
japonais Cheng Wing Fun et Hervé Collet,
Moundarren, 1992, p. 80, 83, 88, 101.
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25/03/2018
Robert Marteau, Mont-Royal
Un jeune étourneau trille à la tête d’un chêne, de ses rémiges battant l’air et l’ennuageant de suis, puis, les ailles fixes et tendues pour former avec le fuselage un triangle, il pointe son fin bec et lance une crépitement de brèves, de longues et d’aiguës vers celle qui va venir et dont l’absence comme la proche venue visiblement l’enivrent.
L’ombre de l’été déjà sur les derniers pans de neige isolés autour du marais et maintenus par l’abri des sapins. Dans la vasque encombrée de chevelure et de mirages, les grenouilles concertent, chanteuses sorties des cryptes noires, chœur tout occupé de son gloussement comme poussée annonciatrice des pontes, des flottages de gélatine en dérive sous le vent et sur les eaux laquées.
Le monde n’a pas attendu d’être nommé pour vivre / la roulette du carouge et cri du corbeau sont plus perpétuels que l'anapeste, le psaume, le verset. l
Robert Marteau, Mont-Royal, Gallimard, 1981, p. 50.
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06/05/2017
64 Dodoïstu, Les montagnes, les rizières et la mer
L’homme avec qui j’ai rompu
Le voilà au détour du chemin
Vite frottons nous les yeux
Une poussière y est entrée
Le long des berges
Par temps de pluie
Des grenouilles se tiennent
Vigiles de l’autre monde
La pluie tombe
Les mauvaises langues se délient
La pluie s’arrête
Les mauvaises langues continuent
Cœur de femme
Corps de luciole
Sans un mot
Se consument
64 Dodoïstu, Les montagnes les rizières et la mer,
traduction du japonais Alain Kervern,
Calligrammes,1984, np.
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08/03/2017
Pierre Michon, Le Roi du bois
Tôt un matin, j’allais me couper des sifflets sous un taillis, dans un de ces fonds humides où viennent des essences tremblantes que le moindre souffle agite, saules et trembles, et qui recueillent à leur pied de pauvres espèces, les couleuvres, les grenouilles : on fait dans ces écorces les meilleurs sifflets, on en tire une plainte ténue mais exagérée comme le chant des crapauds. Oui, Dieu sait que je n’allai chercher là que de bons sifflets. L’odeur des feuilles pourries montait et penché là-dedans j’avançais avec précaution, très occupé, le regard à hauteur de terre. Le jour de juin me trouva dans ce sous-bois. À un détour par une trouée je vis au loin le front d’un palais dans le soleil levant en haut de la colline : rien n’y bougeait, nul n’était levé, c’était clair et inhabité comme un rocher ; ici les brumes de la nuit persistaient, les feuillages retombaient, tout était noir. J’étais bien.
Pierre Michon, Le Roi du bois, éditions infernales, 1992, p. 23.
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29/09/2015
Dodoïtsu : Les montagnes, les rizières et la mer
Dodoïtsu
Que les grenouilles
Coassent dans l’eau
Et se lèvent dans ma mémoire
Les jours anciens
Sans doute viendra-t-il, mon bien-aimé
Et les soirs où il vient
Derrière, sur l’étang aux lotus
Les canards s’envolent
Buvons, chantons
Que serons-nous demain ?
Aujourd’hui, à mi-chemin nous sommes
Dans la fleur de l’âge
Libérant leurs gosiers
D’un mutuel assaut
Des oiseaux par milliers
Sur la route des îles
Le long des berges
Par temps de pluie
Des grenouilles se tiennent
Vigiles de l’autre monde
Les montagnes, les rizières et la mer, 64
Dodoïtsu, traduction et préface Alain
Kerven, Calligrammes, 1984, np.
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01/09/2015
Pascal Quignard, Petits traités, III
Nous sommes telles des grenouilles échouées sur la terre ferme, et qui n’arrivent pas à remettre la main sur des souvenirs inutilisables, des souvenirs d’eau, de sons ténus et anciens, de formes glauques, traditions sans usage, — des souvenirs de têtards.
Pascal Quignard, Petits traités, III, Maeght, 1980, p. 42.
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25/06/2015
Jean Arp, Jours effeuillés
Sur le dos ou sur le ventre
Le jour est parfois plat.
On a beau faire
on n’arrive pas à s’élever.
Il n’y a personne pour s’élever.
On est forcé de rester plat
sur le dos ou sur le ventre
plat comme une feuille de papier
dans un bloc à écrire.
*
La petite obèse
détrompe ses nains
décroche sa cour.
Elle court elle ronronne
au nom d’une roue.
Elle est à bout.
Les nains s’étonnent.
Leur belle patronne
se décèlerait si vite,
plierait si vite ses cris
pour devenir une grande grenouille
rouge et chaude
donnant du lait ?
Le temps est gris
et mécontents les nains se plient
vivants et crus
et tour suit tour
nuage nuage.
Jean Arp, Jours effeuillés, Gallimard, 1966, p. 473, 462.
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25/05/2014
Buson (1716-1783), Le parfum de la lune
les journées lentes
s'accumulent
si loin autrefois
le poirier en fleurs
sous la lune
une femme lit une lettre
je marche, je marche
songeant à des choses et à d'autres
le printemps s'en va
au bord du chemin
des jacinthes d'eau arrachées fleurissent
la pluie du soir
la nuit, des voix d'hommes
irriguant les champs
la lune d'été
la nuit voilée
les grenouilles brouillent
l'eau et le ciel
Buson (1716-1783), Le parfum de la lune,
traduction Cheng Wing fun et Hervé
Collet, Moundarren, 1992, p. 55, 59,
68, 80, 90, 93.
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